La mort du toréro (Ed Lacy)


Ed Lacy. – La mort du toréro. – Bourg-sur-Gironde : Éditions du Canoë, 2024. – 250 pages.


 

Polar

 

 

 

 

Résumé :

 

Toussaint Marcus Moore a abandonné toute velléité d'enquête et mène désormais une existence paisible de facteur à New York. Mais lorsque sa compagne tombe enceinte, bouleversant sa vision de la vie et un équilibre financier déjà précaire, il décide de reprendre du service et accepte une mission au Mexique.

 

Lui, le détective privé afro-américain, premier en son genre dans la littérature américaine, se trouve rapidement pris dans un étrange manège : la femme d'un journaliste est persuadée que son mari a été tué par El Indio, un fameux toréro qui n'aurait pas apprécié les articles écrits à son sujet. Déboulonner une idole nationale, un jeu d'enfant pour Toussaint qui va pourtant avoir du fil à retordre avec un compatriote plus que mystérieux, la sensation désagréable d'être suivi où qu'il se trouve, une ancienne copine alcoolique du grand matador et des serpents, sarbacanes et autres embûches venimeuses en tous genres...

 

Grande plongée dans le Mexique tauromachique autant que brillant roman policier, La Mort du toréro confirme le talent pionnier de son auteur et impose Toussaint Marcus Moore comme une figure légendaire du roman de détective américain.

 

 

Commentaires :

 

 

Traduit de l'anglais (américain) dans un français international et préfacé par Roger Martin, « La mort d’un toréro » avait originellement été édité en format poche, en 1964, chez Lodestone Books sous le titre « Moment of Untruth ». Comme nous l’apprend Roger Martin dans une préface qui nous fait découvrir l’univers de Ed Lacy, il s’agissait alors d’un « roman qu’on attendait plus, puisqu’il marque, après plus de cinq ans d’absence, le retour de Toussaint Marcus Moore, le héros de Room to swing (Traquenoir). »

 

Probablement comme un grand nombre d’entre vous, j’ai découvert un auteur engagé qui met en scène « le premier détective privé noir » dans la littérature américaine, un personnage qui « détonne complètement au milieu des dizaines de ses collègues blancs de l’époque. » Un écrivain qui trouvait son inspiration dans des faits divers et des anecdotes au potentiel romanesque prometteur. Ed Lacy a tissé l’intrigue bien ficelée et réaliste de « La mort du toréro » à partir d’informations tirées « d’un documentaire à la télévision sur une série de crimes au Mexique... ».

 

Il en résulte un récit « nerveux et documenté » sur le milieu de la tauromachie et de l’herpétologie (spécialité d’un des personnages), rédigé « avec un souci d’exactitude et d’authenticité » qui ne cannibalise pas l’action. Il est alors passionnant d’accompagner Toussaint, ce géant à peau noire, dans « ses analyses, ses réflexions, ses réactions, dans un pays étranger [le Mexique] où paradoxalement, s’il n’est pas exposé à un racisme exacerbé autant que dans le sien [les États-Unis], il découvre qu’il n’est pas forcément le bienvenu. »

 

« Il y a ici [au Mexique] une sorte de système de castes fondé sur la couleur, les descendants des envahisseurs espagnols, les Blancs, dominant ceux d'ascendance indienne. Naturellement, les Espagnols, en partie Maures bien avant d'avoir entendu parler du Mexique, avaient un teint plus que café au lait. Pas vraiment les salades à la Jésus Christ. Une barrière par le fric : pour la faire courte, peu d'Indiens, ou de métis, ont assez de pognon pour fréquenter des endroits agréables. Pour autant, ils sont corrects. Ironiquement, on nous met dans le même sac que les touristes blanchots et on nous classe dans la catégorie des gringos détestés. En tant que touristes, vous n'avez rien à craindre. Si vous allez jusqu'à Acapulco, vous y trouverez des peaux plus noires : les pirates ont essayé d'importer de nos ancêtres africains comme esclaves mais ça n'a pas marché. »

 

Dans ce roman noir, « les occasions ne manquent pas au héros de se faire l’interprète des opinions de son créateur. » C’est souvent une des caractéristiques de cette littérature de genre, porte-voix de critique sociale ou politique, en abordant des questions on ne peut plus actuelles alors que Toussaint « s’interroge sur le fait d'avoir des enfants dans un monde – déjà – à la dérive, le fossé entre pays hautement développés et pays frappés par la pauvreté et l'analphabétisme, le rôle des sports comme dérivatifs à la colère et à la révolte sociale et même, à une époque où la question n'est posée que par de très rares individualités, la légitimité des corridas. »

 

Mais « La mort du toréro » est avant tout un véritable roman noir : une intrigue à suspense, passablement d’action, de nombreux rebondissements, le tout doublé d’une « formidable mine de réflexion ».

