Rapines (Patrice Lessard)


Patrice Lessard. – Rapines. – Montréal : Éditions XYZ, 2025. – 257 pages.

 

 

Roman

 

 

 

Résumé :

 

On dit souvent, en manière de cliché, que toute médaille a deux faces. Naples n’est pas une médaille, mais une boule disco.

 

Attablés à l’enoteca Scagliola, les personnages de Rapines inventent un monde en s’inspirant d’un fait divers non résolu. Ils nous entraînent dans un étonnant vertige ayant pour théâtre la ville de Naples, où adviennent encore aujourd’hui des miracles.


 

Commentaires : 

« Cinéma royal » (2017), « La danse de l’ours » (2018) et « Excellence Poulet » (2018) m’avait fait bien rigoler. « Rapines » est un tout autre type de roman. Une invitation à nous retrouver avec son auteur, Patrice Lessard, dans les ruelles de Naples comme il me l’a dédicacé en avril 2025. On entre dans cette fiction comme on pourrait entrer dans un quartier qu’on ne connaît pas : méfiant, curieux, un peu, même très perdu. On n’y suit pas un fil d’intrigue classique. On plonge davantage dans un monde éclaté, où les voix s’entrecroisent, où les frontières entre les gens, les classes sociales, les corps sont poreuses, incertaines. 

Difficile de qualifier ce faux polar un brin philosophique dans lequel les personnages inventent une histoire à partir du vol non résolu d’une statue de la Vierge alors qu’un vol de banque s’annonce ? Dans une entrevue publiée dans La Presse de Montréal le 13 mars 2025, l’auteur déclarait : 

« Ce n’est pas un roman grand public, je ne m’attends pas à en vendre 10 000. Mais j’ose prétendre que dans la littérature québécoise, il n’y a rien qui ressemble à ça, et qu’il y a une place pour lui. J’espère qu’on le verra comme ce que c’est, une œuvre artistique fondée sur une vraie démarche, une recherche, et non une reproduction du même. » 

« Rapines » est un roman urbain sombre qui met entre autres en exergue une réflexion intéressante sur l’écriture – ou le fait de cesser d’écrire – dont j’ai retenu ces extraits que je vous partage : 

« Or écrire, est-ce agir ? [...] Au reste, pourquoi écrire quand l'écriture pèse, donne l'impression de se débattre sans cesse avec sa propre incohérence, une vision du monde étroite et biaisée ? Comment, souhaitant agir, peut-on éprouver le besoin d'écrire, quand l'idée même de ce faire pousse à l'inaction - ou au retrait, comment écrire sans se retirer ? 

Dans l'inaction et le retrait, pourquoi ne pas privilégier le silence? Ce n'est là évidemment qu'un lieu commun puisque l'écriture en soi n'est pas bruyante, qui n'écrit pas n'est pas plus silencieux qu'écrivant, il vaudrait mieux pour le monde se taire qu'arrêter d'écrire. Arrêter d'écrire, d'ailleurs, ne veut rien dire. 

On décide de lire, on ne décide pas d'entendre. Ne pas écrire, dans la vaste majorité des cas, n'a rien d'une décision. N'est pas Rimbaud qui veut. 

Il ne pouvait toutefois faire autrement que constater, depuis qu'il avait cessé d'écrire, que son marasme s'amplifiait. 

[...] 

À une certaine époque, il lui était arrivé de croire, présomptueusement pour le moins, qu'il écrivait par excès de lucidité. Pas pour compenser un manque, moins encore pour combler un besoin [...]. Quelle prétention, n'en pensait-il pas moins, qu'écrire, et qui plus est d'associer l'écriture à la lucidité ! [...] Bien que ce ne soit pas fondamentalement impossible, il est rare que des choses et des événements émanent des mots. Pour les idées, il n'y a malheureusement pas moyen de faire autrement. Et il s'était justement rendu compte un jour que, au-delà de sa compulsion à noircir du papier, il voulait, beaucoup plus qu'écrire, penser. » 

Ou sur comment traduire sa pensée en écriture : 

« Pour écrire sa pensée, il faut savoir la circonscrire, la synthétiser. Or on ne sait jamais où ni quand commence ou s'arrête une pensée, le temps de la pensée n'est pas le temps de l'écriture, ni le temps de l'écriture, celui de l'action. 

