Jean-Paul Martin. – Le roman policier africain - Regards critiques sur des sociétés en mutation. – Québec : Presses de l’Université Laval, 2024. – 216 pages.
Essai
Résumé :
Genre relevant de la littérature populaire et
voué au divertissement, le roman policier peut-il contribuer à l’analyse des
sociétés contemporaines ? L’étude approfondie de 53 romans policiers africains,
dont les auteurs viennent de 24 pays et représentent la plus grande partie du
continent, permet, en ce qui concerne l’Afrique, d’apporter sans hésitation une
réponse positive. Le contexte dans lequel ces écrivains situent leurs fictions
romanesques est en effet celui de l’Afrique contemporaine qui fait face à de
multiples problèmes : la trahison des politiques, l’affrontement de la
tradition et de la modernité, entre autres. Comme le montrent les larges
extraits de leurs romans qui figurent dans cette étude, cela les conduit plus
ou moins délibérément à mener un véritable travail de réflexion sociologique.
Littérature critique – certains diront même de dénonciation –, cette
littérature policière est donc un passage obligé pour qui veut comprendre ce
que deviennent les sociétés africaines.
Commentaires :
Si je vous demandais d’identifier des auteurs
africains de polars, de thrillers ou de romans noirs, vous mentionneriez
probablement comme moi Deon Meyer (Afrique du Sud), Yasmina Khadra (Algérie),
Alain Mabanckou… Jean-Paul Martin dans son essai Le roman policier africain nous en fait découvrir plus de 170, dans
une bibliographie non exhaustive, qui ont publié environ 300 romans de ce genre
littéraire de 1972 à 2018. La plupart peu connus en raison d’un problème de
diffusion.
En introduction, l’auteur énonce son objectif :
« faire découvrir cette littérature
à un public aussi large que possible » et « aussi de lui montrer que sa lecture représente bien plus qu'un simple
divertissement. Elle offre en effet une analyse originale et pertinente de
l'évolution des sociétés africaines contemporaines et des problèmes, qu'en
dépit de leur grande diversité, elles ont en commun. »
Pour « mettre en évidence la dimension proprement sociologique de cette
littérature », il a retenu « 53
auteurs : 30 francophones, 18 anglophones, 3 lusophones et 2 écrivant en
afrikaans, représentant 24 pays ».
Avant d’analyser un des romans de ces
écrivains, Jean-Paul Martin s’emploie à mettre en rapport la production
africaine avec les sous-genres du roman policier : romans à énigmes,
romans d’enquête (de procédure ou d’investigation), romans juridiques ou de
prétoire, romans noirs, thrillers. Sans oublier les romans d’espionnage
confondus « parfois avec le roman
policier » qui seront les premiers choix des romanciers africains au
début des années 1970. Pour chaque sous-genre, l’auteur mentionne un certain
nombre de romanciers qui s’y sont positionnés.
Parce qu’on « doit lire ces romans policiers non seulement pour leurs intrigues, mais
pour ce qu'ils nous disent de l'Afrique », les œuvres littéraires
sélectionnées sont d’abord présentées à travers deux thématiques.
