La femme au Dragon rouge (J.R. dos Santos)


J.R. dos Santos. – La femme au Dragon rouge. – Bordeaux : Éditions Hervé Chopin, 2023. – 623 pages.

 



Thriller

 

 


Résumé :


Devant la terrasse d’un café du temple d’Or d’Amritsar, une fusillade éclate; une jeune femme voilée est enlevée avec une touriste qui tentait de lui venir en aide… Tomás Noronha part précipitamment en Inde, c’est sa femme qui a disparu avec celle qui se fait appeler Dragon rouge.


Aidé de Charlie Chang, agent de la CIA, le célèbre cryptologue va tenter de retrouver leur trace en déchiffrant les messages que Maria Flor lui a laissés. Il se trouve alors confronté à une réalité dont il ignorait l’existence. La stratégie secrète de la Chine et sa très mystérieuse nouvelle route de la soie.

 

 

Commentaires :

 

Avec La femme au Dragon rouge, thriller érudit inspiré de faits réels, J.R. dos Santos récidive avec une 10e « aventure » de son historien expert en cryptologie et omniscient. Cette fois-ci avec comme objectif de décrypter les visées du Parti communiste chinois, particulièrement depuis 1949, « des stratégies fondatrices du Royaume des combattants aux nouvelles routes de la soie ». Un roman qui repose sur une recherche documentaire toujours impressionnante et sur des témoignages recueillis auprès de ressortissants qui ont fui le régime. Un roman qui « n'est pas un roman sur la Chine et les Chinois, mais un roman sur le Parti communiste chinois et sa vision de la dictature du socialisme nationaliste - c'est-à-dire le fascisme - qui produit tant de souffrances à l'intérieur de ses frontières, et qui est déjà en train de tenter de s'exporter vers le reste du monde. »

 

La recette dos Santos est mise à profit un récit en deux volets, raconté en alternance de chapitre en chapitre.

 

D’abord celui qui nous fait découvrir l’histoire une jeune Ouïghour (60 % du roman), Madina qui, en quittant son village pour sauver sa famille, subira les humiliations et les violences engendrées par les actions du Parti communiste chinois pour fomenter le génocide des communautés « non chinoises » (Ouïgours, Kazakhs, Huis, Kirghizes...) de la région du Xinjiang. Une opportunité pour l’auteur lui permettant de mettre en évidence les répressions du système   :  

 

·        ne jamais contredire le Parti : « Tout ce que le Parti dit est vrai, même ce qui peut sembler contradictoire » ; « Le véritable communiste est celui qui est prêt à croire que le noir est blanc et que le blanc est noir si le Parti l'exige » ;

·        discrimination dans les offres d’emploi et au travail ;

·        surveillance de qui fait quoi, qui lit quoi : tout le monde surveille tout et tout le monde se surveille ;

·        omniprésence des caméras dans les rues, les édifices, au travail et même dans les résidences et différents moyens de surveillance pour étouffer toute révolte ;

·        stérilisations forcées ;

·        programme « Devenir une famille » avec pour but d’établir une unité ethnique et d’apprendre à vivre à la chinoise : vivre avec un Han (un Chinois) une semaine par mois avec prises de photos diffusées sur Internet pour montrer l’ampleur et l’étendue de l’emprise du Parti sur sur les Ouïghours et les humilier. Programme obligatoire ? « Non, mais refuser c’est remettre en cause le Parti » ;

·        postes de contrôle d'identité et de permission de circuler « check points » à tous les 200 mètres ;

·        ruban adhésif apposé sur la bouche des enfants qui, à l’école, osent parler leur langue maternelle au lieu du chinois même s’ils sont trop jeunes pour en connaître la langue.

·        statut de précriminel et de contre-révolutionnaire comme, par exemple, avoir eu 3 enfants, ne pas avoir mis un « J’aime » sur un message d’éloge du Parti... invité à « prendre le thé au poste de police » ;

·        camps de rééducation : lavage de cerveau, tortures, conditions de vie inhumaines ;

·        usines de production de biens où les travailleurs non rémunérés sont traités comme des esclaves.

