La guerre et le crime (Pascal Chabaud)


Pascal Chabaud. – La guerre et le crime. – Chamalières : Christine Bonneton, 2024. – 251 pages.

 

Polar historique

 

 

 

 

 

Résumé :

 

Saint-Germain-des Fossés, Allier, février 1942. Le corps du journaliste britannique John McNee est retrouvé dans un wagon de marchandises à destination de l'Allemagne. Au même moment, deux journalistes de La Montagne qui font passer des informations à la BBC, interdite en France, sont séquestrés. Tous trois couvraient le procès de Riom, qui juge les « responsables de la défaite » de juin 1940. Procès sous haute tension, où le régime de Vichy joue sa survie, face à une Allemagne qui pousse au retour de Pierre Laval pour une « collaboration » plus efficace.

 

Le commissaire Joseph Dumont, aidé de Nestor Bondu, responsable de la police scientifique de Clermont, plonge à nouveau dans les aspects les plus sombres de l'âme humaine, tandis que sa sœur Irène traverse la zone sud jusqu'au camp de Gurs, où elle apprend la vérité sur le père de son fils, républicain espagnol, et découvre les atrocités commises pendant la guerre d'Espagne.

 

 

Commentaires :

 

En préface, Françoise Fernandez, professeur honoraire, agrégée d’histoire, décrit en quelque paragraphe la trame dramatique de la troisième enquête du commissaire Joseph Dumont, « une sorte de Bernie Gunther, le détective privé campé sous le Troisième Reich imaginé par Philippe Kerr », et le contexte historique : le procès avorté à Riom (1942) des « dirigeants du Front populaire accusés par le régime de Vichy d’être responsables de la défaite de 1940 », la Retirada espagnole vers les camps au sud de la France – dont celui de Gurs – l’appel à la résistance des partisans de la république espagnole, les répressions fascistes et la chute de Barcelone.

Encore une fois, Pascal Chabaud nous livre un récit captivant mettant en scène une galerie de nombreux personnages réels et imaginés qui nous plongent dans la noirceur d’une période trouble de l’histoire de France. Un scénario découpé en 24 chapitres aux repères chronologiques annoncés par des manchettes tirées de deux quotidiens de Clermont-Ferrand entre le 16 février et le 20 avril 1942 permettant de contextualiser l’action : La Montagne et L’Avenir du Plateau central. Exemple pour le chapitre 8 :

 

 « Le Maréchal Pétain visite

une exposition de jouets. »

La Montagne, 27 février 1942

 

Avec quelques références aux deux romans publiés antérieurement – Mort d’un sénateur » et « Tuer Pétain », l’auteur nous rappelle les antécédents des personnages fictifs qui entourent son protagoniste : sa sœur Irène, son père Blaise Dumont sympathisant d’extrême droite, Nestor Bondu et sa boîte à outils de police scientifique – « appareil photo, sachets pour prélèvements, double décimètre, poudres et pinceaux » –, un certain Jacques Cartier à « l’accent de la Belle Province » apparu la première fois dans « Tuer Pétain »  

 

« La guerre et le crime » est aussi un roman didactique. Il nous fait découvrir les possibilités d’un nouveau produit pour l’époque, l’Hémolux – équivalant du Luminol – pour « reconstituer les différents éléments d’une scène de crime ». On y apprend aussi qu’on appelait pianistes « les opératrices (opérateurs) radio qui envoyaient leurs messages en morse ».

 

J’y ai découvert

·        le Bespoke britannique, « un accord implicite, mais très fort entre le tailleur et son client qui doit amener à la satisfaction totale des deux parties » ;

·        « les peintures de protection des phares pour la défense passive » limitant « l’éclairage au strict nécessaire » ;  

·        les expressions

o   « piquer un phare » : rougir subitement par émotion, par pudeur ou par embarras ;

o   « taper le carton » : jouer aux cartes ;

o   « doryphore », insecte très dangereux pour les plants de pommes de terre : nom aussi donné aux soldats allemands ;

o   « chasse-roue » (dont il en existait au moins un sur la rue Saint-Louis, dans le Vieux-Québec !) ;

o   « ventes » : « parcelles forestières exploitées selon une rotation centennale » ;

·     
le pseudonyme de Jean Moulin dont le message émouvant aux résistants est cité : « Rex » ;

·        l’« autocar à gazogène » ;

·        la « tarte à la purée, ou gougère bourbonnaise [...] spécialité salée, composée de pommes de terre écrasées et de fromage blanc » ;

·        « Gauleiter » : fonctionnaire du parti nazi, responsable d'un Gau, une circonscription territoriale.

