Jeremiah (Hervé Gagnon)


Hervé Gagnon. – Jeremiah. – Montréal : Hugo, 2024. – 443 pages.

 


Thriller

 

 



Résumé :

 

Montréal, avril 1865.

 

La guerre de Sécession tire à sa fin, et les membres d'une société secrète confédérée, les Knights of the Golden Circle, sont réunis au St. Lawrence Hall Hotel, à Montréal.

 

Leur but : planifier la reprise des hostilités. Parmi eux, John Wilkes Booth, futur assassin du président Abraham Lincoln, a en sa possession un objet précieux.

 

Février 1892. Des Noirs montréalais sont sauvagement torturés et assassinés à la manière caractéristique du Ku Klux Klan. Le journaliste du Canadien Joseph Laflamme se lance sur l'affaire en compagnie de l'inspecteur Marcel Arcand, du Département de police de Montréal.

Ils croiseront la route d'un personnage légendaire qui ne reculera devant rien pour retrouver ce que Booth a caché à Montréal.

 

 

Commentaires :

 

Palpitante à mon goût cette deuxième enquête du journaliste Joseph Laflamme qui se déroule à Montréal et en banlieue ouest, à Sainte-Cunégonde, du 3 au 11 février 1892. Incluant quelques références avec la précédente qui avait permis au héros imaginé par Hervé Gagnon de démasquer un certain Jack. Une « chasse au trésor énigmatique », inventive et pimentée de meurtres en série de Noirs, de tentatives d’assassinats, de symboles et de messages codés intrigants. Avec comme résultat un suspense entretenu de chapitre en chapitre jusqu’à un épilogue surprenant qui fait dire à un des personnages qu’ « officiellement, cette affaire n’a jamais existé. »

 

Encore une fois, il est question de franc-maçonnerie, mais aussi de quelques sociétés secrètes actives à l’époque :

 

·        Le Ku Klux Klan « créé à la fin de la guerre civile américaine à Pulaski, dans le Tennessee » en 1865, après la défaite des États confédérés.

·        Les Loges maçonniques Prince Hall « réservées aux hommes de couleur » non reconnues par la Grande Loge d’Angleterre.

·        Les Knights of the Golden Circle, société secrète « fondée à Charleston, en Caroline du Sud, pour militer en faveur de la sécession des États du sud des États-Unis. En désaccord avec l’émancipation des Noirs, ses membres souhaitaient réunir les États du Sud et de la frontière, le Mexique, l’Amérique centrale, les îles des Caraïbes et Cuba pour former ce qu’ils appelaient le ‘’ Cercle doré ‘’. » L’organisation s’est sabordée avec la victoire du Nord en 1865 et on lui attribue la fondation du Ku Klux Klan en décembre de la même année.

·        La Pinkerton’s National Detective Agency, agence de détectives privés fondée en 1850 par Allan Pinkerton qui devait assurer la sécurité auprès du président Abraham Lincoln et qui avait échoué, ce dernier ayant été assassiné dans sa loge du Fords Theatre par John Wilkes Booth.

 

Hervé Gagnon excelle dans les descriptions de lieux, de situations, de déplacement des personnages dans les rues de la ville, de leur habillement, qui donnent l’impression à son lectorat d’accompagner ses protagonistes dans la quête de vérité. En voici quelques-uns :

 

·        La préparation d’un candidat franc-maçon pour son initiation : « …veuillez retirer votre veste et votre cravate, puis rouler la jambe gauche de votre pantalon jusqu'au genou et la manche gauche de votre chemise jusqu'au coude. Déboutonnez-la aussi de manière à dénuder votre poitrine. Enfin, retirez vos chaussures et découvrez votre talon droit. » Des détails tirés du Manuscrit Wilkinson de 1727 qui contient également le serment solennel détaillant les conséquences terribles pour quiconque révélerait les secrets maçonniques.

·        La description à la page 293 du St. Lawrence Hall, établissement prestigieux de Montréal qui s’était fait damer le pion par le Windsor « obtenant le titre de plus luxueux hôtel du Dominion ».

·        Celle du temple numéro 701 de la Grande Loge de Montréal aux pages 361-362.

