Roy Braverman. – Le premier fils. – Paris : Hugo, 2023. – 439 pages.
Thriller
Résumé :
Gaza, 2001
Un enfant est abattu en direct, devant des
caméras, lors d’un accrochage entre Palestiniens et soldats israéliens. Des
deux côtés, certains crient au complot.
Beyrouth, 2002
Un chef de faction impliqué dans la mort du
petit garçon de Gaza est assassiné.
2022 Trois meurtres de sniper.
Le premier, dans le delta du Tigre, en
Argentine.
Le deuxième, à Saint-Pierre-et-Miquelon.
Le troisième, dans les calanques, du côté de
Marseille.
Chaque fois, les victimes sont des enfants.
Chaque fois, le tireur abandonne son arme.
Avec trois munitions non tirées, marquées des
lettres TFS.
Très vite, il apparaît que les grands-pères
des victimes ont en commun un passé militant agité. L’un dans les factions
libanaises au Proche-Orient, l’autre comme armurier de l’ETA basque, le troisième
au sein de la mouvance palestinienne. Chargé des deux premières enquêtes par le
« Service », l’agent Karakozian, dit Kara, va devoir remonter le cours de
l’histoire. Au risque de se retrouver lui aussi la cible d’une vengeance
féroce, aveugle, impitoyable.
Commentaires :
Si vous aimez les romans à suspense
politiques complexes, au récit touffu inspiré de faits réels et impliquant à la
fois les services secrets américains, israéliens, libanais, palestiniens et français,
vous serez comblés. C’est à ce rendez-vous avec les réseaux d’espionnage
international que nous convie Roy Braverman (un des pseudonymes de Patrick
Manoukian qui publie aussi sous les noms de Paul Eyghar et Ian Manook). Dès les
premiers chapitres, la table est mise avec les assassinats consécutifs de
jeunes garçons sur trois continents. S’ensuit une narration embourbée dans le lisier
d’une enquête qui progresse lentement. Enquête menée par l’agent « secret »
français Karakozian (Kara pour les intimes) au caractère parfois explosif, d’origine
arménienne comme son créateur. Jusqu’au visionnement d’une vidéo qui, contribue
à accélérer le rythme du récit et freiner l’assassin au plus vite.
Le premier fils a pour thème la
vengeance. Celle de Karakozian pour l’assassinat d’un de ses collègues. Mais
surtout celle d’un vieillard qui une vingtaine d’années plus tôt a fait le
serment de venger la mort de son petit-fils dans des circonstances politiques
explosives :
« Douze personnes en tout, dans six pays différents.
Sous le nom, le motif, comme une sentence. Tireur. Commando. [...] Depuis
quinze ans ! Quinze ans d'une vengeance au moins aussi cruelle que le crime
initial. Organisée avec le même froid calcul. Exécutée avec la même inhumanité.
