Meurtre au presbytère – Une nouvelle enquête d’Henri Patenaude (Maurice Jean)


Maurice Jean. – Meurtre au presbytère – Une nouvelle enquête d’Henri Patenaude. – Québec : Éditions Crescendo, 2024. – 277 pages.

 

Polar

 

 

 

 

Résumé :

 

Montréal, novembre 1963.

 

William Clement, révérend de la paroisse Saint-Barthélemy, est assassiné dans son bureau au presbytère. Comme celui-ci ne cachait nullement sa hargne contre le mouvement indépendantiste québécois, le Front de Libération du Québec responsable de plusieurs attentats au cours des derniers mois est immédiatement pointé du doigt.

 

Le lieutenant Andrew Harrington, natif de cette paroisse, et son jeune coéquipier, Henri Patenaude, se lancent à la recherche de l’assassin au milieu des tractations politiques.

 

Harrington n’arrivant pas à émerger du chaos émotionnel causé par l’alcool et la pression, laisse à Patenaude le défi de démêler cet amalgame de demi-vérités, de sous-entendus et de secrets paroissiaux.

 

 

Commentaires :

 

Dans la dédicace qu’il m’a adressée, Maurice Jean a précisé le contexte de la cinquième aventure d’Henri Patenaude : « 1963 : naissance du mouvement révolutionnaire au Québec, Patenaude est seul au milieu des demi-vérités et des pressions politiques !  Bonne lecture ! »

 

Ce qui fut effectivement le cas.

 

Une « enquête sur un double homicide, il n’y a aucun témoin direct et les seules personnes qui pourraient [...] aider refusent de [...] dire la vérité... ». L’action se déroule sept ans avant la Crise d’octobre, entre le 5 novembre et le 22 novembre 1963, le jour où « Walter Cronkite de CBS [annonce] que John F. Kennedy, le président américain, vient d’être assassiné à Dallas... ».

 

Il est clair que l’intrigue développée par l’écrivain dans ses cinquante-huit courts chapitres s’inscrit dans une série d’événements troublants qui ont marqué l’histoire du Québec, entre autres :

 

·        le « hold-up dans une succursale de la Banque Royale à Notre-Dame-de-Grâce » ;

·        l’incendie de trois casernes militaires revendiquée par le Front de libération du Québec (FLQ) en mars 1963;

·        l’explosion de boîtes aux lettres dans Westmount dont une, fictive pour alimenter le récit, le soir du 4 novembre « blessant assez grièvement un jeune garçon et son père qui passaient par là. » une « bombe pour ébranler la monarchie britannique » ;

·        les services de police canadiens qui ont des « informateurs au sein du gouvernement Castro » pour les avertir si des fugitifs felquistes se rendent à Cuba ;

·        les filatures de détenus libérés : « Si vous pensez que la Couronne n'a pas porté d'accusation contre vous en juin dernier parce qu'elle n'avait pas de preuve, vous êtes dans l'erreur ; vous avez été libérée uniquement pour permettre à des dizaines d'enquêteurs de vous suivre pour déterminer ce qui restait du FLQ. »

·        la publication de journaux à caractère politique : L’indépendance, publié par le Rassemblement pour l'indépendance nationale (RIN), et La Cognée, « organe officiel du Front de libération du Québec dans les années 1960. Le journal était clandestin et les auteurs écrivaient sous des pseudonymes » ;

·        l’Armée révolutionnaire du Québec.

 

Et en plus, il y a des références à plusieurs personnages qui ont vraiment existé.

 

·        les felquistes Roger Tétreault, Guy de Grasse, Jacques Lanctôt et Mario Bachand, peintre, ce dernier en attente de son procès « pour des accusations liées à l’explosion qui a mutilé pour la vie le sergent-major de l’armée Walter Leja » ;

·        Raoul Roy, « journaliste, essayiste et militant nationaliste québécois [...] considéré comme le père spirituel du FLQ ;

·        Pierre Schneider,  journaliste, poète et militant indépendantiste québécois et un des cofondateurs du FLQ ;

·        Henri Tranquille, écrivain et libraire.

 

Comme il le mentionne à la dernière page du roman, Maurice Jean s,est documenté en consultant l’essai de Pierre Schneider « La république assassinée de Daniel Johnson » (2021) et celui de Louis Fournier « FLQ Histoire d'un mouvement clandestin » (1982) qu’il « recommande à toutes les personnes intéressées par l'histoire du FLQ. »

 

 « Meurtre au presbytère » captive le lecteur grâce à une narration efficace et à des échanges verbaux authentiques. Henri Patenaude, qui a l’habitude de tourner autour du pot et de poser des questions dont il connaît déjà la réponse, mène une enquête rigoureuse et procédurale.


Voici quelques passages particulièrement convaincants :

 

« ... le sergent lui expliqua qu'il préférait d'abord faire le tour de la maison. Il se rendit au salon qui jouxtait le bureau, dans la salle d'eau, puis dans la cuisine et finalement dans la salle à manger. Il s'arrêtait dans chacune des pièces, fermait les yeux, inspirait profondément à la recherche d'une odeur caractéristique, puis observait les objets qui s'y trouvaient. Il prenait des notes avant de sortir de chaque pièce, ayant appris très rapidement que la mémoire était une mauvaise amie dans une enquête. »

 

« Aucun doute, c'est un meurtre! L'arme est à la droite du père Clement qui était gaucher, comme en témoigne la position de l'encrier et le fil emmêlé du téléphone... »

 

« [elle] était ici au cours de la journée d'hier. Il faut trouver ce qu'elle a fait. Si elle a bu un café, je veux savoir à quelle heure et si elle était seule; si elle a parlé au serveur, je veux savoir ce qu'elle a dit; si elle a fait des achats, je veux savoir combien elle a dépensé et surtout ce qu'elle a acheté, car je soupçonne qu'elle a changé d'apparence. Questionnez les vendeurs, les clients, les chauffeurs de taxi! Est-ce clair ? »

