Hervé Gagnon. – Joseph. Les enquêtes de Joseph Laflamme 05. – Montréal : Hugo Québec, 2024. – 426 pages.
Thriller
Résumé :
Montréal, juillet 1893. Joseph Laflamme,
présent près des lieux d’un meurtre, est arrêté et accusé d’avoir sauvagement
massacré la victime. Il a beau crier au coup monté, les circonstances
l’accablent. Sa seule planche de salut réside dans l’enquête que mène
l’inspecteur Marcel Arcand. Tout en essayant de soutenir sa femme, aux prises
avec une profonde mélancolie, et malgré son impression que tout s’effondre
autour de lui, Arcand est confronté à un cruel dilemme: céder au chantage ou
laisser Laflamme être incriminé injustement.
Commentaires :
La cinquième enquête de Joseph Laflamme m’a
happé dès les premières pages pour me propulser à nouveau dans l’univers
historico-romanesque imaginé par Hervé Gagnon. « Joseph », cette nouvelle aventure est la suite logique du tome
précédent, « Benjamin ».
Il y est encore une fois question des fameux documents destinés à Benjamin Franklin
dont on croyait qu’ils demeureraient cachés pour des siècles à venir.
Dans ce nouvel opus aussi caractérisé par un
souci de l’auteur à mettre de l’avant la dynamique des relations interpersonnelles
et familiales des principaux personnages, les assassinats continuent de s’enchaîner.
Avec le recul, comme les enquêtes de Joseph Laflamme s’étalent sur à peine deux
ans, force est de constater que ce dernier, et les membres du petit groupe qui
s’activent avec lui pour résoudre les énigmes auxquelles ils sont confrontés mènent
une vie plutôt mouvementée.
Hervé Gagnon récidive avec la même recette en
dosant et en mixant les ingrédients indispensables pour nous servir un plat de gastronomie
littéraire qui suscite notre intérêt par son imbrication dans une réalité
historique et l’intégration de personnages réels tels que :
·
Hugh McLennan (1825-1899),
marchand et homme montréalais d'origine écossaise qui « avait des airs de Saint-Nicolas ».
·
Jonathan
Saxton Campbell Würtele (1828-1904), juge et homme politique québécois aux « rouflaquettes abondantes et sa calvitie
partielle… »
·
Charles Luman Knapp (1847-1929),
homme politique américain qui fut consul général des États-Unis à Montréal
entre 1889 et 1893.
Encore une fois, l’auteur campe son récit, dès les premières lignes du prologue, dans un de ses sujets de prédilection, l’univers des sociétés secrètes qui « ont la mauvaise habitude d’exister en couches superposées qu’il faut éplucher une à une, comme un oignon… » :
« Les quinze hommes avaient le même air
austère. Ils ne portaient que des costumes foncés. Ils n'avaient nul besoin de
robe, de capuchon ou d'autres artifices extravagants. Contrairement aux
francs-maçons, aux rose-croix, aux nouveaux Templiers et à toutes les autres
sociétés de carnaval qui aimaient à se dire secrètes, leur ordre n'était connu
que de ses quinze membres. Leur influence était inversement proportionnelle à
leur nombre, et elle grandissait sans cesse. À eux seuls, ils pouvaient
pratiquement acheter le pays tout entier, même si personne ne le soupçonnait.
Dans cette pièce, on décidait souvent des politiques de la nation, mais aussi
de la vie et de la mort de certains de ses citoyens. Ceux qui étaient éliminés
ignoraient tout de ceux qui avaient prononcé leur condamnation. »
Il est entre autres question du Complot des Illuminati, théorie conspirationniste selon laquelle la « société de pensée » allemande des Illuminés de Bavière poursuivrait un plan secret de domination du monde en infiltrant les différents gouvernements et les autres sociétés initiatiques, dont la franc-maçonnerie. Et du Skull and Bones aussi connu par les anglophones sous les noms « Chapter 322 ». Le nombre 322 correspondant au numéro de la salle de l’édifice où se réunissait le groupe.
« Chacun portait néanmoins une bague à l’annulaire
de la main droite et, si un observateur indiscret avait pu se pencher dessus,
il y aurait vu le chiffre 322 très finement gravé et à peine perceptible. »
Le prétexte est parfait pour pimenter l’enquête
de messages nébuleux extraits de la Bible …
«
Un peu à la manière de Jack l’Éventreur,
l’homme annonçait son crime et lui disait ‘’ attrapez-moi si vous le pouvez ‘’.
