Septembre avant l’apocalypse (Lionel Noël)


Lionel Noël. – Septembre avant l’apocalypse. – Lévis : Alire, 2023. – 529 pages.

 


Roman d’espionnage

 

 


Résumé :

 

Grand reporter, Desmond Bingham couvre les pires scènes de guerre, caméra à l'épaule et Nikon en main, depuis deux décennies. Connu de tous, il n'est pas surpris quand un colonel de l'armée américaine lui propose une rencontre secrète. Mais lorsque John Drax lui révèle ce qu'il veut rendre public, Bingham est soufflé: c'est une bombe politique que Drax lui offre sur un plateau d'argent !

 

Selon le militaire, le gouvernement des États-Unis utilise depuis des années une agence privée, Atropos inc., non seulement pour accumuler du renseignement, mais aussi pour exécuter ses basses besognes à l'abri du regard des agences officielles du pays. Or Atropos, qui vient tout juste d'alerter le gouvernement qu'un risque d'attentat imminent plane sur le pays, est sur le point d'être démantelée.

 

Quand, peu de temps après, Bingham apprend la mort de Drax – et de tous les agents d'Atropos inscrits sur la liste que le colonel lui avait remise – dans une mystérieuse explosion au Québec, le reporter voit son scoop disparaître... jusqu'à ce qu'une source l'informe que deux personnes ont échappé au carnage, deux personnes actuellement sous la protection de la GRC.

 

Dès lors, pour Bingham, le sprint débute. Car pour valider son scoop, il doit absolument interroger ces rescapés avant qu'on les élimine une bonne fois pour toutes!

 

 

Commentaires :

 

Si vous êtes friands de thrillers d’espionnage, de contre-espionnage, de commandos puissamment armés, d’agents secrets infiltrés qui carburent à l’alcool, aux drogues dures et au sexe dans un univers technologique et politique qui fait froid dans le dos : « assassinats d'opposants politiques à des gouvernements pro-Washington dans des pays du Moyen-Orient et du tiers-monde, opérations de déstabilisation de régimes défavorables aux multinationales américaines, des pots-de-vin versés à des politiciens pour des contrats industriels, des luttes d'influence privilégiant certaines nominations à des postes clés d'institutions... », « ... chiffrement cartographique des données circulant dans le domaine du commerce électronique mondial. », collecte de renseignement gouvernemental et de « ...toutes les informations de type militaire, politique et économique dans le monde. », Septembre avant l’apocalypse vous comblera.

 

Lionel Noël est un auteur qui se fait désirer. Après quatre thrillers publiés depuis 1999 (Louna, Opération ISKRA, Brouillard d’automne et Halifax Express) et un roman épicurien reposant sur son expérience de cuisinier et son souci d’arrimage d’un récit fictif avec des faits historiques (L’Ordre du Méchoui - 2017), il nous livre une œuvre digne d’un John Le Carré dont un de ses personnages principaux « garde en mémoire ses lectures de jeunesse. La Taupe, [...] qui illustre ce climat de suspicion générale, la lourdeur et la désillusion de ceux qui arpentent cet univers obscur. » Et croyez-moi, ça valait la peine d’attendre.

 

Dès les premières pages, la table est mise. Le rythme est soutenu.  L’action se déroule en 18 chapitres sous forme d’un compte à rebours de 20 jours avant les attentats du World Trade Center. Une séquence qui nous permet de suivre les multiples péripéties d’un très grand nombre de personnages principaux et secondaires américains, canadiens, québécois, anglais, belges, allemands, russes...

 

Un conseil : en cours de lecture, notez sous forme de schéma le lien de chacun des protagonistes avec l’une des différentes organisations listées en annexe dans un lexique de 53 acronymes la plupart méconnus de non-initiés. Vous apprécierez encore davantage le rythme imposé par l’auteur dans un tourne page rédigé dans une langue française de haute qualité sans interférence d’expressions anglaises inutiles.

 

Chaque chapitre est découpé en sous-sections aux titres liés à une expression citée dans le texte. De nombreuses références musicales sont choisies en fonction du contexte. Y est aussi insérée la biographie en 10 temps de celui qui est au cœur de ce branle-bas meurtrier. Il raconte progressivement son cheminement historique sur fond de Pierre et le loup de l'auteur-compositeur-interprète russe Sergueï Prokofiev.