 

En parallèle, Tomá Noronha fait équipe avec un jeune professionnel de la CIA dénommé Chang, ex-espion aux États-Unis pour le compte de son pays d’origine ayant viré capotm se remémorant les affres subites par ses grands-parents à l’époque du Grand bond en avant de Mao Zedong qui a éliminé 30 millions de personnes refusant d’adhérer à l’idéologie du régime.

 

Les chapitres du volet fictionnel du roman permettent de dévoiler progressivement le jeu politique du Parti. Une stratégie inspirée par la période des Royaumes combattants, il y a deux mille cinq cents ans, qui dura cinq siècles, avec à son apogée l'unification des sept États sous la dynastie Qin. À l’origine du nom de la Chine, la terre des Chin :

 

·        endormir sa méfiance de l’adversaire ;

·        manipuler ses conseillers et l’encercler sans qu'il s'en rende compte ;

·        voler ses connaissances et ses technologies qui lui donnent un avantage ;

·        garder à l'esprit qu'une puissance militaire plus grande n'est pas un élément essentiel dans une guerre longue, si les autres facteurs ne sont pas favorables ;

·        ne jamais se laisser tromper ni encercler par l’adversaire ;

·        être patients et attendre le shi, le bon moment pour arracher la victoire « cacher son jeu et attendre son heure ».

 

Les exemples cités dans les conversations entre Tomá et Chang sont nombreux. Dans le contexte canadien, avec le scandale de l’ingérence chinoise dans le processus électoral, l’affaire Huawei et celle des postes de police chinois, l’emprisonnement des deux Michael... ce roman donne des frissons dans le dos :

 

·        la nouvelle route de la soie : le financement des pays pauvres jusqu’à l’étranglement subtil de leur économie ;

·        la mainmise sur des ports pour contrôler et s’assurer les allées et venues ;

·        censure chinoise sur des produits culturels de l’Occident, la stratégie « utiliser un bateau emprunté pour aller sur l'océan » : « utiliser les outils culturels d'autres pays pour faire passer, de manière subliminale, le message du Parti. Les gens commencent à se construire une image fantasmée et bienveillante de la Chine, et surtout de son régime, sans avoir conscience que les films qu'ils regardent sont préalablement soumis à la censure du Parti communiste chinois. Ça ne vaut pas seulement pour les films, mais aussi pour la littérature, le journalisme... pour tous les aspects de la production culturelle. Et c'est insidieux. »

·        les principes wai yuan nei fang (rond à l’extérieur, carré à l’intérieur : l’apparence extérieure flexible, la réalité intérieure inflexible ; wai ru nei fa (extérieurement bienveillant, intérieurement impitoyable) ;

·        intervention des « amis de la Chine » lors de grands événements, par exemple dans les universités, ou lors d’interventions de personnes susceptibles « de heurter les sentiments du peuple chinois »

·        l’image publique même du Lingxiu, le timonier du parti, le Chef « plus de deux mille délégués présents au congrès [...] debout, en train de l'applaudir en rythme, tandis qu'une musique triomphale [rend] le moment grandiose. [...] élégant, vêtu d'un costume sombre et d'une cravate magenta, une étiquette rouge avec son nom accrochée au revers de sa veste, arborant un sourire contagieux et un air bon enfant, tandis qu'il [arpente] la scène devant de gigantesques rideaux rouges. Winnie l'ourson. Une personne aussi sympathique pourrait-elle faire du mal à une mouche ? » ;