 

De nombreuses notes en bas de page apportent des précisions sur certains événements, les noms modernes des lieux mentionnés, des pièces musicales ou le rôle joué par un grand nombre d’acteurs réels. Ces compléments d’information, parfois des références documentaires, sont particulièrement utiles pour quiconque n’est pas féru d’histoire de France à cette époque.

 

Le style, le vocabulaire et l’écriture fluide de celui qui a consacré sa vie professionnelle à l’enseignement de l’histoire et de la géographie contribuent à rendre ce roman accessible pour un large public. Les descriptions imagées et concises des lieux campent l’action en quelques phrases. À titre d’exemple, le décor vivant de la Cour suprême :

 

« ... une immense table en forme de fer à cheval recevait la Cour et renforçait l'impression d'enfermement que devaient ressentir les cinq accusés. Leurs tables étaient situées en face, côte à côte et deux par deux. Les témoins seraient installés dans un fauteuil, au centre de la salle, face au Président, tournant le dos aux accusés qui eux-mêmes tournaient le dos au public. »

 


 « ... les accusés tournent le dos au public, et les témoins, qui seront assis dans ce fauteuil ridicule au dossier immense ne pourront pas non plus les voir ! C’est une conception originale de la Justice... »

 

Il en est ainsi pour les descriptions des personnages, des ambiances – l’arrivée des accusés au tribunal, la cérémonie funèbre en présence du Maréchal Pétain à l’église Saint-Louis en l’honneur des 500 civils tués dans un bombardement de la RAF sur les usines Renault de Billancourt, l’aller-retour en train d’Irène entre Clermont et le camp de Gurs, le récit de la mort de Pilar en sont quelques exemples –.



Au point où il m’est arrivé de visualiser un geste, de ressentir un malaise et une émotion ainsi que de l’empathie à l’égard de ces hommes, de ces femmes et de ces enfants pénalisés par un régime politique manipulé depuis Berlin. Dans une France « libre » ou « les lois n’étaient plus votées par la représentation nationale, mais exprimées par un chef de l’État qui s’était attribué les pouvoirs législatif, exécutif et même judiciaire ! »

 

« Dans quel monde vivons-nous ? Dans lequel on ne peut offrir que deux repas par jour à ses enfants ? Où le moindre légume coûte une semaine de salaire ? » Alors que « les produits essentiels étaient introuvables, les œufs et le lait étant distribués avec parcimonie. »

 

Pascal Chabaud sait également entretenir le suspense quand, pour dévoiler des informations sensibles, il fracture les dialogues évocateurs en les intercalant dans une séquence d’actions elle aussi découpée en fragments. Avec comme conséquence l’envie de poursuivre la lecture pour connaître les tenants et aboutissements de l’histoire.

 

J’ai évidemment aimé les liens qu’a tissés l’auteur avec

·        le rappel des conséquences de la Guerre d’Espagne et des massacres des populations basques – dont le bombardement de Guernica – et catalanes opposées au régime franquiste ;




·        l’appel à la résistance – « ¡ No Pasarán ! » « Ils ne passeront pas » – des républicains espagnols par Dolorès Ibarruri, députée des Asturies ;


·        la « Desbanda : un des épisodes les plus tragiques de la guerre d’Espagne : plus de 5 000 personnes qui fuyaient Malaga, sauvagement tuées par les franquistes sur la route Almería ;

·        l’évocation d’un « futur débarquement à partir de l’Angleterre... » ;

