Michel Viau et Djibril Morissette-Phan. – Havana Connection. – Montréal : Glénat Québec, 2023. – 248 pages.
Roman graphique
Résumé :
Cuba 1956. Le général Fulgencio Batista,
dictateur violent et corrompu, a peu à peu livré La Havane aux parrains de la
mafia américaine jusqu’à faire du redouté Meyer Lansky, son officieux ministre
des Jeux. Hôtels, cabarets et casinos accueillent chaque jour des milliers de
touristes qui viennent y dépenser des fortunes dans le jeu, le sexe et la
drogue. C’est à ce moment que Lucien Rivard, trafiquant de drogue lié à la
French Connection, débarque dans la capitale cubaine. Sous couvert de gérer un
night-club, il est chargé d’établir de nouvelles voies d'accès pour écouler
l’héroïne marseillaise vers les grandes villes d’Amérique. Mais dans les rues de
La Havane, la révolte gronde. Les étudiants manifestent et les attentats se
multiplient. En représailles, la capitale devient le théâtre d’une répression
sanglante, tandis que le jeune avocat Fidel Castro, devenu leader des forces
révolutionnaires, annonce qu’il libérera bientôt le peuple cubain de son
dictateur. Malgré ce contexte politique hautement explosif, Lansky et ses
associés n’ont qu’un seul but, poursuivre leurs activités… Mais Lucien Rivard
est également marchand d’armes, et les Barbudos de Castro, réfugiés dans la
montagne, en ont désespérément besoin...
Commentaires :
Havana Connection porte le même titre
qu’un film d’Edgar Diaz sorti en salle en 1994 racontant qu’avec « la sanction officieuse du président
américain, l’homme d’affaires millionnaire Jason Mendelson, le général
belliciste Derek Brown et divers sénateurs lancent une offensive anticastriste
pour protéger leurs intérêts à Cuba. »
Toutefois, le Havana Connection du scénariste sherbrookois Michel Viau en
complicité avec l’artiste visuel Djibril Morissette-Phan de Rimouski nous
plonge dans un tout autre univers en réalisant « une des bandes dessinées les plus ambitieuses jamais produites au
Québec » comme le souligne leur éditeur.
Parlons d’abord de la forme : un très beau
livre, un très bel objet avec sa reliure cartonnée, charnière et tranchefile, sa
magnifique couverture, son signet ficelle doré et ses pages de garde reproduisant
la carte de l’île de Cuba.
Lors du lancement de l’ouvrage à la librairie
La Liberté de Québec le 11 octobre 2023, celui qui s’est investi de façon
intensive pendant un an dans la production graphique mentionnait qu’initialement,
Havana Connection devait être
uniquement en noir et blanc. Et considérant l’ampleur du projet (228 planches),
et avec l’appui de l’éditeur, quatre couleurs ont été privilégiées : le
rouge et l’orange prédominant dans l’ensemble du récit et associés au chaud
climat havanais, le vert pour les scènes à la campagne et dans les forêts et le
gris soulignant des événements violents ou dramatiques. Le tout assorti d’une
trame de demi-teintes, avec comme résultat certaines images quasi en trois dimensions.
Quant au scénario, il repose sur le séjour à
Cuba du narcotrafiquant Lucien Rivard de 1956 à 1959. Michel Viau a relevé le
défi, pendant cinq mois, d’intégrer le quotidien de ce caïd québécois aux grands
moments de la révolution cubaine en mettant en scène des personnages réels (Fidel
Castro, Ernesto « Che » Guevara, Fulgencio Batista, les mafieux Meyer
Lansky, Gerry Turenne, Santo Trafficante). Quelques personnages inventés représentent
différentes classes sociales cubaines à l'aube de la révolution. Dans les
dernières pages, on apprend de tous ces XXX, « ce qu’ils sont devenus… » après l’expulsion de Rivard le 20
juin 1959.
