Jack (Hervé Gagnon)


Hervé Gagnon. – Jack. Les enquêtes de Joseph Laflamme. – Montréal : Hugo, 2024. – 507 pages.

 


Thriller

 

 


Résumé :

 

Montréal, août 1891.

 

Par un matin de canicule, on découvre le corps horriblement mutilé d'une prostituée dans une rue du Red Light. Ce meurtre est le premier d'une série comme jamais Montréal n'en a connu et qui ressemble à s'y méprendre aux assassinats commis par Jack l'Éventreur à Londres en 1888. Joseph Laflamme, journaliste du quotidien Le Canadien en mal de travail, fouille l'affaire malgré l'opposition des autorités et des mystérieux francs-maçons.

 

Un fou imite-t-il le célèbre tueur ou Jack l'Éventreur lui-même a-t-il traversé l'Atlantique pour mieux sévir à Montréal ?

 

 

Commentaires :

 

Jusqu’à aujourd’hui, j’avais associé Hervé Gagnon à des séries de romans historiques qui se déroulaient à une époque qui m’intéressait moins : Damné, avec comme toile de fond la croisade contre les Cathares au début du XIIIe siècle, Malefica, sur les heures sombres de l’Inquisition et le sort des femmes guérisseuses, Sanctuaire, sur le trésor des Templiers et les origines de la franc-maçonnerie, pour ne nommer que ceux-là.

 

Il aura fallu que le service de presse des éditions Hugo me transmette, à l’occasion du lancement des six romans policiers de la série des enquêtes de Joseph Laflamme publiés en format poche, pour que je découvre un auteur qui maîtrise tous les codes de l’écriture de polars historiques. Un sous-genre du roman policier qui occupe une place de plus en plus importante dans les littératures du crime.

 

Le scénario de Jack, la première enquête de Joseph Laflamme, repose sur un ensemble de faits historiques campés dans des lieux et une époque bien définis, intégrant des sociétés secrètes connues ainsi que des personnages ayant existé réellement ou purement fictifs à un point tel qu’il s’en dégage une crédibilité à toute épreuve. Quand, en cours de lecture, la consultation, entre autres, d’Internet corrobore des composantes du récit, force est de constater que l’auteur, historien de formation, appuie son récit sur une recherche documentaire impressionnante. Dès les premières pages, le lecteur est téléporté à Montréal, à l’été 1891, en pleine canicule.

 

Génial ce rapprochement avec Jack l’Éventreur, le surnom donné à un tueur en série dont l’identité est toujours inconnue ayant sévi dans le district londonien de Whitechapel en 1888. Au moins cinq prostituées assassinées et mutilées, des crimes non résolus ayant donné lieu depuis l'époque du déroulement de cette affaire jusqu'à aujourd'hui à un grand nombre d’hypothèses et, par son statut de mythe, a inspiré bon nombre d'œuvres en tous genres. 

Hervé Gagnon s’insère dans ce mouvement avec brio en y associant les actions de deux sociétés secrètes : la Grande Loge maçonnique du Québec et l’Ordre d’Orange dont faisait partie l’ex-premier ministre du Dominion du Canada, Sir John Alexander Macdonald. Et en exploitant un lien hypothétique entre le Prince Albert Victor de Clarence, le petit-fils de la reine Victoria, et l’enchaînement des meurtres violents de 1888 à Londres et de 1891 à Montréal.

 

Jack permet au lecteur d’apprendre sur les origines de la franc-maçonnerie en Angleterre et son introduction à Montréal, les échelons que gravissent ses membres (intendant, tuileur, couvreur, diacre second surveillant, maître de loge…), son fonctionnement, les cérémonies des travaux et de leur clôture, ses symboles : « l’équerre, le compas, le niveau, le fil à plomb, le maillet ou le ciseau ».

