Olivier Challet. – Série éliminatoire. – Montréal : Éditions du Boréal, 2023. – 371 pages.
Polar
Résumé :
Montréal n’a pas encore eu le temps de se
remettre des excès du 31 décembre que le premier homicide de l’année est déjà
annoncé : un agent du SPVM habillé en civil a été étranglé dans le parc Jarry.
Alors que les médias s’affairent à la recherche d’un scoop, la direction de la
police met la pression sur ses troupes : il faut des réponses pour rassurer la population
et montrer que le meurtre d’un policier ne reste jamais longtemps impuni.
Ces réponses, c’est au lieutenant-détective
Jack Barral et à ses collègues de la division des crimes majeurs qu’il
incombera de les trouver. Très vite, ils se rendront compte que le quotidien
banal et fade de la victime dissimule un univers beaucoup plus sombre et ils
n’auront d’autre choix que de se lancer, en plein hiver, dans une folle course
contre la montre à l’échelle du Québec.
Commentaires :
Une nouvelle étoile scintille au firmament
des enquêteurs dans les littératures du crime au Québec en la personne du
lieutenant-détective Jack Barral du Service de police de la ville de Montréal (SPVM).
Entouré d’une équipe chevronnée aux personnalités toutes aussi crédibles les
unes que les autres.
Série éliminatoire s’ajoute à la série
de polars du nord publiés au Québec au cours des dernières années. Bien que la
couverture de première laisse présager que ce roman policier a pour cadre le
milieu du sport professionnel, sachez que ce n’est pas le cas. Par contre, le
hockey amateur, les ligues de garage, que suggère la photo de Benjamin Zanatta constitue
le lien entre la série de meurtres, d’éliminations, à laquelle sont confrontés
divers corps policiers de Montréal, de Québec, de Gaspé et de Saguenay.
Olivier Challet, ingénieur de formation, originaire
de Vendée dans l’ouest de la France y traduit les réalités géographiques, sociales
et politiques québécoises assimilées depuis son arrivée en 1994. Son personnage
principal mène une enquête méthodique lancée, dès les premières pages, à partir
d’un appel de son commandant :
«
Barral, ici Dubreuil. Désolé de vous
déranger un 1er janvier, mais vous allez devoir rappliquer d'urgence. Un
collègue du poste 26 vient de se faire tuer. Rappelez-nous au plus vite. »
Dans un espace-temps de 13 jours, à Montréal,
Laval, Coaticook, Québec, Gaspé, Rivière-au-Renard, Saguenay, dans le parc
national des Monts-Valin et en Outaouais, l’auteur nous entraîne
progressivement vers la quête de la vérité. Pas à pas, à un rythme qui prend
progressivement son élan au gré des assassinats, s’accélérant avec le cumul des
éléments découlant des multiples hypothèses soulevées qui s’affinent presque d’heure
en heure. Pour atteindre son paroxysme en finale avec le dévoilement des motifs
du meurtrier. Comme dans une enquête réelle sur le terrain.
Le tout de manière très procédurale, un peu à
la manière de Harry Bosch de Michael Connelly, permettant au lecteur de s’imprégner
de chaque scène de crime, de s’initier aux techniques méticuleuses d’enquête ponctuées
de relations parfois tendues avec les médias et à celles de l’identité judiciaire. Sans
oublier diverses sources d’information permettant de retrouver certains
individus : bureau d’enregistrement du Registre foncier du Québec, hôtel
de ville, bureau d’Accès Montréal, Société d’assurance automobile du Québec (SAAQ),
cas non résolus (cold cases). Et ce
dans les moindres détails.
Le style et la qualité d’écriture d’Olivier Challet
nous offrent des descriptions hivernales des plus réalistes :
« Soudain, ils aperçurent Gaspé, au loin. La
ville à flanc de colline brillait de ses lumières éparpillées. À ses pieds, la
glace avait emprisonné la baie, immobilisant le trafic maritime pour la saison
hivernale. Tout était figé. Barral eut un frisson. Jamais il n'avait éprouvé
une sensation de froid aussi intense. »
« Les sapins aux lourdes branches enneigées
ressemblaient à des fantômes sous la lumière des phares. »
« Il n'y avait plus personne le long du quai.
On entendait les vagues se briser sur la glace, de l'autre côté de la digue, à
une dizaine de mètres. Les énormes projecteurs dispensaient une lumière criarde
sur le port, générant des ombres fantasques sur les bâtiments de l'usine et les
hangars. Le vent soufflait par bourrasques, s'engouffrant dans les moindres
corridors et filant sur la surface glacée des quais. Pas question de sortir le
moindre bateau l'hiver. »
« Les trois enquêteurs firent le tour de
l'usine au ralenti, comme si le froid environnant les freinait dans leur
progression. »
Certains passages m’ont fait sourire
« – L'appartement
est vide, y a rien, poursuivit Gervais.
– Même pas une
bibliothèque ? En général, tout le monde en a une, avec au moins quatre
planches et quelques livres, non ? »
« Le lendemain, un peu avant neuf heures,
Barral entra dans la salle réservée pour les vidéoconférences. Il mit en marche
les divers appareils, grâce au mode d'emploi rédigé spécialement pour les
profanes comme lui. Puis il s'assit et attendit que la communication
s'établisse. »
« – [...] Aucune voiture ne passe dans cette ruelle. Et après minuit, en plein
hiver, il n'y a plus grand monde dehors. On est à Québec, pas à Montréal !
