La somme d’une vie. Le patrimoine du Québec selon Michel Lessard (René Bouchard, dir. - Yves Bergeron / Jean-Pierre Pichette, coll.)


René Bouchard, dir. - Yves Bergeron / Jean-Pierre Pichette, coll. – La somme d’une vie. Le patrimoine du Québec selon Michel Lessard. – Québec : Presses de l’Université Laval, 2024. – 276 pages.

 

Cahier hommage

 

 

Résumé :

 

 

Michel Lessard a été un monument du patrimoine et son œuvre, la somme impressionnante d’une vie tout entière dédiée à la connaissance des objets qui l’ont façonné et illustré. Ses travaux sur le patrimoine matériel et immatériel du Québec ont connu une diffusion sans précédent à l’échelon national. Dans les décennies de 1970 à 2000, ses publications à gros tirage d’ouvrages encyclopédiques sur les antiquités et la maison québécoise, la télédiffusion à grande échelle sur les écrans de ses documentaires ethnographiques sur la culture populaire, ses expositions muséales d’envergure sur la photographie ancienne et son enseignement universitaire couru par des milliers de passionnés en quête d’identité ont fait rayonner une œuvre puissante, polymorphe et hors cadre. Celle-ci est devenue très tôt, pour le public québécois, les collectionneurs et les antiquaires, la référence de prédilection en patrimoine, une bible dans les bibliothèques familiales. Comment expliquer un tel retentissement ? Un pareil attachement profond du grand public à cette fresque sensible du patrimoine québécois ?

 

À travers cette œuvre inscrite par son auteur dans une vision élargie qui embrasse l’histoire du monde, se mesure tout l’apport de Michel Lessard à la recherche en ethnohistoire, abordée sous l’angle original et novateur du vaste champ de la culture populaire, qu’il a contribué à mieux cerner et à démocratiser de façon exemplaire.

 

 

Commentaires :

 

Le Québec a ses géants porteurs de mémoire et d’avenir qu’il faut commémorer. Comme l’écrit René Bouchard dans l’introduction de ce 36e cahier des Archives de folklore de l’Université Laval abondamment illustré, « Michel Lessard a été et demeure un monument du patrimoine, et son œuvre, la somme impressionnante d’une vie tout entière dédiée à la connaissance des objets qui l’ont façonné et illustré. » Lui qui s’était donné comme objectif « de rendre accessible au grand public un savoir savant qu’il estimait trop longtemps confiné dans la sphère spécialisée des connaisseurs. »

 

Fier patriote, pédagogue, collectionneur, encyclopédiste, communicateur, scénariste, diffuseur et férocement engagé auprès de sa communauté, l’œuvre magistrale de Michel Lessard se résume ainsi : « explications, analyses, descriptions, illustrations abondantes, tous les chapitres des ouvrages visaient à instruire, à intéresser les lecteurs, à favoriser la conservation de notre héritage. »

 

Quand, à la fin des années 1980 et au début des années 1990  j’enseignais à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), lui en histoire de l’art, moi la gestion documentaire, se trouvait régulièrement Michel Lessard dans l’autocar qui faisait le trajet Québec-Montréal. Il s’installait généralement vers l’arrière du véhicule alors que je préférais l’avant. Je connaissais l’homme de réputation.

 

Je possédais alors deux de ses publications qui contribuaient à développer chez les aficionados québécois de culture matérielle sous toutes ses formes un sentiment de fierté par la « démonstration de ce qu’une nation fait de beau et de grand ». Avec les années, ma bibliothèque s’est enrichie de quelques autres ouvrages au contenu littéraire et iconographique de qualité exceptionnelle :

 