Une place importante est accordée aux mouvements
étudiants dans l’élan révolutionnaire qui mènera à la chute de la dictature de Batista :
« Sans eux, la révolution aurait fini en
queue de poisson. C’est un aspect moins connu, mais essentiel, de la révolution
cubaine – quelque chose que j’ai moi-même découvert, et que je trouvais
intéressant de montrer », affirme Michel Viau.
Avec comme résultat un ouvrage à la fois didactique
et divertissant. J’y ai appris, entre autres, pourquoi on appelle les habanos « Monte Cristo ». L’auteur
fournit les explications de la bouche même de Castro « Au siècle dernier, on lisait des livres aux
Torcedors pendant qu’ils roulaient les
feuilles de tabac à la main. Ils ont tellement aimé Le comte de
Monte-Cristo qu’ils ont écrit à Alexandre
Dumas en personne pour lui demander la permission de donner ce nom à leur
meilleur cigare. »
La structure de ce roman graphique inspiré du
réel reprend celle d’une fiction classique. Dès le prologue, la table est mise :
la « revolucion » se trame.
Le récit est ensuite découpé en cinq chapitres aux titres extraits d’une des planches
relatant de l’arrivée de Rivard à La Havane jusqu’à l’exil de Batista et la
prise du pouvoir de Castro :
I
« Aimez-vous le rémora. Monsieur Rivard
? »
II
« À Cuba, il y a des planteurs et
des cueilleurs. Chacun reste où il est né »
III
« C’est une autre sorte d’orage »
IIII
« Ça y est, c’est la merde ! »
IIIII
« Il arrive ! Il arrive »
Quant à l’épilogue, il nous fait assister à l’expulsion
de Rivard et de Turenne.
En complément, l’éditeur a complété l’expérience
de lecture par des notes explicatives et biographiques des deux auteurs et une
bibliographie (une soixantaine de monographies et d’articles, de références web,
de bandes dessinées, de balados et de documents audiovisuels) pour qui
souhaiterait en connaître davantage sur Rivard et sur la révolution cubaine.
Havana Connection se déroule sous nos
yeux comme un film avec arrêt sur images, de planche en planche, de case en
case, disposées dans une mise en page dynamique. Il faut prendre le temps pour
apprécier l’harmonie entre la narration, les dialogues (il s’en faut de peu d’entendre
les bruits de la rue, les détonations, les dialogues…) et les détails des
dessins dont certains sont quasi photographiques.
Le résultat est d’un réalisme saisissant,
reposant sur une documentation qui permet de confondre réalité et fiction. Les
vues extérieures de certaines scènes (par exemple celle en marge de l’hôtel
Havana Riviera) ont été inspirées par la consultation de photos sur le Web d’une
Havane restée figée dans le temps alors que les intérieurs sont le fruit de l’imaginaire
du dessinateur alimenté par les ressentis du scénariste.
Havana Connection s’inscrit dans la lignée de La Bombe, un roman graphique documentaire de 450 pages aussi publié
par Glénat en 2020 avec Didier Alcante
et LF Bollée au scénario et le Québécois Denis Rodier aux illustrations. L’œuvre
de Michel Viau et de Djibril Morissette-Phan donne un coup la barre qualitatif
sur ce que l’on peut envisager pour l’avenir dans la production de BD
québécoises avec comme thématique « des
sujets historiques et épiques ».
Que ce soit pour mieux connaître une partie
méconnue de la vie de trafiquant et de marchand d’armes de Lucien Rivard ou sur
les événements qui ont alimenté la révolution cubaine ou tout simplement pour
découvrir une bande dessinée hors du commun publiée au Québec, Havana Connection est un incontournable offert
à un prix équivalant à celui d’un roman traditionnel.
Merci à Hachette et à Glénat Québec pour le
service de presse.
Au Québec, vous pouvez commander et récupérer
votre exemplaire auprès de votre librairie indépendante sur le site leslibraires.ca.
Originalité/Choix du sujet : *****
Intrigue : *****
Psychologie des
personnages : *****
Intérêt/Émotion
ressentie : *****
Appréciation générale
: *****
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