Jean-Christophe Portes. – Apocalypse Amerika. – Paris : Hugo, 2024.
– 420 pages.
Thriller
Résumé :
25 août 1944.
Lizzie Beresford débarque dans Paris libéré
avec pour mission de trouver Joliot-Curie, le découvreur de la fission
atomique. Les Alliés redoutent en effet que les savants allemands n’aient
profité de l’Occupation pour conjuguer leur savoir avec celui du célèbre
physicien français. Et si tel était le cas, Hitler pourrait enfin disposer de
sa fameuse arme-miracle, capable d’inverser le cours de la guerre.
Pour Lizzie et son commando commence alors
une traque sans merci, à la recherche du secret sans doute le mieux gardé du
Reich. Mais dans ce terrible compte à rebours, Lizzie n’oublie pas Mo les
Yeux-Bleus, l’homme qui un an plus tôt l’a arrachée aux griffes de la Gestapo.
Prisonnier des camps, lui non plus n’a pas oublié celle pour qui il a sacrifié
sa liberté. Celle qui peut-être pourra le tirer de l’enfer.
Commentaires :
« Apocalypse
Amerika » est le nom attribué à une bombe atomique. Les Alliés
soupçonnaient les Allemands de tenter de fabriquer cette arme pour gagner la
guerre, en la larguant sur Londres et sur New York. Le roman tombe à point en cette année de la commémoration
du débarquement en Normandie en juin 1944. La fiction de Jean-Christophe Portes
dont l’action se déroule sur 12 mois (août 1944-août 1945) met en scène deux
protagonistes narrateurs qui côtoient un certain nombre de personnages réels de
l’époque :
·
Lizzie
Beresford, aristocrate anglaise cousine de Sir Winston Churchill, devenue
espionne bien malgré elle, est intégrée à l’Opération Alsos comme « secrétaire interprète [puisqu’elle lit
et écrit] aussi bien le français, le
néerlandais, l’allemand que l’anglais » et dont la sœur aînée réfugiée en
Allemagne depuis le début de la guerre avait épousé un SS, Hans Kammler.
·
Mo
les Yeux bleus, truand corse notoire et proxénète, patron d'une des boîtes de
nuit les plus réputées de Pigalle qui, dans un roman précédent (Oscar Wagner a disparu, 2023), a assassiné
Oscar Wagner qui s'apprêtait à dévoiler un secret de nature à changer le cours
de la guerre. À la suite d'une vaste chasse à l'homme en pleine Occupation, on
retrouve Mo déporté dans le camp de concentration de Buchenwald. Déplacé dans
une usine secrète, ce dernier sera témoin de l’essai d’un prototype de bombe nucléaire
que les Allemands auraient fait exploser en 1945 dans le secteur d’Ohrdruf, un
événement qui, dans la réalité, n’a jamais été corroboré.
Le scénario imaginé par Jean-Christophe Portes au moment de la libération de Paris nous fait découvrir les dessous de cette opération peu connue de la Seconde Guerre mondiale. Il repose sur une alternance du vécu de ses deux protagonistes : l’avancement de la mission dans laquelle est impliquée Lizzie (chapitres qui alimentent un suspense entretenu et efficace) ; la survie de Mo confronté aux assassinats et aux brutalités perpétrés par les gardiens, la sous-alimentation chronique des détenus, l'épuisement par le travail, des conditions d'hygiène déplorables et de l'absence de repos physique ou psychique. Les deux narrateurs, on le devine, vont survivre à leur cheminement parallèle jusqu’à un point de jonction anticipé.
Bien qu’essentiel dans le contexte, le témoignage de Mo – qui, à mon point de vue, contribue à ralentir le rythme du récit – ne m’a rien appris de nouveau sur le quotidien des camps nazis pour qui a lu maints témoignages ou visionné les abondants documentaires et les nombreuses productions cinématographiques. Comme il le mentionne en annexe, l’auteur s’est inspiré de quelques ouvrages pour raconter les « détails du terrible voyage de Mo » et relater d’autres « anecdotes, mais surtout l'esprit des camps » : Le Laminoir (1966) de Serge Miller, un déporté qui a raconté son expérience à Buchenwald et Ellrich ; Les Jours de notre mort (1988) de David Rousset ; Si c'est un homme (1988) de Primo Levi.