·        la maison Conchon-Quinette, entreprise française de confection de vêtements, qui embauche la sœur de Joseph Dumont ;

·        la loi « sur le statut des Juifs » : « Est regardé comme Juif: celui ou celle, appartenant ou non à une confession quelconque, qui est issu d'au moins trois grands-parents de race juive, ou de deux seulement si son conjoint est lui-même issu de deux grands-parents de race juive. Est regardé comme étant de race juive le grand-parent ayant appartenu à la religion juive. [...] Les Juifs ne pourront, sans condition ni réserve, exercer l'une des professions suivantes : [...] directeurs, administrateurs, gérants d'entreprises ayant pour objet la fabrication, l'impression, la distribution, la présentation de films cinématographiques. » ;

·        le film « Remorques » (1941) de Jean Grémillon avec Jean Gabin, Madeleine Renaud, Fernand Ledoux et Michèle Morgan.

 

J’ai rigolé sur l’idée de départ loufoque d’une strophe de l’opérette La Belle de Cadix (1945) – parolier Maurice Vandair, musique de Francis Lopez – inspirée de la tirade de Nestor Bondu à propos des compétences mécaniques des Andalous : « ... les bielles de Cadix ont l’essieu de velours ! »

 

Et ce clin d’œil de ce dernier, ou de l’auteur, c’est selon :

 

« La guerre expliquée aux enfants par Joseph Dumont ! Tu aurais pu être prof ! »

 

Sans oublier quelques références culinaires : 

·        « Les conserves de la famille » aux éditions du Secours national,

·        « Manger... quand même »,

·        « Ma cuisine des jours sans » proposant, entre autres, « des pommes de terre en brioche... sans pomme de terre ! » et

·        « Cuisine et restrictions » du Dr Bernard Pomiane, auteur d’une « vingtaine d’ouvrages sur l’hygiène alimentaire que l’on n’appelait pas encore la ‘’ diététique ‘’ ».

 

Noté au passage :

 

« Une idée qui m’a traversé la tête, mais pas trop vite pour que je l’arrête. »

 

Une courte biographie invite les lecteurs à en apprendre davantage sur l’histoire de Vichy, le procès de Riom, Pétain, la Guerre d’Espagne et le camp de Gurs.

 

Quant aux derniers chapitres, ils annoncent une quatrième enquête du commissaire Dumont qui sera très certainement aussi passionnante dans ce devoir de mémoire que s’est donné Pascal Chabaud.

 

 

* * * * *

 

Pascal Chabaud a enseigné l'histoire et la géographie pendant 40 ans avant de se lancer tardivement dans l'écriture de polars historiques. Installé en Auvergne, il a choisi de situer ses intrigues pendant la Seconde Guerre mondiale, en plaçant ses personnages au plus près du pouvoir, à Vichy.

 



Merci aux Éditions Christine Bonneton pour le service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire numérique sur le site leslibraires.ca et le récupérer auprès de votre librairie indépendante.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  *****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie : *****

Appréciation générale : *****


Points de fuite T.01 (Martin Michaud)


Martin Michaud. – Points de fuite T.01. – Montréal : Libre Expression, 2023. – 466 pages.

 

Thriller psychologique

 

  

 

 

 

Résumé :

 

Un conflit ouvert entre deux puissantes familles du milieu de l'art de Baie-Saint-Paul culmine, dans les années 1990, avec l'enlèvement de la petite Rosalie Lavoie. En toile de fond, le vol jamais élucidé du Musée des beaux-arts de Montréal, survenu en 1972, et un tableau mythique que des forces occultes tentent de s'approprier.

 

Suspendue de la SQ à la suite d'une intervention qui a dérapé après la disparition de sa sœur, une jeune patrouilleuse va découvrir que le passé de sa famille cache un monde de dissimulation où la vérité a plusieurs visages.

