Dominique Lebel. – Automne 1995. – Montréal : Robert Laffont Québec, 2023. – 197 pages.
Roman
Résumé :
Martin croisait dans la rue des gens qui
semblaient le regarder d’une drôle de façon. Que voyaient-ils en lui qu’il ne
voyait pas lui-même? C’étaient les lendemains de la défaite — de toutes les
défaites — et tout le monde semblait bien décidé à oublier le passé. Qui
étions-nous avant le référendum de l’automne 1995 et que sommes-nous devenus ?
Commentaires :
Automne 1995 est un roman écrit à
la deuxième personne du singulier et du pluriel qui a pour thème le suicide :
celui des Québécois qui, en octobre, ont refusé une deuxième fois de se donner
un pays et, en décembre, celui de Sophie, l’amoureuse du narrateur, Martin, militant
du Parti Québécois. Une fiction-réalité qui jette un regard introspectif sur un
drame individuel et collectif. Un retour aux sources, entre l’enfance et l’âge
adulte, un peu comme l’évoque Le plus beau voyage
de Claude Gauthier. Un monologue qui tente d’expliquer le présent, à partir d’un
passé marqué d’épisodes de tristesse et de bonheur, d’envisager l’avenir
autrement, l’heure étant venue de passer à autre chose !
Le style est caractérisé par de courtes
phrases, l’insertion chronologique d’événements marquants sur la scène
nationale et internationale s’imbriquant tout au long du parcours du narrateur
et de celui des Québécois de 1990 à 1995 et de références littéraires
(écrivains et poètes). Le récit de Dominique Lebel abonde d’images évocatrices de
ses origines, de son vécu et des sentiments qui l’ont personnellement animé. Quant
aux réflexions de l’auteur sur la politique, la psyché des Québécois, la
campagne référendaire, les acteurs politiques et en bout de piste la victoire à
l’arraché du « Non » laissent malgré tout un goût amer sur une des périodes
les plus intenses de l’histoire du Québec qui avait pris son élan les 23 et 24
juin 1990 :
« En juin 1990 s’ouvrit une parenthèse qui
allait se refermer au soir du 30 octobre 1995. Ces cinq années furent les plus
exaltantes de l’histoire de la nation. »
«
Cette nuit-là, si l’on avait regardé la
Terre depuis le ciel, on aurait pu voir apparaître, au-dessus du Québec, un
halo bleuté. »
Et cinq ans plus tard : une « déflagration […] si grande qu’elle a assommé tout un peuple, peut-être pour l’éternité », un « banc de brouillard qui, d’un coup, [ayant] recouvert le Québec tout entier, comme au petit matin dans les ports des Îles-de-la-Madeleine. »
Tout au long des 40 courts chapitres que compte ce roman, l’auteur, passionné du monde politique qu’il a fréquenté, énonce les raisons de la tenue du référendum, livre une description éloquente du déroulement de la campagne référendaire, expose l’ambivalence des politiciens français face à l’avenir du Québec, partage avec le lecteur l’ambiance des assemblées publiques :
« Tu aimais ces atmosphères de fin du monde où tout peut arriver. La tension dans la salle. Les applaudissements à tout rompre. Les silences. L'attente. La musique qui claque à l'arrivée du chef. L'avancée vers l'estrade en se faufilant entre les militants gonflés à bloc. Les gardes du corps qui doivent fendre un chemin dans la foule. La lumière au bout du tunnel. »
Particulièrement celle de fin de campagne, à Jonquière, à quelques heures du vote :
« Tu te souviens de l'incroyable énergie de la foule. De l'entrée triomphale de Parizeau dans la salle. Ces fameux walk-in qui charrient toute la puissance émotionnelle que la politique est capable d'offrir, laquelle, à ce moment-ci de l'histoire, était d'une intensité telle que tu ne l'avais jamais vue auparavant, et que plus jamais on ne reverra. Ce saut de puce improvisé du chef à Jonquière, c'était comme si la direction de la campagne avait voulu l'offrir à Parizeau en guise de cadeau de fin de campagne, et d'invitation à tenir. »
Il partage aussi sa conception de l’idée d’indépendance :
« L'idée
d'indépendance est comme le bassin d'eau contenu par les deux portes d'une
écluse. Il s'agit parfois d'un petit bassin. Un tout petit bassin. Parfois,
l'idée n'existe que dans la tête de quelques-uns, ou n'est encore que latente,
dans une forme d'état d'hibernation. C'est le calme plat. On veut qu'elle reste
en vie le temps qu'elle est dans le sas. Le sas, c'est aussi pour qu'elle ne
meure pas. On se tient tranquille. On avale des couleuvres. Ce n'est pas grave.