 

« Au degré de compagnon, lorsque le vénérable maître demande rituellement au second surveillant ce qu'est une équerre, celui-ci lui répond «un angle de quatre-vingt-dix degrés ou le quart du cercle». Pour les maçons, elle représente la rectitude et les bonnes mœurs qu'ils doivent tous adopter, mais aussi la matière, incarnée dans une pierre cubique, dont les constructeurs vérifiaient la perfection avec l'équerre. »

 

Et de la présence de nombreux francs-maçons dans des secteurs clés de la société :

 

« … les journaux, qu’ils soient conservateurs ou libéraux, en anglais ou en français, regorgent de francs-maçons… »

 

« …la police montréalaise pullule de francs-maçons, comme toutes les grandes polices urbaines… »

 

L’auteur met aussi en évidence l’omerta qui est au cœur de cette société secrète en citant le serment que doit prononcer tout nouvel adhérent le jour de son initiation sous peine de se voir infliger un châtiment comparable à celui que le tueur en série a fait subir à ses victimes.

 

Hervé Gagnon excelle dans la description de ses personnages et des lieux réels dans lesquels il les fait évoluer :

 

« Il avait les épaules larges et un cou de taureau. La tignasse, la moustache et les favoris roux, le visage pâle couvert de taches de rousseur, les mains aussi grandes que des pelles, c’était le prototype parfait du policier irlandais de Montréal. »

 

« … ce n’est rien, cher monsieur, répondit l’homme hébété avec un fort accent anglais, de ce ton mielleux propre aux Britanniques de la haute société. »

 

Les personnages, peu nombreux, sont très attachants. En quelques paragraphes, l’auteur résume l’histoire familiale de Joseph Laflamme et de sa sœur Emma qui évoluent dans un milieu où la pauvreté est omniprésente dans ce quartier de Montréal, aux antipodes des secteurs financiers et bourgeois de la Métropole.

 

On y découvre aussi une ville qui commence à se doter d’un réseau électrique :

 

« … Martha s‘engagea d’un pas lourd dans la rue Saint-Dominique, qui n’était pas assez importante pour jouir de l’éclairage électrique qui se répandait petit à petit à Montréal depuis cinq ou six ans. »

 

« Elle tendit vainement l’oreille, guettant le bruit des sabots des chevaux qui tiraient encore les tramways là où l’électricité ne les avait pas remplacés. »



Et qui possède son musée des curiosités macabres avec, sur trois niveaux, ses mises en scène sinistres et son Théâtorium de 200 places que Hervé Gagnon s’emploie à décrire dans une des scènes qui nous tient en haleine, le Musée Éden (Eden Museum and Wonderland), sur la rue Saint-Laurent.

 


Jack est un tourne-page écrit dans une langue accessible à tout lecteur. Un récit fluide, bien structuré et rythmé, réparti sur une cinquantaine de courts chapitres qui s’enchaînent grâce à de nombreuses chutes qui tiennent le lecteur accroché à la trame dramatique. On y retrouve des descriptions dynamiques de quelques poursuites à pied dans le Red Light, le quartier des prostituées de Montréal.

 

La culture des deux groupes linguistiques qui se côtoient à Montréal n’échappe pas à la lucidité de l’auteur lorsqu’il mentionne que la presse anglophone (Montreal Gazette, Montreal Daily Star…) a parlé des crimes monstrueux de Jack l’Éventreur alors que les journaux de langue française (Le Canadien, La Presse…) « plus pudiques […] l’ont pratiquement ignoré. »

 

J’ai noté au passage cette phrase sur l’écriture :

 

« Lorsqu’il écrivait, il ressemblait à un compositeur qui entend la musique dans sa tête et peine à la transcrire sur le papier. »

 

Et appris une expression employée au XIXe siècle qui m’était inconnue : « rougir comme une bachelette », comme une jeune femme célibataire et courtisée qui se distingue par sa grâce.

 

Jack est un roman pour public adulte averti, très addictif, qui s’inscrit dans la foulée de L’affaire du Dr Cream de Dean Jobb qui traite d’un sujet presque similaire sous forme d’essai. Même thématique, même époque.

 

J’ai beaucoup aimé le roman de Hervé Gagnon. Je vous défie de découvrir qui est le véritable Jack avant d’avoir atteint les derniers chapitres. Et j’ai bien hâte de lire la suite des enquêtes de Joseph Laflamme.

 

 

Merci aux éditions Hugo pour le service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer auprès de votre librairie indépendante.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue : *****

Psychologie des personnages : *****

Intérêt/Émotion ressentie : *****

Appréciation générale : *****