Laurent Gaudé. – Chien 51. – Montréal/Arles : Leméac/Actes Sud, 2022. – 292 pages.
Polar dystopique
Résumé :
C’est dans
une salle sombre, au troisième étage d’une boîte de nuit fréquentée du quartier
RedQ, que Zem Sparak passe la plupart de ses nuits. Là, grâce aux visions que
lui procure la technologie Okios, aussi addictive que l’opium, il peut enfin
retrouver l’Athènes de sa jeunesse. Mais il y a bien longtemps que son pays
n’existe plus. Désormais expatrié, Zem n’est plus qu’un vulgaire “chien”, un
policier déclassé fouillant la zone 3 de Magnapole sous les pluies acides et la
chaleur écrasante.
Un matin, dans ce quartier abandonné à sa
misère, un corps retrouvé ouvert le long du sternum va rompre le renoncement
dans lequel Zem s’est depuis longtemps retranché. Placé sous la tutelle d’une
ambitieuse inspectrice de la zone 2, il se lance dans une longue investigation.
Quelque part, il le sait, une vérité subsiste. Mais partout, chez GoldTex,
puissant consortium qui assujettit les pays en faillite, règnent le cynisme et
la violence. Pourtant, bien avant que tout ne meure, Zem a connu en Grèce
l’urgence de la révolte et l’espérance d’un avenir sans compromis. Il a aimé. Et
trahi.
Commentaires :
Je ne suis pas un amateur de littérature de
science-fiction. J’ai donc abordé Chien
51 avec un peu d’appréhension. J’avoue avoir eu de la difficulté à m’y
laisser emporter jusqu’à la mi-parcours. De mon point de vue, ce polar
dystopique n’est pas particulièrement plein de suspense. L’enquête se déroule à
un rythme ralenti. Le tout ponctué d’analepses, entre autres grâce au recours à
l’Okios, une drogue particulière qui ramène le personnage principal, Zem Sparak,
des années en arrière. Une technique d’écriture qui trouve sa raison d’être en
finale. Les seuls rebondissements majeurs ne surviennent d’ailleurs que dans
les derniers chapitres.
Ce roman noir est troublant en ce qu’il propose
un futur peut être plus proche qu’on peut imaginer et qui s’appuie sur une
réalité contemporaine inquiétante, un monde dominé par la puissance de l’argent :
pays au bord du gouffre financier, crise climatique, écarts démesurés entre
pauvreté et richesse, magouilles politiques, violences policières extrêmes,
soulèvements de masse, crises migratoires, contrôles d’identité et de
déplacement, système totalitaire, hégémonie d’entreprises qui contrôlent l’organisation
politique et les loisirs et les conditions de vie des classes sociales réparties
en trois zones : celles des biens nantis ayant accès à une certaine longévité,
de la classe moyenne et des laissé-pour-compte...
D’une certaine manière, Chien 51 m’a rappelé le régime dictatorial chinois décrit dans La
femme au Dragon rouge de J.R. dos Santos. Pas très rassurant à une
époque où des Poutine, Trump, Xi Jinping, Kim Jong Un et autres despotes aspirent
à dominer notre monde en attaquant les valeurs démocratiques.
Pour atteindre son objectif, Laurent Gaudé a
inventé un vocabulaire (par exemple les « cilariés », citoyens
salariés), créé une ville fictive, Magnapole, recouverte en partie par
un dôme climatique protégeant les secteurs privilégiés des bourrasques subites,
des orages de pluies jaunes et des déluges de glace, inventé le concept de la
privatisation des nations, imaginé des technologies à peine plus évoluées que
celles actuellement à notre disposition (par exemple, les montres
intelligentes, l’hyperconnectivité, le traçage des communications)... et même une
loterie permettant au gagnant de s’extraire de sa condition de miséreux moyennant
un asservissement au système.
Chien 51 est un roman d’ambiance
et de désespoir admirablement bien écrit. Quelques exemples :
« Le
but de l'entreprise [GoldTex] était-il
d'offrir un paradis à un petit nombre en asservissant l'immense majorité des
autres salariés ! »
« Du bétail. Voilà ce qu’ils sont. Avancer.
S’arrêter. Avancer. S’arrêter. Montrer sa bonne mine, ne pas faire d’histoires,
avancer, travailler. Fermer sa gueule, montrer ses papiers, avancer. Écouter
les ordres, se la fermer et continuer… la file de voitures lui apparaît soudain
comme l’image vertigineuse de la vie qui lui reste à vivre. Il ne peut plus
rien faire d’autre que ça. Rentrer en zone 3 et continuer.… »
« Le
ciel du matin est traversé de longs nuages jaunes qui s'étirent comme des fils
de laine sale. »
Portée au grand écran, cette œuvre de fiction
sur les dérives potentielles de notre monde s’apparenterait certainement au Soleil vert (1973) de Richard
Fleischer et au Blade Runner (1982)
de Ridley Scott.
À noter l’œuvre de l’artiste chinois Xiaohui Hu originaire de Beijin en
couverture de première qui représente l’atmosphère glauque de Chien 51, le nombre 51 étant la pièce
maîtresse de ce casse-tête futuriste.
Originalité/Choix du sujet : *****
Qualité littéraire : *****
Intrigue : ***
Psychologie des
personnages : *****
Intérêt/Émotion
ressentie : ****
Appréciation générale
: ****
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