J.M. Erre. – Qui a tué l’homme-homard ? – Paris : Buchet - Chastel, 2019. – 359 pages.
Polar
Résumé :
Margoujols, petit village reculé de Lozère,
abrite les rescapés d'un cirque itinérant qui proposait un freak show : femme à
barbe, soeurs siamoises, homme-éléphant, lilliputien, colosse... Mais la
découverte du cadavre atrocement mutilé de Joseph Zimm, dit
"l'homme-homard", va bouleverser la vie presque tranquille de ses
habitants. Qui a tué cet ancien membre du cirque des monstres, et pourquoi ?
Qui se cache derrière le mystérieux auteur du blog je vois la vie en monstre ?
Quels secrets, enfouis dans les hauteurs du Gévaudan, l'enquête de l'adjudant
Pascalini va-t-elle révéler ? Et que cherche vraiment Julie, la fille du maire,
passionnée de romans policiers, qui épaule la gendarmerie dans son enquête ?
Commentaires :
Découvrirez-vous avant la jeune apprentie romancière-détective
de 23 ans, Julie de Creyssels, passionnée de romans policiers, tétraplégique
clouée sur son fauteuil roulant équipé des dernières technologies, ou son enquêteur
de la gendarmerie hors normes « polaresques » Qui a tué l’homme-homard ? Cet homme qui doit son surnom « à son ectrodactylie, une maladie génétique
qui se traduit par l’absence de plusieurs doigts et donne à la main l’apparence
d’une pince » ?
C’est un défi que nous lance J.M.
(Jean-Marcel) Erre dans ce polar dans un roman – ou un roman dans un polar, c’est
selon –, une parodie de roman policier pimentée d’humour noir dans laquelle
tout amateur du genre retrouve les règles d’écriture : « un meurtre, un flic, un village plein de
secrets ».
Dans ce roman, J.M. Erre donne la « parole »
à une narratrice cynique qui ne s’exprime que par le majeur de la main gauche
sur le clavier d’un ordinateur « high
tech » qui lui permet de parler, de changer d’accent et de changer de
personnalité. Celle-ci tourne en dérision une investigation qui se déroule
pendant à peine sept jours et où s’additionne une série de meurtres au modus operandi « tranchant »
:
« Quel sympathique roman je pourrais écrire
sur une handicapée qui recrute une serial killeuse pour faire le ménage dans son village, se venger de ceux qui l'ont
humiliée et lui permettre d'éprouver un bienheureux sentiment de
toute-puissance. Ça ferait une bonne histoire, non ? »
Il en résulte un récit tricoté serré, au
suspense entretenu par des fins de chapitres qui nous feraient regretter d’en arrêter
la lecture et par le « twist final »
totalement imprévisible.
Dans cette œuvre littéraire politiquement
incorrecte, l’auteur s’est donné la liberté de rire de tout sans tabou :
·
situations
loufoques ;
·
handicapée
qui assume sa condition de « légume » :
« Comme mon visage ne trahit jamais
la moindre émotion, je suis douée pour le mensonge » ;
·
gendarmes
aux dénominations peu orthodoxes (Pascalini et Babiloune) ;
·
héros
que la femme n’a pas quitté, qui est n’est pas alcoolique, dont le « coéquipier [n’est pas] mort sous [ses] yeux et depuis [qui n’est pas] hanté
par des cauchemars parce [qu’il se sent] coupable » ;
·
journaliste
enjôleuse ;
·
monstres
de cirques ;
·
villageois
aux idées arrêtées, aux envies de vengeance et qui, « à cause de ces séries télé ridicules, […] se croient spécialistes des méthodes policières »;
·
touristes
venus du Nord…
Fous rires garantis.
Qui a tué
l’homme-homard ? décortique
également le travail d’écriture de romans policiers tout en lançant de nombreux
clins d’œil aux grands classiques de ce genre littéraire.
