Quelque chose de froid (Philippe Pelaez/Hugues Labiano/Jérôme Maffre)


Philippe Pelaez/ Hugues Labiano/Jérôme Maffre. – Quelque chose de froid. – Grenoble : Glénat, 2024. – 56 pages + cahier bonus de 8 pages.

 

Bande dessinée noire

 

 


Résumé :

 

Ohio, 1936. Ethan Hedgeway est un truand qui a trahi Frank Milano, le parrain de la pègre de Cleveland. S’il pensait pouvoir mener une vie paisible ensuite, c’est raté. En guise de réponse, Milano réfugié au Mexique, démembre sa femme. Hanté par ce massacre, Hedgeway décide de revenir à Cleveland à la grande surprise des policiers qui comptent bien profiter de son retour pour lui soutirer de précieuses informations. Les autorités l’installent dans un hôtel minable où Ethan va faire la connaissance de personnages aussi baroques que lui, telle la ravissante unijambiste Victoria Jordan.

 

Mais une autre affaire agite la région : dans les bas-fonds du quartier de Kingsbury Run, là où sévit la misère la plus crasse, un tueur en série sème des cadavres mutilés autour du bidonville. Ethan, fasciné par ces crimes odieux, va peu à peu sombrer dans un sordide engrenage meurtrier sans imaginer que le véritable tueur, tout proche, pourrait bien prendre ombrage de ce dangereux concurrent… Ethan pourra-t-il s'arrêter à temps ?

 

 

Commentaires :

 

« Quelque chose de froid » est « un polar sanglant, à l’ambiance sombre et crépusculaire, à l’époque de la fin de la Prohibition ». La structure de ce « récit d’une vengeance brutale » aux « dialogues ciselés » qui nous précipite dans le milieu impitoyable de la mafia s’inspire des caractéristiques des films noirs.

 



Dans un cahier bonus, en annexe, que j’ai lu avant de plonger dans le récit de Ethan Hedgeway – ce que je vous conseille d’ailleurs – Philippe Pelaez évoque les origines du film noir…

 

« digne héritier d’un cinéma européen alliant la force expressionniste allemande et le réalisme mélodramatique français, voire la dynamique criminelle des films d’Alfred Hitchcock, période anglaise. »

 

… et ses caractéristiques

 

« une jungle urbaine, des éclairages en clair obscur, des dialogues percutants et virils, quelques flash-backs, des détectives et des femmes fatales, la voix off du narrateur autodiégétique [héros de son récit], un parti pris pour les angles et des mouvements de caméra, un destin inéluctable… »

 


« le narrateur autodiégétique raconte une histoire dont il est généralement le héros, ce qui pourrait remettre en cause sa fiabilité pour le spectateur. Mais au contraire, ce dernier va accorder un blanc-seing total à celui dont il va, par le jeu de la voix off, se sentir très proche. Ce qui permet toutes les manipulations. »

 

En somme

 

« un monde de fédoras et d’imperméables ajustés, de protagonistes ambigus et cyniques, d’alcool bon marché, de bars interlopes, de privés fatalistes, de femmes ambivalentes, tous étant motivés par l’appât du gain […], l’effort dont les rêves sont faits. »

 

Les attributs de ce genre cinématographique s’appliquent pleinement aux caractéristiques littéraires et graphiques de « Quelque chose de froid » qui débute avec cette question : « Avez-vous déjà touché un cadavre ? » Et le narrateur d’ajouter : « C’est quelque chose de froid et d’austère », rappel du titre de la BD tout au long du récit :

 

« C’est quelque chose de froid et de sale, un cadavre. »

 

« C’est quelque chose de froid et d’implacable, la misère. Les pauvres, eux, restent dignes ; chez les miséreux, l’espoir n’est pas différé. Il est inexistant. »

 

« C’est quelque chose de froid la pluie ; un épais rideau de grisaille qui enveloppe et encourage l’humeur incertaine du timonier qui appareille vers le malheur. »

 

« Mais la vengeance, c’est quelque chose de froid. Plus on attend, plus elle est savoureuse. »

 

Les dessins de Hugues Labiano nous transportent au cœur de la vie citadine de Cleveland des années 1930 comme l’illustre bien cette planche :

 


Les ambiances en noir et bleu (et rouge pour la scène d’incendie) colorées par Jérôme Maffre traduisent bien l’atmosphère glauque de certaines scènes comme cette représentation du poste de police où Ethan Hedgeway est interrogé :

 


 J’ai noté au passage cette réflexion que se fait le narrateur :

 

« … c’est toujours utile de se faire passer pour plus bête qu’on en a l’air ; ça donne un certain avantage sur les autres. »

 

Pelaez Labiano a eu la bonne idée de compléter son œuvre d’une bibliographie sélective d’une quinzaine d’ouvrages consacrés au film noir, de deux titres qui l’ont inspiré pour son scénario et d’une liste de plus de 70 classiques de films noirs des années 1940-1950.

 

Définitivement une BD remarquable que j’ai beaucoup aimé.

 

Premier volet d’une trilogie de one-shots (bandes dessinées qui n’appartiennent pas à une série) nommée « Trois touches de noir », « Quelque chose de froid » sera suivi de « Au sud, l’agonie », puis de « Comme un canari dans une mine de charbon » que j'ai bien hâte de découvrir.

 


Philippe Pealez est professeur agrégé d'anglais et scénariste de près d’une trentaine de bandes dessinées, récipiendaire d’une dizaine de prix et distinctions.

Hugues Labiano, originaire de Bayonne, possède un baccalauréat en arts plastiques et est dessinateur autodidacte qui compte à son actif une dizaine d’albums et de séries d’albums.

Jérôme Maffre possède une licence d’art plastique. Peu convaincu par l’art contemporain, il consacre l’exclusivité de son temps à la colorisation d’une trentaine de bandes dessinées au moment de la publication de cet avis de lecture.

 

Merci aux éditions Glénat pour le service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer auprès de votre librairie indépendante.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire et graphique : *****

Intrigue : *****

Psychologie des personnages : *****

Intérêt/Émotion ressentie : *****

Appréciation générale : *****


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