Quant au matricule 51 557 que porte Mo, « c’était celui d'Albert Girardet (1925-2007), déporté à Buchenwald en mai 1944, ancien résistant et membre très actif de l'Association française Buchenwald, Dora et Kommandos. Comme beaucoup, il s'est tu longtemps, avant d'enfin se lancer dans un fantastique travail de mémoire, accompagnant de nombreux groupes d'enfants à Buchenwald, et œuvrant à la réconciliation européenne et franco-allemande. »
En un paragraphe, Jean-Christophe Portes
résume l’objectif d’Alsos :
« Premièrement, vous devrez absolument trouver
M. Joliot-Curie. Les nazis ont travaillé pendant toute la guerre dans son
laboratoire au Collège de France. Il faut à tout prix éviter qu'ils l'enlèvent
et l'amènent à collaborer avec eux sous la contrainte. Cet homme est marié et a
des enfants, et vous savez de quoi les Allemands sont capables... Ensuite, vous
devrez savoir quelles technologies il a livrées aux nazis. En particulier, s'ils
ont copié ou volé son cyclotron, un appareil de son invention unique au monde,
qui sert à traiter l'uranium. Si c'est le cas, nous pouvons légitimement
craindre le pire. Ensuite il nous faudra savoir où se trouvent les stocks
d'uranium commandés par la France en 1939-1940, ainsi que l'eau lourde, qui est
indispensable au processus. Joliot pourra aussi nous éclairer sur les noms des
scientifiques qui travaillent réellement pour le programme nucléaire allemand.
Mais notre véritable priorité, notre but absolu, miss, c'est Amerika Bomber. Il
s'agira de tout faire, vous m'entendez, tout, pour savoir où Hitler et sa bande
d'assassins en sont avec cet engin. Vous devrez trouver Amerika et la détruire.
Avant que ces fous n’aient le temps de la fabriquer... »
Car, « celui qui maîtrise l’atome arrêtera la guerre en moins d’une heure. »
J’ai noté en cours de lecture cette description
sordide propre à ces récits de guerre fictifs ou réels :
« D'après les vêtements, je suppose qu'il
s'agissait d'un homme, un civil. Peut-être qu'il a attrapé une balle perdue? Ou
que quelqu'un l'a poussé? Ou bien dans un geste absurde, il aura voulu
traverser la chaussée, ou toucher un char. En tout cas, quelque chose l'a fait
chuter sur la route, et bien sûr le pilote du tank n'a rien remarqué depuis la
meurtrière d'où il dirige son énorme machine. Il l'a tout bonnement aplati. Et
ce qui une heure plus tôt était encore un être vivant, fait de chair et de
pensées, d'espoirs, d'angoisses, un être qui parlait et riait, n'est plus qu'un
magma muet de pulpe et d'étoffe, incrusté dans le pavé. Presque plus rien ne
subsiste ni des os, ni du sang, ni des entrailles mêlés à la poussière,
volatilisés, dispersés. Et quelqu'un peut-être dans un des immeubles autour
cherche un père, un mari, un oncle ou un frère. »
Et cette réflexion de Lizzie Beresford sur l’acte
de tuer un humain :
« C'est une chose de prendre un canard en
ligne de mire, avec une élégante carabine lors d'une chasse huppée quelque part
en Écosse. C'en est une autre de viser un homme dans l'intention de le tuer,
les yeux dans les yeux, et je l'avoue, je n'ai pas l'âme assez mauvaise pour
donner froidement la mort à mon prochain. Même si je croisais de nouveau l'une
de ces ordures de la Gestapo qui m'ont torturée l'an passé. On m'a plus
habituée au mépris qu'à la haine. Dans le milieu d'où je viens, les deux se
valent. »
« Apocalypse
Amerika » met aussi en évidence les rivalités opposant les forces
