Pascal Chabaud. – La guerre et le crime. – Chamalières : Christine Bonneton, 2024.
– 251 pages.
Polar historique
Résumé :
Saint-Germain-des Fossés, Allier, février
1942. Le corps du journaliste britannique John McNee est retrouvé dans un wagon
de marchandises à destination de l'Allemagne. Au même moment, deux journalistes
de La Montagne qui font passer des informations à la BBC, interdite en France,
sont séquestrés. Tous trois couvraient le procès de Riom, qui juge les «
responsables de la défaite » de juin 1940. Procès sous haute tension, où le
régime de Vichy joue sa survie, face à une Allemagne qui pousse au retour de
Pierre Laval pour une « collaboration » plus efficace.
Le commissaire Joseph Dumont, aidé de Nestor
Bondu, responsable de la police scientifique de Clermont, plonge à nouveau dans
les aspects les plus sombres de l'âme humaine, tandis que sa sœur Irène
traverse la zone sud jusqu'au camp de Gurs, où elle apprend la vérité sur le
père de son fils, républicain espagnol, et découvre les atrocités commises
pendant la guerre d'Espagne.
Commentaires :
En préface, Françoise Fernandez, professeur
honoraire, agrégée d’histoire, décrit en quelque paragraphe la trame dramatique
de la troisième enquête du commissaire Joseph Dumont, « une sorte de Bernie Gunther, le détective
privé campé sous le Troisième Reich imaginé par Philippe Kerr », et le
contexte historique : le procès avorté à Riom
(1942) des « dirigeants du Front
populaire accusés par le régime de Vichy d’être responsables de la défaite de
1940 », la Retirada espagnole vers
les camps au sud de la France – dont celui de Gurs – l’appel à la
résistance des partisans de la république espagnole, les répressions fascistes
et la chute de Barcelone.
Encore une fois, Pascal Chabaud nous livre un
récit captivant mettant en scène une galerie de nombreux personnages réels et imaginés
qui nous plongent dans la noirceur d’une période trouble de l’histoire de
France. Un scénario découpé en 24 chapitres aux repères chronologiques annoncés
par des manchettes tirées de deux quotidiens de Clermont-Ferrand entre le 16
février et le 20 avril 1942 permettant de contextualiser l’action : La Montagne
et L’Avenir du
Plateau central. Exemple pour le chapitre 8 :
« Le Maréchal Pétain visite
une exposition de
jouets. »
La
Montagne,
27 février 1942
Avec quelques références aux deux romans
publiés antérieurement – Mort
d’un sénateur » et « Tuer
Pétain », l’auteur nous rappelle les antécédents des personnages
fictifs qui entourent son protagoniste : sa sœur Irène, son père Blaise
Dumont sympathisant d’extrême droite, Nestor Bondu et sa boîte à outils de
police scientifique – « appareil photo, sachets pour prélèvements, double
décimètre, poudres et pinceaux » –, un certain Jacques Cartier à « l’accent de la Belle Province » apparu
la première fois dans « Tuer Pétain »
« La
guerre et le crime » est aussi un roman didactique. Il nous fait
découvrir les possibilités d’un nouveau produit pour l’époque, l’Hémolux – équivalant du Luminol – pour « reconstituer les différents éléments d’une
scène de crime ». On y apprend aussi qu’on appelait pianistes « les opératrices (opérateurs) radio qui envoyaient leurs messages en
morse ».
J’y ai découvert
·
le
Bespoke britannique, « un accord implicite, mais très fort entre le
tailleur et son client qui doit amener à la satisfaction totale des deux
parties » ;
·
« les peintures de protection des phares pour
la défense passive » limitant « l’éclairage au strict nécessaire » ;
·
les
expressions
o
« piquer un phare » : rougir
subitement par émotion, par pudeur ou par embarras ;
o
« taper le carton » : jouer aux
cartes ;
o
« doryphore », insecte très dangereux
pour les plants de pommes de terre : nom aussi donné aux soldats allemands
;
o
« chasse-roue » (dont il en existait au
moins un sur la rue Saint-Louis, dans le Vieux-Québec !) ;
o
« ventes » : « parcelles forestières exploitées selon une
rotation centennale » ;
·
le
pseudonyme de Jean Moulin dont
le message émouvant aux résistants est cité : « Rex » ;
·
l’« autocar à gazogène » ;
·
la
« tarte à la purée, ou gougère
bourbonnaise [...] spécialité salée,
composée de pommes de terre écrasées et de fromage blanc » ;
·
« Gauleiter » : fonctionnaire
du parti nazi, responsable d'un Gau, une circonscription territoriale.
De nombreuses notes en bas de page apportent
des précisions sur certains événements, les noms modernes des lieux mentionnés,
des pièces musicales ou le rôle joué par un grand nombre d’acteurs réels. Ces
compléments d’information, parfois des références documentaires, sont
particulièrement utiles pour quiconque n’est pas féru d’histoire de France à cette
époque.
Le style, le vocabulaire et l’écriture fluide
de celui qui a consacré sa vie professionnelle à l’enseignement de l’histoire
et de la géographie contribuent à rendre ce roman accessible pour un large
public. Les descriptions imagées et concises des lieux campent l’action en
quelques phrases. À titre d’exemple, le décor vivant de la Cour suprême :
« ...
une immense table en forme de fer à
cheval recevait la Cour et renforçait l'impression d'enfermement que devaient
ressentir les cinq accusés. Leurs tables étaient situées en face, côte à côte
et deux par deux. Les témoins seraient installés dans un fauteuil, au centre de
la salle, face au Président, tournant le dos aux accusés qui eux-mêmes
tournaient le dos au public. »
Il en est ainsi pour les descriptions des personnages, des ambiances – l’arrivée des accusés au tribunal, la cérémonie funèbre en présence du Maréchal Pétain à l’église Saint-Louis en l’honneur des 500 civils tués dans un bombardement de la RAF sur les usines Renault de Billancourt, l’aller-retour en train d’Irène entre Clermont et le camp de Gurs, le récit de la mort de Pilar en sont quelques exemples –.