·        La référence « à l’antique demeure du gouverneur de Ramzay, dont la rumeur disait qu’elle allait bientôt être démolie par le gouvernement de la province. La bâtisse était délabrée, certes, mais elle avait des qualités indéniables et il [Joseph Laframme] déplorait qu’on envisage de la raser. Après tout, quel édifice pouvait se vanter d’avoir été construit en 1705 et d’être encore debout [en 1892] ? »

·        « Il était habillé comme tous les hommes dans cette maudite ville. »

·        Et que dire de cette scène où Joseph Laflamme, sa sœur Emma, l’inspecteur Arcand et McGreary,l’ex-agent de Scotland Yard, tentent de décoder un mystérieux document :

« Ils continuèrent à retourner le message cryptique dans tous les sens, décomposant son contenu pour le recomposer autrement, le tranchant en fines rondelles pour mieux l'examiner. Ils eurent beau additionner, multiplier, soustraire et diviser les chiffres, essayer de trouver des coordonnées de longitude et de latitude, s'attarder au sens symbolique des chiffres, traiter les lettres comme une anagramme pour tenter de créer un autre mot, rien n'y fit. Après des heures de spéculation, ils en étaient au même point. Les hypothèses abondaient, mais aucune ne semblait tenir la route. »

 

Le réalisme du récit s’appuie évidemment sur une recherche documentaire très fouillée avec référence à des ouvrages que l’auteur met aussi à la disposition de son enquêteur :


·        Prescriptions de l’Ordre du Ku Klux Klan (1867) qui décrivent les règlements et la « structure verticale descendante » du Klan « dont le nom provenait du mot grec Kyklos signifiant ‘’ cercle’’ »

·        The Nation’s Peril (1872) « dans lequel l’auteur anonyme prétendait raconter ses années passées dans le sud des États-Unis. »

·        Morals and Dogma of the Ancient and Accepted Scottish Rite of Freemasonry, de Albert Pike, général dans le camp confédéré pendant la guerre de Sécession et membre du Knights of the Golden Circle.

 

Hervé Gagnon en profite pour comparer le rapport à la diffusion des connaissances entre les bibliothèques canadiennes-françaises et anglaises de l’époque :

 

Contrairement aux Canadiens français, les Anglais, eux, ne craignaient pas la connaissance, mais la considéraient comme une richesse et l’accumulaient. »

 

Et, en bon historien, il en profite pour intégrer dans le récit des informations sur certaines institutions ayant pignon sur rue dans le secteur financier de Montréal :

 

·        Les trois journaux canadiens-français sur la rue Saint-Jacques : Le Canadien, Le Cultivateur, propriétés d’Israël Tarte et La Presse dirigée par Trefflé Berthiaume.

·        La « liste détaillée des adresses [des 16] banques [de Montréal], rédigées avec une écriture méticuleusement formée, apprise auprès des religieuses », toutes sises sur les rues Saint-Jacques et  Notre-Dame ainsi que sur place d’Armes.

 

Ou pour glisser dans une note en bas de page que « l’homme fort Louis Cyr […] qui fut membre de la Brigade de feu et de police de Sainte-Cunégonde de 1883 à 1885 ».

 

Au passage, j’ai noté ce paragraphe très révélateur sur l’évolution anticipée des technologies en cette fin du XIXe siècle :

 

« … il se laissait pénétrer par la musique qui jaillissait du cornet de métal tandis que le rouleau de cire tournait sur son axe. Il avait choisi une pièce chorale de Händel qu'il aimait tout particulièrement et qui le rendait toujours presque serein. Il vivait à une époque où les merveilles se succédaient. Qui eût cru qu'un jour le génie humain en viendrait à pouvoir capturer tant de beauté dans la cire ? Que les gens pourraient se parler à des milles de distance grâce à un simple fil de métal ? Que les trains atteindraient des vitesses vertigineuses ? Que les ampoules électriques d'Edison illumineraient des rues entières ? »

 

Et cette image qui m’a fait sourire :

 

« … l'homme à la cicatrice épongeait sans cesse son nez à vif. Il avait entendu dire que, dans ce maudit pays, les érables coulaient au printemps et donnaient une sève que l'on transformait en sirop. Il se demanda si les arbres se sentaient aussi misérables que lui. »

 

Qui se cache derrière ce prénom de Jeremiah ? Vous le découvrirez en vous laissant entraîner dans ce tourne-page plein de rebondissements raconté dans un style fluide et imagé, mettant en scène des personnages bien campés, plus définis que dans le premier tome. On en apprend davantage sur les sévices subis par Laflamme au cours de son enfance.

 

Jeremiah est aussi un roman à suspense qui met en évidence le racisme systémique auquel étaient confrontés les Montréalais de couleur à l’emploi de la Grand Trunk Railway Company of Canada, comme ceux du sud des États-Unis. L’expression « Nègre » que l’auteur met dans la bouche des criminels qui les assassinent de manière ignoble traduit bien la haine de ceux qui décident de se faire justice. Bravo à l’auteur et à l’éditeur pour ne pas avoir réduit à une simple consonne une réalité historique qui avait cours au XIXe et au début du XXe siècle !

 

 

Merci aux éditions Hugo Québec pour le service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer auprès de votre librairie indépendante.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue : *****

Psychologie des personnages : *****

Intérêt/Émotion ressentie : *****

Appréciation générale : *****