Une perversion que l'horreur du premier crime ne pourra jamais excuser. »
Quant à la recherche de la vérité, elle dépend
du niveau d’implication et de collaboration des services impliqués :
« Dans le service fautif, ceux qui ont fauté
feront tout pour que ça ne se sache pas, et ceux du même service qui n'ont pas
fauté feront tout pour régler le problème sans que ça se sache et que le
scandale devienne public. Et si un autre service est impliqué, il agira de
même: régler le problème en évitant que la vérité éclate. »
L’histoire comporte de très nombreux
rebondissements. La chute finale est à l’image même des caractéristiques des
services d’espionnage, quoiqu’aux deux tiers du roman, j’avais déjà un doute
sur l’identification du tireur embusqué, mais pas sur sa véritable identité. Le
tout, serti de belles descriptions de lieux mettant en évidence la qualité de
la plume de l’auteur :
Saint-Pierre-et-Miquelon :
« Miquelon est un papillon, une Guadeloupe
amaigrie égarée dans l'Atlantique Nord. Saint-Pierre n'est qu'un caillou sans
forme particulière. Une tortue amputée, peut-être. À la rigueur, un gros
poiscaille la gueule ouverte. Avec une digue pour langue et quelques écailles
multicolores sous le ventre, là où la ville s'est construite. »
L’Oise normande :
« Du côté du val des rivières, des étangs et
des bois. Des vaches paisibles et des chevaux joueurs. En haut de Saint-Samson,
dès la sortie du village, commence l'autre Oise des vastes plaines venteuses,
celle du plateau picard. »
L’église de Gerberoy dans les Hauts-de-France :
« Ils atteignent la petite église, perchée en
haut d'une raide volée de marches usées par des milliers de pèlerins. Une
ancienne collégiale. Quelques artifices gothiques sur une rude et sobre base
romane. Une haute nef unique couverte d'une charpente en coque de navire
inversée, un transept saillant et un chœur à chevet plat flanqué de deux
petites chapelles. Un lieu millénaire et froid. Silencieux. Témoin des
injustices et des grandeurs de l'Église avec ses strapontins à bascule en bois
sculpté au nom des nobles et des bourgeois, de chaque côté de l'autel, et son
sol en dalles froides usées par les génuflexions repentantes des petites âmes. »
Paris :
« Paris est ce que les politiques ont fait
d'elle. Une capitale tremplin pour de mégalomaniaques ambitions et dont on
néglige la gestion. Une ville sale qu'on enlaidit de travaux incohérents et un
plan de circulation irrationnel et chaotique. Une cité où on a réussi à créer
des embouteillages de vélos et où, quand toutes les voitures seront
électriques, elles s'enliseront quand même dans d'inextricables encombrements qu’aucun
policier ne viendra tenter de réguler. Une politique d'exaspération qui
condamne la ville à l'asphyxie. »
Un baume sur le contexte géopolitique du
drame qui repose sur une affaire de « trafiquant
d'affaires libanais qui organise une milice avec des fonds privés américains
pour pousser ses pions et ceux de son sponsor dans le chaos du Proche-Orient.
Pour faire échouer des négociations de paix officieuses et maintenir un état de
guerre politiquement et économiquement profitable à beaucoup de monde. » :
« ... la mort en direct d'un enfant dont
l'image va révulser les opinions publiques. La moitié du monde pense que c'est
un crime israélien, l'autre moitié que c'est un crime palestinien [pour] que le monde entier ne veuille plus de
cette paix et que le Proche-Orient tombe dans le chaos de l'intifada et de sa
répression. »
Roy Braverman nous fournit clairement les explications
qui relèvent des faits historiques dont il s’est inspiré. À savoir les suites immédiates
de la fusillade du 30 septembre 2000 à Gaza et ses conséquences sur la scène
internationale à partir de renseignements « glaçants de cynisme et de cruauté » :
« Le second sommet pour la paix au
Proche-Orient, à Camp David, réunissant Bill Clinton, Ehud Barak et Yasser
Arafat, conséquence ultime des prometteurs accords d'Oslo, a tourné au fiasco.
Déjà s'engagent en secret d'autres négociations organisées en sous-main par la
France. [...] Une poignée de
militaires factieux israéliens réunis sous le nom de code ‘’ Jamais ‘’ d'un
côté, et un commando extrémiste du Hamas, baptisé ‘’ Notre Terre ‘’, sous
contrôle direct de la Syrie, de l'autre. Ces deux ennemis jurés décident
d'organiser une action militaire pour saborder les négociations de paix à Paris.
[...] Il est négocié que la petite victime serait palestinienne, tout
simplement parce qu'il est calculé que la réaction de l'opinion mondiale et de
la communauté palestinienne serait plus large et plus violente que celle que
pourrait provoquer la mort d'un enfant israélien. Dans un tel cas, la réaction
aurait été militaire de la part d'Israël. Violente et brutale, mais encadrée.
