Michel Viau et Jocelyn Bonnier. – La non vengée – Le mystère Blanche Garneau. – Montréal : Glénat Québec, 2024. – 151 pages.
Bande dessinée
Résumé :
Le 28 juillet 1920, le corps de Blanche Garneau,
jeune femme issue d'un milieu modeste, est découvert dans les taillis qui
longent la rivière Saint-Charles, à Québec. L'enquête piétine. À cause des
errements de la police, ce qui n'était qu'un fait divers va devenir un violent
débat de société. Des journalistes en mal d'attention, des militants
prohibitionnistes et des adversaires politiques vont tour à tour utiliser
l'assassinat de cette femme pour tenter de faire tomber le gouvernement de
Louis-Alexandre Taschereau, jusqu'à en oublier la question principale : qui a
tué Blanche Garneau?
Commentaires :
J’avais une connaissance plutôt vague de cette
sombre histoire, L’affaire Blanche
Garneau qui a éclaté en 1920 à Québec et éclaboussé le gouvernement
Taschereau lorsque le premier ministre a réagi de façon disproportionnée face à
un journal qui avait accusé deux députés libéraux de l'Assemblée législative
d'être impliqués dans l'assassinat de cette jeune fille. Une affaire non
résolue encore de nos jours qui a fait la manchette pendant plus de deux ans.
Il faut saluer l’initiative de Michel Viau, au scénario, et de Jocelyn Bonnier,
aux illustrations, pour leur contribution à dévoiler un pan non glorieux de l’histoire
de la ville de Québec, sous forme de bande dessinée ou de roman graphique.
De ce triste « fait divers » devenu
un événement politique, les auteurs en ont fait un polar qui, dès les premières
planches, suscite l’intérêt du lecteur et nourrit sa curiosité d’en apprendre
davantage sur cette enquête de la police de Québec qui piétine, de l’intervention
de celle de Montréal – avec un clin d’œil à la rivalité Montréal-Québec –, de
la machine à rumeurs en pleine prohibition…
D’entrée de jeu, en prologue, le cadre géographique de l’assassinat de Blanche Garneau, résidente du quartier Saint-Sauveur, est situé : le parc Victoria de l’époque d’hier à aujourd’hui.
Les principaux protagonistes sont progressivement introduits dans le récit aux magnifiques illustrations noir et blanc aux effets photographiques de premiers plans nets et arrière-plans flous : le journaliste Joseph Lapointe, Blanche Garneau, employée au magasin de thé Jean Bertrand Rousseau sur la rue Saint-Vallier, Edesse May Boucher, son amie, ses parents adoptifs, l’enquêteur de Québec et celui de Montréal, les suspects potentiels…
Les dialogues en langue québécoise des
milieux moins nantis de la basse ville [« Mets ton coat pis tes chouclaques… »] en opposition à ceux des
élites bourgeoises et politiques de la haute ville rendent les mises en scène
des plus crédibles.
On y apprend le fonctionnement d’une enquête
du coroner de l’époque, composée de « six
jurys choisis parmi la population » dont le rôle était de « déterminer si la cause de la mort était
criminelle et si la police devait enquêter afin de porter des accusations ».
Que la police faisait « appel à des tireuses de cartes et à l’hypnose pour trouver les
assassins ».
Aussi que le « hot chicken [de Québec] est
pas mal bon » mais « sûrement
pas autant que sur la Main à Montréal ».
Les événements se déroulent alors que « le premier ministre Taschereau a annoncé que
la prohibition était abolie dans la province ». « À la place, le gouvernement a créé la
Commission des liqueurs, et les premiers commerces autorisés à vendre des
spiritueux ont ouvert leurs portes. »
C’est aussi l’époque où une délégation de 400
femmes se présentent au café du Parlement pour réclamer le droit de vote « comme au fédéral ». Dans une case,
Alexandre Taschereau réplique à Charles Lanctôt, assistant du procureur général
et éminence grise du gouvernement :
« Tu peux être sûr d’une affaire, Charles :
si jamais les femmes du Québec obtiennent le droit de vote, ce n’est pas moi
qui leur aurai donné ! On a bien plus sérieux à s’occuper que du vote des
femmes ! Il faut qu’on revoie le fonctionnement de la Sûreté provinciale. »
Les auteurs ont aussi cru bon d’insérer la
reproduction de certains documents d’archives qui viennent appuyer les propos.
