Le philatéliste (Nicolas Feuz)


Nicolas Feuz. – Le philatéliste. – Genève : Rosie & Wolfe, 2023. – 332 pages.

 


Polar

 

 

 

Résumé :

 

 

À l'approche de Noël, un vent d'effroi parcourt la Suisse. Un tueur organise un jeu de piste sordide avec des colis postaux. Sa signature ? Des timbres-poste fabriqués à partir de peau humaine.

L'inspectrice de la Police judiciaire genevoise Ana Bartomeu est saisie de l'affaire. Son enquête va la conduire des beaux quartiers de Genève à la vieille ville d'Annecy, des impasses sombres de Lausanne aux rues pavées de Delémont. Réussira-t-elle à démasquer cet assassin mystérieux que les médias suisses et français ont surnommé Le Philatéliste.

 

 

Commentaires :

 

J’aime les polars dans lesquels l’auteur,e nous manipule tout au long d’une intrigue rythmée au suspense parsemé de rebondissements inattendus qui tiennent le lecteur en haleine, qui donnent envie de connaître la suite du récit. Avec « Le philatéliste », Nicolas Feuz dont le but est « d'être à 100% écrivain à 55 ans » livre la marchandise en 61 courts chapitres. Une histoire noire au cœur de laquelle cette réplique d’un des personnages en page 116 est fort éloquente :

 

« On a tous nos casseroles, certaines plus crades que d’autres, et parfois bien planquées au fond d’un placard. »

 

Cette enquête s’étale sur quatre jours et s’accroche à des événements qui se sont déroulés une semaine plus tôt et en 1984. Nicolas Feuz nous fait découvrir une galerie de personnages crédibles bien développés avec des motivations et des passés complexes qui ajoutent une profondeur émotionnelle au scénario imaginé. Où le surpoids de deux des protagonistes – l’enquêtrice Ana Bartomeu et le jeune Sam – sert de liant à la trame dramatique.

 

L’auteur suisse excelle dans les descriptions précises et immersives des lieux et des scènes qui nous permet de visualiser clairement les événements et les environnements dans lesquels ils se déroulent. Comme dans cet exemple qui nous transporte au cœur de Genève :

 

« Ana longea le parc des Bastions, rue Saint-Léger. À travers la végétation hivernale clairsemée, l'imposant bâtiment de la bibliothèque de Genève, une des principales et plus anciennes bibliothèques patrimoniales et encyclopédiques de Suisse, dominait ce vaste espace de détente et de loisirs qu'on appelait jadis « Belle Promenade ». Quotidiennement peuplé à la saison chaude, le parc était aujourd'hui presque désert. Un peu plus loin sur la droite, le consulat général de France, puis le palais de l'Athénée, siège et propriété de la Société des Arts, dont l'enveloppe somptueuse n'était pas sans rappeler les plus prestigieux édifices parisiens. Ana traversa un petit tunnel en pierre sous la rue du même nom, puis grimpa péniblement la route en S en direction de la place du Bourg-de-Four. Cœur de la vieille ville, proche de la cathédrale Saint-Pierre, la place en forme de sablier accueillait bon nombre d'établissements publics. Et aussi le Palais de Justice, qu'Ana avait bien connu à l'époque où il abritait encore le ministère public et les juges d'instruction. »

 

Celui qui mène une double vie, procureur dans l’univers clos et rigoureux de la justice qui « se transforme [...] en sulfureux auteur de polars » met à profit ses connaissances du système policier et judiciaire de son coin de pays en intégrant les différentes composantes dans le récit. Je me suis amusé, en cours de lecture, à relever les 26 entités – rien de moins – qui interviennent dans l’enquête d’Anna Bartomeu :

 

BAP            Bureau administratif de la police

BO             Brigade d’observation de la Police judiciaire fédérale

BPTS         Brigade de police technique et scientifique (recueille les indices physiques sur les lieux d’infractions pour en identifier les auteurs, mettre en évidence des séries d’infractions et déterminer le déroulement des faits)

BRES         Brigade romande d’enquêtes secrètes

CB             Centre de la Blécherette siège de la police cantonale vaudoise

CCIS          Call Center Information System (base de données de La Confédération qui permet d’obtenir des renseignements sur les usagers des services de télécommunication)

CCPD        Centre de coopération policière et douanière de Genève (chargé de favoriser et de faciliter l'assistance, la coopération policière et l'échange de renseignements entre deux ou plusieurs pays voisins)

CNC           Centre national de cryptographie (organisme qui développe des protocoles numériques pour garantir le secret postal)

CNU           Centrale neuchâteloise d’urgence (chargée de gérer la réception des appels d’urgence et la coordination des moyens de secours)

CRIM         Brigade criminelle

CURML      Centre universitaire romand de médecine légale (répond à toutes les demandes d’expertises ou d’assistance-conseil dans le domaine médico-légal, du droit médical et de l’analyse du dopage)

