Raynal Pellicer / Titwane. – Photographes de guerre – Hans Namuth et Georg Reisner 1936-1949. – Paris : Albin Michel, 2023. – 152 pages.
Bande dessinée
Résumé :
18 juillet 1936.
Barcelone se prépare pour les Olympiades populaires,
réponse pacifiste et antifasciste aux JO de Berlin. Hans Namuth et Georg
Reisner s’apprêtent à photographier les athlètes, mais l’ambiance n’est pas à
la fête, l’armée nationaliste s’est soulevée contre la République.
À 21 et 24 ans, les deux photographes
allemands ignorent encore qu’ils ne sont qu’aux premières heures d’une longue
guerre fratricide. Pendant plusieurs mois, armés de leurs seuls appareils photo,
ils vont couvrir les différents fronts du côté républicain. Eux qui avaient fui
les geôles nazies dès 1933, les voici confrontés à l’inexorable avancée des
troupes franquistes.
Le drame européen conduira l’un à mourir dans
la France vichyste quand l’autre aura une seconde vie outre-Atlantique, entre
autres grâce à Jackson Pollock.
Commentaires :
« Habitués des reportages en immersion, Raynal
Pellicer et Titwane livrent un portrait tout en humanité de deux photographes
plongés dans la tourmente de la guerre d'Espagne. Un récit poignant aux accents
tristement actuels. »
Cette phrase en quatrième de couverture
décrit bien cette bande dessinée très documentée et au style graphique rappelant
les croquis que certains peintres cumulent dans leurs vade-mecum : qualité du dessin et sa mise en couleur à l’aquarelle
aux tons bicolores (noir et marron), mise en page dynamique, planches sans
dialogue qui parlent d’elles-mêmes, transposition de photographies, doubles
pages parfois percutantes, de nombreux gros plans, un choix éditorial pour
mettre en évidence les acteurs et ceux qui subissent les conséquence de cette
guerre entre Espagnols.
L’album s’ouvre sur la traversée de l’Atlantique et l’arrivée à New York en avril 1941 d’un des protagonistes qui ne veut pas oublier « les fantômes laissés derrière soi [mais] avec un irrémédiable sentiment de culpabilité ».
Suit la chronologie des événements dans une Espagne
divisée en zone nationaliste (fasciste) et républicaine de juillet 1936, début
du soulèvement militaire contre la Rébublique à mars 1939, chute de Madrid aux
mains des troupes franquistes.
On y suit les deux photoreporters qui, parfois au péril de leur vie, alimentent en binôme l’hebdomadaire français « VU », un magazine d’actualité photographique avec « une mise en page avant-gardiste et une ligne éditoriale engagée », plutôt à gauche. Dans lequel, « le texte explique et la photo prouve ».
Une planche est consacrée à la comparaison entre les appareils que s’échangent les photographes. Un Leica « au format 24 x 36 avec des pellicules de 36 poses. Le film avance automatiquement et on peut enchaîner les prises se vues. »
Et un Rolleiflex « doté d’une pellicule de 12 vues 6 x 6. On cadre l’appareil contre le
ventre, le regard orienté sur le verre dépoli horizontal ».
« Se servir du Leica est plus dangereux que du
Rolleiflex. Le problème, c’est le viseur oculaire. Quand tu mets l’appareil au
visage pour prendre une photo, c’est un peu le même geste que de sortir une
arme et viser… De loin, peut y avoir méprise. » explique Hans Namuth.
Au passage, des personnalités politiques et
littéraires sont entre autres mentionnées : Lluís
Companys, président de la Catalogne ; Ernest Hemingway ; Antoine de
Saint-Exupéry ; Frank Borkenau, auteur d’un ouvrage intitulé « The Spanish Cockpit », « un essai critique de la gestion politique et
sociale du conflit par le gouvernement républicain » que George
Orwell, dans « Hommage à la
Catalogne », considère parmi les livres sur la guerre d’Espagne comme
étant « celui qui est écrit avec le
plus de compétence » ; Varian Fry, journaliste new-yorkais à la tête
de l’Emergency Rescue Committee ayant pour objectif de faire sortir de France artistes,
ingénieurs, chimistes, scientifiques.
