Yves Martel et Dante Ginevra. – La malédiction des Bernier. – Montréal : Glénat Québec, 2024. – 120 pages.
Bande dessinée
Résumé :
Le 13 mai 1952, le bateau des frères Bernier,
issus d'une lignée de marins gaspésiens réputés, quitte Sainte-Anne-des-Monts
et met le cap sur Trois-Rivières. Récemment restauré, le B.F. transporte des
tonnes de bois de pulpe. Bien que quelques vagues agitent le Saint-Laurent, la
traversée s'annonce plutôt tranquille. Pourtant, le navire n'arrivera jamais à
destination, plongeant les familles des dix hommes qui étaient à bord dans une
insoutenable attente, puis dans un terrible désespoir...
Commentaires :
Le passé maritime du Québec, entre autres de
la Côte-du-Sud jusqu’en Gaspésie, a été marqué par le rôle qu’y ont joué un
certain nombre de familles de marins. Parmi celles-ci, les Bernier dont un nom
nous vient généralement à l’esprit : celui de Joseph-Elzéar
Bernier (1852-1934), capitaine de navire qui s’est distingué comme l’un des
plus grands navigateurs de son époque. Surtout connu pour avoir exploré à 12
reprises et avoir déposé en 1909 une plaque sur l'île de Melville proclamant la
souveraineté du Canada sur les îles de l'Arctique. Par contre, l’Histoire est
amnésique au sujet de sa descendance quant au mauvais sort qui s’est acharné sur
Charles Bernier et ses quatre fils (Charles-Noël, Jules, Enoch et Réal) dans un
des drames les plus mystérieux dans l’histoire du cabotage au Québec.
C’est pour combler cette lacune que Yves
Martel, scénariste et Dante Ginevra, dessinateur ont produit cette très belle bande
dessinée, un genre littéraire idéal pour atteindre un vaste public. « Une œuvre de mémoire, touchante et prenante,
présentant une famille des Méchins qui, de génération en génération, a tout
donné au fleuve, jusqu'à tout y perdre », comme le souligne l’éditeur en
quatrième de couverture.
En page liminaire, le président de Glénat
Québec, Christian Chevrier, qui a passé tous les étés de son enfance à Cap-Chat
et dont la mère avait perdu son grand frère lors du naufrage du Bernier et Frères
(B.F.) en 1952, explique le déclencheur du projet : le repérage en 2006 du
navire à coque d’acier par 70 mètres de fond, à faible distance des côtes. Le
récit commence d’ailleurs par quelques planches relatant cette découverte qui, comme
l'a imaginé le scénariste, bouleverse la sœur des frères qui ont péri en mer.
Yves Martel s’est documenté et a rencontré l’historien
Louis Blanchette, auteur de Disparus
en mer (Sainte-Félicité : Éditions Histo-Graff, 2014) et l’expert
maritime Donald Tremblay qui a consacré sa vie à chercher l’épave du B.F. Il a
aussi visionné le film Le Naufrage du Bernier
& Frères de Jean Bourbonnais.
Voulant « raconter l’histoire des Bernier à hauteur d’homme », il « a porté un soin spécial à explorer la
réalité quotidienne des familles, notamment celle des femmes et des enfants qui
restaient si souvent sans nouvelles de leur mari ou de leur père, à toujours
craindre le pire ». Ce qui transporte le lecteur dans la réalité de cette époque, comme s’il la vivait lui
aussi », aux côtés de ces fiers Gaspésiens travaillant et combatifs.
Le scénariste a « inventé plusieurs scènes en utilisant des éléments et des personnages
ayant réellement existé. Par exemple, celle où Dugas [qui avait pris
congé pour se reposer après « avoir rushé tout l’hiver », décision
qui l’avait sauvé du naufrage du B.F.] visite
Rachel après la découverte de l’épave [et qui] devient le fil de la narration, bien que dans les faits cela n’ait
jamais eu lieu, même si les deux se connaissaient et s’étaient vus à l’occasion.
» Aussi, la « scène de la
commémoration du premier naufrage, tout aussi fictive [permet] de présenter la famille Bernier tout en l’inscrivant
dans son destin funeste. »
Condensée en une centaine de pages, La malédiction des Bernier nous fait
revivre :
·
le
naufrage de la Speedy qui a coulé au
large de Matane en 1944 alors qu’elle se dirigeait vers Port Alfred ;
·
la
construction et le baptême en 1945 de l’immense goélette La Gaspésienne, le grand rêve de Charles Bernier dont la période
faste de sept ans prendra fin à Marsoui, en avril 1951, « lorsqu’une mauvaise manœuvre, doublée d’une violente tempête,
jette le rutilant navire contre les rochers » ;
·
la
transformation de la barge Le Roseleaf,
un rafiot avec coque d’acier en très mauvais état après avoir bourlingué depuis
1915 et vendu aux frères Bernier entraînés « dans une course effrénée pour
la quête d’un nouveau navire ». Ils le renommeront Le B.F. La vie du caboteur sera de courte durée : « après
quatre voyages seulement, il sombre dans le Saint-Laurent au cours de la nuit
du 13 au 14 mai 1952, entraînant la mort de 10 hommes à bord originaires des
Méchins (les quatre frères Bernier) et des villages voisins. La couverture de
première rend bien la dévastation morale et psychologique des femmes de marins
endeuillées.