Sur le manque de tueuses :
« Tout le monde est d'accord avec ce constat :
on manque de tueuses dans le polar. On n'en peut plus de ces homicides à
testostérone toujours commis par le même profil de malade mental perturbé par
sa mère (car n'oublions pas que si les femmes ne tuent pas, les hommes
assassinent à cause d'elles). »
… les détectives en fauteuils roulants :
« La littérature policière propose des ‘’
détectives en fauteuil ‘’, ces enquêteurs qui résolvent des énigmes par la
logique sans même se rendre sur la scène de crime, mais à part celui de Raymond
Burr dans la série télévisée L'Homme de fer, les fauteuils roulants n'encombrent pas la série noire. Original, un
serial killer en fauteuil l'est tout autant. Imaginons une meurtrière incapable
de tuer de ses propres mains qui pousserait d'autres personnes à le faire à sa
place. Insoupçonnable, elle pourrait même accompagner le policier dans ses
investigations, être aux premières loges pour connaître les développements de
l'enquête et poursuivre ainsi ses crimes en toute impunité. »
… le rôle du narrateur :
« Un narrateur ne raconte pas tout. Il fait des
choix et passe beaucoup de choses sous silence. Il est un manipulateur qui
n'offre à son lecteur que ce qu'il veut bien lui offrir, et qui cache ce qui
l'arrange pour créer un suspense à sa sauce. Position des plus pratiques quand
le narrateur est lui-même le coupable, comme dans Le Meurtre de Roger Ackroyd d'Agatha Christie, mon écrivain préféré. Tata Agatha m'a appris que le
plus amusant quand on raconte une histoire, c'est qu'on balade son lecteur où
on veut. Cela dit, le problème ne se pose pas dans ce récit : je ne suis pas la
tueuse. »
… les types d’enquêteurs :
« On ne compte plus les détectives obèses,
autistes, agoraphobes, philatélistes, schizophrènes, avec toutes les
combinaisons possibles pour un personnage d'enfer : enquêteur claustrophobe et
collectionneur de hamsters empaillés, inspecteur maniaco-dépressif et abonné à Valeurs
actuelles; commissaire asiatique, bisexuel,
psoriasique et recordman de vitesse
du roulage de nems. »
… les personnages principaux et secondaires :
« …
tous les auteurs savent que la clé du
succès, c’est la qualité du personnage de l’enquêteur. »
« Les personnages secondaires, trop souvent
réduits à un stéréotype, peuvent rarement montrer de quoi ils sont capables. »
… le plaisir trouble des lecteurs :
« Que le lecteur de polar qui n'a jamais
éprouvé un plaisir trouble à la lecture d'une scène sanglante me jette la
première pierre. »
… les bandeaux rouges sur les couvertures de
première :
« …le bandeau rouge aguicheur sur couverture
en clair-obscur : ‘’ Julie de Creyssels, la nouvelle reine de l'angoisse ‘’. Ou
mieux, si on veut profiter du label scandinave à forte valeur ajoutée: ‘’ Juliå
Creysselsson, la révélation des brumes nordiques (de la Lozère) ‘’ (+ 18% de
ventes avec un nom en –sson ; + 32% avec une voyelle à bulle). »
Dans la même veine, l’ « handitective » décoche une flèche
au phénomène des polars venus du nord avec l’introduction de touristes
scandinaves (les Beekmans) de passage dans son village et qui « s’expriment en Google traduction » :
« Quelle journée beau et
saperlipopette grâce au l’été avec soleil » :
« Et, comme par hasard, tout a commencé à
l'arrivée des touristes nordiques... J'aurais dû me méfier. Tout le monde sait
depuis les romans Millenium que les
Scandinaves passent leur temps à dissimuler leurs sombres turpitudes sous la
blondeur virginale de leurs têtes d'État-providence. »
Très drôle cette scène dans ce petit village reculé
de Lozère, hyperconnecté grâce à l’initiative de son maire, où les habitants réussissent
à déstabiliser l’enquêteur en trouvant sur Internet des informations
personnelles, tel son « classement
au concours de sous-officiers de gendarmerie » en 2005 (2412e
sur 2415) alors qu’il souffrait d’un « lumbago
très douloureux au moment des épreuves » selon son compte Facebook.
Sans compter que le policier avait eu l’imprudence de publier « la photo de la fête de la bière torse nu
avec la grande rousse ».
Intéressante cette pause que s’accorde la
narratrice pour faire le point sur ce qu’elle a écrit au cours des derniers
jours en s’interrogeant en tant qu’auteur, auteure, autrice, difficile de se « sentir concernée par le débat sur l’écriture
inclusive » puisqu’elle n’est incluse dans rien. Elle fait un retour
sur l’ambiance, le narratif, les péripéties, les personnages principaux, l’arrière-plan
social la dimension philosophique du roman « pour
aider le lecteur réticent à ne lire un polar que pour le plaisir de lire un
polar ».