 

 

Commentaires :

 

Après avoir lu tous les autres romans publiés par Martin Michaud, j’avoue qu’il m’a fallu compléter la lecture de plusieurs chapitres pour apprivoiser la galerie de nouveaux personnages qu’il met en scène, à démêler ceux qui appartiennent aux deux familles qui s’affrontent, les Lavoie et les Lazare, et à intégrer au récit ceux qui surgissent de nulle part sans suite immédiate. Le tout enrobé d’une écriture très dense, très documentée avec comme résultat une intensité dramatique soutenue. En tournant la dernière page, je me suis dit que, si j’en avais le temps, une relecture permettrait probablement davantage d’apprécier les subtilités du récit au scénario fort bien tricoté.

 

J’ai trouvé intéressant que la trame dramatique s’articule autour d’un fait   historique avéré, le vol de 1972 au Musée des Beaux-Arts de Montréal, et d’y avoir associé un de ses personnages. Ainsi que la  disparition de trois tableaux de Riopelle aussi à Montréal en 1999 (étrange référence compte tenu que l’action se situe entre 1992 et 1997). La table est mise pour une saga autour d’un tableau mythique d’Esmé Hoffmann, « ...symbole du combat des femmes qui triomphent et reprennent leurs droits sur ceux qui les ont spoliées de leur pouvoir, de leur expression, de leur liberté et du contrôle sur leur vie. »

 

« Points de fuite » est un plaidoyer senti et fervent pour l’égalité hommes femmes et le droit de celles-ci, mais aussi pour la paix, la recherche de la vérité et le rôle de l’art pour contrer l’incertitude :  

 

« Pourquoi tant de haine entre les êtres humains? Si on pouvait s'élever au-dessus de tout ça, transcender nos différences et nos divisions. All brothers and sisters. Au lieu de se battre entre nous, c'est un combat pour la paix et la nature qui devrait nous unir, on devrait se respecter, et prendre soin de la planète et des plus vulnérables. »

 

« Parfois, la vérité est là, devant nos yeux, mais on a besoin de la bonne perspective pour la voir. Quand les faits peuvent être façonnés pour ressembler à la vérité, ça peut être difficile de discerner le réel de l'imaginaire. Il y a des moments où on doit faire confiance à notre instinct, à notre jugement, mais il est aussi important de questionner, de chercher des preuves et de confronter les faits à différentes sources. »

 

« Toute sa vie, l'humain se raconte des histoires qui sont des accommodements de la réalité en sa faveur. Et quand nos repères s'effritent, quand le doute prend le dessus, les peurs et l'anxiété s'amplifient. On se met à imaginer des scénarios et à se raconter des fables, des probabilités. C'est vrai dans nos vies intimes et ça l'est encore davantage à l'échelle de l'humanité. [...]  Quand on ne comprend plus à qui ou à quoi on fait face, devant l'incertitude, quand on a besoin de sens, on invente une histoire pour se rassurer, pour traverser la nuit, pour éloigner la peur. On s'en remet à l'art, à notre capacité à créer le monde et à le réinventer, en trouvant le vrai dans l'inventé, en comblant les vides, en prêtant notre voix à ceux qui n’en ont pas. »

 

Le roman se déroule à Baie-Saint-Paul, à New York, à Matamoros au Mexique, avec trois rappels des événements de Montréal du 4 septembre 1972 :

 

Ouverture 1997

Le vol du siècle – I  (4 septembre 1972)

Montréal, Baie-Saint-Paul (24 août 1992) : chapitres 1-4

Le vol du siècle – II  (4 septembre 1972)

Baie-Saint-Paul  (24 août 1992) : chapitre 5-6

Baie-Saint-Paul  (12 octobre 1997) : chapitre 7-8

Baie-Saint-Paul  (24 août 1992) : chapitres 9-41

Le vol du siècle – III  (4 septembre 1972)

Chapitres 42-51  (aucune date)

Fermeture  (aucune date)

 

Pour donner un sens à certaines situations, l’auteur utilise de brefs retours en arrière sous forme de texte en italique.

 

Cela dit, la mise en page m’est apparue déroutante !

