L’affaire des Montants – Une enquête du détective Surprenant (Jean Lemieux)


Jean Lemieux. – L’affaire des Montants – Une enquête du détective Surprenant. – Montréal : Québec Amérique, 2024. – 299 pages.

 


Polar

 

 

Résumé :

Vendredi 20 décembre 2013. Quand un vieil ami lui demande de venir aux Îles-de-la-Madeleine pour élucider le meurtre d’une éleveuse de moutons et de son chien, André Surprenant s’envole sans hésiter, mais avec un certain sentiment d’urgence. Il a promis à sa blonde qu’il serait rentré pour Noël.

Sur place, jumelé à une jeune enquêtrice de la SQ sans expérience mais douée, Surprenant commence le bal des interrogatoires. Le conjoint charismatique mais louche, la meilleure amie exploitée, l’ex-mari antipathique, le faux frère jaloux, l’animatrice de télé aux liens douteux : personne n’a d’alibi très solide.

Surtourisme, spéculation foncière, tensions familiales, les pistes s’accumulent au même rythme que la neige. Surprenant est hanté par les révélations récentes de sa mère, qui lui a enfin confié les circonstances de sa conception. Sa mère flouée, cette femme assassinée, sa collègue intimidée… les destins des femmes autour de lui s’amalgament, le poussent à penser autrement et, qui sait, lui permettront peut-être de résoudre l’affaire.

 

 

Commentaires :

 

Quel plaisir, à quelques jours de Noël, de retrouver l’enquêteur fétiche de Jean Lemieux dans  « L’affaire des Montants », une affaire de meurtre, de moutons de pré salé, de foin – dans le sens de fourrage et d’argent –, de cassoulet, de mafia, entre Montréal, l’île rouge de Havre-aux-Maisons, Casablanca et Florence. Une première enquête hivernale d’André Surprenant, la huitième, qui a entraîné son auteur « dans de nouveaux chemins » : sur le chemin des Montants, dans l’archipel des Îles-de-la-Madeleine, au centre du golfe Saint-Laurent, « un lieu tranquille, où l’on entendait guère que le frémissement des sapins sous le vent ». Une fiction enchâssée dans une réalité historique alors qu’Angela Merkel entreprend un troisième mandat de chancelière en Allemagne et que Vito Rizutto, qui semble « avoir mis de l’ordre dans les affaires de la Famille », meurt le 23 décembre 2013 à l'Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal des suites d'une pneumonie ou d’un empoisonnement, aucune autopsie n'ayant été faite avant son incinération.

 

On accompagne dans sa recherche de la vérité le sergent-détective transfuge de la Sûreté du Québec (SQ) qui a intégré depuis cinq ans l’escouade des crimes majeurs du Service de police de la ville de Montréal (SPVM), réputé pour ses « méthodes inorthodoxes » et ses « relations douteuses ». Dépêché sur l’archipel aux 713 naufrages, il vient en appui, pour des raisons personnelles, à une jeune sergente-enquêtrice du poste de la SQ de Cap-aux-Meules, « une floune qui ne pèse pas plus de 100 livres », « cinq pieds deux pouces étirée » : Olivia Mansour.

 

En cours de récit, l’auteur en profite pour nous en dévoiler un peu plus sur les origines familiales troubles de son protagoniste qui cumule 25 ans de carrière comme policier, a étudié à Brébeuf, a grandi à trente kilomètres du Vermont, conduit à Montréal une BMW Z3, a habité 14 ans plus tôt près du cap de l’Échouerie avec Maria, sa première conjointe, et leurs deux enfants Maude et Félix « avant leur divorce provoqué, en autres choses, par sa rencontre avec Geneviève ». Il éprouve toujours un inconfort au genou, réfléchit mieux couché, « c’est physiologique », est amateur de scotch whisky Macallan, « single malt coûteux » mais ne lève pas le nez sur un Aberlour A’bunadh quand on lui en offre et, lorsque l’occasion  se présente, touche du piano. 