 

Lionel Noël – que je soupçonne d’être lui-même un agent secret – est un des rares auteurs québécois à se consacrer à genre littéraire. Il nous fait voyager de part et d’autre de l’Atlantique : le scénario nous transporte au Kosovo, à Londres, à Paris, à Bruxelles, à Berlin, à Milan, en Russie, au Québec (Montréal, Georgeville sur le bord du lac Memphrémagog près de la frontière américaine, Trois-Rivières, Québec, île d’Orléans), à Washington et, évidemment, à New York. Donnant lieu à quelques descriptions imagées :

 

« ... qu'il soit à Bruxelles est de bon augure, il y découvre chaque fois une hospitalité débonnaire, qu'il préfère à ses consœurs voisines. Paris, centre administratif d'un pays dirigé par des énarques qui règnent comme des monarques élus, est trop nombriliste à son goût. La Haye ne trouve pas grâce à ses yeux, il la trouve ennuyante. Quant à Berlin, le manque de fantaisie si typiquement prussien de ses habitants lui file le bourdon. »

 

À propos de Québec :  

 

« une contrée de frenchies athées et blasphémateurs, socialistes et sécessionnistes. »

 

Ou de Montréal vu par un Russe :

 

« Montréal, ses hivers glacés, ses bagels, sa viande fumée, ses hommes qui boivent comme des trous et ses femmes au tempérament de feu, c'est un peu d'âme russe sans la pesanteur de son histoire. »

 

Aussi dans des lieux qu’il connaît bien, lui qui a voyagé dans plusieurs pays, comme un repas au T’Kelderke, un des meilleurs restaurants de Belgique. Ou en faisant référence à Chez Alexandre :

 

« L'établissement de la rue Peel est le restaurant de prédilection des espions du service de renseignement fédéral, dont les bureaux sont situés à quelques minutes de marche. »

 

Et que dire de cette description du Club T dans la Trump Tower :

 

« La déco est clinquante. Kitch, de l'or partout. Au-dessus du bureau de la réception apparaissent des photos de Donald Trump prises sur le terrain de golf de Camp David, où on le voit vêtu d'un tartan et d'un chandail vert, en train de poser avec deux présidents différents, Ronald Reagan et George Bush père. On y sert les grandes marques d'alcools et de vins, dont quelques bouteilles de Romanée-Conti, agrémentés de caviar, de foie gras et d'une restauration à faire pâlir bien des étoiles »

 

La crédibilité du récit est aussi appuyée par l’insertion de courriels et de messages cryptés entre intervenants (missions à accomplir, suivi des opérations...), par la chorégraphie de scènes comme si on y était et par des dialogues imaginés plus vrais que vrais, tels ceux dans les officines des agences de sécurité ou dans le bureau ovale de la Maison-Blanche. Sans oublier la mention au passage du numéro de téléphone – le vrai – du quartier général du FBI à Washington : 202-324-3000.

 

Vous découvrirez probablement comme moi deux usages du langage des espions : « SIGINT est une abréviation de Signals intelligence, procédé d'écoute clandestine des communications électroniques, contrairement à HUMINT, un terme couvrant les informations recueillies par des individus. »

  

L’écriture cinématographique de Lionel Noël nous rapproche de l’action, tel que l’abordage d’un navire depuis un zodiac près de Québec, la description d’un certain centre opérationnel virtuel d’intervention et de défense avec ses logiciels de reconnaissance faciale et de la voix, « système de communication infaillible de voix féminines très réelles, aux empreintes vocales à la signature à toute épreuve » pouvant « gérer une conversation de base dans une vingtaine de langues. » et l’atmosphère oppressante au 92e étage du World Trade Center après l’impact de l’avion kamikaze.

 

Ou comme dans l’impact d’un tir de mortier :

 

« Craché du tube d'acier, un bruit sourd de détonation se propage, un flop étouffé prolongé d'un chuintement. Une roquette éclate à quelques mètres de Gorchkov qui, d'instinct, se colle par terre. Le sol tremble, des débris volent. Il perçoit les éclats surchauffés le frôlant. Près de lui, le visage arraché, le torse fumant d'éclats incandescents, une des recrues s'affaisse en hurlant. »

 

Vous serez impressionné par la vaste connaissance de l’auteur sur l’arsenal d’armement létal à la disposition du milieu de l’espionnage et du renseignement : lance-roquette, pistolet Automag avec silencieux Stopson, revolver Colt Cobra Detective Special de calibre .38, AUG autrichien, pistolet-mitrailleur BXP sud-africain, pistolet GP de la FN avec munitions de 9 mm, mitraillette UZI, pistolet Glock, Tokarev TT-33 (qui « ... utilise des munitions subsoniques à charge réduite afin d’éviter le bang émis par les balles supersoniques quand elles passent le mur du son. »), Walter PPK, Parebellum 9 mm, pistolet-mitrailleur MAC-10, mitrailleur Heckler & Koch MP5K, Colt 45, carabine d’assaut M16, Beretta 92FS, Colt Commando AR-15, Mosberg de calibre 12 mm, pistolet-mitrailleur Vz61 Skorpion, pistolets Makarov, AK-47, dague Fairbarn, explosifs pyrophoriques laissant des traces de radioactivité (bombe incendiaire performante à énergie cinétique), drone Tilt-Body III Scorpion de la compagnie Freewing, hélicoptère Mi-24 Hind...