 

L’action se construit peu à peu au gré des dix chapitres desquels il est difficile de décrocher. Le héros cumule les indices qui lui permettront d’élucider le mystère de la mort de ce journaliste et le rôle qu’aurait pu y jouer un certain Cuzo, El Indio, toréro adulé par les aficionados de corridas mexicaines. Ed Lacy consacre d’ailleurs quelques paragraphes (pp. 98 à 100) dans lesquels un des personnages secondaires instruit Toussaint « de toutes les ficelles de la corrida ».

 

À quelques reprises, le traducteur a annoté le texte soit pour faire référence à des expressions utilisées dans la version originale anglaise, soit pour apporter des précisions contextuelles ou sur des personnalités réelles.

 

Quant à la finale surprenante, elle est assortie d’une réflexion inattendue de Toussaint « heureux d'avoir permis pareil dénouement » avec un coupable « mort en héros populaire... au lieu de finir comme un imposteur, une sorte de pantin national », vêtu de « l'habit d'un surhomme » alors que « les gens ne connaîtraient jamais la vérité » .

 

Comme je le fais dans la majorité de mes avis de lecture, j’ai noté un échantillonnage d’extraits qui caractérisent à leur manière le style et les états d’âme de l’auteur :

 

« Qu'importe où l'on se trouve, on finit toujours par tomber sur une poche pleine de fiel, et on ne sait jamais sous quel aspect absurde le fanatisme va se présenter. »

 

« ... quitter les États-Unis est toujours une aventure pour une personne de peau noire. »

 

« Son visage était bosselé autour des yeux, comme du tissu cicatriciel. »

 

« Les touristes des États-Unis s’évitent les uns les autres comme la peste. »

 

« ... il y a certains Nègres prétentieux qui considèrent comme un péché de s'adresser à une autre personne de couleur, même s'ils se rencontrent dans le monde des Blancs. »

 

« À l’étranger, tous les chauffeurs de taxis ressemblent à des pilotes de course frustrés... »

 

« Chez vous, on fait des gorges chaudes de la sieste, mais vous devriez la pratiquer : elle diminue la tension et favorise une vie plus calme et plus longue. »

 

« Plus un pays est pauvre, plus le sport y devient une évasion et plus il prend de l’importance. »

 

« Quel que soit le pays, les Blancs y vivent bien. »

 

« Il était entouré de morveux vêtus d’habits tape-à-l’œil bon marché : les parasites se ressemblent dans le monde entier. »

 

Une mention en pages liminaires : l’éditeur est à la recherche de la fille adoptive de Len Zinberg pour lui verser les redevances sur les ventes : « un compte lui est ouvert dans les livres des Éditions du Canoë ». 

 

Ed Lacy est un des nombreux noms de plume sous lesquels Leonard Zinberg (1911-1968) se cacha pour publier les romans policiers tirés et lus à des dizaines de milliers d’exemplaires. Auteur sous son patronyme de quatre romans et de plus de 200 nouvelles, il a joué avec le feu. Juif, non croyant, communiste, marié à une Noire et père adoptif d’une petite fille noire, elle aussi, il a eu l’inconscience de faire de ses personnages principaux des militants communistes et de publier des articles dans la presse noire. Victime de la Chasse aux sorcières, il reprend son ancien métier de postier qu’il avait exercé entre 1935 et 1940 sans s’arrêter d’écrire des nouvelles qu’il signera Ed Lacy ou Steve April. Abandonnant le roman social et politique, il se lance alors dans le roman noir, genre où se sont illustrés des progressistes comme Dashiell Hammett, Horace McCoy ou Robert Finnegan. Resté fidèle aux valeurs progressistes, il stigmatise dans tous les romans qu’il publie au rythme de deux par an de 1951 à 1968, le racisme, la misogynie institutionnalisée, le culte de la virilité et des armes, la corruption et la violence pour la violence.

 

En 2022, Roger Martin lui a consacré une biographie : Ed Lacy. – Un inconnu nommé Len Zinberg. – Paris : À plus d’un titre, 2022. – 301 pages. Un résumé de cet ouvrage a été publié le 23 mars 2022 sur le site web de la Revue alarmer dans un article signé Olivier Maheo : « Dans la peau d’Ed Lacy. Un inconnu nommé Len Zinberg, un livre de Roger Martin ».

 

 

Merci aux Éditions du Canoë pour le service de presse.

 

Au moment de la publication de ces commentaires, « La mort d’un toréro » n’était malheureusement disponible qu’à partir d’une commande spécifique auprès de votre libraire.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire et de la traduction : *****

Intrigue :  *****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie : *****

Appréciation générale : *****


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