Ronald Lavallée. – Tous des loups. – Montréal : Fides, 2022. – 325 pages.
Polar
Résumé :
Dans un village isolé et inhospitalier du
Nord canadien, la rumeur court. Un homme en fuite, accusé d’avoir assassiné
froidement sa femme et son enfant, se terrerait dans la forêt boréale.
Matthew Callwood arrive tout juste en poste
dans la région. Jeune policier idéaliste et téméraire, il est rapidement
confronté à ses collègues qui boivent et fricotent avec les trafiquants du
coin. Malgré tout déterminé à relever la trace du meurtrier en cavale, Callwood
entreprend une traque sans relâche dans un dédale de lacs et marais aux confins
indéfinissables. Au fil des mois, le policier découvre qu’il a affaire à plus
fort que lui. Le chasseur devient le chassé.
Sur un territoire démesuré au climat
impitoyable, la nature sauvage, surtout celle de l’homme, reprend toujours ses
droits.
Commentaires :
Il faudrait disposer de six étoiles pour
qualifier le quatrième roman de Ronald Lavallée ont l’action se déroule en 1914.
Tous des loups, un polar original à
saveur ethnographique et sociologique a pour cadre géographique le nord de la
Saskatchewan et comme acteurs une poignée de Blancs, de Métis et de Cris. Il
met en scène un jeune policier du nord-ouest de 24 ans, Matthew Callwood, qui a
choisi ce métier après avoir été abandonné par celle qu’il aimait – le chapitre
19 rappelle l’événement et permet d’en connaître davantage sur la personnalité
du jeune policier – au grand dam de son père, un juge qui a une piètre opinion
sur les policiers :
« Un ramassis d'ivrognes. Des illettrés, des
ratés, des immigrants. Que vas-tu faire là-dedans ? Maintenir le droit. Faire
régner l'ordre. Au profit de qui ? Des Indiens, des trappeurs, des ours noirs ? »
« Un policier, […] c'est un bandit manqué qui court après de vrais bandits. »
L’auteur, ex-journaliste et réalisateur à
Radio-Canada, nous entraîne dans une chasse à l’homme qui nous permet de
découvrir les conditions de vie de ceux que les Autochtones appellent les
« pattes-jaunes ». À
commencer par celles au poste de police établi près d’un village
amérindien :
« L'intérieur
est obscur. Ça sent le lac. La moitié de la salle de garde est sacrifiée aux
cellules, deux cages aux barreaux huilés contre l'humidité. Un bureau et un
classeur occupent le reste de l'espace. Le parquet grince sous les bottes. Les
fenêtres sont minuscules. La saleté des vitres tamise la lumière. »
On y apprend de quoi se nourrissaient ceux
que les Cris reconnaissent comme représentant du roi, « garant de leurs traités » :
« … café, sucre, farine, raisins secs, viandes
et fruits en conserve, pains de savon, lait condensé, soupe et œufs en poudre,
et dix mille huit cents cigarettes. […] le tabac
est une devise plus utile que la monnaie. »
« Harvey est sorti tôt pour chasser. Il espère
rapporter quelques perdrix tandis qu'elles sont encore mangeables. Les oiseaux
vont bientôt se nourrir d'aiguilles de conifères et leur viande perdra tout
intérêt. »
Et pour le souper de Noël :
« Oie fumée, fricassée de castor préparée par
une mémé du village, pommes de terre en poudre, fruits secs, chaussons au
mincemeat […] et, pour l'occasion, un
minuscule flacon de brandy consenti par l'intendance pour flamber le pouding. »
Roland Lavallée excelle dans les descriptions
imagées qui immergent le lecteur dans l’environnement sauvage du Nord canadien.
En voici quelques exemples :
« La rivière scintille joliment. Les cabanes
basses, aux toits couleur d'humus, s'éparpillent le long des berges parmi les
peupliers dorés, saupoudrés de neige. Une vieillarde gratte une peau d'orignal
tendue sur un cadre. Une autre récupère des poissons séchés sur des claies. »
« Le lac balance des poignées de diamants au
visage des voyageurs. Le bleu du ciel se dilue, devient laiteux, évanescent,
comme si un enfant avait manqué de couleur, là-haut, pour remplir le vide
au-dessus du grand lac.»
« Du matin jusqu'au soir, canards, huards et
butors font monter un beau vacarme depuis les roseaux tout en restant cachés.