Barral ne fit aucune
réflexion sur le sujet, il n'avait pas envie de se lancer dans une polémique de
ce genre. »
« Il faisait chaud dans la pièce, malgré la
grandeur des lieux. La facture d'électricité devait être salée. »
« Peu après dix heures, il se prépara du café.
Il mit cinq bonnes minutes à comprendre le fonctionnement de la cafetière,
renversant au passage de l'eau sur le meuble. »
J’aime bien quand l’action d’un polar
montréalais se déplace à Québec, dans ma ville d’origine. Ici dans le quartier
Montcalm, entre autres sur l’avenue Cartier (non pas la « rue » Cartier),
au Café Kriegroff que je connais bien. Olivier Challet y décrit parfaitement en
quelques mots l’ambiance qui y règne :
« Les cinq policiers s'installèrent dans une
pièce à l'écart. Le café était agréable, bien qu'exigu. Un brouhaha incessant
provenait de la salle principale et des cuisines, ce qui était parfait pour
couvrir la discussion qu'ils s'apprêtaient à avoir. »
Comme c’est souvent le cas, Série éliminatoire qui repose sur un
scénario solide est ponctué d’insertions de segments complémentaires au récit
principal accumulant peu à peu des bribes d’informations sur le criminel
recherché.
De nombreuses références au hockey permettent
à la fois d’ajouter des éléments d’information sur les victimes et sur l’assassin
(« très tôt au hockey, un peu contre
son gré », admirateurs des Canadiens, assistances à différents matchs
au Centre Bell, le hockey comme source d’énergie, photo des joueurs d’une ligue
de garage...). À noter le chapitre 19 décrivant le déroulement d’un match Montréal-Ottawa
au Centre Bell, prétexte à une rencontre stratégique entre Jack Barral et le
caïd de Dorval, les billets offerts par ce dernier. Et le chapitre 25 sur les
caractéristiques et le fonctionnement
des ligues de garage organisées et pas organisées.
Le héros d’Olivier Challet est un peu à l’image
d’autres policiers imaginés par un grand nombre d’auteur.es de polars avec son
rythme de vie et les problèmes familiaux découlant de son emploi du temps :
la santé fragile de sa mère, ses promesses non tenues avec son ex-femme et sa
fille. Et hanté par son passé :
« Tout ça ramenait inconsciemment Barral à sa
propre histoire, à la disparition soudaine de son père il y avait plus de
trente ans, ce qui le rendit maussade. Son père les avait-il abandonnés de la
même façon, lui et sa mère, avec le même détachement et la même légèreté ? »
« L'espace d'un instant, Barral revit son père
sortant de l'incinérateur des Carrières, ses habits imprégnés des mêmes odeurs
âcres et toxiques qu'il rapportait à la maison. Il dut se secouer pour ne pas y
penser et revenir à la réalité. »
« Barral avait des frissons. Jamais la nature
ne lui avait paru aussi oppressante et inquiétante. Sans raison, il se mit à
penser à son père. Son père ruisselant de sueur, travaillant comme un forcené à
l'intérieur du grand incinérateur, qui avait disparu sans laisser de traces. Et
lui, trente-quatre ans plus tard, transis de froid et de peur, disparaissant
dans l'obscurité à la recherche d'un tueur implacable. »
Série éliminatoire est un tourne-page
qui m’a accroché dès le départ. Il met en scène des personnages prometteurs annonçant
peut-être une suite dans laquelle on en apprendra davantage sur l’univers de
Jack Barral. Ce qui ne serait pas surprenant étant donné que Olivier Challet
publie depuis plus de 10 ans une suite de romans policiers destinés aux jeunes
mettant en vedette un dénommé Max,
« un garçon âgé de dix ans, lunettes rondes et cheveux frisés, curieux,
perspicace et sensible, qui sous ses airs peu téméraires parvient toutefois à
démêler les intrigues les plus surprenantes ».
Une récidive avec Jack Barral et son équipe dans
la littérature pour adulte est donc espérée.
En conclusion, j’ai aussi noté quelques
descriptions savoureuses :
« Ils s'éclipsèrent en silence, sur la pointe
des pieds. Seules les traces grisâtres sur le sol attestaient leur passage,
contrastant avec le faste clinquant de la maison. »
« Pour commencer, l'humeur massacrante de
Dubreuil à la suite de l'article de Gagné se propagea dans l'édifice à la
vitesse de l'éclair, comme un sale rhume qui contamine une classe en une seule
matinée. »
« Un homme ayant dépassé la soixantaine lisait
son journal, assis derrière son bureau. Cheveux grisonnants, petites lunettes
foncées, veste grise, il avait l'air d'un vieil apothicaire. »
Merci aux éditions du Boréal pour le service
de presse.
Originalité/Choix du sujet : *****
Qualité littéraire : *****
Intrigue : *****
Psychologie des
personnages : *****
Intérêt/Émotion
ressentie : *****
Appréciation générale
: *****
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