« La somme d’une vie. Le patrimoine du Québec selon Michel Lessard » rend hommage à celui qui « est apparu dans le ciel du patrimoine québécois. Opérant d'abord dans la constellation des antiquités, celle des meubles et des objets anciens, de toute nature, l'auteur s'est empressé d'ajouter l'année suivante une deuxième encyclopédie cette fois sur la maison québécoise, couvrant trois siècles d'habitations. Suivront ensuite plusieurs autres volumes sur la restauration des maisons anciennes et les arts populaires, avant qu'il ne conçoive et dirige une impressionnante série de productions audiovisuelles, portant sur les métiers, les traditions et enfin les arts sacrés. »

 

La table des matières des témoignages de ce collectif d’auteur,es qui ont connu et côtoyé Michel Lessard est à l’image de la contribution scientifique et culturelle de ce dernier. Les thèmes abordés embrassent l’ensemble de son œuvre et sa contribution importante pour le Québec en mettant en évidence « les multiples curiosités rigoureuses qui l’ont animé et qui en font la richesse » :

 

PRÉSENTATION

·         Inscrire le patrimoine dans la modernité. L'œuvre de Michel Lessard (1942-2022) [René Bouchard avec la collaboration d'Yves Bergeron et de Jean-Pierre Pichette]

 

PARTIE I : PORTRAITS

·         Une vie dans le siècle [René Bouchard]

·         L'esprit du temps et l'appropriation collective du patrimoine [Raymond Montpetit]

 

PARTIE II : DISCOURS DE L'OBJET

·         Une comète dans le ciel du patrimoine [Paul-Louis Martin]

·         Le grand œuvre pédagogique [Richard Dubé]

·         Le mobilier comme artéfact national [Laurier Lacroix]

 

PARTIE III : MÉMOIRE DU PATRIMOINE

·         Le film ethnographique vu par Fernand Dansereau et Michel Lessard [Alexis Lemieux]

·         L'amour de son patrimoine [Philippe Denis et Marilie Labonté]

 

PARTIE IV : LES VOIES DE LA MÉDIATION

·         La photographie ancienne, une passion dévorante [Mario Béland]

·         Le Musée des religions de Nicolet. Genèse d'une fondation [Jean Simard]

 

PARTIE V: LA CAUSE PATRIMONIALE

·         Michel Lessard : la trilogie collection, érudition et référence identitaire [Fernand Harvey]

·         Une implication citoyenne exemplaire [Gaston Cadrin]

 

CONCLUSION

·         Hommage à Michel Lessard [Claude Corbo]

 

POSTFACE

·         Le dernier portrait. Du daguerréotype à l'ère du numérique [Michel Lessard]

 

BIBLIOGRAPHIE

·         Bibliographie de Michel Lessard [René Bouchard et Mario Béland] :

livres, rapports, productions audiovisuelles (films et émissions radiophoniques), expositions muséales, textes sur la photographie ancienne (thèse et dictionnaire), périodiques (Cap-aux-diamants, Continuité, Ensemble, Lumières, Ma Caisse, Photo Sélection, Réseau, La Veille, Association des archivistes du Québec), distinctions, hommages et prix. Cette bibliographie ne recense toutefois pas « les articles de l’auteur parus dans une panoplie de revues ou de journaux, ni les préfaces variées d’ouvrages qu’il a signées. »

 

Trois textes signés Michel Lessard complètent l’ensemble :

 

·        « La Fée ses sucres », une des légendes qui était destinée à un projet de livre qui n’a malheureusement jamais vu le jour et qui devait s’intituler « Fantastique et épouvante. Contes et légendes du Québec d’autrefois ».

 

·        « La fin tragique d’un grand collectionneur. Ronald Chabot [1947-2010] », éloge lu par Michel Lessard lors des funérailles le 27 mai 2010 de celui qui lui a fait bénéficier « du fruit de son incessante curiosité pour la culture matérielle du Québec ».

 

·        « Le dernier portrait. Du daguerréotype à l’ère du numérique », le dernier texte de Michel Lessard avant son décès le 5 avril 2022, « un témoignage personnel très émouvant et un document d’une haute teneur ethnologique sur les rites mortuaires ».