 

« À cinquante-deux ans, après plus de vingt-cinq ans de carrière, il n'en était pas à son premier drame. Ce qui sapait son énergie, c'était la charge cumulative. Il avait beau employer tous les trucs, la négation, la froideur, l'humour, il était souvent en proie à des vagues d'angoisse ou simplement de douleur, comme si son cœur, au même titre que son genou gauche, élançait quand il était sollicité. »

 

Dans « L’affaire des montants », la disposition naturelle d’André Surprenant à résoudre un crime est encore une fois mise à l’épreuve dans une intrigue alambiquée comme peut l’imaginer Jean Lemieux. Dès son atterrissage à sur l’île de Havre-aux-Maisons, il est rapidement confronté à la sphère personnelle de la victime d’un meurtre énigmatique, celui d’une éleveuse de moutons et de son chien Sol, un montagne des Pyrénées. Il devra en détricoter les « relations familiales complexes », « aboutissement d’une suite de circonstances précises, ancrées dans un passé qui pouvait être aussi proche que lointain. »

 

Pour compliquer les choses, Jean Lemieux a mis en scène une galerie de personnages très colorés dont certains auraient eu bien des raisons pour assassiner Florence Turbide, fille de Colette Thériault et de Rosaire Turbide (mort le 19 décembre 1975 lors du naufrage de la Rose-Angèle) :

 

·        Ella Arseneau, fille de Félix Arseneau, lui aussi décédé dans le même naufrage, amie de Florence ;

·        Octave Loiseau, ex-conjoint de Ella Arseneau, faux-frère de Florence, Colette Thériault ayant épousé en secondes noces Wellie Loiseau et, depuis la mort de ce dernier en 2009, est la conjointe de Platon Longuépée, un ami de Surprenant qui fut par le passé son entraîneur de hockey ;

·        Philippe Santoro, italien originaire de Roquefort-la-Bédoule en banlieue de Marseille établi aux îles en 2008, conjoint de Florence Turbide ;

·        Louis Schofield, ex-conjoint de Florence ;

·        Delphine Schofield, fille de Louis Schofield et de Florence ;

·        Félix et Fabien, les fils de Florence et frères de Delphine, surnommés respectivement « Left » et « Right » pour les distinguer selon l’orientation de leurs courts cheveux châtains, mais appelés « en cette entité commode, les jumeaux » lorsqu’il était impossible de les différencier lorsque leurs tuques brouillaient leurs coiffures ;

·        Albéni Thériault, frère de Florence ;

·        Paule  Greco, cheffe influenceuse de Montréal ;

·        Youssouf Hari (Youtube), originaire de Casablance, employé de Florence ;

·        Alessandro Vitale, professeur d’italien de Florence.

 

Une carte nous permet de situer le lieu du crime et les lieux de résidences des suspects potentiels.

 



Suspense garanti sur 30 chapitres aux titres évocateurs jusqu’au dénouement de l’enquête, avec au passage une incontournable référence pendant la période des fêtes à la chanson « 23 décembre » du groupe de Beau Dommage.

 

Pour les amoureux de la langue française et des parlures régionales, « L’affaire des Montants » met en évidence les accents et plusieurs des mots des insulaires. Jean Lemieux souligne au passage que  « pour des raisons qui font toujours l’objet de débats, les habitants de Havre-aux-Maisons ont un accent principalement caractérisé par le remplacement des R par des Y ». Par exemple : « J’étais à la veille de feymer [fermer] boutique. ».

 

Vous y découvrirez le sens de certaines expressions des Madeliniennes et des Madelinots « essentiellement issus des déportés acadiens du dix-huitième siècle, considéraient depuis des générations que la langue parlée était leur espace de liberté :

 

·        un amariné, une floune, une folle amarrable, une personne d’en dehors, une ancêtre de l’an premier, faraud, les coiffages, le jour craquant, la salange, un soleil de mer, une adonnance, une sauterelle, une fiance, un kakawi, la wheelhouse, une salebarbe, un jour de débauche, un chancre, du chiard ;

·        s’aplatir, godêmer, avoir la main dans le panier, rebardeauter, dégolfer, capseyer, piloter un botte, se raplomber, être plein moribe, arriver à la bichetée, mettre en bébelles.