·        et son discours sur :

o   « le socialisme aux caractéristiques chinoises » qui ne commettait pas les erreurs ayant conduit à la chute de l'Union soviétique ; 

o   « la démocratie aux caractéristiques chinoises » signifiant qu'il n'y a pas de démocratie ;

o   « la vie privée aux caractéristiques chinoises », qu'il n'y a pas de vie privée ;

o   « les droits de l'homme aux caractéristiques chinoises » qu'il n'y a pas de respect des droits de l'homme ;

o   « l'État de droit aux caractéristiques chinoises » qu'il n'y a pas de loi à laquelle une personne peut faire appel pour se protéger des décisions arbitraires du Parti ;

o   « Internet aux caractéristiques chinoises », qu'il faut une forte censure imposée à Internet ;

o   « la mondialisation aux caractéristiques chinoises », qu'il est impératif de voler la propriété intellectuelle étrangère et de protéger le marché chinois des produits étrangers, tout en exigeant le respect de la propriété intellectuelle chinoise ainsi que le libre accès des produits chinois aux marchés étrangers.

·        « Une hypocrisie sans limites, un univers de rhétorique mensongère, un ensemble de phrases qui signifiaient le contraire de ce qu'elles disaient. Le monde du Parti était un monde de mensonges, de duplicité et de dissimulation. Les mots n'existaient pas pour exprimer la vérité, mais pour la cacher. »

 

L’objectif didactique de dos Santos est évident et l’emporte sur l’action romanesque comme c’est généralement le cas dans cette saga consacrée à différents sujets d’intérêt. La thématique du scénario de La femme au Dragon rouge est définitivement d’actualité, entre autres avec les liens qui « unissent » la Russie et la Chine dans la guerre en Ukraine. Elle amène le lecteur à réfléchir sur son rapport à acheter et à utiliser des produits chinois : par exemple des téléphones et des ordinateurs dont certaines composantes sont susceptibles d’en tracer l’utilisation ou des vêtements bon marché « fabriqués par une main-d'œuvre forcée à travailler et qui n'a pas été rémunérée. En d'autres termes, nous achetons un produit fait par des esclaves et, ce faisant, nous finançons l'esclavage. »

 

Je ne souligne ici que la pointe de l’iceberg de ce que vous découvrirez dans ce roman troublant. Bien sûr, Tomá Noronha est un super héros : il connaît évidemment « assez bien l’histoire de l’ascension du Parti communiste chinois », entre autres, et est « très à l’aise avec la géographie, comme tout historien ». Les fonctions des unités américaines NAVCOMM, TSCCOMM, CMS, SURTASS n’ont pour lui aucun secret. Il n’hésite pas à sauter en parachute, à revêtir un exosquelette et à tirer sur l’ennemi. Sans oublier, son talent inné pour résoudre un message codé.

 

Malgré plusieurs redites qui auraient pu être éliminées et quelques « du coup » de la traductrice, ce roman contient de belles descriptions, telle celle du Grand Bazar d’Ürümqi et des scènes sur l’absurdité bureaucratique comme celle avec l’ambassade du Portugal à New Delhi. Il est complété par une carte qui permet de situer l’action, une note finale dans laquelle l’auteur présente ses sources d’inspiration et une vaste bibliographie spécialisée.

 

À noter dans l’épilogue l’étonnante déclaration de Maria Flor à Tomá qui influencera peut-être le futur de la série : « Quand il s'agit de sentiments, tu n'es rien d'autre qu'un lâche. Tu fuis le passé, tu me fuis, tu te fuis toi-même. Tu as subi un traumatisme et tu refuses de l'affronter, parce que tu as peur d'y faire face. D'où ces courses effrénées, ces aventures constantes, cette fuite incessante. Je pense [...] que le moment est venu, pour nous, de faire une pause. »

 

Il faut lire La femme au Dragon rouge pour apprendre, tout en se divertissant, à mieux connaître cette République populaire de l’amnésie qu’est la Chine moderne qui s’apprêterait à soumettre l’Europe en 2049, cent ans après le Grand bond en avant de Mao Zedong.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : ****

Intrigue :  **

Psychologie des personnages :  ****

Intérêt/Émotion ressentie : *****

Appréciation générale : ****