Pour énoncer précisément quelque chose, pourtant, conformément à ce que l'on pense et avec les nuances nécessaires, dans l'espoir d'être entendu, il faudrait pouvoir dire simultanément tout ce qui concerne cette pensée, et cela est évidemment impossible. Il en va de même de l'écriture, qui trahit la pensée tout en étant en constante négociation avec elle. L'écriture trouve sa fécondité dans les contorsions qu'exige l'élaboration de la pensée: on écrit dans l'espoir de mieux se comprendre soi-même: l'écriture, parfois, révèle. » 

« Rapines » est un objet littéraire hors du commun au style singulier à savourer à petites doses, « pour les passionnés de récits noirs et quiconque cherche à se perdre dans les méandres du vrai et du faux » (note de l’éditeur).

 

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Patrice Lessard est né à Louiseville en 1971. Il est l’auteur de six romans (parus chez Héliotrope), notamment d’une trilogie lisboète dont font partie « Le sermon aux poissons » (2011), finaliste au prix Ringuet, et Nina (2012), finaliste au prix littéraire des collégiens, ainsi que des romans noirs « Excellence poulet » (2015) et « Cinéma Royal » (2017). Il signe de plus (parus chez Rodrigol) un recueil de nouvelles (« Je suis Sébastien Chevalier », 2009) et le récit « À propos du Joug » (2019), lettre de suicide de Sébastien Chevalier, dont on ne sait trop s’il a véritablement existé.

 

Je tiens à remercier les éditions XYZ pour l’envoi du service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire du livre via la plateforme leslibraires.ca et le récupérer dans une librairie indépendante.


Le cadavre du canyon (Thomas King)


Thomas King. – Le cadavre du canyon – Une enquête de DreadfulWater. – Lévis : Éditions, Année. – 364 pages.


 

Polar

 

 

 

Résumé :

 

Thumps DreadfulWater ne sait trop s’il doit se sentir déçu ou soulagé : Ivory, la nouvelle fille adoptive de Claire, est mignonne comme tout, mais son amie veut l’élever seule. C’est donc mi-figue mi-raisin qu’il a accepté sa décision – après tout, que connaît-il à la parentalité ? – et repris ses activités habituelles : déjeuner le plus souvent possible chez Al’s et rendre visite au shérif Hockney, qui essaie comme toujours de l’inclure contre son gré dans ses enquêtes.

 

Et cette fois encore l’affaire n’est pas simple. Une camionnette carbonisée a été trouvée sur le terrain de Main Street Paints, une entreprise qui utilise les lieux pour tester les effets du soleil et du climat sur ses différents types de peinture. L’emplacement, adossé au canyon Deep House, dispose d’un unique accès protégé par un système de sécurité qui enregistre toutes les allées et venues.

 

Or, l’analyse de celles-ci montre que le conducteur de ladite camionnette n’aurait jamais quitté les lieux. Voulant connaître les tenants et aboutissants de l’incident, la compagnie a vite dépêché trois cadres à Chinook, une délégation que Thumps juge disproportionnée pour une simple camionnette brûlée… à moins que le contenu de cette dernière ait eu une valeur inestimable aux yeux des dirigeants de Main Street Paints !

 

 

Commentaires :

 

Thomas King ne fait pas dans le polar classique. Ici, pas de rythme effréné ni de rebondissements toutes les trois chapitres. À la place : une ambiance, un ton ironique, un personnage principal aussi fatigué qu’attachant, et une intrigue qui avance à son propre rythme, en prenant soin de faire parler les silences et les non-dits.

 

Thumps DreadfulWater n’a rien du détective flamboyant. Il traîne son passé et sa lucidité avec une certaine nonchalance, une voix tranquille, mais incisive. L’auteur réussit à faire d’un coin de pays apparemment sans histoire un théâtre d’ironie douce, où les dialogues grincent, les personnages secondaires brillent par leurs contradictions, et la critique sociale passe par des détails qui font mouche.

