Benjamin – Les enquêtes de Joseph Laflamme 04 (Hervé Gagnon)


Hervé Gagnon. – Benjamin . Les enquêtes de Joseph Laflamme. 04 – Montréal : Hugo Québec, 2024. – 450 pages.

 

Thriller

 

 

 

Résumé :

 

Montréal, mai 1893. Le cadavre d’un homme est découvert à l’étage du château de Ramezay. Dans les jours qui suivent, d’autres assassinats surviennent.

 

Joseph Laflamme, maintenant journaliste à La Patrie, mène son enquête en compagnie de l’inspecteur Marcel Arcand et de George McCreary. Peu à peu, il appert que tous les meurtres sont liés à un document ancien qui, s’il était révélé au grand jour, transformerait l’histoire de l’Amérique du Nord tout entière.

 

Au rythme des morts qui s’accumulent, Laflamme se trouve pris au centre d’une rivalité entre les gouvernements américain et canadien, mais devient aussi la cible d’une société secrète extrêmement dangereuse.

 

 

Commentaires :

 

Avec cette quatrième enquête du journaliste Joseph Laflamme, Hervé Gagnon s’est dépassé en l’associant à une « … affaire liée à des événements politiques survenus à Montréal » plus d’un siècle plus tôt : un objet « doublement perdu » qui aurait eu un impact majeur sur la société québécoise contemporaine. Avec en arrière-scène l’occupation de Montréal par les forces continentales américaines dirigées par le général Richard Montgomery en 1775 et 1776. Et en avant-scène, au printemps 1893, une séquence d’assassinats ayant comme pivot le château de Ramesay où paraît-il qu’à une certaine époque, « les étudiants en médecine disséquaient des cadavres… »

 

 

 

Le bâtiment en ruines pendant l’enquête de Joseph Laflamme avait servi de quartier général à Benjamin Franklin, Samuel Chase et Charles Carroll de Carrollton, représentants du Congrès de Philadelphie, en mission « de convaincre la Province de Québec de se joindre à la révolution des treize colonies et de devenir le quatorzième État à la signature de la Déclaration d’indépendance du 4 juillet 1776. »

 



Dans « Benjamin », Hervé Gagnon a concocté un scénario bien ficelé reposant sur une énigme codée intrigante qui est résolue progressivement jusqu’à la découverte du sens accordé aux combinaisons de lettres et de chiffres consignés sur deux mystérieux documents :

 



Et aussi plausible en faisant côtoyer ses protagonistes imaginés (Joseph et Emma Laflamme, George McCreary et Mary O’Gara, l’inspecteur Marcel Arcand…) avec des personnages canadiens-français ayant réellement existé :

 

·        le Lyonnais Fleury Mesplet (1734-1774), imprimeur qui, depuis Philadelphie, a imprimé entre autres trois lettres adressées aux habitants de la province de Québec afin de les inciter à se joindre aux révolutionnaires des Treize colonies : Lettre adressée aux habitans de la Province de Québec, ci-devant le Canada (26 octobre 1774) ; Lettre adressée aux habitans opprimés de la Province de Québec (29 mai 1775) ; Lettre aux habitants de la province du Canada (24 janvier 1776).

·        Joseph Guibord (1809-1869), « typographe et imprimeur » canadien-français ayant contribué à la fondation en 1844 de l’Institut canadien de Montréal créé par de jeunes libéraux, dans le but notamment d'avoir accès à certaines œuvres provenant des auteurs du siècle des Lumières dont les membres furent excommuniés en 1859 et l'Annuaire de 1868 mis à l'index par Rome.

 

 

·        Honoré Beaugrand (1848-1906), propriétaire du journal La Patrie. Homme politique et écrivain, républicain et anticlérical, il fut l'une des figures marquantes du libéralisme radical dans la province de Québec de la fin du 19e siècle.

·        Arthur Buies (1840-1901), « journaliste et pamphlétaire illustre, ardent critique […] et ennemi farouche de l’évêché de Montréal ».

