Je suis Pilgrim (Terry Hayes)


Terry Hayes. – Je suis Pilgrim. – Paris : JC Lattès, 2017. – 911 pages.

 

Thriller

  

 

 

 

 

Résumé :

 

Une jeune femme assassinée dans un hôtel sinistre de Manhattan. Un zoologiste, père de famille, décapité en public sous le soleil d'Arabie Saoudite. Le directeur adjoint d'un institut médical énucléé en Syrie. Un complot visant à commettre un effroyable crime contre l'humanité. Et en fil rouge, reliant ces événements, un dénommé Pilgrim. Pilgrim n'existe pas officiellement.

 

Sous ce nom de code se cache un homme qui, autrefois, a dirigé une unité d'élite des services secrets et qui, avant de se retirer dans l'anonymat le plus total, a écrit un livre de référence sur la criminologie et la médecine légale. Un homme rattrapé par son passé d'agent secret.

 

 

Commentaires :

 

On me l’avait chaudement recommandé, à plusieurs reprises. L’imposant pavé de 900 pages me faisait reporter dans le temps la lecture de ce thriller captivant qui plonge le lecteur dans un tourbillon d'intrigues internationales, de mystères et de suspense. Je ne raffole pas des romans d’espionnage qui nous égarent souvent dans un labyrinthe de multiples personnages et organisations officielles ou clandestines aux acronymes plus ou moins abscons. J’ai découvert dans « Je suis Pilgrim », tel qu’annoncé dans les critiques dithyrambiques qui ont été publiées dès sa sortie, une véritable prouesse narrative qui mérite certainement une place de choix dans ce genre littéraire.

 

Terry Hayes maîtrise l'art du suspense. Chaque chapitre se termine sur une finale ouverte (cliffhanger) qui, laissant le lecteur en suspens, lui donne envie de connaître la suite du récit. Pour savoir, par exemple,  comment le personnage va s'extirper de la situation difficile où il se trouve. Avec un dénouement qui surviendra parfois quelques chapitres plus loin. Le scénario ingénieux – l’auteur étant scénariste de métier – est construit de manière à mettre en place au gré du récit tous les éléments de l’intrigue que le lecteur découvre jusqu’à la dernière page leurs interrelations.

 

Le rythme est effréné. Il alterne entre la progression des recherches de Pilgrim, l’agent de la CIA, et celle du projet funeste de Sarasin, le bioterroriste, créant ainsi une tension constante et palpable.

 

Les caractéristiques physiques et psychologiques des différents personnages – principaux ou secondaires – sont particulièrement éloquentes. Chacun évolue dans cette course contre la montre avec ses propres motivations. Pilgrim est un héros complexe, marqué par son passé et ses actions, mais déterminé à empêcher une catastrophe imminente. Le bioterroriste, Sarasin, quant à lui, est un antagoniste fascinant, dont les actions sont motivées par une combinaison de désespoir personnel et de convictions idéologiques.

 

La richesse des détails est une autre force de « Je suis Pilgrim ». L’auteur a dû effectuer des recherches approfondies, que ce soit sur les procédures des services de renseignement, les cultures et les langues, ou encore les technologies modernes. Cela ajoute une couche de réalisme qui rend l'histoire encore plus immersive. La scène de torture dans l’amphithéâtre romain de Bodrum donne littéralement froid dans le dos.

 

Terry Hayes excelle également dans les mises en situation et dans les descriptions de personnages comme l’illustrent bien ces deux exemples :

 

« Le garçon, entouré de sa mère et de ses deux sœurs, resta un bon moment dans l’obscurité qui était en train de les envelopper, à regarder les feux arrière de leur vie passée disparaître dans la nuit. »

 

« La quarantaine à peine, coiffé en banane, chemise à col ouvert et cordage de chaînes en or autour du cou assez gros pour maintenir un paquebot à l’ancre. »

 

Malgré la densité de l'information et le nombre de sous-intrigues, la lecture du thriller intelligent et bien ficelé de Terry Hayes dont le rythme rapide est assorti de nombreux détails techniques est loin d’être complexe et exigeante.

 

« Je suis Pilgrim » m’a fait découvrir l’existence du système Échelon, nom de code utilisé par les services de renseignement des États-Unis pour désigner un réseau utilisé pour la surveillance et l'interception des télécommunications. Et de Stille Hilfe, une organisation « qui avait aidé des nazis en fuite, surtout des membres importants de la SS, à quitter l’Europe. C’était un des meilleurs réseaux clandestins ayant jamais existé. »

 

J’y ai aussi appris que la polio avait 7 741 paires de bases formant un  échelon de l’échelle de son ADN et que la variole – il en existe deux formes : la Variola minor appelée petite vérole et la Variola major – en comptait 185 578. D’où la difficulté de recréer un virus dont l’éradication globale a été certifiée par une commission d'experts en 1979 et déclarée officiellement par l'OMS le 1980. À la suite de ce succès, la vaccination systématique n'est plus appliquée, elle n'est employée aujourd'hui que dans les forces armées et les laboratoires.

 

J’ai découvert de nouveaux mots tels que « équanimité », égalité d’âme, d’humeur ; « pédiluve », bassin peu profond destiné à laver les pieds avant la baignade ; « kleptocratie », système politique au sein duquel une ou plusieurs personnes, à la tête d'un pays, pratiquent à une très grande échelle la corruption, souvent avec des proches et membres de leur famille.