 

Pour vous donner encore davantage le goût de lire Septembre avant l’apocalypse qui repose sur une analyse de 30 ans d’histoire mondiale contemporaine depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, il faudrait mentionner les références à la chute du mur de Berlin, l’implosion de l’URSS, la crise des missiles à Cuba, les techniques d’exfiltration, l’ascension de Vladimir Poutine, la confrérie Skull & Bones regroupant des diplômés de l’université Yale recrutés selon des normes élitistes dont l'ancien président George Bush et son fils G. W. auraient fait partie, des pouvoirs occultes qui influencent les États-Unis depuis sa création avec « pour guide initial George Washington, membre d'une loge maçonnique. »

 

Aussi de Montréal « charnière vitale vers l'estuaire du Saint-Laurent et la côte Est des États-Unis, d'une part, et vers le cœur du continent par les Grands Lacs et Chicago de l'autre. Reliée à près de deux cents ports sur tous les continents par le service de diverses lignes maritimes, la métropole du Québec est un gigantesque relais de conteneurs, difficile à contrôler autant pour les autorités que pour les organisations interlopes. »

 

Et les quatre milliards d'interceptions par jour de données personnelles filtrées à partir de « téléphones cellulaires, radios, les câbles sous-marins, les télécopies, le courrier électronique et vos appels téléphoniques » et « qu'avec Internet l'ensemble est désormais interconnecté. »

 

Je ne saurais passer sous silence quelques citations qui mettent en valeur le style coloré de Lionel Noël :

 

« Dans le monde du secret, tout se sait »

 

« Les dorures des institutions bancaires ne cachent-elles pas, trop souvent, de sombres magouilles ? »

 

« ... l’univers des espions repose sur un mélange contradictoire de la confiance et de la suspicion. »

 

« Un ange passe à travers le Bureau ovale et y saupoudre une poignée d’épices à saveur de suspicion. »

 

« Durant leur progression, les douilles de cuivre surchauffées roulent sur le bitume en émettant un chapelet de sons qui rappellent un triangle musical. »

 

« La réalité renvoie le plus complexe roman d’espionnage au niveau d’un article de seconde page d’un obscur journal. »

 

« Le tueur remonte le col de son manteau, un long imperméable qui lui tombe jusqu'aux pieds. Coiffée d'un large chapeau noir, son ombre évoque les anciennes publicités du porto Sandeman. »

 

« La façade [de l’hôtel de ville de Montréal] de style Second Empire devient quasi menaçante, à cause de l'amoncellement de nuages annonciateurs de pluie dont le passage colore de nuances sombres puis claires les murs monochromes. »

 

J’ai souri à la lecture de cette référence indirecte au référendum québécois de 1995 à propos de la déclaration de Jacques Parizeau au sujet du vote d’un grand nombre de nouveaux immigrants :

 

« Sous la couverture d'une immigrante française, elle est devenue Canadienne, au moment du référendum sur la souveraineté du Québec en 1995, grâce à des formalités simplifiées d'accès à la citoyenneté. »

 

Septembre avant l’apocalypse porte un regard lucide sur le rôle des médias d’information dans un scénario de catastrophe annoncée :

 

« Les rédactions et le lecteur exigent de nous du consommable instantané, de l'aseptisé ou du frisson minute relégué aux oubliettes quelques heures après. Le contenu importe moins, car la vérité remet forcément en cause notre mode de vie. Le troisième millénaire sera celui de l'absence totale de nuances, de l'abrutissement des masses par les images, le virtuel, la peur, l'hyper sexualisation et les infos bidon... »

 

Il met aussi en évidence que la cible du World Trade Center n’était pas due au hasard :

 

« Si New York est le centre du monde, l'immeuble est le cœur de Manhattan. Telle une forteresse indestructible, les tours jumelles apparaissent dans la nébuleuse financière comme un nœud stratégique vital et de communication entre les univers de Wall Street, de la plupart des grandes entreprises privées spécialisées dans la technologie, de nombreuses organisations internationales et gouvernementales, et même de plusieurs départements des services de renseignement militaire et civil. »

 

En annexe, dans une note au lecteur, Lionel Noël explique sa démarche, « une recherche de plusieurs années dans les sphères de la politique internationale et des services de renseignement, des univers qui se dévoilent par pan, quand on travaille dans le domaine de l'événementiel, des médias, de la diplomatie et de l'appareil sécuritaire privé et public des ministères. »

 

Et il ajoute :

 

« Je pars d'une réalité historique, autour de laquelle mes intrigues se construisent sur un fondement documentaire précis en suivant un fil conducteur où tout paraît plausible. [...] Mes histoires sont plus spectaculaires que la réalité, car je privilégie d'abord l'idée de l'action, la conspiration ensuite, sur laquelle je peux broder à l'infini. Dans le but de divertir, je m'écarte immanquablement de la véracité des faits. »

 

Il nous présente aussi sa vision de l’espionnage, le contexte historique de l’an 2000, les lieux, les personnages réels et les autres qu’il a imaginés et la théorie du complot.

 

Mission accomplie agent Noël ! Et bravo pour la magnifique couverture d’Émilie Léger qui saura attirer l’œil en librairie !

 

Merci aux éditions Alire pour le service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander et récupérer votre exemplaire auprès de votre librairie indépendante sur le site leslibraires.ca.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  *****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie : *****

Appréciation générale : *****