Les longues processions d'oies et de cygnes n'en finissent plus de s'égrener
au-dessus des têtes des voyageurs. […]
Des barrières impénétrables d'aulne rugueux défendent les berges. Le tamarac,
l'arbre le moins frileux de la planète, pousse dans les tourbières. Les petits
trembles s'espacent et se rabougrissent. L'horizon est fermé partout par la même
clôture d'épinettes noires. »
« Un huard, au loin, lance un rire maboul »
« De jolis prés verts s'ouvrent entre les
flots de conifères et invitent au repos. Dès qu'on y met le pied, le pré se
transforme en une masse inextricable de broussailles, de thés du labrador et de
kalmias qui vous arrivent à mi-cuisse. […] du bois de chauffe, il y en a partout. Les épinettes se momifient sur
pied, patiemment séchées par le vent éternel. La nuit, les hommes allument de
grands feux qui crachent des étincelles et font monter des nébuleuses inédites
parmi les constellations. »
« Des couleuvres de neige s'enroulent autour
de ses jambes. »
« Les mains en cornet, Harvey fait craquer une
allumette contre un ongle, puis embrase le tabac blond de sa cigarette. Il lève
le museau et se délivre d'un beau panache odorant. »
Je vous laisse découvrir celles des lacs et
des marais qui s'enchaînent jusqu'à perte de vue (p. 207), les longs filaments
d’oies et des escadrilles de canards (p. 209), les frappe-à-bord qui sont à la
fête et les grosses mouches velues qui vous enlèvent un peu d'épiderme à chaque
morsure (p. 221), les berges couvertes d'atocas, d'airelles et de bleuets et le
miaulement des castors, la nuit (p. 289).
Certaines scènes sont rédigées dans une
langue cinématographique. Deux exemples :
Le canot qui chavire :
« Le canot se cabre comme un cheval sauvage.
Une épaule rutilante sort de l'eau, soulève l'embarcation d'un coup et la
précipite de l'avant comme un javelot lancé à toute force. […] Le canot s'élance dans les airs et fait un
vol plané d'une seconde qui lui semble durer une éternité, avant de plonger
dans un bouillonnement géant. Il est arraché de sa place par un immense coup de
poing au ventre, se retrouve cul par-dessus tête sous l'eau, brassé comme un
rat dans la gueule d'un terrier, ne sachant plus où est la surface, recevant
des coups de partout tandis que des masses sombres passent à toute allure dans
une tourmente grise. »
Et la rivière en débâcle :
« Une grande secousse parcourt l'amas de
glace, comme un train qui donne son coup de départ. […] Un bruit de déchirement et le couvercle de
glace se met en marche. Un chant de sirène, aigu, aérien, s'élève dans la
noirceur. Un vrombissement monte des entrailles de la rivière. Des cascades de
glaçons pulvérisés chuintent à travers l'obscurité. »
La scène de l’attaque d’un caribou par une meute
de loups (pp. 301-302) donne froid dans le dos.
Vous y apprendrez peut-être comme moi qu’une
personne peut écrire au stylo 30 mots à la minute et 80 à la machine ; que
lorsqu’un Blanc quittait la région, il cherchait un nouvel homme pour sa
femme : ils appelaient ça «
retourner la fille» ; que le représentant du commissaire aux Affaires
indiennes faisait annuellement la tournée des villages autochtones ; qu’une descente
de canot s’appelait « un quai indien
: deux perches à demi submergées, reliées entre elles par des rameaux de
conifère formant un coussin protecteur pour le canot qui accoste » ;
que les Cris nommaient les Canadiens français « Pakhwésan. Un mangeur de pain » ; que les bûcherons appelaient
du saint-michel « un brûlis presque
impénétrable : sans doute parce qu'il faudrait une intervention de l'archange
pour s'en tirer. Les jeunes épinettes poussent dru comme des cheveux et
arrivent à la poitrine des hommes … ».
Ronald Lavallée documente son récit en mettant
en évidence les ordres du Quartier général (QG) distribués sous forme de
circulaires :
« On signale des vols de chevaux à mille kilomètres.
Des évasions de pénitencier en Ontario. On rappelle les dispositions à prendre
contre les immigrants chinois clandestins. Interdiction absolue de chasser le
bœuf musqué dans l'Arctique. Copie vous est livrée de la Loi sur les
douanes. Et puis, après chaque avis :
Prendre toutes mesures nécessaires. Chaque circulaire exige un accusé de
réception et porte la date à laquelle a été expédiée la réponse. Avant qu'elle
n'arrive, il peut s'écouler des mois. Callwood tombe sur une lettre du
commissaire aux Affaires indiennes qui ordonne de comptabiliser toutes les
arrestations pour possession d'alcool, secteur par secteur. »
Et les livraisons de journaux, de beaucoup de
journaux.