·        Marc-Aurèle Plamondon (1823-1900), « journaliste, avocat, juge à la Cour supérieure d’Arthabaskaville et […] porte-étendard émérite et infatigable des idées libérales ».

 



Sans oublier les références au complot des Illuminati, au Grand sceau des États-Unis et, bien sûr, à la Franc-maçonnerie, sujet de prédilection de Hervé Gagnon. Ce dernier résume d’ailleurs en un paragraphe l’historique de son implantation :

 

« La Grande Loge provinciale a d'abord été créée par les officiers britanniques durant la guerre de la Conquête, en 1759. En 1791, elle a été scindée en deux: une grande loge pour le Haut-Canada et l'autre pour le Bas-Canada. En 1855, après l'Acte d'union de 1840, les deux ont été unifiées pour former la Grande Loge du Canada. Puis, en 1869, les loges de la province de Québec se sont détachées pour former la Grande Loge du Québec actuelle, tout juste après l'Acte de l'Amérique du Nord britannique qui créa ce nôtre pays. »

 

Avec cette incursion dans un pan peu connu de notre histoire nationale, le récit captivant se déroule allègrement, arrosé de rasades réconfortantes de gin et de whisky pour compenser le rythme soutenu des événements et des épreuves auxquels sont confrontés les enquêteurs.   

 

Comme dans les trois tomes précédents, le roman « Benjamin » est truffé de descriptions toujours aussi savoureuses :

 

« L'homme avait peut-être quarante ans, mais une fréquentation trop assidue des archives l'avait fait vieillir prématurément. Sa chevelure foncée sous un haut front un peu fuyant était aussi épaisse que sa moustache était mince et bien taillée. Son costume de qualité moyenne était propre, mais défraîchi. »

 

« Le vieux au dos voûté mâchonnait une pipe en plâtre d'où s'échappait une fumée nauséabonde. Son visage maigre arborait une barbe blanche de trois jours et l'odeur âcre qu'il dégageait était celle de la pauvreté de ceux qui étaient trop âgés pour travailler. »

 

« Le faciès parsemé de taches de rousseur de son compétiteur s'empourpra de cette façon qui semblait propre aux Écossais et qui leur donnait l'apparence d'une tomate mûre sur le point d'exploser. »

 

« Un personnage qui semblait sortir tout droit du cirque Barnum & Bailey. L'homme était composé d'un torse en barrique soutenu par deux jambes étrangement chétives. Sur cette charpente reposait une tête trop grosse, au visage bovin décoré d'une moustache et de rouflaquettes grisonnantes. Jamais encore il n'avait croisé un homme qui lui rappelait autant le Minotaure des légendes grecques. »

 

« Exceptionnellement pour un agent du Département, il n'arborait ni moustache ni favoris, mais un des faciès les plus patibulaires qu'il lui eut jamais été donné de voir. Son nez aplati, ses oreilles en chou-fleur et ses pommettes gonflées trahissaient les nombreux coups de poing encaissés, sans doute autant dans ces combats illicites qui se déroulaient dans les ruelles sombres que dans le cadre de ses fonctions. Ses poings avaient la grosseur d'enclumes et ses petits yeux porcins ne perdaient aucun détail de celui qui s'approchait. »

 

« Le septuagénaire à la grosse barbe blanche et au front dégarni, court sur pattes et les chairs épaissies par l'âge, avait l'air sévère dans un costume sombre d'excellente qualité. Il dégageait une énergie et une autorité palpables propres aux gens qui siègent sur le banc. »

 

Au gré des agressions et des assassinats, Hervé Gagnon a glissé des informations sur la réalité socio-économique et la vie quotidienne à Montréal en 1893 :

 

« Il est de notoriété publique que les terrains se font rares dans ce quartier ancien de Montréal. Ceux du château de Ramezay, magnifiquement situés, sont convoités par plus d'un promoteur en cette ère de construction effrénée. Il y a donc fort à craindre que cette relique de notre passé français ne soit jetée à terre par son acquéreur, ce que d'aucuns considèrent comme un véritable sacrilège. »

 