 

Ce n’est pas un polar à lire pour son suspense, mais pour son regard posé, drôle et amer à la fois. Il y est question de politique, d’identité autochtone,  des travers de la société nord-américaine, des absurdités bureaucratiques et de condition humaine dans une banale affaire de cadavre au fond d’un canyon.

 

Thomas King un meurtre nous démontre qu’un meurtre est moins important que comprendre le monde dans lequel il a eu lieu.

 

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Thomas King est un romancier, nouvelliste, scénariste et photographe maintes fois primé. Parmi la longue liste de ses succès de librairie salués par la critique, notons « Une brève histoire des Indiens au Canada », « La Femme tombée du ciel » (prix du Gouverneur général), « L’Indien malcommode : un portrait inattendu des Autochtones » (prix RBC Taylor) et la série de romans policiers mettant en vedette Thumps DreadfulWater.

 

Thomas King a été nommé membre de l’Ordre du Canada en 2004 et promu compagnon de ce dernier en 2020, en plus de se voir décerner un National Aboriginal Achievement Award en 2003. Titulaire d’un doctorat en études américaines de l’Université de l’Utah, Thomas King réside au Canada depuis 1980, où il a œuvré à titre de professeur d’anglais à l’Université de Guelph, en Ontario.

 

 

Je tiens à remercier les éditions Alire pour l’envoi du service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire du livre via la plateforme leslibraires.ca et le récupérer dans une librairie indépendante. 

Quelqu’un derrière les murs (Zygmunt Miłoszewski)


Zygmunt Miłoszewski. – Quelqu’un derrière les murs. – Paris : Fleuve Éditions, 2025. – 394 pages.

 

 

Thriller

 

 

 

Résumé :

 

À Varsovie, la tranquillité d’un immeuble est soudainement menacée quand un de ses occupants, pris d`une inexplicable panique, tente de s`extraire de l’ascenseur en marche et se fait décapiter. Après ça, d’autres locataires deviennent victimes d`hallucinations et, bientôt, une étrange malédiction s`empare de ce bâtiment dont plus personne ne peut sortir.

 

Robert et Agnieszka, un couple qui vient d`emménager, partagent alors la peur qui s`est immiscée dans leur quotidien avec Wiktor, un ancien journaliste d`investigation tombé dans l’alcool, et Kamil, un adolescent révolté contre ses parents. Ensemble, ils espèrent comprendre quelle force démoniaque leur fait vivre ce cauchemar éveillé. Et qui est ce voisin étrange qui a piraté l`interphone et écoute ce qui se passe dans tous les appartements.

 

 

Commentaires :

 

J’avais apprécié « La Rage » (2016) et été séduit par « Les impliqués » (2013) et « Un fond de vérité » (2015). Avec Quelqu’un derrière les murs, Zygmunt Miłoszewski délaisse les enquêtes judiciaires classiques pour proposer un roman d’atmosphère à la frontière du suspense psychologique et de la satire sociale. J’ai moins aimé.

 

L’auteur y déploie une mécanique narrative basée non pas sur l’action, mais sur une montée insidieuse du malaise. Le décor est réaliste, presque banal, mais c’est dans cette banalité que s’insinue l’angoisse. Les protagonistes deviennent prisonniers d’un environnement qu’ils ont pourtant choisi, où chaque mur semble renvoyer leur propre fragilité. Le monstre est invisible. Il se cache dans les routines, dans les non-dits et derrière les silences.

L’auteur joue avec les codes du huis clos et du thriller domestique, tout en intégrant une critique des tensions de classe et en continuant de jeter un regard acerbe sur les travers de la société polonaise contemporaine sur un ton souvent ironique.

 

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Zygmunt Miłoszewski est un écrivain, journaliste et scénariste polonais. Il est notamment l'auteur d'une série de romans policiers dont le héros récurrent est le procureur Teodor Szacki. Il amorce sa carrière professionnelle en 1995 au quotidien populaire Super Express où il est pendant des années chroniqueur judiciaire. Depuis 2003, il travaille pour l'édition polonaise de Newsweek où il tient actuellement une chronique sur les jeux vidéo.