On y apprend également des détails sur le
passé des deux photographes : « militants au sein de mouvements
pacifistes et gauchistes en Allemagne ». Et sur le soutien des forces
soviétiques avec la présence de chars russes, dont un conduit par un Ukrainien
de Kiev !
Le conflit s’envenimant, les deux jeunes Allemands,
craignant de tomber entre les mains des franquistes, se résignent à s’exiler à
nouveau en France :
« Leur expérience de sept mois au cœur de
cette guerre civile leur a au moins octroyé une certaine reconnaissance et un
grand nombre d’opportunités professionnelles. »
Ils ouvrent un studio à Neuilly-sur-Seine,
travaillent pour différents magazines et enchaînent reportages et portraits de
personnalités, dont Paul Eluard et Joseph Roth. Jusqu’à ce que suite à l’invasion
de la Pologne, le Royaume-Uni et la France déclarent la guerre à l’Allemagne :
« La IIIe République finissante ordonne
alors l’internement de tous les ressortissants du Reich séjournant sur son
territoire. »
En finale, un chapitre est alors consacré à leur
séjour forcé dans le sud de la France entre septembre 1939 et décembre
1940 : Georg Reisner interné au Camp des milles entre Aix-en-Provence et
Marseille ; Hans Namuth au Stade de Colombe, puis à Blois avant d’être enrôlé
dans la légion étrangère, envoyé au Maroc, démobilisé parce que la France avait
capitulé et revenu à Marseille. Je vous laisse découvrir la suite, leurs
espoirs anéantis alors qu’un nouveau conflit prend de l’ampleur en Europe.
« Le fascisme est une machine à broyer les
peuples. Les démocraties sont restées passives. Elles ont espéré échapper au
chaos. Aujourd’hui elles en payent le prix fort. […] même l’Amérique n’échappera
pas au fracas des armes… » … déclara Georg Reisner
Vous l’aurez compris, l'histoire de ces deux
photographes, de leur engagement est passionnante. Cette chronique journalistique
est du même calibre que « Gaza
1956 en marge de l’Histoire »
de Joe Sacco (2010). Elle livre un vibrant témoignage des atrocités de ce
conflit fratricide qui a laissé des séquelles irréversibles dans l’Espagne et
la Catalogne d’aujourd’hui.
En annexe, les auteurs ont fourni leurs
sources documentaires (ouvrage et documents d’archives) et reproduit quelques
documents « biographiques datant de 1940 : la dernière lettre de Georg
Reisner à sa famille, une lettre de Konrad Reisner, frère de Georg adressée à
Hans Namuth, l’acte de décès de Georg Reisner et un radiogramme de Varian Fry.
Il eût été intéressant d’y retrouver également deux ou trois clichés qui ont
inspiré les auteurs. On peut toutefois visionner sur le site de l'International Center of Photography plusieurs
photos prises pendant la guerre civile espagnole par Hans
Namuth et Georg
Reisner. Vous y reconnaîtrez certaines planches de l’album.
« Photographes
de guerre » est un album plus que jamais d’actualité, à l’heure des
conflits majeurs qui dévastent actuellement l’Ukraine et la Palestine, pour ne
nommer que ces deux pays.
Raynal Pellicer est auteur de documentaires. Il a publié de vastes reportages très illustrés avec Titwane au dessin. En croisant sa passion pour la photo et ses origines espagnoles, il a découvert le travail de Hans Namuth et Georg Reisner… et s’est lancé dans une vaste enquête au sujet de leur histoire.
Titwane est
illustrateur et oeuvre dans la presse, l’édition jeunesse et la bande dessinée.
Avec Raynal Pellicer au scénario, il a entre autres publié trois enquêtes
illustrées très documentées sur différents services de police et une sur le
porte-avions Charles de Gaulle. Avec Namuth et Reisner, il fait montre d’un
découpage ultra riche et d’une rare densité visuelle.
Au Québec, vous pouvez commander votre
exemplaire sur le site leslibraires.ca
et le récupérer auprès de votre librairie indépendante.
Originalité/Choix du sujet : *****
Qualité littéraire et graphique : *****
Intérêt/Émotion
ressentie : *****
Appréciation générale
: *****
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