Martin Michaud. – Points de fuite T.01. – Montréal : Libre Expression, 2023. – 466 pages.
Thriller psychologique
Résumé :
Un conflit ouvert entre deux puissantes
familles du milieu de l'art de Baie-Saint-Paul culmine, dans les années 1990,
avec l'enlèvement de la petite Rosalie Lavoie. En toile de fond, le vol jamais
élucidé du Musée des beaux-arts de Montréal, survenu en 1972, et un tableau
mythique que des forces occultes tentent de s'approprier.
Suspendue de la SQ à la suite d'une
intervention qui a dérapé après la disparition de sa sœur, une jeune
patrouilleuse va découvrir que le passé de sa famille cache un monde de
dissimulation où la vérité a plusieurs visages.
Commentaires :
Après avoir lu tous les autres romans publiés
par Martin Michaud, j’avoue qu’il m’a fallu compléter la lecture de plusieurs
chapitres pour apprivoiser la galerie de nouveaux personnages qu’il met en
scène, à démêler ceux qui appartiennent aux deux familles qui s’affrontent, les
Lavoie et les Lazare, et à intégrer au récit ceux qui surgissent de nulle part
sans suite immédiate. Le tout enrobé d’une écriture très dense, très documentée
avec comme résultat une intensité dramatique soutenue. En tournant la dernière
page, je me suis dit que, si j’en avais le temps, une relecture permettrait
probablement davantage d’apprécier les subtilités du récit au scénario fort
bien tricoté.
J’ai trouvé intéressant que la trame
dramatique s’articule autour d’un fait historique avéré, le vol
de 1972 au Musée des Beaux-Arts de Montréal, et d’y avoir associé un de ses
personnages. Ainsi que la disparition de
trois tableaux de Riopelle aussi à Montréal en 1999 (étrange référence compte
tenu que l’action se situe entre 1992 et 1997). La table est mise pour une saga
autour d’un tableau mythique d’Esmé Hoffmann, « ...symbole du combat des femmes qui triomphent et reprennent leurs droits
sur ceux qui les ont spoliées de leur pouvoir, de leur expression, de leur
liberté et du contrôle sur leur vie. »
« Points
de fuite » est un plaidoyer senti et fervent pour l’égalité hommes
femmes et le droit de celles-ci, mais aussi pour la paix, la recherche de la
vérité et le rôle de l’art pour contrer l’incertitude :
« Pourquoi tant de haine entre les êtres
humains? Si on pouvait s'élever au-dessus de tout ça, transcender nos
différences et nos divisions. All brothers and sisters. Au lieu de se battre
entre nous, c'est un combat pour la paix et la nature qui devrait nous unir, on
devrait se respecter, et prendre soin de la planète et des plus vulnérables. »
« Parfois, la vérité est là, devant nos yeux,
mais on a besoin de la bonne perspective pour la voir. Quand les faits peuvent
être façonnés pour ressembler à la vérité, ça peut être difficile de discerner
le réel de l'imaginaire. Il y a des moments où on doit faire confiance à notre
instinct, à notre jugement, mais il est aussi important de questionner, de
chercher des preuves et de confronter les faits à différentes sources. »
« Toute sa vie, l'humain se raconte des
histoires qui sont des accommodements de la réalité en sa faveur. Et quand nos
repères s'effritent, quand le doute prend le dessus, les peurs et l'anxiété
s'amplifient. On se met à imaginer des scénarios et à se raconter des fables,
des probabilités. C'est vrai dans nos vies intimes et ça l'est encore davantage
à l'échelle de l'humanité. [...] Quand on ne comprend plus à qui ou à quoi on
fait face, devant l'incertitude, quand on a besoin de sens, on invente une
histoire pour se rassurer, pour traverser la nuit, pour éloigner la peur. On
s'en remet à l'art, à notre capacité à créer le monde et à le réinventer, en
trouvant le vrai dans l'inventé, en comblant les vides, en prêtant notre voix à
ceux qui n’en ont pas. »
Le roman se déroule à Baie-Saint-Paul, à New
York, à Matamoros au Mexique, avec trois rappels des événements de Montréal du
4 septembre 1972 :
Ouverture
1997
Le
vol du siècle – I (4 septembre 1972)
Montréal,
Baie-Saint-Paul (24 août 1992) : chapitres 1-4
Le
vol du siècle – II (4 septembre 1972)
Baie-Saint-Paul (24 août 1992) : chapitre 5-6
Baie-Saint-Paul (12 octobre 1997) : chapitre 7-8
Baie-Saint-Paul (24 août 1992) : chapitres 9-41
Le
vol du siècle – III (4 septembre 1972)
Chapitres
42-51 (aucune date)
Fermeture (aucune date)
Pour donner un sens à certaines situations, l’auteur
utilise de brefs retours en arrière sous forme de texte en italique.
Cela dit, la mise en page m’est apparue
déroutante !
Comme l’action est campée dans le monde des
arts et, plus spécifiquement, la peinture, Martin Michaud partage avec son
lectorat des réflexions intéressantes
... sur l’art :
« ...
l’art, c’est ni une chose ni une simple
imitation de la nature. C’est la marque que l’homme laisse de ses idées dans le
monde. »
« Le sens d’une peinture se cache sur tous les
côtés d’une toile. »
« ...
un artiste, quand il peint une toile, il
peut réussir à créer un monde imaginaire qui en dit plus sur nos sentiments que
les mots. Ou alors il peut choisir de représenter le monde tel qu'il est. Mais
le truc qui compte vraiment, c'est ce que toi, tu vois dans ce tableau. Et ce
que tu y vois peut être très différent de ce que les autres y voient. C'est la
même chose pour la vérité. [...] Pourquoi
deux personnes regardent le même tableau et y voient des choses différentes?
Parce que nos émotions, nos souvenirs, notre éducation, nos croyances, tout ça
change la façon dont on perçoit les choses. Pour une personne, un tableau peut
représenter quelque chose de profondément vrai. Pour une autre, ce n'est qu'une
illusion. C'est pour ça qu'il faut essayer de garder une certaine objectivité
quand on cherche la vérité. Il faut être capable de mettre de côté nos propres
expériences pour voir les choses à travers les yeux des autres. »
... au sujet d’.une toile d’une toile :
« Dans le cône de lumière se profilaient les
deux mammifères au pelage mordoré, décalés l'un de l'autre dans deux cavernes
verdâtres aux parois limoneuses, la femelle plus imposante à l'avant-plan et
dans une attitude affirmée, dominatrice, un coin de ciel turquoise et laiteux
au-dessus de sa tête tournée vers l'entrée, plus musculeuse aussi que le mâle,
que le pinceau de la lampe découvrit prostré en position inverse, dos à
l'entrée de la grotte, tête tournée vers le sol, menton contre la poitrine,
dans une posture évoquant autant la soumission que l'humilité ou le
recueillement. »
L’auteur nous fait aussi découvrir le travail
technique d’un faussaire en décrivant longuement la préparation des pigments,
la fabrication de faux châssis (cadres) à partir de meubles anciens de la même
époque que les toiles et le modus operandi d’un faussaire :
« Et alors qu'il travaillait, il ne se
contentait pas de copier. Il se plongeait dans le tableau, ressentait les
émotions que l'artiste original avait peut-être éprouvées avec autant sinon
davantage d'intensité, et les transposait sur la toile. C'était un travail
d'adoration autant que de tromperie, un hommage en même temps qu'un outrage à
un artiste depuis longtemps disparu. »
Sans oublier les stratégies spéculatives de certains galeristes :
« En 1951, mon père reçoit un appel de sa grande amie, la baronne Marie-Claire de Rothschild. Elle est à Paris, elle assiste à des enchères privées à la Galerie Jacques Seligmann. Le Esmé fait partie des lots. Mon père lui donne instruction de s’en porter acquéreur à n'importe quel prix. La baronne réussit à acheter le tableau pour 30 000 dollars. Mon père le lui rachète pour 50 000 dollars de gré à gré quelques jours plus tard, les 20 000 dollars d'extra constituant la commission de la baronne [...]. Dans ce cas, à quoi rime l'enchère de 1965 ? Pourquoi l'avoir racheté 350 000 dollars et comment le tableau s'est-il retrouvé de nouveau sur le marché ? [...] Ce sont des stratégies de galeristes pour faire apprécier les œuvres. — De la spéculation. »
« Points
de fuite » flirte avec le paranormal et le culte vaudou :
« Des forces qu’on ne peut pas toujours
comprendre ou expliquer rationnellement guident nos vies. On les voit pas
toujours, mais elles sont là, elles tissent des liens entre ceux qui nous ont
quittés et nous. »
« Un tambour vaudou se fit entendre et des
danseurs entrèrent alors dans le cercle de lumière, leurs corps peints de symboles
tribaux, leurs mouvements hypnotiques.
Le leader du culte
commença à psalmodier dans une langue ancienne, sa voix se mêlant au
crépitement du feu et au battement du tambour. Le rituel du sacrifice à la nuit
pour apaiser les esprits et garantir la ‘’ chance ’’ au projet ambitieux du
chef du cartel se mettait en branle. »
Martin Michaud excelle dans les descriptions
de personnages et de lieux comme dans ces trois exemples :
« Félix Wadih Hassan avait vingt et un ans. Né
au Québec de parents libanais, il avait une apparence qui ne laissait personne
indifférent. Ses traits symétriques et ses yeux noirs profonds captivaient les
regards, mais ce n'était pas là l'essentiel. Peau mate et longs cheveux foncés,
il émanait de lui une aura de gentillesse naturelle, une empathie sincère,
comme s'il était capable de mettre instantanément les gens à l'aise autour de
lui. »
« L'homme à la tunique pourpre fit irruption
dans la pièce, se déplaçant avec une lenteur prédatrice. Son capuchon enfoncé
jusqu'aux yeux, ses mains dissimulées dans ses manches, il semblait engloutir
la lumière ambiante, comme si les ténèbres l'avaient accompagné dans la pièce. »
« La maison de ferme centenaire était une
bâtisse en pierre de taille austère et imposante, avec un toit en tôle noire.
L'édifice était doté de murs épais et de fenêtres étroites qui donnaient
l'impression que la maison avait traversé les siècles sans fléchir. L'entrée
était ornée d'un porche soutenu par des colonnes en pierre et d'un escalier
monumental qui descendait jusqu'au grand stationnement en terre battue. »
Les scènes de fusillades et de poursuites entre
de nombreuses visites des différentes salles d’interrogatoire au poste de la
Sûreté du Québec (SQ) de Baie-Saint-Paul sont très réalistes. Par contre,
celles de la générosité du chauffeur de taxis new-yorkais et de la conseillère
de la boutique de mode luxueuse de la Grosse pomme, celle où Alice Lavoie s’élance
dans une course effrénée en escarpin à talon fin à New York ou celle du
lieutenant de la SQ qui fait disparaître à l’eau de javel des indices dans sa
voiture de fonction m’ont laissé dubitatif. Aussi étonné par l’âge du cerveau derrière
l’enlèvement de la petite Rosalie !
J’ai apprécié la psychologie émotionnelle du
lieutenant à la tête du poste de police de Baie-Saint-Paul et la découverte d’une
institution, la Frick Art Reference Library de New
York, qui a pour mission de fournir un accès public aux documents et aux
programmes axés sur l’étude des beaux-arts et des arts décoratifs créés dans la
tradition occidentale du IVe au milieu du XXe siècle. Et
j’ai appris deux nouveaux mots à glisser dans la conversation d’un souper du
samedi soir : « pétrichor » et « gammarides ». Et j’ai souri en constatant
qu’un des protagonistes a pris la fuite en direction du Costa Rica, une
constante dans plusieurs polars ! Et sur cette mention qui m’a rappelé des
souvenirs d’adolescence :
« On avait un seul jeu de société à la maison.
Les Grands Maîtres, que ça
s’appelait. Un jeu de vente aux enchères de tableaux. »
Mensonges, demi-vérités, secrets de famille, trois expressions en toile de fond de ce thriller psychologique qui illustrent bien que la vérité a plusieurs visages « ... dans le monde de l’art, comme dans la vie, il y a parfois des points de fuite. » J’ai bien hâte de lire le deuxième tome de ce triptyque dans lequel la plupart des protagonistes deviennent des personnages principaux dont les destins se croisent au fil de l’intrigue.
* * * * *
Reconnu par la critique comme le maître du thriller québécois, Martin Michaud a pratiqué le métier d'avocat d'affaires pendant vingt ans avant de se consacrer pleinement à l'écriture. Ses romans lui ont valu un vaste lectorat au Québec, au Canada, aux États-Unis, en Allemagne, ainsi qu'en Europe francophone, de même que de nombreux prix littéraires. Il a scénarisé pour la télé la série Victor Lessard, qui a remporté le premier prix au Banff World Media Festival et cumulé plus de six millions de visionnements sur Club Illico.
Au Québec, vous pouvez commander votre
exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer auprès
de votre librairie indépendante.
Originalité/Choix du sujet : *****
Qualité littéraire : *****
Intrigue : *****
Psychologie des
personnages : *****
Intérêt/Émotion
ressentie : *****
Appréciation générale
: *****
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