 

Il commence à publier des nouvelles et des romans en 2004. Il a obtenu à deux reprises (2007 et 2011) le prix du meilleur roman policier polonais Nagroda Wielkiego Kalibru. Son roman « La Rage » est classé à la onzième place de la liste des 20 meilleurs romans noirs et des polars de l'année 2016 publié par le journal Le Monde et pour lequel il a reçu le prix Transfuge du meilleur polar étranger. « Inavouable » a été son plus grand succès.

 

Je tiens à remercier les éditions Fleuve pour l’envoi du service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire du livre via la plateforme leslibraires.ca et le récupérer dans une librairie indépendante.

Le passeur (Franck Mancuso)


Franck Mancuso. – Le passeur. – Paris : Récamier noir, 2024. – 249 pages.

 

 

Polar « fantastique »


 


 

Résumé :

 

Gabriel Spaak, commandant à la brigade criminelle, avait tout programmé. Inconsolable depuis la mort tragique de sa femme et de son fils, il s'était isolé au milieu de la nuit pour en finir. Jusqu'à ce que ce chauffeur de taxi, surgi de nulle part, ne chamboule ses plans.

 

Moralité, au lieu de se la couler douce en enfer, il se retrouve à enquêter sur deux morts suspectes. Deux morts que la médecine légale ne parvient pas à expliquer. Deux morts que rien ne relie et sur lesquelles les policiers du 36 se cassent les dents.

 

Tandis que les éléments troublants s'accumulent et que les personnages étranges se succèdent, le mystérieux chauffeur de taxi se manifeste à nouveau et propose son aide à Gabriel. Mais en l'acceptant, le flic de la Crim' était loin d'imaginer à quel type d'individu il allait être confronté.

 

 

Commentaires :

 

J’ai beaucoup aimé ce polar « fantastique » sombre, qui m’a captivé grâce à son scénario enlevant et à ses personnages très crédibles, y compris les plus mythologiques. « Le passeur », dont le sous-titre « Naître, vivre, mourir... » pourrait être complété par « ... renaître », résume bien l’essence de l'histoire imaginé par Franck Mancuso. Pour un premier roman, chapeau ! L’auteur met à profit ses vingt ans d’expérience professionnelle, notamment au sein de la police judiciaire française, pour écrire cette histoire où le détective Gabriel Spaak mène une enquête rondement menée.

 

« Tu sais, tous ces tarés qu'on s'est coltinés quand on a fait comme moi vingt ans de Criminelle. »

 

Et celles de scénariste et de réalisateur, qui se traduisent par une écriture imagée, qui rend bien l’atmosphère du roman.

 

« ...une vingtaine de Japonais en pâmoison devant les façades du Louvre. Les perches à selfie qui dépassaient de leurs parapluies faisaient ressembler le petit groupe à un gigantesque porc-épic multicolore. »

 

« En voyant la montagne de muscles se mouvoir, Gabriel eut l'impression d'avoir devant lui le croisement improbable entre Hulk et une femelle bonobo. »

 

« Elle semblait flotter sur le sol. Elle ouvrit la porte et s’effaça pour le laisser sortir. Une danseuse en talons hauts. »

 

« Au-dessus de sa tête, le ciel avait pris une couleur de souffre et menaçait de s’écrouler. »

 

« ... un physionomiste baraqué, qui n’aurait pas été ridicule face à Shrek, lui barra le chemin. »

 

« Images psychédéliques sur écrans géants et basses à transpercer la cage thoracique. »

 

« Le mobilier semblait emprunté à la famille Addams... »

 

« ... des couples en partie, voire totalement, dénudés semblaient rejouer une version trash de la Bacchanale de Poussin. »

 

« Son occiput rencontra le béton et n’aima pas cela. »

 

« ... les nuages se télescopaient dans le ciel rouge. »

 

« En passant près du pont de l'Alma, il se prit de compassion pour le Zouave. Malgré l'eau qui lui montait jusqu'aux épaules - une première depuis la célèbre crue de 1910 -, il semblait serein. C'était bien le seul. »

 

On perçoit également l’expérience de l’auteur dans la description détaillée des scènes d’enquête et des échanges réalistes.