 

« Le policier se rendit chez ‘’ Hector Best Used Car in Montreal ‘’ et nota ce qu'indiquait l'odomètre de sa voiture dans son calepin. Il roula ensuite jusqu'à la résidence de Paul Morrissette, effectua les déplacements décrits par ce dernier, puis roula jusqu'au Steinberg où le vol de la voiture avait eu lieu. Il inscrivit le millage dans son calepin. Il se rendit ensuite chez George Blythe, puis devant le presbytère de la paroisse Saint-Barthélemy. Il hésita un instant, puis se stationna au motel Beau Repos […]. Patenaude reprit la route et se dirigea vers le 2945, Maplewood. Il arrêta l'automobile et nota le millage. Il fit un calcul et le résultat le surprit : la distance qu'il venait de parcourir était exactement la même que celle parcourue par la voiture de Morrissette ! »

 

« Observer, écouter, réfléchir davantage, éliminer l’inutile, puis élaborer une hypothèse, hypothèse qui doit être validée avec des faits, uniquement avec des faits. »

 

« Le Qui ? est surévalué, les seules vraies questions sont Pourquoi ? et Comment ? ».

 

« [il] avait observé qu’un témoin qui disait finalement la vérité affichait un relâchement musculaire. »

 

« Le cerveau de Patenaude avait cette rare faculté d'enregistrer les discussions et avec beaucoup de concentration, le sergent parvenait à les rejouer dans sa tête comme si elles avaient été enregistrées sur pellicule. »

 

Le mur d’enquête « où il avait épinglé ce qu’il considérait comme étant des faits et les certitudes de cette enquête » et où il n’hésite pas à le vider de son contenu après réflexion parce qu’il doute de tout pour recommencer.

 

Henri Patenaude est un personnage très crédible, confronté à une enquête remplie de suppositions et de réfutations de ses supérieurs, de vérités et de mensonges de témoins, d’informations incomplètes compilées par ses collègues, jusqu’à l’éclaircissement des meurtres et l’identification des coupables. Et de fausses informations, comme cette fausse cellule ultra secrète nommée Hindelang en référence au patriote Charles Hinderlang.

 

Le policier montréalais est aussi amateur de musique classique (Brahms, Bach, Schubert), comme son auteur, qui a rédigé la version finale de son récit en écoutant « La Passion de Matthieu (BWV 244 - Pygmalion, Raphaël Pichon, 2022). »

 

J’ai trouvé intrigante la manière dont Maurice Jean a présenté les conversations téléphoniques, laissant au lecteur le soin d’imaginer les propos des interlocuteurs grâce à de simples points de suspension.

 

Quelques notes explicatives en bas de page permettent d’apporter quelques explications complémentaires. Un exemple qui m’a rappelé une réalité du passé :

 

Red Feather (La Plume rouge) : « Organisme de charité auprès des protestants de Montréal jusqu’à la création de Centraide en 1974. »

 

J’ai souri à la lecture de ces passages, dont le premier est plus d’actualité que jamais.

 

« Le sergent savait très bien que la douane américaine était une passoire... »

 

« ... si on ne savait rien d'eux, c'est que c'étaient peut-être des agents soviétiques ou est-allemands... Des agents du bloc soviétique [...]. C'est la nouvelle réponse lorsqu'on veut fermer un dossier. »

 

Et à cette anticipation historique :

 

« Si le FLQ avait voulu éliminer quelqu'un pour passer un message, un ministre libéral ou un homme d'affaires francophone antinationaliste aurait été une meilleure cible ... »

 

« Combien de bombes le FLQ fera-t-il sauter avant que le gouvernement canadien envoie l’armée pour nous protéger ! »

 

Sans révéler de détails, il est intéressant de noter que l’un des meurtres dans le livre « Meurtre au presbytère » s’inspire du premier roman d’Agatha Christie, « The Mysterious Affair at Styles », paru en 1920.

 

Quant à l’un des personnages importants du roman, Constance Guilbault, elle porte le nom d’une internaute. En 2022, cette dernière avait remporté, dans le cadre d’un concours lancé par l’auteur, le privilège de voir un personnage porter son nom et de choisir ses principales caractéristiques.

 

En conclusion, « Meurtre au presbytère » est un polar captivant et instructif. Maurice Jean est un auteur dont j’avais beaucoup aimé le précédent opus, « Le retour du Cabotin » et que je vous invite à découvrir. 

 

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Maurice Jean, natif de Bedford dans les Cantons-de-l’Est, détient une maîtrise en chimie analytique et a exercé pendant plus de trente ans en tant qu’expert en investigations techniques dans le domaine de l’aéronautique. Il réside actuellement à Morin-Heights dans les Laurentides.

 

Il se lance dans l’écriture de la série « Une enquête d’Henri Patenaude » dans les années 2010. Le défi qu’il s’est donné est de produire des romans accessibles à tous dans la pure tradition du roman policier britannique du début du siècle. Il a relevé ce défi avec la parution de « Portefeuilles en série » en 2017 (réédité en 2023 sous le titre « Pourquoi tuer une vieille dame »). Il réitère l’expérience en 2019 avec « Mes amis Facebook » et en 2021 avec « Le retour du Cabotin ».

 

Je tiens à remercier les éditions Crescendo! pour l’envoi du service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire du livre via la plateforme leslibraires.ca et le récupérer dans une librairie indépendante.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue : *****

Psychologie des personnages : *****

Intérêt/Émotion ressentie : *****

Appréciation générale : *****