DFD           Division flagrant délit de la Brigade des stupéfiants

FEDPOL    Office fédéral de la police (office chargé des questions relatives à la police judiciaire fédérale)

GI               Groupe d’intervention (troupes d'élite en cas de missions dangereuses ou délicates)

                   « Dans le canton de Vaud, on l'appelait le Dard, à Fribourg le Grif, à Neuchâtel le Cougar, au Jura le Gite et à Berne l'unité Gentiane. Mais dans les cantons du Valais et de Genève, le GI n'avait pas de petit nom »

ICS             Division Intégrité corporelle et sexuelle

IGS             Inspection générale des services (enquête sur les policiers, les agents municipaux et les gardiens de prison)

OFJ            Office fédéral de la justice (office fédéral compétent en matière de justice en Suisse)

                   Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale (autorise la transmission directe d’informations, de procureur à procureur, sans utiliser la voie diplomatique)

LAVI           Centre genevois de consultation pour victimes d’infractions (répond aux besoins des personnes victimes d’infraction pénale portant atteinte à leur intégrité physique, sexuelle ou psychique)

PJF             Police judiciaire fédérale (mène des enquêtes préliminaires et des procédures de police judiciaire dans les domaines relevant de la compétence de la Confédération suisse)

RTS            Commissariat de répression du trafic de stupéfiants

SIJ              Service d’identification judiciaire (recueille, conserve et présente des éléments de preuve et coordonne ses compétences avec celles de l'enquêteur chargé de l'affaire et des experts judiciaires)

SIRENE     Supplementary Information REquest at the National Entry (interlocuteur national chargé de l'échange des informations supplémentaires à qui peuvent s'adresser les autorités habilitées à accéder aux données du SIS (Système d'information Schengen), comme les polices cantonales concernées, le Corps des gardes-frontière, l'Office fédéral de la justice...)

STUPS       Brigade des stupéfiants

TMC           Tribunal des mesures de contrainte (autorité judiciaire compétente pour statuer sur les mesures de surveillance secrètes)

UGF           Unité de génétique forensique du CURML (utilise les outils de la biologie moléculaire afin de fournir des éléments objectifs dans le cadre d’affaires judiciaires)

URMF        Unité romande de médecine forensique (réalise, à la demande des autorités judiciaires, des expertises médico-légales qui aident à résoudre des enquêtes pénales ou civiles)

 

Nicolas Feuz en profite pour nous renseigner sur le potentiel à venir du phénotypage, l’analyse de l'ensemble des caractères apparents d'un individu :

 

« Aujourd'hui, la loi sur l'ADN ne permet que de définir le sexe de l'auteur d'un délit. Avec le phénotypage, on pourra aussi connaître la couleur de ses yeux, de ses cheveux, son âge et son origine ethnique. Politiquement, ce dernier point ne plaît pas à la gauche ni aux Verts. Quoi qu'il en soit, la technique du phénotypage n'est pas encore totalement au point et ce ne sera probablement jamais une preuve absolue, en tout cas pas dans un avenir proche. Mais qui sait, d'ici quelques années, on pourra peut-être même reconstituer le visage de quelqu'un grâce à son ADN. Imagine tous les cold cases qu'on pourrait résoudre grâce à cette technique. Certains auteurs d'homicides, de braquages, d'incendies ou d'autres infractions graves qui sont passés entre les mailles du filet ont du souci à se faire.

— Je n'imaginais pas qu'on pouvait connaître l'âge d'une personne grâce à son ADN, s'étonna Ana.

— À plus ou moins trois ans, oui. L'ADN vieillit en même temps que le corps. »

 

Sur la nouvelle définition du viol dans le Code pénal suisse :

 

«  Il fallait corriger le tir pour les générations à venir, c'était nécessaire dans cette société machiste. Mais le but visé ne pourrait conduire, à terme, qu'à de grosses désillusions. Dans la très grande majorité des cas, les tribunaux n'acquittaient pas les prévenus de viol parce qu'il n'y avait pas eu d'actes de contrainte. Ils les acquittaient parce que la preuve de l'absence de consentement faisait défaut. L'auteur présumé reconnaissait très souvent la relation sexuelle, mais il alléguait que la victime était consentante. Et à parole de l'un contre parole de l'autre, sans autre preuve ni faisceau d'indices suffisant, un tel constat menait à l'acquittement. Le doute profitait toujours à l'accusé et la nouvelle définition du viol dans le Code pénal n'ébranlerait jamais le principe majeur et sacré du droit pénal qu'était la présomption d'innocence. C'était à l'État, et à la victime, de faire la preuve de ses allégations, jamais au prévenu de prouver son innocence. Un renversement du fardeau de la preuve était exclu et donc, quoi qu'imaginaient les initiateurs de cette modification, le taux des acquittements ne changerait pas. »