 

L’intrigue captivante de l’histoire est centrée sur cette déclaration clé, prononcée par le personnage principal :

 

« C'était il y a six mois... Ils avaient rendez-vous chez le dentiste. Je suis allé courir, je devais être de retour pour les accompagner. Mais le rendez-vous a été avancé. Ils sont partis sans moi. Un type a grillé un feu. Ma femme ne l'a pas vu parce qu'elle répondait à un appel... Le mien. Elle l'a percuté et elle est allée s'encastrer dans un camion qui venait en face. Mon fils est mort sur le coup. Elle, deux jours plus tard, à l'hôpital. »

 

En ce qui a trait au contexte, il s’intègre à l’allégorie mythologique du passeur Charon introduit au début de l’histoire :

 

« Les Grecs imaginaient le monde sous la forme de trois disques superposés.

Le disque central, la Terre, était celui où vivaient les mortels.

Le disque supérieur, le Ciel, était celui où vivaient les dieux.

Le disque inférieur, les Enfers, était celui des morts.

Une fois la cérémonie mortuaire accomplie, le défunt descendait aux Enfers et se présentait sur les berges du Styx, qu'il devait traverser sur la barque d'un vieux nocher après lui avoir versé l'obole que ses proches avaient pris soin de placer dans sa bouche lors de ses funérailles.

Une fois le fleuve franchi, il arrivait sur une île centrale séparée en deux parties. L'une, appelée Champs-Élysées, était le séjour des bienheureux. L'autre, appelée Tartare, était le lieu des supplices éternels. »

 

D’où le parallèle avec le centre de Paris, l’auteur s’étant rendu compte « que lorsqu’on regardait [...] de haut, l’île de la Cité, l’ancien palais de justice et les Champs-Élysées, on obtenait un exact “ copié-collé ” de la typologie des enfers grecs » (Libération, 15 décembre 2024) :

 

« Crois-tu que ce soit un hasard si le fleuve qui coule à Paris entoure une île séparée en deux parties ? Crois-tu que ce soit un hasard qu'on rende la justice sur cette île ? Crois-tu que ce soit un hasard que la plus belle avenue du monde s'appelle les Champs-Élysées ? »

 

Ce livre, que j’ai lu en quelques jours, alterne entre des scènes réalistes et mystérieuses. On y trouve un chauffeur de taxi étrange, un corbeau qui traverse la route du personnage principal, rappelant ceux du célèbre film d’Alfred Hitchcock, ainsi que des morts inexpliquées. La fin nous entraîne dans une conclusion imprévue, l’auteur ayant semé des indices tout au long des 15 chapitres.

 

Au passage, l’auteur se fait aussi pédagogue, offrant au lecteur la possibilité de s’imprégner de l’environnement de travail des enquêteurs parisiens :

 

·        L’édifice de l’institut médico-légal :

 

« 2, place Mazas. La Seine en contrebas. Les tours de verre de Bercy dans le fond. Les habitués de la ligne 5 du métro parisien connaissaient bien les flancs du bâtiment de brique rouge, coincé entre le fleuve et la rame aérienne qui, en ralentissant pour prendre le coude, émettait un grincement métallique strident à vous arracher les oreilles. L'institut médico-légal était l'endroit où atterrissaient toutes les victimes de mort violente ou suspecte de la capitale et des trois départements constituant la petite couronne. À l'époque de sa construction, en 1868, par Haussmann, l'édifice constituait l'une des sorties les plus en vogue de la ville. Les Parisiens pouvaient profiter de leur dimanche pour venir identifier des cadavres, principalement des victimes de noyade, étendus sur des tables inclinées de marbre noir disposées derrière une vitre. Aujourd'hui, la visite des lieux n'était plus synonyme de distraction. »

 

·        L'Unité de contrôle des transports de personnes de la préfecture de police (UCTP) :

 

« ... plus communément appelée Boers - déformation de l'argot bourres, qui désignait les flics dans les années 1920 -, était chargée de contrôler les taxis et les véhicules relevant de la réglementation du transport de personnes. Aucun quidam exerçant à Paris et dans la petite couronne ne pouvait leur échapper. »

 

·        Le registre des gardes à vue :

 

« Il fallait y indiquer, entre autres, l'identité de l'individu concerné, le motif de sa détention, le nom de l'officier de police judiciaire responsable de la procédure, celui le cas échéant de l'avocat, du médecin, et le prénom de son premier amour. »

