Un effluve anonyme (Lucie Lavoie)



Lucie Lavoie. – Un effluve anonyme. – Québec : Walter & Alice, 2023. – 348 pages.

 


Roman noir

 

 


Résumé :

 

Un effluve anonyme raconte l'obsession de Claire Miller pour l'assassinat d'un bambin de trois ans par deux garçons. Chroniqueuse aux affaires criminelles et criminologue, elle mène l'enquête sur ce meurtre sordide.

 

« Pourquoi Thomas Boudreault et Christophe Carrier ont-ils assassiné le petit Antony? » Hantée par ce drame aux ramifications insoupçonnées, la journaliste prépare un dossier complet sur les enfants assassins au moment de leur libération, dix ans après leur crime. Au cœur de cette enquête controversée, bien contre son gré, Claire entraînera ses proches dans des malheurs irréparables.

 

Des découvertes sur sa propre histoire expliqueront-elles son obsession pour les affaires criminelles? Entourée de Xavier, son collègue et amant, et de l'incomparable inspecteur Journet, Claire Miller, plongée au cœur de cette enquête, risque de s'y perdre.

 

 

Commentaires :

 

Un effluve anonyme, une odeur atroce, est le titre intrigant que Lucie Lavoie, ex-journaliste possédant une maîtrise en sciences politiques, a choisi de donner à son roman noir original par sa thématique pour résumer à lui seul un frisson qui sillonne la colonne vertébrale de celui qui le perçoit, qui fait « aussi mal qu’un cri sauvage transperce le cœur », gémissant « d’émotions contagieuses ». Quant au graphisme de la couverture de première réalisée par Marie-Claude Lemay, il illustre à merveille l’essence même du récit avec la représentation graphique d’un angstbeisser bicolore, un louveteau qui mord dans des situations d’anxiété.

 

Avec une qualité d’écriture remarquable et un scénario bien ficelé pendant un espace temps de trois mois, ce livre nous captive dès les premiers chapitres. L’auteure nous entraîne dans une enquête qui progresse lentement et qui, presque à notre insu, se transforme en thriller angoissant accentué par l’annonce en fin de certains chapitres d’événements qui vont modifier le cours de l’histoire.

 

Avec ce premier roman, Lucie Lavoie prouve qu’une publication de haute qualité en autoédition peut trouver une place enviable dans la chaîne du livre avec l’assistance d’une équipe de professionnels du domaine comme celle de Bouquinbec.

 

C'est lors d'études en création littéraire à l'Université Laval que l’auteure a décidé de donner la parole à son personnage principal, Claire Miller pour nous raconter cette histoire glauque. Dans ce récit sont indissociables enquête journalistique sur les germes du mal et démarche d’introspection sur un passé nébuleux. Ce passé est d’ailleurs à la source de moments de panique abscons et influence ses relations amoureuses et professionnelles :

 

« ...comment des enfants de dix ans ont pu non seulement tuer un petit bonhomme de trois ans, mais comment ils en sont arrivés à le vouloir, à le prévoir, et à... le massacrer » [...] « comprendre qui étaient ces gamins avant et au moment où ils ont massacré Antony. » et « pourquoi on massacre alors qu’on a que dix ans et qu’on est supposé jouer, pas tuer. »

 

« ...découvrir qui était sa vraie famille [expliquant] son obsession pour cette enquête sur les enfants-assassins. »

 

Lucie Lavoie met à profit son expérience en journalisme universitaire de plus de trente ans à l'Université du Québec en structurant son récit sur « le fondement même du travail journalistique : la véracité des faits. [...] Après avoir lu divers points de vue d’experts, et pris connaissance des faits véridiques, [conclure] par une série d’interrogations afin de permettre au lecteur d’y répondre à sa guise. »

 

Elle nous livre un récit riche en descriptions imagées...

 

« Un jour à la fois, un nombre inconcevable de cigarettes par heure, Manon Hébert manœuvrait dans les sables mouvants de sa peine. »

 

« Telle une brume de dévastation, un éther flottait autour de leur tête, ajoutant à l’énigme de l’événement dont ils avaient été les protagonistes. »

 

« D’une couleur invraisemblable, une seule lueur de son regard affolait quiconque la décelait. »

 

« Je me reculai au fond du fauteuil et vis un rayon de soleil traverser les dentelles [des rideaux] et reproduire une calligraphie à l’encre noire sur le sol. »

 

« J’ai la tête grosse comme la Terre : avec ses zones de conflits, ses sinistrés, ses bruits de défrichage et tous les hurlements des Terriens enragés et en délire. »

 

... de certains personnages...

 

« Un métissage de rustre mal rasé, de macho au crâne tondu, d’athlète aux épaules robustes, vêtu comme un universitaire des années 1940 et aux manières de gentilhomme. »

 

... de lieux...