 

Comme l’action est campée dans le monde des arts et, plus spécifiquement, la peinture, Martin Michaud partage avec son lectorat des réflexions intéressantes

 

... sur l’art :

 

« ... l’art, c’est ni une chose ni une simple imitation de la nature. C’est la marque que l’homme laisse de ses idées dans le monde. »

 

« Le sens d’une peinture se cache sur tous les côtés d’une toile. »

 

« ... un artiste, quand il peint une toile, il peut réussir à créer un monde imaginaire qui en dit plus sur nos sentiments que les mots. Ou alors il peut choisir de représenter le monde tel qu'il est. Mais le truc qui compte vraiment, c'est ce que toi, tu vois dans ce tableau. Et ce que tu y vois peut être très différent de ce que les autres y voient. C'est la même chose pour la vérité. [...] Pourquoi deux personnes regardent le même tableau et y voient des choses différentes? Parce que nos émotions, nos souvenirs, notre éducation, nos croyances, tout ça change la façon dont on perçoit les choses. Pour une personne, un tableau peut représenter quelque chose de profondément vrai. Pour une autre, ce n'est qu'une illusion. C'est pour ça qu'il faut essayer de garder une certaine objectivité quand on cherche la vérité. Il faut être capable de mettre de côté nos propres expériences pour voir les choses à travers les yeux des autres. »

 

... au sujet d’.une toile d’une toile :

 

« Dans le cône de lumière se profilaient les deux mammifères au pelage mordoré, décalés l'un de l'autre dans deux cavernes verdâtres aux parois limoneuses, la femelle plus imposante à l'avant-plan et dans une attitude affirmée, dominatrice, un coin de ciel turquoise et laiteux au-dessus de sa tête tournée vers l'entrée, plus musculeuse aussi que le mâle, que le pinceau de la lampe découvrit prostré en position inverse, dos à l'entrée de la grotte, tête tournée vers le sol, menton contre la poitrine, dans une posture évoquant autant la soumission que l'humilité ou le recueillement. »

 

L’auteur nous fait aussi découvrir le travail technique d’un faussaire en décrivant longuement la préparation des pigments, la fabrication de faux châssis (cadres) à partir de meubles anciens de la même époque que les toiles et le modus operandi d’un faussaire :

 

« Et alors qu'il travaillait, il ne se contentait pas de copier. Il se plongeait dans le tableau, ressentait les émotions que l'artiste original avait peut-être éprouvées avec autant sinon davantage d'intensité, et les transposait sur la toile. C'était un travail d'adoration autant que de tromperie, un hommage en même temps qu'un outrage à un artiste depuis longtemps disparu. »

 

Sans oublier les stratégies spéculatives de certains galeristes : 

« En 1951, mon père reçoit un appel de sa grande amie, la baronne Marie-Claire de Rothschild. Elle est à Paris, elle assiste à des enchères privées à la Galerie Jacques Seligmann. Le Esmé fait partie des lots. Mon père lui donne instruction de s’en porter acquéreur à n'importe quel prix. La baronne réussit à acheter le tableau pour 30 000 dollars. Mon père le lui rachète pour 50 000 dollars de gré à gré quelques jours plus tard, les 20 000 dollars d'extra constituant la commission de la baronne [...]. Dans ce cas, à quoi rime l'enchère de 1965 ? Pourquoi l'avoir racheté 350 000 dollars et comment le tableau s'est-il retrouvé de nouveau sur le marché ? [...] Ce sont des stratégies de galeristes pour faire apprécier les œuvres. — De la spéculation. » 

« Points de fuite » flirte avec le paranormal et le culte vaudou :

 

« Des forces qu’on ne peut pas toujours comprendre ou expliquer rationnellement guident nos vies. On les voit pas toujours, mais elles sont là, elles tissent des liens entre ceux qui nous ont quittés et nous. »

 

« Un tambour vaudou se fit entendre et des danseurs entrèrent alors dans le cercle de lumière, leurs corps peints de symboles tribaux, leurs mouvements hypnotiques.