On se dit que ce n'est pas bien grave. Nous vivons une vie courte dans
l'histoire longue. »
Lui qui a côtoyé le premier ministre Jacques Parizeau ne pouvait s’empêcher de décrire le personnage, sans références à sa déclaration lucide le soir de la défaite :
« Il avait une présence hors de l’ordinaire. Un mélange de retenue, de hauteur, d’humour, de classicisme et d’onctuosité. Ses discours étaient à la fois des leçons de politique pour ceux qui l’aimaient et d’incroyables repoussoirs pour ceux qui ne pensaient pas comme lui. »
« Parizeau disposait d'un pilote interne sans lequel il n'aurait pu se rendre si loin. Se rendre jusqu'au bout, c'était un pari fou, véritable roulette russe. Mais il y allait tête première, et se rendrait à destination, mort ou vif. Il n'y avait rien qui n'aille aussi peu de soi que cette idée de faire l'indépendance. C'était une idée révolutionnaire, et comme toutes les idées révolutionnaires, elle est extrêmement difficile à tenir sur la durée. Parizeau avait tenu jusque-là. Il tomba juste après. Il avait pu déclencher le référendum non seulement parce qu'à ce moment précis de l'histoire, il détenait le pouvoir, mais parce que c'était lui et personne d'autre. - Si on perd, ce sera ma faute. »
Dominique Lebel étant chroniqueur littéraire au magazine L’actualité, j’ai noté ces quelques passages qui illustrent bien son amour de l’écriture, de la poésie, des livres et de l’importance des écrivains dans une société :
« Un grand romancier est quelque chose de rare et de précieux. Ça tient sur peu de tablettes dans une bibliothèque. C'est la part tragique qui fait le roman. Le lecteur cherche toujours la mort de l'écrivain. Pour écrire, l'écrivain ne doit pas mourir. Le lecteur doit avoir peur, et pour qu'il ait peur, l'écrivain doit avoir peur lui aussi. C'est cette peur qui fait le roman. »
« Il faut écrire sur ce que l’on sait, le moins possible sur ce que l’on ne sait pas. »
« Les livres vivent tant qu’ils sont lus. »
« Les pays qui aspirent à de grandes politiques doivent avoir de grands poètes. Parce que tout naît de la beauté. »
« Tu sais que tu aimes un livre si, en parcourant ses pages, tu souris intérieurement en imaginant le plaisir de l’auteur. »
Autres citations intéressantes :
« …le problème avec l’avenir, c’est que ça dure longtemps. »
« L'histoire n'est pas écrite d'avance. Vous ne savez jamais si vous êtes au début, au milieu ou à la fin. Une seule chose est certaine: la vie est partout, à l'intérieur de toutes ces forces luttant simultanément. Et chaque jour, la vie recommence. »
« Pour les non-initiés, la politique est le lieu de l’anticipation, des calculs et de la scénarisation. »
Le pays n’est jamais venu. Viendra-t-il un jour ? Dominique Lebel glisse en conclusion cet énoncé teinté d’un optimisme modéré : « C’est quand on croit que tout est fini que tout devient possible. »
Le lecteur indépendantiste que je suis, malgré tout depuis près de 60 ans, doute que l’on puisse réussir à convaincre un « peuple qui veut être un peuple qui ne veut pas être un peuple », un peuple inconscient de « la puissance d’un peuple rassemblé peut créer une sorte de courant électrique si fort qu’il en modifie la surface du globe. » Ce que la société civile catalane avait compris de 2011 à 2017.
Automne 1995 est une œuvre littéraire qui fait réfléchir sur le parcours d’une vie entre « l’engagement citoyen et l’ivresse amoureuse », avant et après la mort de Sophie et le choix politique des Québécois :
« Il y a tant d’intersections dans une vie que, lorsqu’on fait le chemin à rebours, on n’arrive pas très bien à comprendre comment les choses se sont alignées. »
Dominique Lebel est diplômé en histoire l’Université du Québec à Montréal.. Il est l’auteur entre autres du journal de son mandat auprès de la première ministre Pauline Marois à titre de directeur de cabinet adjoint du 4 septembre 2012 à la défaite électorale du 7 avril 2014, Dans l’intimité du pouvoir (2016). Au cours des 25 dernières années, il a travaillé dans l’univers des communications et de la publicité, de la politique, puis des technologies. Au milieu des années 1990, il avait oeuvré auprès de Jean Doré à Montréal, puis de Pauline Marois et de Gilles Baril dans le gouvernement de Lucien Bouchard
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Originalité/Choix du sujet : *****
Qualité littéraire : *****
Intérêt/Émotion
ressentie : ****
Appréciation générale
: ****
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