La joute politique à l’Assemblée législative repose sur une consultation de la
reconstitution du journal des débats de l’époque. Vous pouvez vous en
convaincre en consultant, entre autres, les transcriptions du 30 octobre 1922.
L’intégration aux pages 131 à 137 de la brochure anonyme « La Non Vengée » publiée en 500 exemplaires qui circulait « sous le manteau » à compter de l’automne 1922 aurait mérité davantage d’explication sur son origine. Sa reproduction graphique illustre bien les complots conspirationnistes insinuant que les fils de deux parlementaires québécois étaient membres d’un « Club de vampires » qui réunissait des jeunes de la bourgeoisie de Québec, qui organisent des soirées de « débauches galantes et bestiales » dans une maison luxueuse auraient été impliqués dans le meurtre.
Car comme l’écrivait François Bourque dans un
article intitulé « Qui a tué Blanche
Garneau ? » publié dans le journal Le
Soleil le 19 juillet 2019, « les
derniers acteurs et témoins qui auraient pu éclairer le mystère sont
aujourd’hui disparus. À moins que surgisse une confession quelque part dans des
archives familiales, on ne saura jamais la vérité sur ce qui fut une des plus
retentissantes histoires des annales judiciaires de Québec. »
Pour en savoir davantage sur le mystère
Blanche Garneau, deux autres ouvrages y ont été consacrés :
Réal
Bertrand. – Qui a tué Blanche Garneau ?
– Montréal : Quinze, 1983. – 234 pages.
Veillette,
Eric. – L'affaire
Blanche Garneau. – Montréal : Bouquinbec, 2017. – 410 pages.
Il est aussi possible de prendre connaissance
du Rapport de la
Commission royale d'enquête sur l'administration de la justice en ce qui
regarde l'affaire du meurtre de Blanche Garneau de 1922 disponible
sur le site de l’Assemblée nationale du Québec. Quant au Fonds Commission d'enquête sur
l'administration de la justice dans l'affaire Blanche Garneau : Commission
Archibald-Robidoux, il peut être consulté au Centre d’archives
de Québec de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ).
À noter, en vue d’une prochaine impression, dans
la case du milieu, à gauche, à la page 35, il manque un mot : « Qu’est-cé qu’jai faite de pas correct pour
qu’elle ____ une affaire de même ? »
Historien de la bande dessinée, directeur de collection, scénariste, enseignant et écrivain québécois, Michel Viau a publié plus d’une vingtaine d’ouvrages. Depuis 2019, il signe des scénarios inspirés d'autres affaires criminelles québécoises : L'affaire Delorme (dessins Grégoire Mabit) sur une célèbre cause judiciaire québécoise qui opposa le détective Georges Farah-Lajoie à l'abbé Adélard Delorme accusé d'avoir tué son propre frère ; Blass : Le chat sur un toit brûlant (dessins de Jocelyn Bonnier) sur le gangster Richard Blass ; Havana Connection (dessins de Djibril Morissette-Phan) qui met en scène le narcotrafiquant Lucien Rivard lors de la révolution cubaine.
Le Montréalais Jocelyn Bonnier travaille dans le domaine du cinéma et de la publicité en tant qu'illustrateur de scénarimages, de bandes dessinées et de romans graphiques.
Merci aux éditions Glénat Québec pour le
service de presse.
Au Québec, vous pouvez commander votre
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Originalité/Choix du sujet : *****
Qualité littéraire : *****
Intrigue : *****
Psychologie des
personnages : *****
Intérêt/Émotion
ressentie : *****
Appréciation générale
: *****
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