 

Et sur la nécessité de trouver à tout prix un coupable derrière toute catastrophe :

 

« Et nous vivons aussi dans un monde où il faut absolument toujours trouver un responsable pour tout. Une américanisation du système. Aujourd'hui, on attaque les flics et les procureurs parce qu'ils ont décidé de ne pas arrêter quelqu'un. Et demain ? On fera la même chose avec les psychiatres qui n'auront pas su détecter la dangerosité d'un suspect. Il y a trente ans, les médecins avaient une obligation de moyen, pas de résultat. Aujourd'hui, on tend de plus en plus vers l'obligation de résultat, surtout pour les chirurgiens. Et demain, on attendra des psychiatres une obligation de résultat. Les gens n'acceptent plus la fatalité. Derrière toute catastrophe, il faut trouver un coupable. On fait des procès pour tout et n'importe quoi. Tiens, le dernier exemple qui me vient à l'esprit : cette tragique histoire d'enfant qui, en France, s'est étouffé avec une saucisse. Les parents, dont on peut certes comprendre la douleur, ont intenté un procès contre le fabricant de la saucisse, parce qu'il n'était pas indiqué sur l'emballage comment il fallait la couper. Non, mais je te le demande sérieusement : où va-t-on! Notre société devient de plus en plus ridicule. Je crois qu'il est vraiment temps que je songe à prendre ma retraite. »

 

J’ai également appris l’existence d’un appareil de surveillance utilisé pour intercepter le trafic des communications mobiles, récupérer des informations à distance ou pister les mouvements des utilisateurs des terminaux : l'IMSI-catcher.

 

« Aujourd'hui, tout le monde a un téléphone portable. Si on connaît le numéro d'une personne, on peut écouter ses conversations, intercepter ses messages et tout son trafic Internet, mais surtout, la localiser. »

 

« L'IMSI-catcher est une antenne privée plus puissante que toutes celles des opérateurs téléphoniques. Quand tu l'allumes, tu annihiles aussitôt les antennes officielles alentour et tous les appareils qui sont dans le secteur se loguent automatiquement sur la machine. En d'autres termes, tu ‘’ attrapes ‘’ les numéros IMSI, d'où le nom de ce petit bijou. Mais il ne faut pas le faire trop longtemps, sinon tu perturbes le trafic des télécommunications. »

 

Auteur de la photo : © 1971markus@wikipedia.de, CC BY-SA 4.0 

 

J’ai noté au passage ces dialogues qui m’ont fait sourire :

 

« Les Savoyards adorent envoyer du reblochon par la poste à leur famille ou à leurs amis. Ils s'imaginent probablement que nos locaux ne sont pas trop chauffés, mais c'est tout le contraire. Et ils ne pensent pas aux pauvres postiers qui doivent subir tout ça... »

 

« — Accélère ou rabats-toi, maugréa Ana. Tu conduis comme un Vaudois.

— T'as quelque chose contre les Vaudois?

— Non, sauf qu'ils ne savent pas conduire sur l'autoroute, ils ont une fâcheuse tendance à encombrer inutilement la voie rapide. Ça me rend dingue. »

 

Ou cette affirmation :

 

« La psychiatrie n’est pas une science exacte, la justice non plus. »

 

Évidemment, comme dans tout bon polar, un des personnages vit dans un environnement insalubre : « En désordre et assez sale, l’appartement puait le renfermé, personne n’avait fait le ménage depuis longtemps. »

 

Je ne connaissais pas cet auteur réputé pour ses histoires macabres. Dans « Le philatéliste », après la première plutôt déstabilisante du prologue, j’ai découvert un romancier rigoureux, au style fluide, qui nous entraîne dans une enquête palpitante avec ses fausses pistes. Jusqu’à ce que le philatéliste se révèle être...

 

 

Nicolas Feuz est un auteur suisse originaire de Neuchâtel. En 1994, il décroche une licence en droit et obtient son brevet d'avocat en 1996. Il travaille ensuite pendant près d'un an comme assistant-juriste et est ensuite engagé comme assistant à l'Université de Neuchâtel. Nommé juge d'instruction à 27 ans puis procureur, il est spécialiste de la lutte contre le trafic de stupéfiants. Il commence à écrire « un peu par accident » en 2010, lors de vacances au Kenya, alors qu'il n'a plus rien à lire. Il publie ses huit premiers polars en autoédition, dont sa trilogie Massaï. En 2018, il reçoit le Prix du meilleur polar indépendant au Salon du Livre de Paris pour Horrora borealis et, en 2022, le Prix de l’Évêché décerné par la police judiciaire de Marseille pour son livre Heresix.

 

 Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer auprès de votre librairie indépendante.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  *****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie : *****

Appréciation générale : ***** 

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