·
Sans
oublier l’enquête bâclée qui s’ensuivit et le rapport biaisé qui s’est perdu
dans les kilomètres de documents de Bibliothèque et Archives Canada.
L’éditeur a judicieusement complété le récit par
l’inclusion d’une iconographie d’époque avec des photos de la famille Bernier,
de La Speedy, de La Gaspésienne, du Roseleaf
et du B.F.
On peut aussi y lire les témoignages de l’historien
Louis Blanchette et de Donald Tremblay, fils de capitaine, mécanicien de marine,
enseignant et directeur de l’Institut maritime du Québec qui a participé à la
découverte de l’épave en 2006. Le scénariste Yves Martel et le dessinateur
Dante Ginevra y présentent également leurs démarches littéraire et graphique. Une
bibliographie (livres, films, journaux et archives) fournit des références
complémentaires aux lecteurs qui souhaiteraient en apprendre davantage sur le
monde maritime de l’époque.
Dante Ginevra qui réside à Buenos Aires) a été
choisi comme dessinateur parce que son style se mariait avec l’époque à
restituer et pour sa capacité à dessiner des bateaux. Nourri par Yves Martel d’images,
de références, de vidéos… puisqu’il ne connaissait pas « les paysages et l’architecture
du Québec », l’artiste qualifie sa technique de traditionnelle : « pinceaux et encre de Chine sur papier pour
le dessin ; ensuite, numérisation et mise en couleur sur tablette graphique. »
Avec comme résultat des images très
dynamiques, comme cette scène d’une partie de hockey…
…ou impressionnantes comme la construction de
La Gaspésienne et de sa mise à l’eau…
…les activités maritimes des frères…
…et l’échouement de l’immense goélette.
* * * * *
Né en 1976 à Alma, au Lac-Saint-Jean, Yves Martel est diplômé en cinéma de l'Université de Montréal. Il travaille depuis 1999 comme technicien d'effets spéciaux. Il a aussi réalisé deux documentaires sur l'art. L'épine mentale, en 2009, coréalisé avec Mathieu Bergeron, traite du cinéma d'animation. Quant au second, La Cafardeuse, en 2014, jette un regard sur la peinture. En bande dessinée, il a exploré le gag dans le magazine français Le Psikopat, et le reportage dans Planète F, Histoire Québec et Quatre-Temps. Son premier album, Vinland, avant le nouveau monde, en collaboration avec le dessinateur Patrick Boutin-Gagné, est sorti au printemps 2021.
Caricaturiste, illustrateur, Dante Ginevra a commencé sa carrière entre le design et les illustrations publicitaires, le graphisme et l'animation dans les médias audiovisuels et la bande dessinée, qu'il n'a cessé de publier depuis 2000 en Argentine, en Uruguay, en France, en Espagne, en Angleterre et aux États-Unis. Notamment : Tacuara (2023) ; Les Rufians (2021) ; La Malédiction de l'Immortel (2018) ; Le Dégoût (2013) ; Los Dueños de la Tierra (2010) ; El Muertero Zabaletta (2008) ; Entreactos (2004). Il a également publié des bandes dessinées dans le magazine italien Lanciostory, le magazine espagnol Cthulhu, le magazine argentin Fierro et l'agence de presse argentine Élam. Il publie continuellement des romans graphiques pour jeunes adultes pour Capstone Press. Il a enseigné à l'Université de Palerme et à l'école Da Vinci de Buenos Aires. Il a été directeur artistique du studio argentin Untref Media et a travaillé au studio d'animation Mundoloco dans le même pays.
Comme l’ont mentionné plusieurs commentateurs,
La malédiction des Bernier devrait
trouver sa place dans nos écoles et dans nos bibliothèques afin de mieux faire connaître
notre histoire nationale et régionale.
En complément à cet avis de lecture, je vous
invite à écouter la chronique de Dany Arsenault qu’il a consacrée à la BD à
l’émission au Cœur
du monde (Radio-Canada) le 24 février 2024.
Merci aux éditions Glénat Québec pour le
service de presse.
Au Québec, vous pouvez commander votre
exemplaire sur le site leslibraires.ca
et le récupérer auprès de votre librairie indépendante.
Originalité/Choix du sujet : *****
Qualité littéraire et graphique : *****
Intérêt/Émotion
ressentie : *****
Appréciation générale
: *****
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