Brigitte Alepin. – L’alerte. – Montréal : Druide, 2024. – 252 pages.
Thriller uchronique
Résumé :
Cécile Larrivée, spécialiste en politiques
fiscales et conseillère du populaire entrepreneur et politicien Éloi Laliberté,
s’est investie corps et âme dans l’avènement du Québec souverain. Mais en
octobre 2035, un an après avoir célébré l’indépendance de l’ex-province
canadienne devenue un paradis fiscal pour les entreprises, et à l’aube du
dévoilement d’un budget national subversif, elle fuit vers l’Europe pour
dénoncer le sort tragique qui guette sa nation et risque de bousculer
l’échiquier politique mondial. À l’insu de tous, les frontières d’une nouvelle
mégaalliance intercontinentale se dressent sous le joug de milliardaires
véreux. Évasions et évitements fiscaux, extorsion et chantage menacent de
ravager l’intégrité des démocraties modernes. Cécile réussira-t-elle à lancer
l’alerte à temps ou est-il déjà trop tard ?
Commentaires :
Quand on est de la trempe de l’une des 50
fiscalistes les plus influent,es au monde et qu’on imagine un thriller uchronique
tel que L’alerte, il y a de quoi être
déstabilisé en tant que lecteur indépendantiste. Au point de se dire : un
futur pays du Québec peut-il être envisagé sous l’angle d’un tel dérapage
socio-économique ? Un rêve qui tourne au cauchemar comme, entre autres, ont pu l’anticiper
dans d’autres registres : Jean-Michel David (Voir
Québec et mourir, Hurtubise 2012), un Québec en pleine guerre civile
suite à l’annonce d’un nouveau référendum ; André Marois et sa trilogie apocalyptique
Les
voleurs d’espoir… de
mémoire… du
soir (La courte échelle, 2013-2015).
L’initiative de Brigitte Alepin donne elle aussi
froid dans le dos. Elle qui, en 2016, à la question d’un politicien qui s’interrogeait
« comment la fiscalité pouvait aider
le Québec à devenir un pays » elle avait répondu à la blague : « …
en faire un paradis fiscal, la petite
Suisse de l’Amérique » :
«
Transformer des régions telles que le
Québec, la Catalogne, l’Écosse et la Casamance [Sénégal] en paradis fiscaux pour les entreprises afin
de les aider à accéder à leur indépendance ».
Cette hypothèse est au cœur de son premier
roman avec en fond de scène un souci d’établir « la justice fiscale et l’équilibre des pouvoirs et des richesses ».
En mettant en scène un personnage féminin (Cécile Larrivée, la narratrice, son alter ego) à la fois responsable de l’abyme
dans lequel le premier ministre (Éloi Laliberté) risque d’y précipiter le
Québec libre et désillusionnée avec la suite des événements pour éviter le pire
à une tranche de la population du nouveau pays à la veille de la présentation
du budget de l’an 2 en octobre 2035. Et de ceux qui sont en voie de le devenir
au sein d’une Alliance séparatiste internationale « synonyme de l’appropriation partielle ou totale par les milliardaires
des ressources de régions indépendantistes ».
On est en pleine fiction et l’ensemble du
récit demeure assez crédible bien que le contexte canadien et la dynamique
politique à l’Assemblée nationale soient plutôt ignorés. Les liens avec des
lieux géographiques réels, avec certaines personnalités dont on devine l’identité
et avec des faits marquants de l’histoire du Québec appuient le déroulement de
l’action.
Brigitte Alepin y a intégré la longue marche
pour la prise du pouvoir par le Parti du Québec libre. Fondé en 2023, le parti
n’obtient que 20 % des suffrages aux élections de 2026. En octobre 2030, il
forme un gouvernement majoritaire, porteur d’un message « clair, direct et sans fla-fla » :
« si le gouvernement Laliberté est élu pour
deux mandats consécutifs, il réalisera l’indépendance du Québec au début de son
deuxième mandat. »
Promesse faite, promesse tenue. Avec le
slogan « Pas de pouvoir sans
indépendance », le parti indépendantiste est réélu le 2 octobre 2034 « avec le mandat clair de faire du Québec un
pays » quatorze jours plus tard. [Exit les consultations populaires ou
les référendums voués à l’échec].
Et la narratrice d’ajouter :
« Les Québécois appréciaient notre honnêteté,
si rare de nos jours. Ils se sentaient respectés. »
Du bonbon !
Les fondements du drame qui s’en suit sont
établis dès les premiers chapitres d’un scénario construit tel une course
contre la montre en heures et en minutes avant l’alerte. Impossible de
décrocher jusqu’à une finale enlevante avec des révélations qui ne cessent de
nous surprendre.
Plusieurs éléments d’information qui
nourrissent ce roman nous font découvrir des caractéristiques méconnues du
système fiscal québécois actuel. À preuve cet extrait :
« …
bien avant que le Québec devienne un
pays, il était déjà pratiquement un paradis fiscal pour plusieurs entreprises.
Depuis longtemps, le régime d'imposition québécois jouait le jeu de la
concurrence fiscale de manière très persuasive et réduisait la charge fiscale
demandée aux entreprises pour les attirer sur son territoire. Les grandes
sociétés profitaient même d'un congé fiscal lorsque leurs investissements au
Québec dépassaient un certain seuil. »
D’où l’idée de faire du Québec un paradis
fiscal :
«
… nous craignions que l'indépendance
occasionne un exode des sociétés vers une province voisine ou un autre pays.
C'est connu, les entreprises recherchent la stabilité et fuient l'inconnu.