 

·        L’audition de suspects :

 

« Chez les personnes auditionnées, certaines réactions se manifestent parfois sous la ceinture. Jambe que l’on croise et décroise, mains que l’on triture... Autant de signes que l’on peut – mais pas nécessairement que l’on doit – interpréter. »

 

·        Les opérations Libellule :

 

« Visite domiciliaire faite en catimini, hors du cadre légal. »

 

·        Le champ d’action de détectives privés français vs américains :

 

« Hollywood avait suffisamment perverti les esprits pour qu'un polar français sur deux parle encore de mandat de perquisition et pour qu'on puisse penser qu'un détective privé français pouvait agir comme un PI, un private investigator, américain. En fait, en France, ces mandats n'avaient jamais existé, et les détectives privés n'avaient pas plus de droits que le péquin lambda. »

 

Franck Mancuso glisse des informations qui m'étaient inconnues :

 

« Savais-tu qu'au XIe siècle, Saint Louis ordonnait aux filles de joie de se teindre les cheveux en roux pour les distinguer des femmes respectables? Et qu'à la Renaissance, les peintres associaient à la chevelure rousse une symbolique profane, évoquant le diable, le vice et le péché ? »

 

« Savez-vous que, d'après certaines croyances antiques, une veine part de l'annulaire gauche et rejoint le cœur ? Le fait de comprimer cette veine par un anneau assurerait l'amour exclusif. »

 

Je vous laisse découvrir la « liste de morts dites insolites » dont « certaines frôlaient le loufoque » que Gabriel Spaak découvre « en lançant des recherches tous azimuts » dans son ordinateur (pp. 97-98).

 

L’écrivain émet un avis critique sur le rôle de la police…

 

« La police est le camion poubelle de la planète. Une fois qu'on a compris ça, on a tout compris. On ne peut rien éradiquer. On contrôle, c'est tout. »

 

… et sur les conditions de son exercice professionnel, les décisions prises par les fonctionnaires et les magistrats qui considèrent souvent les policiers comme des auxiliaires de la justice, en plus des locaux vétustes où ils travaillent.

 

Le roman étant d’abord destiné à un public français, j’ai été confronté à des expressions argotiques telles que « discuter le bout de gras avec quelqu’un », « cavaler du métal », « faire disparaître sa glabelle », « garder sa guibole », « se faire détroncher », « sauter sur ses guiboles »... L’assistance de Google présente pendant que je lisais, m’a aidé à comprendre.

 

En conclusion, « Le passeur » est un polar captivant, original et qui m’a tenu en haleine jusqu’à la dernière page avec juste assez de fantastique pour rendre l’ensemble presque envisageable. Si vous êtes férus d’énigmes et de suspense policiers, vous adorerez certainement le roman de Franck Mancuso.

 

Son prochain livre devrait porter sur le « mythe du destin », et les mille et une manières de l’influencer. J’ai hâte de poursuivre la découverte de cet écrivain de romans policiers.

 

* * * * *

 

Franck Mancuso a travaillé pendant plus de vingt ans au sein de la police judiciaire. Aujourd'hui, il est scénariste et réalisateur. Il a notamment coécrit 36 quai des Orfèvres (nomination au César du meilleur scénario original) et a réalisé Contre-enquête et RIF.

 

Dans ce premier roman, il s'affranchit du cadre traditionnel du polar pour nous plonger dans une enquête mêlant réalisme et fantastique.

 


Je tiens à remercier les éditions Récamier noir pour l’envoi du service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire du livre via la plateforme leslibraires.ca et le récupérer dans une librairie indépendante.

 

 

Évaluation :

Pour comprendre les critères pris en compte, il est possible de se référer au menu du site [https://bit.ly/4gFMJHV], qui met l’accent sur les aspects clés du genre littéraire.

 

Intrigue et suspense :

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Originalité :

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Personnages :

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Ambiance et contexte :

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Rythme narratif :

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Cohérence de l'intrigue :

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Style d’écriture :

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Impact émotionnel :

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Développement de la thématique :

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Finale :

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Évaluation globale :

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