Au point où il m’est arrivé de visualiser un geste, de ressentir un malaise et une émotion ainsi que de l’empathie à l’égard de ces hommes, de ces femmes et de ces enfants pénalisés par un régime politique manipulé depuis Berlin. Dans une France « libre » ou « les lois n’étaient plus votées par la représentation nationale, mais exprimées par un chef de l’État qui s’était attribué les pouvoirs législatif, exécutif et même judiciaire ! »
« Dans quel monde vivons-nous ? Dans lequel on
ne peut offrir que deux repas par jour à ses enfants ? Où le moindre légume
coûte une semaine de salaire ? » Alors que « les produits essentiels étaient introuvables, les œufs et le lait étant
distribués avec parcimonie. »
Pascal Chabaud sait également entretenir le
suspense quand, pour dévoiler des informations sensibles, il fracture les
dialogues évocateurs en les intercalant dans une séquence d’actions elle aussi
découpée en fragments. Avec comme conséquence l’envie de poursuivre la lecture
pour connaître les tenants et aboutissements de l’histoire.
J’ai évidemment aimé les liens qu’a tissés
l’auteur avec
·
le
rappel des conséquences de la Guerre d’Espagne et des massacres des populations
basques – dont le bombardement de Guernica – et catalanes opposées au régime
franquiste ;
·
l’appel
à la résistance – « ¡ No Pasarán ! »
« Ils ne passeront pas » – des
républicains espagnols par Dolorès Ibarruri,
députée des Asturies ;
·
la
« Desbanda : un des
épisodes les plus tragiques de la guerre d’Espagne : plus de 5 000
personnes qui fuyaient Malaga, sauvagement tuées par les franquistes sur la
route Almería ;
·
l’évocation
d’un « futur débarquement à partir
de l’Angleterre... » ;
·
la
maison Conchon-Quinette, entreprise française de confection de vêtements, qui
embauche la sœur de Joseph Dumont ;
·
la
loi « sur le statut des Juifs » :
« Est regardé comme Juif: celui ou celle,
appartenant ou non à une confession quelconque, qui est issu d'au moins trois
grands-parents de race juive, ou de deux seulement si son conjoint est lui-même
issu de deux grands-parents de race juive. Est regardé comme étant de race
juive le grand-parent ayant appartenu à la religion juive. [...] Les Juifs ne
pourront, sans condition ni réserve, exercer l'une des professions suivantes : [...]
directeurs, administrateurs, gérants d'entreprises ayant pour objet la
fabrication, l'impression, la distribution, la présentation de films
cinématographiques. » ;
·
le
film « Remorques » (1941) de
Jean Grémillon avec Jean Gabin, Madeleine Renaud, Fernand Ledoux et Michèle
Morgan.
J’ai rigolé sur l’idée de départ loufoque
d’une strophe de l’opérette La Belle de
Cadix (1945) – parolier Maurice Vandair, musique de Francis Lopez –
inspirée de la tirade de Nestor Bondu à propos des compétences mécaniques des
Andalous : « ... les bielles de
Cadix ont l’essieu de velours ! »
Et ce clin d’œil de ce dernier, ou de
l’auteur, c’est selon :
« La guerre expliquée aux enfants par Joseph
Dumont ! Tu aurais pu être prof ! »
Sans oublier quelques références
culinaires :
·
« Les conserves de la famille » aux
éditions du Secours national,
·
« Manger... quand même »,
·
« Ma cuisine des jours sans » proposant,
entre autres, « des pommes de terre
en brioche... sans pomme de terre ! » et
·
« Cuisine et restrictions » du Dr Bernard Pomiane,
auteur d’une « vingtaine d’ouvrages
sur l’hygiène alimentaire que l’on n’appelait pas encore la ‘’ diététique ‘’ ».
Noté au passage :
« Une idée qui m’a traversé la tête, mais pas
trop vite pour que je l’arrête. »
Une courte biographie invite les lecteurs à
en apprendre davantage sur l’histoire de Vichy, le procès de Riom, Pétain, la
Guerre d’Espagne et le camp de Gurs.
Quant aux derniers chapitres, ils annoncent
une quatrième enquête du commissaire Dumont qui sera très certainement aussi
passionnante dans ce devoir de mémoire que s’est donné Pascal Chabaud.
* * * * *
Pascal Chabaud a enseigné l'histoire et la géographie pendant 40 ans avant de se lancer tardivement dans l'écriture de polars historiques. Installé en Auvergne, il a choisi de situer ses intrigues pendant la Seconde Guerre mondiale, en plaçant ses personnages au plus près du pouvoir, à Vichy.
Merci aux Éditions Christine Bonneton pour le
service de presse.
Au Québec, vous pouvez commander votre
exemplaire numérique sur le site leslibraires.ca
et le récupérer auprès de votre librairie indépendante.
Originalité/Choix du sujet : *****
Qualité littéraire : *****
Intrigue : *****
Psychologie des
personnages : *****
Intérêt/Émotion
ressentie : *****
Appréciation générale
: *****
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