Cependant, paradis fiscal et zéro impôt, voilà qui plaît aux entreprises. Elles
sont prêtes à supporter bien des choses pour éviter de payer de l'impôt. Donc,
la transformation en paradis fiscal pour les entreprises […] permettait au Québec de s'afficher
officiellement comme tel et de s'assurer l'attention et la fidélité des grandes
entreprises, non seulement du Québec, mais de partout dans le monde. »
« Quand on pense que l’impôt est souvent l’une
des dépenses les plus importantes dans le budget d’une entreprise, y échapper
donne un gros coup de pouce au portefeuille et une bonne longueur d’avance sur
les autres. »
Avec quels impacts sur les rentrées fiscales
?
« …
plus d’une centaine de nouvelles sociétés
se sont installées ici avec la promesse de créer des milliers de nouveaux emplois
à temps plein bien rémunérés » [tiens, tiens, on croirait entendre un
certain premier ministre caquiste !]
« …
grâce aux emplois créés, nous touchons
davantage d’impôt de la part des particuliers. »
… pour, dans un plan de rationalisation, être
en mesure de continuer d’offrir des services de santé, d’éducation et autres
services publics pour répondre aux attentes des citoyens, alors que les
pharmaceutiques contrôlent leur vie. Et à quel prix ?
Vous le découvrirez en dévorant ce thriller fort bien écrit par une auteure
qui a pour modèles de courage – tout comme son personnage fiscaliste – Erin
Brockovich dans sa lutte environnementaliste ; Bennet Omalu qui découvrit un
lien entre la pratique du football et les traumatismes au cerveau des joueurs ;
John Doe, pseudonyme du lanceur d’alerte des Panama Papers. Avec comme autre source d’inspiration une œuvre cinématographique
marquante d’un certain réalisateur américain, Richard Fleischer : Soleil vert. Elle qui veut voir naître « de nouveaux pays plus justes, plus
efficaces, plus verts, avec moins de pauvreté et des services publics agissant
véritablement au service de leurs citoyens. »
Tout au long du récit, Brigitte Alepin glisse
des commentaires assassins sur la vie des gens riches et célèbres comme
celui-ci :
« Il en existe à profusion, des milliardaires
qui se proclament grands philanthropes et reçoivent les honneurs pour avoir
fait don des miettes qui tombent de leur table. »
J’ai souri en lisant ces quelques extraits :
« Le Québec figure [encore en 2035] parmi les grands distillateurs de gin au
monde avec plus de deux cent soixante types différents fabriqués au pays. »
« Ces fainéants [ceux qui peuvent
travailler, mais qui ne le font pas], s’ils
veulent continuer de manger et de se loger, vont devoir travailler. »
[Un rappel à ma mémoire d’une déclaration en 2006 d’un certain Lucien Bouchard :
« Allez travailler, bande de
fainéants ! »]
« … peu de temps avant que je ne commence à me
consacrer au Québec libre, une porte importante a été ouverte par un Québécois
qui refusait de prêter serment à Charles III. Nouvellement élu à l'Assemblée
nationale du Québec, il s'opposait à ce que son premier geste comme député soit
de ‘’ prêter serment envers la population qui l'a élu et, simultanément, à la Couronne
d'un pays étranger ‘’. Finalement, il a gagné son combat que plusieurs avaient
pensé perdu d'avance et sa victoire face au régime monarchique britannique
figure parmi les plus importantes depuis la bataille des patriotes à
Saint-Denis en 1837. Tout bonnement, ce nouveau député confirmait mes espoirs
en la société distincte. »
L’éducation :
« Toutes ces matières qui font
perdre du temps, tous ces gens qui étudient sans résultat, tous ces professeurs
payés à prix fort pour réaliser des recherches qui ne servent à rien… »
Sur
le métier de fiscaliste : « ayant
surfé toute ma vie professionnelle entre l’éthique et la légalité fiscale ».
* * * * *
Comme l’affirme l’éditeur, L’Alerte fictive s’adressant aux
milliardaires, ceux qui portent « le
titre le plus prestigieux qui soit dans le monde des affaires », dont
il faut prendre le temps de lire et de relire pour en constater la pertinence évidente
en 2024 est un suspense palpitant. Un thriller engagé tant d’un point de vue
politique que social. Et pas besoin d’être spécialiste en fiscalité de quelque
niveau pour apprécier ce roman.
Brigitte Alepin nous livre un bel exemple de
la puissance de la littérature, particulièrement de la littéragure de genre
(polars, thrillers, romans noirs…) pour dénoncer, de manière ludique, les inégalités
et les injustices sociales.
En annexe, pour les lecteurs qui désirent creuser
davantage les sujets couverts dans L’alerte,
l’auteure fournit la liste des principales références, une cinquantaine, qui
ont soutenu sa recherche.
Formée à Harvard et avec 35 ans d’expérience pratique comme fiscaliste, Brigitte Alepin est professeure en fiscalité à l’Université du Québec en Outaouais. Son premier livre, Ces riches qui ne paient pas d’impôt, a marqué l’histoire de la justice fiscale au Québec. Elle a remporté le prix Gémeaux du meilleur scénario pour le documentaire Le prix à payer, inspiré de son deuxième livre, La crise fiscale qui vient. Elle est membre de l’Ordre national du Québec et elle a été répertoriée parmi les 50 fiscalistes les plus influents au monde.
Merci aux éditions Druide pour le service de
presse.
Au Québec, vous pouvez commander votre
exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer auprès
de votre librairie indépendante.
Originalité/Choix du sujet : *****
Qualité littéraire : *****
Intrigue : *****
Psychologie des
personnages : *****
Intérêt/Émotion
ressentie : *****
Appréciation générale
: *****
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