« Une bagarre entre étudiants éméchés à l'Université McGill qui a manqué de mal tourner. Un des belligérants était plus amoché que les autres et tenait mordicus à porter plainte. Le doyen de la Faculté souhaitait surtout que l'affaire ne s'ébruite pas. »

 

On y apprend que la prison de Montréal était située sur la rue Notre-Dame et que la morgue municipale recevait les cadavres sur la rue Perthuis. La ville possédait, entre autres, deux musées (l’Art Association of Montreal – qui sera renommée 1949 le Musée des beaux-arts de Montréal – et la National History Society of Montréal. La Société d’archéologie et de numismatique de Montréal était l’une des nombreuses sociétés savantes ayant pour objectif de favoriser la science, la culture et la préservation du patrimoine montréalais.

 

Cinq journaux s’y faisaient concurrence : La Patrie (rue Saint-Gabriel) dont les articles n’étaient pas signés par les journalistes qui gagnaient « presque cinq dollars par mois », la Gazette, le Montreal Herald, le Daily Witness, le Montreal Star :

 

« … pour maintenir l'intérêt des lecteurs, il faut des faits divers, du spectaculaire, du sordide. […] Les gens sont voyeurs et aiment les sensations fortes. »

 

Pour officialiser des fiançailles, il était possible de se procurer un « ensemble à diamant valant presque trois dollars […] Une petite fortune » alors qu’il fallait débourser deux cents pour acheter un exemplaire de journal.

 

La rigueur du texte est allégée par quelques touches d’humour :

 

« Arcand l’entraîna vers le groupe de policiers, dont les membres l’accueillirent à l’unisson avec des airs de bœuf. »

 

« …je ne suis pas un râleur. Je suis français. Il y a une différence. »

 

« Comme tous les politiciens fédéraux canadiens-français, il (ex-ministre dans le cabinet Macdonald) s’efforce maintenant d’être plus anglais que les Anglais. »

 

« … son expression trahissait un mécontentement qui aurait flétri une plante. »

 

Certains rappels sur les enquêtes précédentes permettent au lecteur de contextualiser les événements tragiques auxquels doit faire face le célèbre quatuor Laflamme frère et sœur / McCreary / O’Gara. Le petit groupe a toujours pour quartier général la cuisine de la maison des Laflamme en fond de cour sur la rue De Lorimier. On y planifie les stratégies d’enquête, panse à l’occasion des blessures. Sinon, les lieux sont propices à des rapprochements intimes et parfois à échanges houleux. L’auteur sait assurer un bon équilibre entre les scènes d’action et les interrelations humaines (Joseph/Mary et Emma/George ou « professionnelles » (Laflamme/Arcand) : « … leur amitié s’était développée autour d’un respect mutuel exprimé par le sarcasme et l’ironie. »

 

Hervé Gagnon nous permet de prendre connaissance avant leur parution dans le journal La Patrie des articles rédigés par son héros journaliste qui « tel un pianiste sur le point de commencer son concert, [fait] jouer ses doigts comme il le [fait] toujours et les [laisse] danser sur les touches. » Joseph Laflamme dont le sommeil est encore troublé par son passé trouble alors que jeune enfant il avait été placé dans un orphelinat :

 

« Alors même qu'il cherchait ses repères dans les brumes du sommeil, des souvenirs trop familiers se dissipaient dans son esprit. La présence oppressante d'un homme, debout près de son lit ; la sensation écœurante d'une main remontant le long de sa cuisse; le rythme d'une respiration profonde ; une honte diffuse, entrelacée d'incompréhension ; la haine et la colère. » 

 

En somme, « Benjamin », la quatrième enquête de Joseph Laflamme, est un roman à la fois pédagogique et divertissant dans lequel il fait bon se laisser entraîner dans une intrigue qui, à la suite de sa résolution, nous amène inévitablement à nous demander : « Et si……………. ? ».   

 

Merci aux éditions Hugo Québec pour le service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer auprès de votre librairie indépendante.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue : *****

Psychologie des personnages : *****

Intérêt/Émotion ressentie : *****

Appréciation générale : *****

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