Le leader du culte commença à psalmodier dans une langue ancienne, sa voix se mêlant au crépitement du feu et au battement du tambour. Le rituel du sacrifice à la nuit pour apaiser les esprits et garantir la ‘’ chance ’’ au projet ambitieux du chef du cartel se mettait en branle. »

 

Martin Michaud excelle dans les descriptions de personnages et de lieux comme dans ces trois exemples :

 

« Félix Wadih Hassan avait vingt et un ans. Né au Québec de parents libanais, il avait une apparence qui ne laissait personne indifférent. Ses traits symétriques et ses yeux noirs profonds captivaient les regards, mais ce n'était pas là l'essentiel. Peau mate et longs cheveux foncés, il émanait de lui une aura de gentillesse naturelle, une empathie sincère, comme s'il était capable de mettre instantanément les gens à l'aise autour de lui. »

 

« L'homme à la tunique pourpre fit irruption dans la pièce, se déplaçant avec une lenteur prédatrice. Son capuchon enfoncé jusqu'aux yeux, ses mains dissimulées dans ses manches, il semblait engloutir la lumière ambiante, comme si les ténèbres l'avaient accompagné dans la pièce. »

 

« La maison de ferme centenaire était une bâtisse en pierre de taille austère et imposante, avec un toit en tôle noire. L'édifice était doté de murs épais et de fenêtres étroites qui donnaient l'impression que la maison avait traversé les siècles sans fléchir. L'entrée était ornée d'un porche soutenu par des colonnes en pierre et d'un escalier monumental qui descendait jusqu'au grand stationnement en terre battue. »

 

Les scènes de fusillades et de poursuites entre de nombreuses visites des différentes salles d’interrogatoire au poste de la Sûreté du Québec (SQ) de Baie-Saint-Paul sont très réalistes. Par contre, celles de la générosité du chauffeur de taxis new-yorkais et de la conseillère de la boutique de mode luxueuse de la Grosse pomme, celle où Alice Lavoie s’élance dans une course effrénée en escarpin à talon fin à New York ou celle du lieutenant de la SQ qui fait disparaître à l’eau de javel des indices dans sa voiture de fonction m’ont laissé dubitatif. Aussi étonné par l’âge du cerveau derrière l’enlèvement de la petite Rosalie !

 

J’ai apprécié la psychologie émotionnelle du lieutenant à la tête du poste de police de Baie-Saint-Paul et la découverte d’une institution, la Frick Art Reference Library de New York, qui a pour mission de fournir un accès public aux documents et aux programmes axés sur l’étude des beaux-arts et des arts décoratifs créés dans la tradition occidentale du IVe au milieu du XXe siècle. Et j’ai appris deux nouveaux mots à glisser dans la conversation d’un souper du samedi soir : « pétrichor » et « gammarides ». Et j’ai souri en constatant qu’un des protagonistes a pris la fuite en direction du Costa Rica, une constante dans plusieurs polars ! Et sur cette mention qui m’a rappelé des souvenirs d’adolescence :

 

« On avait un seul jeu de société à la maison. Les Grands Maîtres, que ça s’appelait. Un jeu de vente aux enchères de tableaux. »

 



Mensonges, demi-vérités, secrets de famille, trois expressions en toile de fond de ce thriller psychologique qui illustrent bien que la vérité a plusieurs visages « ... dans le monde de l’art, comme dans la vie, il y a parfois des points de fuite. » J’ai bien hâte de lire le deuxième tome de ce triptyque dans lequel la plupart des protagonistes deviennent des personnages principaux dont les destins se croisent au fil de l’intrigue.

 

* * * * *

 

Reconnu par la critique comme le maître du thriller québécois, Martin Michaud a pratiqué le métier d'avocat d'affaires pendant vingt ans avant de se consacrer pleinement à l'écriture. Ses romans lui ont valu un vaste lectorat au Québec, au Canada, aux États-Unis, en Allemagne, ainsi qu'en Europe francophone, de même que de nombreux prix littéraires. Il a scénarisé pour la télé la série Victor Lessard, qui a remporté le premier prix au Banff World Media Festival et cumulé plus de six millions de visionnements sur Club Illico. 



Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer auprès de votre librairie indépendante.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  *****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie : *****

Appréciation générale : *****


La proie des flammes (Kim St-Pierre)


Kim St-Pierre. – La proie des flammes – Une enquête de Léa Beaumont T.02. – Saint-Bruno : Goélette Éditions, 2024. – 223 pages.

 

 

Polar

 

 

Résumé :

 

De retour au travail après un repos forcé, Léa Beaumont prend en charge une affaire qui semble à première vue banale. Paul Valois, un fonctionnaire retraité est retrouvé mort chez lui, poignardé. Ce dernier ayant accumulé des dettes de jeu, un règlement de compte est rapidement évoqué. Cependant, l’enquête prend un détour inattendu lorsque l’ADN d’une enfant disparue 17 ans auparavant est retrouvé sur la scène du crime.

 

Léa doit rouvrir une affaire non résolue : un tragique incendie, dans lequel les membres d’une famille sans histoire ont péri, à l’exception de la petite Laurie Anderson, 5 ans. Qu’est devenue la fillette durant toutes ces années ? S’est-elle vraiment retrouvée chez Valois dans les jours précédant le meurtre ? Qu’est-il vraiment arrivé à la famille Anderson ? Tandis que les énigmes et les suspects se multiplient, l’assassin continue de faire des victimes…

 

 

Commentaires :

 

« La proie des flammes – Une enquête de Léa Beaumont », le deuxième roman de Kim St-Pierre est un polar que je qualifierais de classique du genre. Avec son enquêtrice – il fait du bien de suivre les aventures d’une femme policière – aux crimes majeurs du Service de police de la ville de Montréal (SPVM). Sa supérieure immédiate, aussi une femme – Élise Dagenais et son équipe qui m’ont semblé (c’est un ressenti de lecteur) peu expérimentés dans l’action. J’ai aussi trouvé excessives les interrelations humaines et amoureuses entre les membres complices de ce groupe de policiers.

 

Le personnage principal doit lutter contre des problèmes personnels, une caractéristique des héros imaginés par plusieurs auteur.es de cette littérature de genre. Léa Beaumont souffre de stress post-traumatique, conséquence d’une enquête précédente. D’ailleurs, l’auteure fait référence à plusieurs reprises aux événements qui sont à l’origine des problèmes psychologiques de l’enquêtrice. Pour qui, comme moi, n’a pas lu le premier tome (« Comme une ombre ») de ce qui deviendra une trilogie – la finale de « La proie des flammes » est probante –, j’ai dû me contenter de consulter sur Internet le synopsis pour tenter d’y déceler peu d’indices :

 

« L’enquêtrice Léa Beaumont est dépêchée sur une scène de crime pour le meurtre sordide d’une jeune femme. Le corps a été abandonné sur le mont Royal et comporte plusieurs marques qui laissent croire à une mort atroce. Dans les jours qui suivent, deux autres cadavres sont retrouvés dans des conditions similaires. Léa doit arrêter le tueur en série qui rôde dans les rues de Montréal avant qu’il ne prenne plus de vies. Quels sombres motifs poussent ce sadique personnage à s’en prendre à des femmes innocentes ? Pour résoudre cette affaire, l’enquêtrice et son équipe reçoivent l’aide de Jules Trépanier, un profileur de renom. Ensemble, ils se lancent dans une chasse à l’homme intense, qui fait remonter à la surface des souvenirs que Léa croyait pourtant enfouis depuis longtemps. »

 

L’enquête progresse lentement sur une affaire criminelle somme toute bien imaginée. Quoique, dans son traitement, certains raccourcis nous laissent pantois. Trois exemples :

 

La scène dans le bureau du psychologue Nadeau où, à la page 11, Léa Beaumont déclare :

 

« – Docteur, je me demandais... Est-ce que nous aurons encore besoin de plusieurs séances? Je crois avoir beaucoup progressé, et j'ai hâte de reprendre le travail à temps plein et de me tourner vers l'avenir. J'en ai assez des tâches administratives et de seulement donner de simples coups de main à mes collègues. Je me sens prête »

 

Et le psychologue de répliquer :

 

« – Chaque chose en son temps, Léa, chaque chose en son temps. Vous progressez bien, je suis d'accord, mais vous avez encore beaucoup de symptômes de stress post-traumatique, tels que des flashbacks et des cauchemars. »

 

Quelques lignes plus bas, l’enquêtrice est déclarée « apte à retourner au travail.