alliées – Français, Britanniques, Américains et Russes – qui veulent se doter
d’une arme nucléaire et les relations tendues entre leurs têtes dirigeantes – de
Gaulle, Churchill, Roosevelt et Staline. Avec, au passage ce trait de
personnalité du premier ministre britannique :
« Churchill, qui sait être drôle, tendre et
plein de fantaisie avec ses proches, doit se donner l’apparence d’un bouledogue
intraitable. »
Le roman est complété par une annexe « Pour en savoir plus » dans laquelle
l’auteur fournit des informations sur certains personnages historiques :
·
Boris Theodore Pash, officier américain
de renseignement militaire ayant dirigé l'opération Alsos (1900-1995) qui avait
des liens avec Robert Oppenheimer, directeur scientifique du Projet Manhattan de recherche du
gouvernement américain dirigé par le major général Leslie Richard Groves du
corps du génie de l'armée des États-Unis dont l'objectif était de produire une
bombe atomique.
·
Samuel Abraham Goudsmit, physicien américain
d'origine néerlandaise (1902-1978).
·
Frédéric Joliot-Curie, physicien et
chimiste français, gendre de Pierre et Marie Curie (1900-1958).
·
Hans Friedrich Karl Franz Kammler, ingénieur civil,
administrateur et général allemand des SS ayant atteint le grade
d'Obergruppenführer, un des plus hauts grades SS (1901-1945?).
·
Kurt Diebner, physicien allemand
(1905-1964).
·
Wernher Magnus Maximilian Freiherr von
Braun,
ingénieur allemand puis américain (1912-1977) qui, « Après avoir mis au point des fusées destinées à rayer Londres, Paris ou
New York de la carte, ce nazi sincère a hésité un peu avant de se mettre au
service des États-Unis. Là, il a fondé la Nasa et a permis aux Américains de
conquérir la lune. »
Et sur le bunker souterrain Jonastal S III d’Orhdruf au nord-est de la forêt de Thuringe, à 16 km au sud de Gotha, conçu comme un quartier général de dernière minute pour Hitler et son état-major s’ils devaient se replier de Berlin à l’intérieur de l’Allemagne. Jean-Christophe Portes a tiré la description et l'évacuation du complexe d'un texte du déporté Marcel Lanoiselée : Ohrdruf. Le camp oublié de Buchenwald (2005).
Après avoir lu « Apocalypse Amerika », la table est mise pour attaquer La bombe de Alcante, Bollée et Rodier afin
de compléter le portrait de cette époque trouble de l’histoire de l’Humanité.
De laquelle il faut espérer tirer des leçons à notre époque d’instabilité
politique.
Après des études à l’École Nationale des Arts décoratifs, Jean-Christophe Portes se tourne vers le journalisme. Il a réalisé une trentaine de documentaires d’investigation, de société ou d’histoire pour les principales chaînes de télévision. En 2015, Les enquêtes de Victor Dauterive mettant en scène un jeune officier de gendarmerie sous la Révolution connaissent un grand succès. Avec L’affaire de l’Homme à l’Escarpin, Jean-Christophe Portes a remporté en 2018 le Prix polar Saint-Maur en poche. Aux Éditions du Masque, Minuit dans le jardin du manoir et Le mystère du masque sacré ont respectivement été couronnés en 2020 du Prix du polar d’aventure et, en 2022, du Prix du Masque de l’année français.
Merci aux éditions Hugo pour le service de
presse.
Au Québec, vous pouvez commander votre
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Originalité/Choix du sujet : *****
Qualité littéraire : *****
Intrigue : *****
Psychologie des
personnages : *****
Intérêt/Émotion
ressentie : *****
Appréciation générale
: *****
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