Les policiers doivent aussi « lutter contre le braconnage des espèces
protégées, l'esturgeon en particulier », faire respecter la Loi sur les poissons et la faune. Sans
oublier les saisies d’alcool auprès de petits revendeurs qui, « dans le pays, est vu comme une bonne blague,
un divertissement, qu'on s'ennuierait mortellement sans ce jeu du chat et de la
souris entre la police et les contrebandiers. » En portant un jugement
assertorique sur leurs interventions :
« C'est le surintendant aux Affaires indiennes
qui nous oblige à traquer l'alcool dans les réserves. Ça fait chier tout le
monde, je peux te le dire. Mettre à l'amende des gens qui ont pas le sou est
une perte de temps. Les Indiens vont disparaître de toute manière. Survie des
plus forts. Qu'ils boivent un peu plus, un peu moins. »
Le reste du temps, le policier « rend visite aux aînés du village. Il apporte
des cigarettes que les vieux émiettent dans leurs pipes. On lui fait une place
en silence. On lui sert du thé sirupeux à faire grincer les dents. On répond à
ses interrogations par de lents hochements de tête. Mais les conversations sont
empruntées, entrecoupées d'interminables silences. Il ne sait jamais quand
partir et, quand il s'y résout enfin, personne ne le retient, ni même le salue. »
Le chapitre 5 décrit l’arrivée du bateau à
vapeur du représentant de la Compagnie de la Baie d’Hudson rempli de provisions
et qui, au retour, emporte les enfants d’âge scolaire vers les pensionnats du
sud.
La deuxième moitié du roman décrit dans ses
moindres détails la recherche d’un certain Moïse Corneau accusé d’avoir tué sa femme
et son enfant. Trois versions des faits reprochés à l’homme sont réparties dans
le récit qui se transforme en un tourne page efficace depuis la préparation de
l’expédition, son déroulement chaotique jusqu’à son dénouement des plus
inattendu.
« Matthew [Callwood] déniche un document qu'il traîne dans ses valises depuis l'école de
police : Besoins alimentaires des hommes en patrouille d'hiver. »
« Des briques de pemmican, des biscuits, des
fruits secs, de la soupe cristallisée et du thé pour les hommes. Du poisson sec
et du pemmican pour les chiens. Un seul traîneau en forme de grand toboggan. Un
homme marchera à côté. Les deux autres iront devant, en raquettes, pour faire
la trace et éviter que les chiens ne s'épuisent. Des fusils. Des menottes et
des entraves. Un filet de pêche à tendre sous la glace pour refaire le stock de
poissons en chemin. »
« Cinquante
grammes par homme, par jour. [« Le
QG en fait une fixette »]. C'est ce qui a permis à Amundsen de tenir
jusqu'au pôle. » Des Forced
March : « Des cachets de cocaïne et
de caféine » […] « Ça te transforme
en machine. »
Les gardiens de la paix « ont fière allure avec leurs verres fumés à
l'uranium, dernière trouvaille contre l'ophtalmie des neiges. Le reste de
l'habillement, hélas, manque d'élégance. L'intendance a dû commander une seule
taille d'anorak - la plus grande - en se disant qu'elle irait à tout le monde. »
Il faudra apporter la caméra qu’on leur a
fait parvenir : « C'est pour
photographier le cadavre » de celui qu’on recherche et qu’ils abattront
manu militari, eux qui, à l’école de
police, « ont appris à tirer à toutes les six secondes ».
Et garder en tête le secret du
commandement :
«
… faire que la partie ne s'arrête
pas, que le ballon reste en jeu, le score final toujours en suspens. Les hommes
[…] ne tiennent pas tant que ça à savoir
si l'objectif vers lequel ils tendent est juste, du moment qu'ils ont des
chances de l'atteindre. Après ça, fixez-leur la destination que vous voudrez,
bonne ou mauvaise. »
Tous des loups se démarque par
l’originalité du récit, la qualité d’écriture, le contenu historique et
pédagogique. Ce roman palpitant met aussi en évidence les comportements
machistes et les propos racistes de l’époque envers les populations
autochtones : « L'échelle des
races. La supériorité des Blancs. Mais tous les mâles se ressemblent. La force
et l'adresse, voilà ce qu'ils admirent. Le courage physique est la seule vraie
vertu. Les idées, on s'en branle. » Il met en scène des personnages
plus vrais que vrais : le constable Matthew Callwood issu d’une famille
bourgeoise qui rêve d’aller servir sous les drapeaux britanniques alors qu’il
apprend le déclenchement de la guerre en Europe et dont le prédécesseur,
Suchenko, entretient des relations troubles avec les trafiquants d’alcool et
les Autochtones, Harvey Gruber, l’assistant de Callwood, aux penchants marqués pour
l’alcool et le sexe, Fran la prostituée du village, Corbett, le British
illuminé, quelques Cris et Métis engagés dans l’expédition…
En conclusion, cette citation du juriste
britannique William Blackstone (1723-1780) que Matthew Callwood lit en ouvrant
au hasard l’exemplaire qu’il a apporté avec lui des Commentaries on the Laws of England résume bien l’essence de cette
fiction :
« L'être humain […] a été doté par la Nature d'une sauvage liberté. Mais tout homme qui
réfléchit acceptera de troquer cette liberté contre l'obéissance aux lois. Car
s’il conserve le droit de faire tout ce qu'il veut, les autres feront de même
et, alors, qui sera en sécurité ? »
Merci aux éditions Fides pour le service de
presse.
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Originalité/Choix du sujet : *****
Qualité littéraire : *****
Intrigue : *****
Psychologie des
personnages : *****
Intérêt/Émotion
ressentie : *****
Appréciation générale
: *****
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