Les charognards visent toujours les yeux en premier (Antoine Symoens)


Antoine Symoens. – Les charognards visent toujours les yeux en premier. – Montréal : Fides, 2023. – 282 pages.

 


Western

 



Résumé :

 

La jeune Suzie Westerfield, l’innocence pure, n’avait jamais prévu de basculer dans un tel monde de violence. Accompagnée de son irascible grand-mère, elle prend les armes afin de venger sa famille, assassinée par Benjamin Theodore Kelly. Homme charmant au visage d’angelot, il a massacré tous les habitants d’une petite ville d’Arizona. Dans son sillon, les charognards se régalent des corps décapités et les chasseurs de primes, alléchés par les 12 000 dollars que vaut la tête de Kelly, s’égarent dans les vallées infestées de bandits. Mais la compétition est rude lorsque le célèbre marshal fédéral Douglas Alison Larcher, un vieil acariâtre obstiné, se met à son tour à la recherche du tueur.

 

Sous l’ombre des vautours, le soleil tape fort, les armes tirent aveuglément et les cadavres n’ont plus leur mot à dire. Pour survivre, Suzie devra choisir ses propres alliances dans un univers qui ignore aussi bien la loi que la morale.

 

 

Commentaires :

 

Vous êtes friands de romans westerns et de cinéma du même genre, plus particulièrement des « westerns spaghettis » ? De la violence des scénarios de Sergio Leone ou du goût prononcé de Quentin Tarantino pour l'humour noir, l'absurde et le parodique ? Les charognards visent toujours les yeux en premier (« c’est la partie la plus tendre, la plus facile à éviscérer ») vous comblera très certainement.

 

Son auteur, Antoine Symoens, qui poursuit des études en scénarisation cinématographique, nous dévoile son talent de raconteur et de metteur en scène avec un récit déjanté très bien structuré reposant sur une intensité dramatique croissante et une palette de personnages tous plus ou moins désaxés, dégénérés et meurtriers patentés. Un « petit monde de violence et de gâchettes faciles », campé dans un décor aux couleurs flamboyantes de l’Arizona des années 1870 où s’insèrent naturellement les clichés de l’époque :

 

Le saloon de Slacktown dirigé par une femme, Chloé O’Five…

 

« Seul le bar sortait du lot avec son comptoir parfaitement lustré, son repose-pied en laiton, ses crachoirs neufs à peine remplis de chiques et son étagère débordante de bouteilles. Au-dessus du grand miroir, une tête de cerf surveillait le lieu, encadrée par deux fusils finement décorés. »

 

… et l’armurerie du village :

 

« … la salle de vente fourmillait d'articles : des fusils à levier, à lunettes, pour la chasse aux bisons, pumas et bandits, des carabines neuves, d'autres usées, des revolvers six-coups, douze-coups, poivrière, une tonne de cartouches, des étuis, des poignards, des hachettes et tout ce qui peut trancher une gorge ou un steak. »

 

Antoine Symoens nous invite dans la vallée de la Navita où se déroule l’essentiel de l’action avec son portail d’accueil fort éloquent : « Royaume de la Navita. Nombre de vivants : 0. Nombre de morts : incertain. Entrez, n'ayez crainte, nos cimetières ont toujours de la place. »

 

La géographie des lieux :

 

« La rivière séparait la zone en deux secteurs, avec en son centre un vaste terrain que l'on nommait le Colisée. D'un côté, il y avait le repaire des Malvendas, son clan, et de l'autre, la Citadelle des Busards, l'ennemi, qui demeurait introuvable dans les montagnes. De plus, la Navita prenait un malin plaisir à se diviser en une multitude d'effluents déchaînés qui lacéraient les falaises, s'enfonçaient dans les souterrains et formaient des deltas impraticables au cœur des canyons. »

 

Le Colisée :

 

« Mort assurée, 250 m. Banque sans sous : prendre à droite Jésus ne connaît pas la vallée, demandez pas votre chemin. »

 

Le repaire des Malvendas :

 