Or le but recherché par les deux parties n'était pas de provoquer une réaction
militaire, mais bien l'embrasement incontrôlable des opinions publiques de la
région et du reste du monde. »
Pour atténuer l’horreur de la situation, l’auteur
accorde quelques pauses gastronomiques comme celles auxquelles est convié Karakozian
par Duvauchel, son directeur :
« ...c'est un peu juste pour la Poule au Pot
qui ferme à cinq heures. Pied de Cochon alors, lui est ouvert toute la nuit.
Tous ces événements m'ont donné faim. Os à moelle à la crème d'ail et Tentation
de saint Antoine [...] Queue,
oreilles, groin et pieds de cochon panés, sauce béarnaise et frites maison... »
Ou au Train bleu de la gare de Lyon : « Mousse de pigeon et foie gras de canard en
feuilleté aux épices, sandre à la matelote aux cèpes et au lard rôti, et soufflé
à la châtaigne rafraîchie d'un sorbet à l'orange. »
Il y glisse aussi quelques touches d’humour avec
cette déclaration de Duvauchel à propos du métier d’agent secret :
« Karakozian, nous sommes mieux placés que
quiconque pour savoir qu'aucun auteur au monde ne pourra imaginer toutes les
turpitudes qui font notre quotidien. »
Et cette référence bibliographique amusante :
« Obadia demande juste la possibilité de
brancher son portable pour le recharger et Gabriel lui désigne une prise près
des étagères de la bibliothèque. Elle glisse son téléphone entre un Stephen
King et un Ian Manook... »
Le premier fils, ce sixième thriller
signé Roy Braverman s’apprécie mieux de chapitre en chapitre. L’auteur a cru
bon d’ajouter en épilogue des notes sur ce qu’il est advenu de chacun des
personnages impliqués dans cette enquête. Fermant probablement la porte à une
suite.
Il faut lire et relire le dernier paragraphe
de cette conclusion qui, à partir d’un exemple anodin illustre comment un
conflit meurtrier peut y trouver bêtement ses origines avec cet « homme en sueur, assoiffé [qui] gravit la colline, suivi de son chien. »
Jusqu’à une cabane où « on y vend de
la limonade ». Le boutiquier qui « le regarde venir, une main sur son chat qui ronronne sur le comptoir,
un œil sur le chien de l'étranger qui s'approche. » Le scénario inimaginable
d’une terrible vengeance s’enclenche.
Des mouches qui vibrionnent, le chat « comme tout bon chat qui se respecte »
qui « leur bondit dessus pour jouer ». Le chien « croyant à une attaque contre son bon maître »
qui « broie le chat d'un claquement de ses crocs ». Le boutiquier
qui « brandit un bâton et fracasse
le crâne de ce maudit chien qui vient de tuer son chat. Hurlant de fureur, le
voyageur, voyant son chien mort, arme son fusil et tire sur le boutiquier qui
s'enfuit pour revenir avec ceux de sa famille qui coursent le voyageur et le
lapident à mort. De loin, l'enfant qui guettait le retour de son père court
avertir sa famille qu'il a vu les autres le tuer. La famille déboule et décime
l'autre famille sauf une femme qui a le temps de courir rameuter son village. »
Je vous laisse découvrir la suite des pires
raisons pour justifier une vengeance « comme
socle de toutes nos perversions ».
Lors d’une réimpression, il faudra corriger, à
la page 102, l’année du décès de Franco qui est mort en 1975 et non en 1977.
Merci aux éditions Hugo pour le service de
presse.
Au Québec, vous pouvez commander et récupérer
votre exemplaire auprès de votre librairie indépendante sur le site leslibraires.ca.
Originalité/Choix du sujet : *****
Qualité littéraire : *****
Intrigue : *****
Psychologie des
personnages : *****
Intérêt/Émotion
ressentie : *****
Appréciation générale
: *****
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