Joe Sacco. – Gaza 1956 en marge de l’Histoire. – Lieu : Futuropolis, 2010. – 424 pages.
BD de reportage
Résumé :
Quinze ans après la publication de son
premier livre, Palestine une nation
occupée, Joe Sacco retourne dans la bande de Gaza pour enquêter sur un
massacre de la population palestinienne par l’armée israélienne en 1956.
Commentaires :
Dans le contexte actuel d’un nouveau conflit
armé opposant Israël et le Hamas, Gaza
1956 en marge de l’Histoire est une lecture incontournable. Une bande
dessinée, oui, mais surtout un reportage journalistique en quête des événements
entourant les massacres en novembre 1956 de centaines de Palestiniens par l’armée
israélienne à Khan Younis et à Rafah dans le sud de la bande de Gaza. Une œuvre
puissante réalisée à partir de témoignages oraux de descendants ou de victimes
recueillis à l’occasion de trois voyages entre novembre 2002 et mai 2003 et de
recherches documentaires personnelles dans les archives des Nations unies à New
York et les archives israéliennes avec la collaboration de deux chercheurs
israéliens.
Se plaçant au cœur du récit, Joe Sacco, chef de file de la BD d’enquête, se met en scène pour porter un regard à la fois engagé et nuancé sur les tueries sanglantes qui ont été perpétrées en 1956. Avec comme résultat plus de 400 pages de planches évocatrices, narratives et efficaces : une œuvre captivante, poignante, dérangeante, dans laquelle on sent l’auteur aux prises avec la mémoire humaine défaillante ou déformante et le souci de traduire la « vérité historique ».
Avec une qualité graphique quasi
cinématographique en noir et blanc, les milliers d’arrêts sur image nous
transforment en observateurs impuissants d’une page de l’histoire palestinienne
peu connue. Certains dessins illustrent en pleines ou doubles pages l’extrême
violence et ses conséquences sur les populations et sont parfois insoutenables.
En avant-propos, Joe Sacco explique les origines
de ce livre qui remontent au printemps 2021quand le journaliste Chris Hedges et
lui se préparaient à aller en reportage dans la bande de Gaza pour le compte du
magazine Harper's : Hedges pour écrire l'article et Sacco pour l'illustrer. Ils
avaient décidé de s’intéresser au quotidien des Palestiniens dans une ville – en
l'occurrence Khan Younis – au cours des premiers mois de la seconde Intifada
(2000-2005), sur fond d'occupation israélienne. Sacco s’était rappelé une
référence, une brève citation d'un document de l'ONU, évoquant un massacre
considérable de civils à Khan Younis en 1956, et Hedges avait accepté d'évoquer
cet épisode historique tombé dans l'oubli dans leur article, « à condition qu'il ait une certaine validité
et une résonance actuelle ». Pour une raison inconnue, les paragraphes
relatifs à ces événements ont été coupés par les éditeurs du magazine.
Exaspéré par cette décision sur « le plus important massacre de Palestinien
sur le sol palestinien, Joe Sacco considérait que ce drame « méritait bien peu d’être renvoyé dans les
ténèbres où il gisait, comme d’innombrables tragédies historiques, à peine
reléguées au rang de notes de bas de pages consacrées aux grandes lignes de l’Histoire. »
De telles tragédies contenant souvent « les graines du chagrin et de la colère qui façonnent les événements du
présent.»
Pour reconstituer l’apparence des villes et des camps de réfugiés, Sacco s’est appuyé sur des photos et a travaillé d’après des descriptions physiques que lui ont faites des Palestiniens.
Pendant qu’il enquêtait « sur ce qui s’est
produit en 1956, des Palestiniens étaient tués au cours d’attaques
israéliennes, des attentas suicides faisaient des victimes parmi les Israéliens
et ailleurs au Proche-Orient, les États-Unis se préparaient à mener une guerre
en Irak.
Pendant que je lisais Gaza 1956 en marge de l’Histoire, l’intelligence artificielle utilisée
par l’armée israélienne ciblait des sites de bombardements dans la bande de
Gaza, tuant des milliers de civils, dont des centaines d’enfants. L’horreur d’un
génocide de plus en plus évident !
La plupart des gens que Sacco a interviewés ont accepté qu’il mentionne leur nom entier. « D'autres ont préféré rester anonymes. D'autres encore ont donné des noms tronqués, et dans ce cas [il a] reproduit la partie qu'ils préféraient utiliser. Pour les portraits [il a] travaillé d'après photographies pour presque toutes les personnes […] interviewées. Lorsque des gens ne souhaitaient pas être identifiés, [il a] dessiné des croquis rapides pour évoquer l'apparence des individus sans les rendre identifiables. » Il ajoute : « Lorsqu'un nom est indiqué, mais qu'il n'est pas accompagné d'un portrait, c'est probablement que mon appareil photo a eu un raté. »
En appendice, l’auteur a reproduit, entre autres, des extraits de documents cités dans le livre et a sélectionné des articles de journaux concernant la période « dont la plupart pratiquent la désinformation ». S’ajoutent des extraits des transcriptions d’entrevues qu’il a réalisées avec des porte-parole et des commandants des Forces de défense israéliennes « pour leur demander de commenter les démolitions de maisons à Rafah » racontées dans le live. Le tout complété par une brève bibliographie sur « la succession des événements – politiques, diplomatiques et militaires – menant et consécutifs à la crise du canal de Suez en 1956 » et sur le point de vue israélien.
Gaza 1956 en marge de
l’Histoire
est « Un album indispensable, sublime
» (Clara Dupont-Monod, Marianne,
16/01/2010) et « Un remarquable
livre d’histoires et d’Histoire, avec un grand H » (Patrick Chesnet, Faim Développement Magazine, 01/01/2010).
La très haute qualité et la rigueur
journalistique de cet indispensable travail de mémoire ont été soulignées par
un certain nombre de prix et de récompenses :
Prix
Regards sur le monde - Festival
international d'Angoulême (2011)
Prix
France Info de la bande dessinée
d'actualité et de reportage (2011)
Prix
du magazine Lire de la meilleure bande
dessinée de l'année (2010)
Sélection
pour le Grand prix BD des lecteurs de
Libération - Virgin Megastore (2010)
Sélection
pour le Prix de la critique ACBD (2010)
Sélection
pour le Prix Ouest-France/Quai des bulles
(2010)
Au Québec, vous pouvez commander et récupérer
votre exemplaire auprès de votre librairie indépendante sur le site leslibraires.ca.
Originalité/Choix du sujet : *****
Qualité graphique et littéraire : *****
Intérêt/Émotion
ressentie : *****
Appréciation générale
: *****
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