Le
premier chapitre porte sur « La trahison
des politiques » envisagé sous trois aspects :
·
L'ingérence
et la déstabilisation (« complots
menés par d’anciennes puissances coloniales soucieuses de conserver leur
influence politique et économique sur l’Afrique »)
·
Le
pouvoir à tout prix (« l’incompétence
et la corruption de la classe politique, considérés comme source de misère et d’insécurité »)
·
Les
trafics et l’exploitation illégale des ressources (« le pillage des ressources minières, forestières et halieutiques »
et « la dénonciation d’êtres humains »)
Le
chapitre 2 aborde « Le conflit entre
tradition et modernité » développé sous quatre aspects :
·
Le pouvoir central
face au droit coutumier (« l’opposition
entre la ville et la campagne » et celle « du profane et du sacré »)
·
La place des
croyances et des rituels (« entre les
tenants d’une approche rationnelle des questions scientifiques et médicales et
ceux pour qui le recours aux guérisseurs et aux féticheurs reste la seule façon
de guérir les corps et les âmes »)
·
Les clivages communautaires (« les relations qu’entretient le pouvoir
central avec les communautés […] souvent
tendues et sources de conflits » et les conflits ouverts et les
violences entre communautés)
·
La
ville, ses attraits et ses pièges
Deux autres thématiques « qui ne sont pas transversales » s’ajoutent :
Dans
le chapitre 3, « L'Afrique hors d'Afrique
», on y retrouve des exemples de « romans
romans portant sur la vie des immigrés africains en Europe ». Des
raisons politiques ou économiques ayant amené de nombreux Africains à quitter
leur pays : « Ces espaces de
vie et de rencontres ont inspiré des écrivains africains […] à y situer leurs romans. »
Quant
au chapitre 4, « La société sud-africaine
au défi de la vérité et de la
réconciliation », il « regroupe
des romans écrits pendant et après l'apartheid ». Il est traité en deux
sous-aspects :
·
Une société écrasée
par l’apartheid
(« problèmes politiques, économiques
et sociaux » et « le
racisme structurel de la société sud-africaine »)
·
Une société de la
réconciliation ?
(« la fin des lois de discrimination
en 1991, les premières élections multiraciales de 1994 amenant Nelson Mandela à
la présidence et l’institution en 1995 de la Commission de la vérité et de la
réconciliation » qui a eu une « influence majeure sur les auteurs sud-africains, qui pouvaient enfin s’exprimer
librement, tout en gardant une approche critique » sur « les crimes de droit commun, la violence
urbaine et les luttes que se livrent les gangs pour la conquête et le contrôle
des territoires et des trafics »).
Pour chaque thématique, Jean-Paul Martin
fournit quelques notes biographiques de chaque auteur sélectionné, présente un
synopsis du roman choisi, reproduit en encadré un extrait significatif et
conclut en livrant son ressenti par rapport au style et à la trame dramatique
de l’ouvrage.
Jean-Paul Martin conclut que « la lecture de ces romans donne au lecteur,
qu'il soit ou non sociologue, l'accès à ce que nous pouvons appeler, au sens que
l'anthropologie a donné à ce terme, ‘’ un terrain ‘’, à la possibilité, grâce à
la fiction, de voir dans des situations données comment se comportent des
individus ou des groupes, ce qu'ils disent et, si le romancier a fait ce choix,
ce qu'ils ressentent et ce qu'ils pensent. »
Il ajoute que « si l’on veut comprendre ce qui se passe en Afrique, que l’on soit ou
non Africain, la lecture de ces romans policiers semble un passage quasi
obligé. » Il met aussi en lumière que « les romanciers africains appartiennent au groupe des intellectuels par
qualification avec une surreprésentation des enseignants et des journalistes,
même s’ils sont quelques-uns à exercer ou à avoir exercé des professions où le
rapport à l’écriture est moins présent (médecin, infirmier, informaticien,
etc.) »
Le roman policier
africain
ajoute une dimension méconnue au genre littéraire dont le succès se décline en
polars, nordiques, historiques, ethnographiques, québécois, au féminin… Cet
essai très documenté est complété, entre autres, par une bibliographie des
auteurs par pays et une bibliographie sélective regroupant des ouvrages
généraux et des ouvrages et articles sur la littérature policière africaine.
Diplômé en littérature anglaise, Jean-Paul Martin a exercé l'essentiel de son activité professionnelle dans les relations internationales et la coopération. Après avoir occupé divers postes dans les services culturels français à l'étranger, il a été conseiller de coopération d'action culturelle auprès de l'ambassade de France à Windhoek, en Namibie. Il anime depuis 2018 un blogue consacré au roman policier africain https://www.polars-africains.com/.
Merci aux Presses de l’Université Laval pour
le service de presse.
Au Québec, vous pouvez commander votre
exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer auprès
de votre librairie indépendante.
Appréciation générale
: *****
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