 

Ou, pour souligner la mémoire phénoménale de l’enquêteur : « ... vous avez un moyen disque dur ».

 

J’y ai appris pourquoi les éleveurs de moutons élèvent aussi des ânes :

 

« On les met au pâturage avec les moutons. Les coyotes n’aiment pas leurs hennissements. »

 

J’ai noté cette belle description de I'île du Havre-aux-Maisons ...

 

« Ils arrivaient au sommet de la côte du Bellevue. Devant leurs yeux, éclairée par le pâle soleil d'hiver, s'étalait I'île du Havre-aux-Maisons, avec ses buttes et ses vallons. Voisine de l'île centrale, où étaient concentrés les services gouvernementaux, Havre-aux-Maisons avait toujours cultivé une singularité dont l'accent n'était que la particularité la plus évidente. Il y avait certainement un port de pêche actif, une vocation agricole, des boutiques et des restaurants renommés. Il y avait surtout un esprit d'indépendance dont les racines remontaient à l'établissement des premières familles acadiennes, plus de deux cents ans plus tôt. À Havre-aux-Maisons, on ne se contentait pas de remplacer les R par des Y, on n'était pas pareils. »

 

... du quai de la Pointe-Basse...  

 

« Le quai était désert. Deux homardiers, leurs francs-bords abîmés par la dernière saison, tiraient sur leurs amarres. Leurs pareils, nombreux, avaient été remontés et affrontaient l'hiver juchés sur des cales de bois à côté du slip. Au-delà des dolosses de béton qui protégeaient le havre, les crêtes des vagues qui agitaient le golfe scintillaient en désordre sous la lune. »

 

... et des écoles de rang converties en résidences :

 

« Comme beaucoup de campagnes québécoises au début du vingtième siècle, les Îles-de-la-Madeleine étaient semées d'anciennes écoles de rang, des bâtiments d'environ vingt mètres par dix comprenant deux salles de classe unies par une entrée centrale surélevée. Aux Iles, certaines avaient été démolies, d'autres avaient eu des vocations commerciales, enfin quelques-unes avaient été converties en maisons unifamiliales. »

 

Jean Lemieux souligne dans la portion d’un court dialogue l’impact des changements climatiques sur l’occupation de certains îliens :

 

« J’ai déjà chassé le loup-marin, mais là, y’a plus de glaces. »

 

Dans un paragraphe, il résume les transformations socio-économiques majeures que vivent les habitants des Îles-de-la-Madeleine, « un trésor protégé par un unique cerbère : le mauvais temps. »

 

« Les choses avaient changé depuis qu'il avait quitté l'archipel, douze ans plus tôt. Ce qui était à vendre maintenant, ce n'était plus le homard ou la saveur locale, c'étaient les îles elles-mêmes, les maisons, les terrains, la mer et son contenu. Du fait de l'isolement et d'une économie saisonnière, les propriétés avaient toujours été moins chères aux Îles que sur le continent. Une vingtaine d'années plus tôt, les touristes avaient commencé à acheter. Le phénomène ne semblait plus marginal. C'était fatal, les plus belles côtes du Québec n'échapperaient pas à la spéculation foncière qui affligeait l'ensemble du littoral de la planète. »

 

Un milieu insulaire qui autrefois savait s’autoréguler :

 

« Longtemps après les autochtones et les pêcheurs saisonniers, les premiers hivernants acadiens, boat people avant l'heure, avaient vécu pendant des décennies sans autre police que leurs conseils de sages. Les Îles-de-la-Madeleine, isolées du monde sous la lointaine autorité de seigneurs britanniques, s'apparentaient à un grand navire dont l'équipage, issu de quelques familles fondatrices, avait intérêt à suivre le règlement. »

 

Le médecin écrivain est aussi en mesure d’étayer quelques critères permettant de calculer l’heure du décès  d’une victime :

 

« Il le parcourut avec attention, y retrouva des paramètres familiers, description du corps, flexibilité des membres, température rectale, usage de cet outil délicat, le monogramme de Henssge pour déterminer l'heure du décès. Les variables étaient multiples, poids de la victime, température extérieure, météo, usage de médicaments. Surprenant avait suffisamment d'expérience pour savoir que cette dernière était irremplaçable. »