»
… et de marques tout aussi énigmatiques
laissées sur le front d’un des cadavres :
Comme dans les tomes précédents, la structure du récit nous tient en haleine tout en nous faisant découvrir des détails de la vie quotidienne montréalaise au milieu du XIXe siècle tel que « l’évier de pierre », « la cafetière en grès », « la tasse en grès », « les roues ferrées sur le pavé ». Aussi de certaines traditions maçonniques : la « triple bise » et les funérailles :
« Un à un, les membres de la loge des
Cœurs-Unis avaient défilé devant le cercueil fermé qu'ils avaient payé de leur
poche. Dessus, on avait drapé le tablier maçonnique du mort, sur lequel ils
avaient tour à tour déposé une branche d'acacia en prononçant tous la même
formule : ‘’ Adieu, ami et frère. Tes travaux sont achevés. Que ce repos soit
dans une paix parfaite ‘’. »
Les descriptions de personnages sont toujours
aussi savoureuses :
« …
les pommettes rondes lui donnaient un air
jovial quand il souriait, transfigurant la tête à faire surir la crème qu’il
arborait par principe et qu’il s’entêtait à décorer d’une épaisse moustache en
fer à cheval. »
« Dans la soixantaine, le cheveu blanc et
rare, flottant légèrement dans son costume gris foncé, le visage glabre aux
bajoues d'épagneul, Amable Berthelet semblait avoir jauni et séché avec ses
papiers dans son cabinet. »
Et que dire du style le style de l’auteur
comme l’illustrent bien ces quelques exemples :
« …
un regard à effriter le ciment. »
« …
une œillade d’une aigreur à faire tourner
le lait. »
« …
un regard à flétrir un bouquet de
marguerites. »
Déclarer
« avec la froideur d’un vent de
février. »
Depuis le début de la série, Hervé Gagnon a
eu la bonne idée d’intégrer des portions de dialogue dans la langue de George
McCreary, ex-agent de Scotland Yard, avec traduction en bas de page. Et de
souligner un trait de caractère de la sœur de Joseph, Emma Laflamme, lorsqu’elle
insiste pour qu’on l’appelle « mademoiselle »
et non pas « madame ».
J’ai noté au passage trois informations
glissées dans le récit.
D’abord celle concernant le mont Royal, « cette nature soigneusement aménagée [dès
1874] par M. [Frederick] Olmsted » reconnu à l'époque comme
le plus éminent architecte paysagiste du continent américain.
Celles sur l’émergence à cette époque de
nouvelles techniques visant à identifier un suspect :
« Arcand considéra un moment l'enveloppe et le
document. Il avait entendu dire qu'en France on arrivait maintenant à lire les
marques invisibles que laissaient les doigts sur les objets et qu'il n'y en
avait pas deux pareilles. On prétendait que la méthode était assez fiable pour,
un jour, permettre d'identifier des criminels. Il aurait souhaité disposer
d'une telle arme. Malheureusement, on n'en était pas là. »
Et sur la popularité des drogues et des
poisons utilisés au XIXe sècle pour assassiner : « De deux poisons, il faut choisir le moindre. »
D’ailleurs, je ne crois pas me tromper en affirmant que l’auteur en profite pour lancer un clin d’œil à un certain Dr Thomas Neill Cream, un tueur en série ayant sévi à cette époque au Québec, aux États-Unis et en Angleterre duquel il semble s’être inspiré en partie en introduisant le personnage de Donald Kirkpatrick :
« … médecin
écossais, avait émigré au Canada avec en poche un diplôme de la prestigieuse
université d'Édimbourg. Il n'avait fallu que quelques années pour qu'une
carrière prometteuse soit compromise par un penchant marqué pour la bouteille.
Les erreurs et les comportements erratiques se multipliant, le docteur avait
fini par perdre successivement sa réputation, son droit de pratique et, enfin,
sa femme et ses enfants. Il s'était alors tourné vers le quartier du Red Light,
où les services d'un avorteur, même dangereux, étaient toujours recherchés par
les filles de joie malchanceuses. »
En terminant, sans divulguer les tenants et
aboutissants de l’intrigue, je ne peux m’empêcher de citer ces deux extraits
(en lien avec les fameux documents destinés à Benjamin Franklin dont il est question
dans « Joseph » et dans « Benjamin », l’enquête précédente) qu’il
est intéressant de mettre en perspectives dans le contexte des relations Québec-Canada
contemporaines :
« Avec tous les Canadiens français qui ont
encore la Confédération de 1867 de travers dans la gorge, qui sait ce qui se
passerait si on apprenait que la Province de Québec avait accepté de devenir
américaine voilà un siècle ? […] La
nouvelle serait peut-être suffisante pour déclencher des rébellions aussi
graves que celles de 1837. […] La
Province risquerait de se retrouver à feu et à sang, avec la répression et tout
le reste. Le gouvernement du Canada paierait certainement beaucoup d'argent
pour étouffer l'affaire plutôt que de courir le risque. »
« Au fait, Laflamme, hier, notre ami le juge
Baby a reçu un télégramme d'un collègue fonctionnaire à Ottawa qui connaît son
intérêt pour les papiers précieux. Il paraît que des documents très rares ont
été livrés à la bibliothèque du Parlement. Ils sont si secrets qu'ils ont été
enfermés dans un coffre-fort dont seul le premier ministre détient la
combinaison. […] Mais pourquoi le
gouvernement fédéral les conserverait-il au lieu de les détruire ? […] Pour le moment, il veut empêcher qu'ils
entraînent la sécession de la Province, […], mais qui sait si, un jour, il ne voudra pas la provoquer ? En
politique, il ne faut jamais dire jamais. »
Merci aux éditions Hugo Québec pour le
service de presse.
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Originalité/Choix du sujet : *****
Qualité littéraire : *****
Intrigue : *****
Psychologie des
personnages : *****
Intérêt/Émotion
ressentie : *****
Appréciation générale : *****
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