Aussi l’énoncé du synopsis explicatif de la trame
dramatique livré en un court chapitre, une fois l’énigme résolue. Que vous ne
pourrez vous vanter d’avoir élucidée, car, comme l’énonce si bien l’enquêtrice
à roulettes : « Le lecteur qui
identifie le coupable avant le dénouement se croit très perspicace. En réalité,
on lui a bien mâché le travail ».
J’ai bien aimé ces deux réflexions de la
narratrice :
Les avantages du numérique :
« L'apparition du numérique a été une
bénédiction. Je peux télécharger seule les livres que je veux et les lire sur
mon écran. Oui, je sais, l'objet livre est irremplaçable, la texture du papier,
son odeur, patati, patata. Sauf que moi, je n'ai pas de mains. Alors, e-book. »
Le respect des lois :
« … si l'être humain respecte les lois, ce
n'est pas parce qu'il est naturellement porté vers le bien, mais parce qu'il
vit dans la crainte de perdre sa liberté. Se retrouver encagé tel un animal,
c'est une angoisse pour tous, sauf pour moi. Les barrières morales ne me
concernent pas, car la peur de la punition ne peut m'atteindre. La prison ? J'y
suis déjà, depuis toujours. Un peu plus, un peu moins... »
L’épilogue qui ramène à la triste réalité du
quotidien:
« Voilà, c'est fini. Le mystère est résolu, la
tueuse hors d'état de nuire, les gentils épargnés, ou presque. Happy end. C'est ce que j'aime dans les romans
policiers, il y a toujours un responsable au malheur des gens. C'est formidable
un coupable. On peut focaliser notre haine sur lui, assouvir notre besoin de
vengeance, vivre notre petite catharsis. Et lorsque le châtiment est tombé, on
peut reprendre notre train-train quotidien. Les habitants de Margoujols vont vite
retrouver leurs habitudes, mes parents leur routine, et moi ma prison. Mon
problème, c'est que je n'ai pas de coupable à haïr. On a tué mon corps, on a
volé ma vie, et je n'aurai jamais de responsable sous la main. Les héros
tragiques pouvaient s'en prendre aux dieux, au destin, au Ciel, et vider leur
fiel sur des figures identifiées. Moi, je suis toute seule face à mon malheur.
Victime sans coupable. »
Qui a tué
l’homme-homard ?
est un récit truffé de fausses pistes qui passe en revue de nombreux suspects
tous plus improbables les uns que les autres.
Le 13 juin 2019, le journal La
Croix vantait ainsi les qualités
de l’apprentie détective imaginée par J.M. Erre :
« En conteuse exigeante, elle savoure
l’enchaînement de crimes sanglants propres à maintenir la tension de
l’intrigue, vitupère l’adjudant Pascalini qu’elle ne juge pas à la hauteur des
enjeux de son récit, s’agace de ce que lui impose son « point de vue narratif
interne : des ellipses, des zones d’ombre, des trous dans l’histoire, et c’est
le lecteur qui trinque. » Un tel souci du lecteur réjouit, même si celui-ci est
pris parfois à rebrousse-poil par une touche indéniable de mauvais esprit. Il
referme le livre avec la sensation d’avoir noué une complicité forte avec
Julie, l’héroïne hautement improbable de ce polar aussi noir qu’hilarant. »
Le 7 mars 2019, La grande librairie consacrait un segment de son émission à J.M. Erre, écrivain français originaire de Perpignan qui enseigne le français et le cinéma. Il est l’auteur de neuf romans, de quatre romans jeunesse, de deux pièces de théâtre, d’une bande dessinée et de plus d’une quinzaine de nouvelles. Et récipiendaire de plusieurs prix littéraires.
Au Québec, vous pouvez commander votre
exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer auprès
de votre librairie indépendante.
Originalité/Choix du sujet : *****
Qualité littéraire : *****
Intrigue : *****
Psychologie des
personnages : *****
Intérêt/Émotion
ressentie : *****
Appréciation générale
: *****
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