 

« J'aimais les salles d'attente des postes de police. J'aimais le ton familier des récidivistes et des policiers, comme des gens d'un même club. J'aimais deviner comment les murs avaient été défoncés. J'aimais même la malpropreté des lieux, l'amalgame d'odeurs anonymes qui y flottaient, l'indécence humaine qui s'y promenait. Parce qu'aussi dévastateur que ce fût, c'était vrai. »

 

... et même d’antipasti :

 

« Une immense assiette colorée du rouge des tomates et des poivrons, du blanc des bocconcini et du noir des aubergines. »

 

Un effluve anonyme est un roman intelligent qui amène le lecteur à s’interroger sur les raisons qui poussent un assassin à tuer : jusqu’à quel point un meurtrier est-il malade ? Lucie Lavoie alimente la réflexion sur les origines du mal dans des échanges avec différents personnages que côtoie sa journaliste comme dans ces deux extraits :

 

« les enfants ne naissent pas mauvais ou méchants [...] plus maléfiques que d’autres » [...] « Leurs parents n’ont tout simplement pas réussi à les civiliser [et] transformer en profondeur [leurs] pulsions agressives et sadiques [sentiment de toute-puissance d’un enfant] et « intégrer la valeur de la vie humaine »  en leur faisant « prendre conscience d’abord de [leur] propre valeur ».

 

« Ce que tu expliques dans ton dossier, c'est très concret : découvrir les bonnes graines en dormance en nous, nos forces, nos capacités à nous en sortir, à devenir nous-mêmes, et traiter les mauvaises graines elles aussi en dormance, s'en approcher et s'y intéresser. »

 

Une proximité de pensée avec Pythagore « Éduquez les enfants et vous n’aurez plus à punir les adultes » et Victor Hugo « Ouvrez des écoles vous fermerez des prisons ».

 

Et aussi sur notre attrait pour les polars, les thrillers et les romans noirs, y compris les publications sanguinolentes et hyper violentes sur lesquelles certains groupes de lecteurs carburent :

 

« Pourquoi avons-nous cet attrait pour l'horreur ? Parce qu'elles nous rapprochent de notre part d'ombre, même si nous l'avons domestiquée, même si nous l'avons éduquée, même si nous sommes devenues civilisées, bon, enfin, plus ou moins.

– C'est ce qu'on appelle la maîtrise de soi... Les assassins, eux, agissent sans aucune retenue de leur agressivité, la même que celle que nous possédons et que nous maîtrisons à coups d'efforts parfois ‘’ inhumains ‘’.

[...]

 Vous savez pourquoi nous sommes si attirés par ces histoires de meurtriers en série et autres types de monstres?

Parce qu'ils vont au bout d'un agissement que nous ne nous permettons pas. Parce qu'ils se donnent la liberté d'agir férocement. Et cette férocité se tapit au plus profond de nous, alors même que nous nous racontons que nous sommes de bonnes personnes. C'est à la fois vrai et faux. »

 

Même si l’auteure affirme en page liminaire que le « récit est une œuvre de pure fiction » et que « toute ressemblance avec des situations réelles et de personnes existantes ou ayant existé ne saurait que fortuite », un œil averti est en mesure de décrypter certains passages :

 

·        « le salon funéraire à l’architecture sinistre de château néomédiéval qui avait abrité la prison des femmes » (maison Gomin)

·        « l’émission préférée où l’animateur proposait ce qu’il appelait ‘’ les plus belles chansons de nos souvenirs ’’. » (l’émission « C’est si bon » de Radio-Canada)

·        « le gris de la façade de l’Hôpital psychiatrique des Saint-Anges. » (l’Hôpital Saint-Michel-Archange)

·        « un dîner au très coûteux restaurant cinq étoiles Chez Jean-Claude. » (le restaurant Saint-Amour)

·        ...

 

Rares sont les auteurs qui expliquent leur démarche méthodologique et les rapports qu’ils entretiennent avec leurs personnages. Dans ses remerciements, Lucie Lavoie raconte comment, à la suite d’un

cours de Neil Bissoondath à l’Université Laval, Écriture de roman, le sujet de son roman s'est imposé à elle « avec force ». Et la manière de l’écrire :

 

« Sans plan, sans description du caractère des personnages, juste s'asseoir et écouter ce qu'ils veulent bien nous raconter.

 

Écrire et réécrire plusieurs jets, où des scènes disparaissent et de nouvelles surviennent, les protagonistes fignolant leurs faits et ciselant leurs gestes. »

 

Et d’ajouter :

 

« J'ai donc passé de nombreuses belles années à côtoyer Claire Miller, Thomas, Christophe, Xavier et toutes les autres personnes - oui, personnes, et non personnages. On ne côtoie pas des gens, si invisibles soient-ils, pendant des années sans qu'ils ne deviennent aussi réels que nos proches disparus bien après leur mort. »

 

Un effluve anonyme est disponible à la Librairie en ligne de Bouquinbec ou directement auprès des éditions Walter & Alice du nom de deux de ses « personnages ».

 

Merci aux éditions Walter & Alice pour le service de presse.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  *****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie : *****

Appréciation générale : *****


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