 

Sans oublier cette référence à une nuit de mai 1933, alors que « les nazis ont attiré une foule de gens qui portaient des torches sur cette place [Babelplatz à Berlin] et mis à sac la bibliothèque de l'université Friedrich-Wilhelm voisine. Quarante mille personnes se sont réjouies de les voir brûler plus de vingt mille livres d'écrivains juifs. Bien des années plus tard, un panneau de verre a été scellé dans le sol à l'emplacement du bûcher. C'est une fenêtre et, en se penchant, on voit la pièce qui se trouve en dessous. Elle est blanche et, du sol au plafond, tapissée d'étagères [...] une bibliothèque vide. [...]  Le genre de monde dans lequel nous aurions vécu si les fanatiques avaient gagné. [...] Un sacré mémorial. [...] plus efficace que n'importe quelle statue. »

 

Et celle concernant l’utilisation de vecteurs humains dans un contexte de guerre bactériologique :

 

« Il y a quatre mille ans, les Hittites envoyèrent des gens porteurs de la peste dans les villes de leurs ennemis. [...] Même les soldats britanniques – qui n'étaient pas précisément des génies scientifiques – ont eu l'idée d'utiliser des articles contaminés pour éliminer [les] Amérindiens. [...] Des couvertures qui venaient tout droit des salles d'hôpitaux où on soignait la variole. [...] Chaque semaine, il y a un article sur de la nourriture pour animaux domestiques empoisonnée venant de Chine qui est saisie, de dentifrices frelatés découverts sur les quais, de nourriture pour bébés contenant de la mélamine. Et ce sont des accidents. Imaginez comme ce serait facile de faire ça délibérément. »

 

J’ai souri en lisant ce passage quelques jours après la controverse entourant un tableau de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris mettant en scène Philippe Katerine personnifiant Dionysos:

 

« ... il y avait un groupe de panneaux qui avaient été assemblés bord à bord et fixés à un mur. Réalisés à partir des énormes plaques photographiques utilisées pour leur restauration, ils avaient été mis ici pour l'inspiration, ou bien comme témoignage du travail exceptionnel de ces ateliers. Ils représentaient La Cène de Leonard de Vinci. Elle était grandeur nature, aussi vivante que si elle avait été peinte la veille et, l'espace d'un instant, je me suis imaginé ce que cela avait dû être d'entrer dans le couvent de Santa Maria delle Grazie cinq cents ans plus tôt et de la voir pour la première fois. »

 

Terry Hayes a réussi à créer une histoire intense et engageante qui tient le lecteur en haleine du début à la fin. C'est un roman que je recommande vivement à tous les amateurs de suspense et de complots internationaux.

 

Comme dans mes avis de lecture précédents, j’ai noté au passage ces quelques réflexions philosophiques :

 

« Le problème avec la guerre, c’est qu’elle entraîne la disparition des valeurs mêmes pour lesquelles vous combattez – la justice, la morale, l’humanité – ... »

 

« ... les généraux sont toujours en train de préparer la dernière guerre, pas la prochaine. »

 

« Le problème avec le métier d’espion, c’est qu’on peut démissionner, mais on ne le quitte jamais tout à fait [...] dans ce métier, on n’apprend rien de ses erreurs. On ne vous en donne pas l’occasion. Il en suffit d’une et vous êtes mort. »

 

« ... c’est un Américain qui a déclaré un jour qu’on peut tuer un penseur mais qu’on ne peut pas tuer la pensée. »

 

« ... à l’armée, comme dans la vie civile, il faut parfois provoquer une crise pour attirer l’attention des gens. »

 

« ... quand on attend la fin du monde, le temps s’écoule lentement. »

 

« Tout le monde, tôt ou tard, s’assied au banquet des conséquences. »

 

« ... dans une guerre, la première victime, c’est la vérité. »

 

« On dit que les hommes qui meurent sur un champ de bataille ont presque toujours les doigts qui se crispent au sol, tentent de s’agripper à la terre, à la souffrance et à l’amour qu’elle renferme. »

« Comme un écrivain suisse [Max Frisch] l'a dit un jour : ‘’ Nous voulions de la main-d'œuvre, mais ce sont des êtres humains qui sont venus ‘’, et ce que personne n'avait prévu, c'est que ces travailleurs amèneraient avec eux leurs mosquées, leur livre saint et des pans entiers de leur culture. »

On attend la sortie fin 2025 début 2026 d’un film qui devrait être réalisé par James Gray. Considérant la densité du scénario, « Je suis Pilgrim » se prêterait plutôt, selon moi, à la production d’une télésérie.

 

J’ai noté plusieurs coquilles dans cette édition de poche qui, à moins que je me trompe, est une réplique du grand format publié antérieurement par un éditeur aussi prestigieux.

 

* * * * *

Terry Hayes est un scénariste, un romancier et un producteur anglo-australien. Né en Angleterre, il émigre dès son plus jeune âge en Australie, où il suit une formation de journaliste. À vingt et un ans, il est correspondant pour la presse australienne en Amérique du Nord, et est basé à New York. Deux ans après, il retourne à Sydney et y travaille comme journaliste d'investigation, journaliste politique et chroniqueur. Après plusieurs années en journalisme, il rencontre le réalisateur de cinéma australien George Miller avec qui il collabore à la novélisation du scénario de « Mad Max ». Miller embauche ensuite Hayes pour écrire avec lui le scénario de « Mad Max 2 ». Hayes, qui devient ensuite scénariste et producteur pour le cinéma et la télévision, s'installe à Hollywood. Il signe, en 1989, les scénarios de « Dead Calm », adapté d'un roman éponyme de Charles Williams, et de « From Hell » (2001). Il est également scénariste et producteur de la minisérie télévisée « Bangkok Hilton » (1989). « Je suis Pilgrim », son premier roman est rapidement devenu un succès de librairie international. En mars 2024, il publiait son deuxième roman : « L’année de la sauterelle ».

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer auprès de votre librairie indépendante.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  *****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie : *****

Appréciation générale : *****


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