 

En cours de lecture, j’ai retenu quelques fragments de la pensée de Michel Lessard qui dédicaçait une de ses premières encyclopédies « À tous les Québécois fiers de leur origine » à propos...

 

... de l’unicité du peuple québécois :

 

« Les Québécois forment un peuple unique, une nation modelée par le milieu, au carrefour de quatre cultures bien intégrées s’appuyant sur plus de quatre siècles d’histoire dans le pays français [...] « quatre cultures qui ont façonné le vieux fonds de la psyché québécoise, la française, l’autochtone, la britannique et l’étatsunienne. »

 

... de l’affirmation de notre identité :

 

« Dans une Amérique essentiellement anglophone, le Québec se doit plus que jamais de rassembler toutes les formes documentaires et d'explorer les pistes qui permettront aux nouvelles générations de dire le passé. Affirmer son identité culturelle, c'est rassembler un échantillonnage important des productions culturelles qui ont marqué l'évolution du Québec dans sa conquête de la modernité. »

 

... de la fête, une contemplation « espérante » du futur :

 

« Tous les premiers ministres devraient toujours faire un discours de la nation le 24 juin pour assumer notre passé, nous éclater dans la fête, par différentes manifestations, mais surtout considérer l'avenir, nous dire ce qui s'en vient dans la nouvelle année ou dans les cinq années qui viennent. [...] La fête n'existe que pour la ‘’ contemplation espérante du futur ‘’. [...] tous les anthropologues l'ont vérifié dans les cultures primitives comme dans les cultures avancées ».

 

... du fondement d’un peuple :

 

« L'important, aujourd'hui, c'est d'arriver à cerner l'identité nationale. Car le fondement d'un peuple, ce n'est pas seulement un territoire, c'est aussi et surtout la tradition culturelle et il faut pouvoir la nommer ».

 

... des caractères identitaires des peuples :

 

« La culture matérielle [...] reflète toujours avec force les caractères identitaires des peuples et des nations. C'est aussi la meilleure façon de concrétiser les valeurs d'une société et d'enseigner l'histoire. Le Québec se nomme et se signe à travers ses monuments et ses objets anciens ! »

 

... de l’importance de la culture matérielle industrielle :

 

« La culture matérielle industrielle du Québec, ouverte sur le monde, est tout aussi importante, tout aussi signifiante et tout aussi merveilleuse que celle dite traditionnelle. »

 

J’ai aussi noté ce commentaire Claude Corbo, ex-recteur de l’Université du Québec à Montréal, à propos de la démarche pédagogique de Michel Lessard et l’éclairage révélateur que l’ethnologue a apporté sur les fondements culturels de la nation québécoise :

 

« Pour beaucoup de personnes et pour moi aussi, son œuvre illustre comment l'aventure humaine québécoise, vieille maintenant de quatre siècles, a été et demeure l'accomplissement d'une nation témoignant d'une vivante et tenace identité et capable de forger ses styles propres, sans renier ni méconnaître ses origines ou son passé, en étant aussi capable de s'instruire et d'enrichir sa créativité de ce qui vient d'ailleurs. Ses ouvrages sur Montréal et sur Québec ont aussi montré comment la nation québécoise a su édifier des villes où, certes, de nombreuses influences culturelles étrangères se manifestent, mais qui, au total, forment chacune des synthèses urbaines uniques sur le continent américain. Son œuvre, savante et accessible à la fois, est de celles qui marquent, aux yeux de lecteurs ordinaires, un tournant décisif dans la compréhension qu'une nation peut avoir d'elle-même. Et cette œuvre inscrit son auteur dans une très noble lignée de savants en choses patrimoniales où figurent notamment Marius Barbeau, Gérard Morisset, Jean Palardy, Robert-Lionel Séguin, Luc Lacourcière. »

 

En refermant « La somme d’une vie. Le patrimoine du Québec selon Michel Lessard », je garde en tête cette réflexion de Fernand Harvey sur le patrimoine contemporain que nous laisserons aux générations futures :