« Les feux de camp et les fumées jaillissaient le long des éboulis, des hommes mangeaient et se soûlaient bruyamment, certains tiraient sur leurs ombres sans parvenir à être plus rapides, et d'autres patientaient en ligne devant une tente usée qui remuait frénétiquement. »

 

La Citadelle des Busards :

 

« La Citadelle s'apparentait à un donjon troglodyte, une tour presque aussi grande que la montagne dans laquelle elle s'encastrait. Sa façade ressortait de la falaise avec des pierres grossièrement taillées et d'innombrables poutres apparentes. De chaque côté, des fenêtres et des balcons jaillissaient comme les branches d'un arbre géant. »

 

Que serait un western sans diligence ? Rouge, aux roues jaunes, 18 places, tirée par six chevaux, « pas de vitre, seulement d’épais rideaux de cuir qui protégeaient les passagers de la poussière », conduite par un cocher voyagiste véreux porteur de rêve pour touristes friands de sensations fortes : « Aventuriers du Far West, venez découvrir les sauvages gorges de la Navita ! Repaires de bandits, trésors et mine d'or, revivez l'Ouest comme jamais auparavant. » Ce slogan publicitaire, peint sur la portière de la voiture, résume à lui seul le propos du récit : la recherche de « Benjamin Theodore Kelly, dit le Corbac, pour nombreux meurtres. 12 000 dollars. Individu extrêmement dangereux ».

 

Voici quelques-uns des personnages que vous découvrirez :

 

Douglas Allison Larcher, US marshal bourru dont la réputation de tireur n’est plus à refaire qui débarque à Slacktown pour éliminer celui qui répand la terreur dans la région. Secondé par Konrad Klapp, l’adjoint du shérif Torens de Slacktown, qui s’invite à la chasse à l’homme.

 

Olga Westerfield, « une gueule épouvantable en toutes circonstances. Qu'elle soit heureuse ou non, qu'elle ressente une émotion particulière, une douleur, une inquiétude, elle affichait toujours son fameux rictus inversé. » Et sa petite-fille Suzie qui, sous des airs d’ange, est prête à aller jusqu’au bout pour assouvir son désir de vengeance. Toutes deux voleuses d’armes de collection.


Benjamin Theodore Kelly, dit le Corbac, celui qui a massacré tous les résidents d’une petite ville d’Arizona et que tous ont une bonne raison de rechercher :  « … vingt-deux ans, le regard angélique, les pommettes roses et pleines de taches de rousseur, les cheveux châtains aux reflets cuivrés, généralement décoiffés, […] À l'heure de la messe, Benjamin avait barricadé l'église avant de l'incendier. […] Il s'était ensuite emparé des corps calcinés et les avait décapités un par un avec son poignard, sans se presser, pour finalement disposer les têtes comme deux grandes ailes autour des cendres du bâtiment. »

 

Réal Matavier Premier, le moine de service, occasionnellement gardien de la Citadelle. « Sous sa soutane, le curé portait un long collier avec un crucifix en bois, mais également un petit revolver suspendu au côté de la croix. »

 

Jimmy Troy, jeune chasseur de primes au chapeau melon, « un long manteau de cocher […] lui descendait jusqu’aux chevilles et recouvrait sa veste noire ».

 

Gaagii Herbes-Rouges, le Navajo, qui constate que : « ce sont des sauvages qui ont fait ça ».

 

Henry Phillip de Malvenda, marquis de la Navita, « ses deux grosses mains aux doigts serties de bagues » prêt à trahir son clan et ses propres alliés (« Y a toujours moyen de faire des affaires, n'est-ce pas ? Depuis le temps qu'on se connaît, on s'est quand même bien enrichis les uns les autres. »), et sa sœur sanguinaire, Mathilda Malvenda.