 

Ou ce portrait-robot d’une personne suspecte qui n’est jamais présenté à des témoins !

 

Aussi, la séquence du troisième assassinat en présence des forces de l’ordre qui n’a paru peu crédible.

  

Kim St-Pierre utilise la technique d’intégration du point de vue de l’assassin réparti tout au long du récit, comme c’est aussi souvent le cas dans l’écriture de romans policiers plus récents. Par contre, dès la première intervention de cette « personne mystère », j’ai soupçonné son identité par un détail grammatical.

 

L’auteure, qui a intégré dans son récit les codes de l'intrigue policière,

emploie un style d’écriture direct, fluide et suggestif particulièrement dans certains passages plus difficiles. Sans longues descriptions de lieux et de personnages, elle accorde cette priorité dans ses créations littéraires :  

 

« Quand j'écris, j'essaie de faire ressortir ce qu'il y a de pire chez l'être humain, mais aussi ce qu'il y a de plus beau. »

 

Considérant la thématique de « La proie des flammes », Kim St-Pierre a également senti le besoin d’intégrer avant l’épilogue ce plaidoyer en faveur des victimes d’agressions sexuelles :

 

Elles « ne devraient jamais sentir qu'on ne les croit pas ou, pire, qu'on pense qu'elles ont une part de responsabilité dans ce qui leur est arrivé. Je suis empathique et j'écoute avec bienveillance parce que je sais tellement ce qu'elles ont vécu. Je sais à quel point c'est dur de raconter en détail ce qu'on a enduré pendant l'agression. »

 

Une mention spéciale pour l’illustration de la couverture de première, une œuvre picturale du graphiste Matthieu Fortin de Boucherville qui a su traduire la tristesse dans le regard de la jeune fille. Une image qui résume le drame qu’a imaginé Kim St-Pierre.

 

* * * * *

 

Je profite de l’énoncé de mes commentaires sur ce roman pour attirer l’attention sur deux questions existentielles que j’aurais pu soulever dans des avis de lecture précédents :

 

La première, à la lecture de ce passage :

 

« Elle s'arrête à la salle de pause pour se verser une tasse de cette boisson infecte que les autres employés qualifient de café. Pour la jeune femme, un café, c'est un espresso ou un latté. Pas cette eau de vaisselle fade et imbuvable ! »

 

À quand une machine à café digne de ce nom dans les bureaux de nos enquêteurs québécois ?

 

La deuxième :  

 

À quand un colloque réunissant les auteur,es de polars québécois et les membres du personnel enquêteur fruit de leur imagination qui œuvrent simultanément dans les mêmes unités de la Sûreté du Québec et des différents services de police afin que ces derniers puissent constater qu’ils appartiennent aux mêmes organisations ? Et devraient tous se connaître !

 

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Kim St-Pierre est originaire de Saint-Pascal dans le  Bas-Saint-Laurent. Copropriétaire avec son conjoint du Bar Le Kaboulo dans son village natal,  elle a rédigé son premier roman, un polar, lorsqu'elle était en congé de maternité durant la pandémie. La Kamouraskoise agit comme administratrice du plus grand groupe de lecture de genre sur Facebook et livre une chronique littéraire aux trois semaines sur les ondes de CHOX-FM 97. Elle souhaite se lancer dans d’autres projets littéraires dans les genres romans historiques ou d’horreur.

 

Merci aux à Goélette Éditions pour le service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer auprès de votre librairie indépendante.

 

 

Originalité/Choix du sujet : ****

Qualité littéraire : ****

Intrigue :  ****

Psychologie des personnages :  ***

Intérêt/Émotion ressentie : ****

Appréciation générale : ****