 

Mon passé d’archiviste m’a permis d’apprécier cette description des  photographies de famille :

 

« ... qu'elles soient éparses, regroupées en albums ou stockées dans des nuages virtuels, [elles] ont une fonction paradoxale: instants évanescents, elles doivent, par leur pouvoir évocateur ou leur multiplicité, raconter une histoire longitudinale. »

 

Comme je le fais régulièrement, voici un florilège qui démontre la richesse de l’écriture de Jean Lemieux :

 

« Le vent d’est et le ciel bas s’accordaient à l’humeur du vétéran du SPVM. »

 

« Les jours étaient courts, les belles blancheurs de février n’étaient pas plus en vue que le Cap-Breton. »

 

« Delphine Schofield fixa sur lui ses hublots céruléens... »

 

« La cheffe influenceuse figea comme une béchamel oubliée sur le comptoir. »

 

« Il était tombé une trentaine de centimètres de neige, lesquels centimètres se soustrayaient, s’additionnaient en creux et en bosses selon les poussées d’un lourd vent d’est. »

 

« Avec sa moustache, ses cheveux mi-longs de travers, Octave Loiseau ressemblait à un mousquetaire surpris en train de trousser une soubrette. »

 

« L’âge, c’est comme la photographie, c’est une question de point de vue. »

 

« Mêlés à une gueule de bois modérée, des souvenirs du souper de la veille crevaient comme des bulles grasses à la surface de ses pensées. »

 

« Dans la police, il faut avoir des yeux tout le tour de la tête, se méfier des bandits, mais aussi de nos collègues. »

 

« L’affaire des Montants », se termine sur une fête de Noël « surprenante » à Iberville, un « un souper tranquille », chez sa mère Nicole rongée par un cancer. Tôt, le lendemain matin, le sergent détective, devant l’arbre de Noël encore allumé où « la vraie crèche de Noël [que sa mère] dépoussiérait tous les 10 décembre depuis cinquante ans [repose] toujours au milieu des Rois mages et des confettis » se fait songeur sur l’avenir d’un des personnages de son enquête et sur ses propres origines familiales :

 

« Dans cette histoire, dont la sienne, Surprenant, il y avait une mère, mais aussi un enfant. Attendue, inattendue, désirée, redoutée, chaque naissance refaisait, défaisait le monde, dans un tourbillon perpétuel. »

 

Si vous ne vous précipitez pas pour vous procurer votre exemplaire chez votre librairie indépendante ou pour emprunter une copie papier ou numérique auprès de votre bibliothèque publique, vous vous priverez du plaisir de lire très certainement l’un des meilleurs tomes à ce jour de la série imaginée par Jean-Lemieux.

 

* * * * *

 

Médecin, passionné de musique et de voyage, Jean Lemieux a écrit de nombreux romans lauréats de multiples prix. En 2020 est paru « Les Demoiselles de Havre-Aubert », la sixième enquête d’André Surprenant. La série a débuté en 2003 avec « On finit toujours par payer », qui a remporté les prix France-Québec et Arthur-Ellis avant d’être porté à l’écran. Jean Lemieux a également publié « Une sentinelle sur le rempart », un récit autobiographique sur son expérience d’omnipraticien, de même que « La Marche du Fou » et « Prague sans toi », qui explorent les thèmes de l’amour et du voyage. Pour les jeunes, il est notamment l’auteur du « Trésor de Brion », une chasse au trésor aux Îles-de-la-Madeleine.

 

 

Je tiens à remercier les éditions Québec Amérique pour l’envoi du service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire du livre via la plateforme leslibraires.ca et le récupérer dans une librairie indépendante.

 

 

Originalité/Choix du sujet :

1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

 

Qualité littéraire :

1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

 

Intrigue :

1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

 

Psychologie des personnages :

1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

 

Intérêt/Émotion ressentie :

1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

 

Appréciation générale :

1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

 


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire