Mikael Niemi. – Comment cuire un ours. – Paris : Stock, 2017. – 516 pages.
Polar historique
Résumé :
Nous sommes en 1852, au cœur des magnifiques
paysages du Grand Nord suédois. Lars Levi Læstadius, botaniste émérite, pasteur
haut en couleur du petit village de Kengis et fondateur d'un mouvement connu pour son éthique rigoureuse, tente tant
bien que mal de combattre l’athéisme et l’alcoolisme de ses paroissiens. Contre
l’avis des villageois, Læstadius a recueilli un jeune garçon sámi, affamé et
illettré, Jussi, qu’il initie aux secrets de la botanique et qui le suit comme
son ombre.
Lorsqu’une servante est retrouvée morte dans
la forêt, le commissaire s’empresse d’imputer l’odieux crime à… un ours. Fort
de son intuition et de son savoir scientifique, Læstadius n’y croit pas un
instant. Quand une deuxième jeune fille vient à disparaître, le pasteur,
secondé par son fidèle Jussi, décide de mener l’enquête, quitte à s’attirer les
foudres des autorités locales.
Commentaires :
Quelle belle découverte que ce roman policier
à saveur historique campé près de la frontière nordique séparant la Suède de la
Norvège, mettant en vedette un pasteur luthérien excentrique féru de botanique
et écrivain à ses heures. Une œuvre de fiction intègre un personnage ayant
réellement existé, Lars Levi
Læstadius (10 janvier 1800 - 21 février 1861), chef de file du mouvement religieux
conservateur læstadien. Sous la plume à la fois romanesque et poétique de Mikael
Niemi, né en 1959 à Pajala, dans les lieux mêmes où se déroule l’action. En
2000, cet auteur suédois lauréat du prestigieux prix August, prix littéraire
décerné en Suède depuis 1989, avait publié un premier roman, Le goût du baiser d’un garçon (Actes
Sud) vendu à plus d’un million d’exemplaires.
Comment cuire un ours
nous
immerge dans la vie quotidienne rude, violente et glauque d’une petite
communauté, décor d’une série de meurtres dans lequel évoluent des personnages,
plusieurs attachants et d’autres détestables, une société hiérarchisée rongée l’alcoolisme
et ses impacts sur les comportements. Fléau que condamne à répétition le
pasteur Læstadius.
L’essentiel du récit repose sur la narration
du jeune sámi, Jussi Sieppinen, autochtone
lapon, recueilli en forêt par l’ecclésiastique dont il devient le disciple qu’il
assiste tout au long de l’enquête. Au point à se retrouver au cœur même de l’énigme.
Une recherche de la vérité contrecarrée par un commissaire Brahe incompétent et
alcoolique prêt à conclure plus rapidement qu’autrement pour identifier un
coupable. Avec la complicité du garde champêtre Michelsson, flagorneur de la
pire espèce. Injustice sociale, maltraitance, fanatisme religieux, violence
extrême, transes mystiques sont au rendez-vous. Mais également un hymne à l’amour,
à la flore des zones nordiques, à la lecture, à l’écriture, au genre
romanesque, à la parole, à l’ouverture sur la modernité aux portes du prochain
siècle.
Plus qu’un roman policier, Comment cuire un ours foisonne de
descriptions détaillées et d’échanges entre les personnages qui complètent cette
peinture sociale qui ne laisse pas indifférent. Ce qui ne nuit nullement au
rythme et au suspense croissant du récit dont le dénouement est plus qu’imprévisible.
Et que dire de tels passages savoureux, comme
celui-ci sur les effets de l’alcool :
« Jamais auparavant je n'avais eu d'alcool en bouche. La sensation était bien celle d'un feu, mais de courte durée. Suivait l'impression pénible d'avoir dans le ventre un œuf, qui enflait, se muait en un cœur empoisonné, battait, fouettait. Puis l'œuf se lézardait, sa coquille noire éclatait, il en sortait des pattes griffues à la peau pourvue d'écailles, enfin une gueule prête à mordre. » (p. 141)
Ou sur la force des mots :
« Les mots qu'on écrit sont importants, mais vois ce qui se produit quand on les prononce ! Il faut les mordre, les mettre en petits morceaux comme des éclats de poterie. Les mastiquer jusqu'à les rendre mous comme la glaise, pour ensuite leur redonner forme avec les lèvres et les cordes vocales. C'est alors seulement qu'ils prennent toute leur force ! » (p. 126)
Ou encore sur l’existence légale d’un
individu :
« Depuis ce jour, j'existe dans le livre [état civil] où il m'a inscrit. Plus jamais mon nom ne pourra être oublié. Car être oublié, n'est-ce pas le pire, quand on vit encore? Traverser sa propre vie sans qu'elle soit jamais justifiée par des lettres. Les lettres sont comme des clous forgés, sortis brûlants de la forge, qui tiédissent puis rougissent peu à peu, avant de devenir noirs et résistants. » (pp. 47-48)
Une de mes lectures coup de cœur 2022. Un
roman, « dans la droite lignée du Nom
de la Rose » (Umberto Eco), comme le qualifie l’éditeur, que je
regrette de ne pas l’avoir découvert cinq ans plus tôt.
Originalité/Choix du sujet : *****
Qualité littéraire : *****
Intrigue : *****
Psychologie des
personnages : *****
Intérêt/Émotion
ressentie : *****
Appréciation générale
: *****
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