 

Bernardo, dit le doc du « Département des sciences cadavériques et des théories putréfactives », un personnage secondaire singulier, qui accueille ses visiteurs impromptus en déclarant : « Vous tombez bien, j'ai préparé une infusion à la myrtille avec une pointe de bergamote,… » :

 

« Le doc avait été un vrai docteur au sein de la Citadelle, et il n'existait pas meilleur que lui pour les amputations. Mais avec l'âge, une douce folie l'avait progressivement gagné et il s'était retiré en ermite au milieu de la rivière, là où il ne risquait plus de couper ce qui ne devait pas l'être. »

 

« La pièce centrale [de sa maisonnette] regorgeait de matériel, d'outils, de haches, de bocaux aux contenants étranges, de plantes mortes, de bouteilles et, surtout, de morceaux humains. Sur les étagères, plusieurs os, en partie décharnés, séchaient et empestaient la salle d'une odeur nauséabonde. […] Il y avait également des jarres avec des yeux, une cage thoracique qui pendait au plafond comme un lustre et une collection de crânes alignés sur un présentoir en osier. »

 

Et un certain Skull Kelton, collectionneur de têtes coupées de ses victimes…

 

Les cadavres décapités, les têtes sans corps et les squelettes sont aussi omniprésents de chapitre en chapitre, entre caricatures et morbidité propre au style, cœurs sensibles s’abstenir :

 

« Sous les premières étoiles, ils atteignirent une grande clairière rocailleuse dans un creux de la montagne. Ils découvrirent alors des pieux en bois plantés dans les pierres et qui bloquaient leur route. Tout autour, […] des cadavres empalés, des squelettes, des crânes décharnés et des ossements en tout genre qui ornaient ces barricades de fortune et annonçaient le triste sort de ceux qui n'étaient pas conviés ici. »

 

« Une puanteur nauséabonde se dégageait des visages de moins en moins frais. Des lambeaux de chair manquaient sur les joues, la plupart des yeux avaient disparu et tous possédaient maintenant une collection de vermines, larves, mouches et autres parasites gluants qui grouillaient dans leurs gorges. »

 

Tout un festin pour les charognards :

 

« Un dernier corbeau […] refusait d'abdiquer. Sous ses serres, un visage entaillé par les coups de bec gisait parmi la dizaine de crânes séparés des corps en retrait. »

 

L’écriture imagée et cinématographique d’Antoine Symoens se traduit aussi par de belles descriptions tels ces quelques exemples glanés au gré du récit :

 

« Le reste de la journée se déroula avec la même langueur suffocante sous un ciel qui n'arborait que des vautours en guise de nuages. »

 

« Une bourrasque passa au milieu des bandits et emporta avec elle un voile de poussière. Une vache meugla dans la prairie. »

 

 « Les derniers cowboys avinés titubaient dans les rues et insultaient les étoiles. »

 

La scène d’affrontement entre les Malvendas et les Busards dans le Colisée (pp. 254-255) et celle du duel entre le marshal et Jimmy  (pp. 273-274) reposent sur une mise en scène efficace au dénouement inattendu.

 

Et que dire de la finale qui m’a rappelé les célèbres banquets autour du feu clôturant chacune des aventures d’Astérix et Obélix :

 

« … très doucement, les cordes d'un violon vibrèrent, un accordéon se plia, un tambourin résonna et les touches du piano extirpé du saloon jouèrent une mélodie pour réchauffer les cœurs. Au milieu de tous, une première danse se forma. »

 

En terminant, je laisse la parole à l’auteur qui, sur les réseaux sociaux, expliquait récemment sa démarche :

 

« …avec ce roman j’ai essayé de rendre un hommage décomplexé à plusieurs auteurs et références culturelles qui me tiennent à cœur, Sergio Leone et Quentin Tarantino […] en gardant cette autodérision sanglante qui pouvait émaner de certains films et œuvres de genre. […] j’ai aussi essayé, humblement, de dépoussiérer un peu le western classique tel qu’on le connaissait et d’offrir davantage d’espace à des personnages qu’on avait peu l’habitude de voir et d’entendre. »

 

Les charognards visent toujours les yeux en premier, un roman que j’ai bien aimé. Antoine Symoens, un auteur de chez nous à l’imaginaire délirant à découvrir.

 

Merci aux éditions Fides pour le service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander et récupérer votre exemplaire auprès de votre librairie indépendante sur le site leslibraires.ca.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  *****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie :  *****

Appréciation générale : *****


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