 

« Reste à savoir comment distinguer la spécificité québécoise dans la création, la consommation et l’usage des objets dans le contexte de mondialisation en cours depuis les années 1960. »

 

Le décès de Michel Lessard, le 6 avril 2022, est presque passé inaperçu dans les médias du Québec. Deux jours plus tard, le journaliste Jean-François Nadeau signait dans le cahier Culture du journal montréalais Le Devoir un article intitulé « Décès de l’historien et défenseur du patrimoine Michel Lessard ». On y apprend entre autres que le jour même de sa mort, le lieutenant-gouverneur du Québec lui accordait une médaille en reconnaissance de son œuvre.

 

Michel Lessard fut récipiendaire, en 1985, du Prix Robert-Lionel Séguin des Amis et propriétaires de maisons anciennes du Québec (APMAQ). En 1996, le gouvernement québécois lui attribuait le Prix Gérard-Morisset, la plus haute distinction décernée en matière de patrimoine. En 2011, le député Gilles Lehouiller lui remettait la Médaille de l’Assemblée nationale.

 

En 2021, l’Association des architectes en pratique privée du Québec « lui a décerné à l’unanimité le titre de membre honorifique pour son engagement et sa contribution exceptionnelle à promouvoir, en particulier, la qualité architecturale de l’environnement bâti au Québec et, en général, l’importance des architectes dans la société ».

 


Celui qui était très actif sur Facebook – je faisais partie du réseau de ses amis virtuels – et pour qui l’iconographie en général et la photographie de haute qualité en particulier s’imposaient comme des incontournables dans ses enseignements et ses publications a terminé sa vie presque aveugle. Quelle étrange hasard du destin !


En passant, la fiche Wikipedia qui lui est consacrée est incomplète, entre autres la section « Ouvrage ».

 

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Archéologue et ethnologue de formation, membre fondateur de la Société québécoise d’ethnologie (1975) et rédacteur adjoint de Rabaska, revue  d’ethnologie de l’Amérique française, René Bouchard a œuvré dans la fonction publique québécoise dans le domaine de la culture et du patrimoine. À titre de directeur, d’auteur et de collaborateur, il compte à son actif plusieurs publications axées sur la culture populaire et matérielle du Québec, entre autres Culture populaire et littératures au Québec, La vie quotidienne au Québec, Lever le voile du temps. Ses travaux ont concouru au développement de l’expertise ethnologique au sein de l’appareil d’État.

 

Yves Bergeron est professeur de muséologie et de patrimoine à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Il est titulaire de la Chaire de recherche sur la gouvernance des musées et le droit de la culture (UQAM). Ses travaux portent sur l’histoire des institutions muséales, les tendances et la gouvernance des musées. Il réalise avec François Mairesse de l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3 le projet Mémoires de la muséologie consacré à l’histoire contemporaine de la muséologie. Il a notamment publié Musées et patrimoines au Québec. Genèse et fondements de la muséologie nord-américaine (Hermann, 2019) qui explore les particularités de la culture muséale en Amérique du Nord.

 

Ethnologue formé à l’Université Laval, professeur titulaire de littérature orale à l’Université de Sudbury (Ontario), Jean-Pierre Pichette a occupé la Chaire de recherche du Canada en oralité des francophonies minoritaires d’Amérique (COFRAM), puis a été nommé professeur associé de l’Université Sainte-Anne (Nouvelle-Écosse). Membre fondateur de la Société Charlevoix, éditeur des Cahiers Charlevoix (PUO), de Rabaska, revue d’ethnologie de l’Amérique française, et d’une douzaine d’ouvrages collectifs, il est aussi directeur de la collection « Les Archives de folklore » des Presses de l’Université Laval.

 

Merci à René Bouchard pour le service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer auprès de votre librairie indépendante.

 

 

Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intérêt : *****

Appréciation générale : *****


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