Anna Jansson. – Cette ombre derrière toi – Une enquête de Kristoffer Bark. – Laval : Saint-Jean Éditeur, 2024. – 458 pages.
Polar
Résumé :
L’inspecteur Kristoffer Bark doit faire la
lumière sur une nouvelle affaire non résolue: Emelie Kartman, enseignante au
primaire, veuve et mère, disparue il y a dix ans et dont le corps a été
retrouvé trois ans plus tard enfermé dans un baril transpercé de centaines de
longs clous. Une mort d’une atrocité sans nom.
Bark découvre rapidement que l’enquête de
l’époque a été bâclée. Lorsqu’il joint sa collègue en arrêt de travail, Sara
Bredow, pour prendre des nouvelles, il apprend qu’elle aussi a fait l’objet de
menaces. Le tueur est-il toujours actif ? Les indices fournis par le fils
d’Emelie Kartman, qui n’avait que cinq ans au moment du meurtre de sa mère,
seront-ils suffisants pour permettre à l’inspecteur de sauver sa collaboratrice
d’un sort horrible ?
Commentaires :
« Cette
ombre derrière toi » est un thriller comme je les aime : un tourne-page
à l’intrigue bien ficelée et une trame dramatique « mêlant quête de pouvoir, manipulation et terreur ». Il « démontre à quel point nos vies ordinaires
peuvent se transformer en cauchemar en un instant », selon l’éditeur.
Dès les premières pages, la table est mise
pour un régal littéraire. Il faut souligner l’excellente traduction de
l’anglais par Danielle
Charron.
« ...
le bois se fendit et les cercles de métal
rouillé cédèrent. Apparurent alors les restes livides et gonflés d’un corps, de
longs cheveux roux, des dents et de profondes orbites vides ; un spectacle
grotesque vivement éclairé par le soleil matinal. »
Puis, en quelques paragraphes, Anna Jansson
nous présente son personnage principal, l’inspecteur Kristoffer Bark mandaté
pour rouvrir des cas non élucidés en attente de réintégrer son poste aux crimes
majeurs et qui souffre de la mort de sa fille. Ce dernier se voit obligé de
superviser une brigade hétéroclite, lui qui n’aime pas le travail d’équipe :
« Ce n'est pas moi qui ai mis ce groupe sur pied [...]. Je n'aime pas travailler en équipe, point.
Ça ralentit tout le processus. Je serais même prêt à accepter une baisse de
salaire si on me laissait travailler tout seul, tranquille, dans le silence. »
En consultant le site Web de l’auteure, on
peut d’ailleurs découvrir l’allure physique du héros qu’elle a imaginé sur les
couvertures de première de la série Kristoffer Bark. Cette dernière compte à ce
jour six titres, dont les deux premiers ont été publiés en français par
Saint-Jean éditeur.
L’assistent dans son enquête au Service des enquêtes non résolues Henrik Larsson ainsi que sa nombreuse progéniture ; Alex Molin, le fils de sa psychologue, Mia Berger, à qui il n’ose pas avouer les crises de somnambulisme auxquelles il est confronté avec comme conséquence la disparition ou le déplacement d’objets dans son appartement ; Ingrid Johansson, « une dame de près de soixante ans », une civile qui assiste Bark, « virtuose en matière de systèmes d’exploitation ». Et un poste vacant doit être occupé par une dénommée Sara Bredow, 34 ans, en congé de maladie, qui joue malgré elle un rôle clé dans cette enquête.
Cet écosystème interagit notamment avec un ancien
collègue de Kristoffer Bark, Ulf Gunnarsved, qui est enquêteur des crimes
économiques, Regina Zimmermann, cheffe de la police régionale, et Gaby Wide,
procureure.
L’enquête qui présente une similitude entre
deux crimes, et qui rappelle certains scénarios imaginés par Agatha Christie (meurtre
dans un lieu clos où sont réunis quelques personnages suspects) se déroule géographiquement
à l’est et au nord de Stockholm. Le cumul des indices nous amène peu à peu à
découvrir les motifs de la personne responsable de cette série de crimes.
Il m’arrive parfois, pendant ma lecture,
d’étayer et de confirmer mes soupçons concernant la personne que le héros
enquêteur cherche à démasquer en éliminant un à un les suspects. Au fil des
événements, vers la moitié du livre, c’est ce qu’il s’est passé dans « Cette ombre derrière toi », mais
cela ne m’a pas empêché de continuer à prendre du plaisir jusqu’à la fin. En
effet, le scénario de l’intrigue nous amène à douter de tous les protagonistes
les uns après les autres, même les plus improbables.
Le polar, en tant que genre littéraire, offre
souvent l’occasion de mettre de l’avant certaines problématiques sociales et
politiques de la société dans laquelle évoluent les personnages. C’est le cas
du roman d’Anna Jansson.
En ce qui a trait au vol d’identité en Suède :
« ... avec nos collègues de l'unité des crimes
économiques hier soir, je suis restée ici pour me familiariser avec leur
enquête sur le vol d'identité. Savais-tu que rien que cette année, 237 000
Suédois en ont été victimes ? »
… des fuites dans le système d’aide sociale :
« Un petit génie a étudié la chose et a conclu
que nous pourrions épargner l'équivalent de dix fois nos salaires si nous
pouvions colmater les fuites de notre système d'aide sociale. Tous les réseaux
criminels exploitent ce système. [...] Actuellement,
nous travaillons sur les vols d'identité. Ça a explosé au cours des six
derniers mois, en particulier chez les étudiants. »
… et l’inaction du gouvernement :
« De nos jours, à peu près n'importe qui
possédant un ordinateur et une connexion Internet peut obtenir un NIP
temporaire et profiter du système gouvernemental d'aide sociale. Une personne
peut même créer plusieurs identités et toucher différentes prestations. C'est
vraiment enrageant, surtout quand on sait que le gouvernement refuse parfois
d'aider des gens qui en ont vraiment besoin, alors qu'il verse l'argent des
contribuables à des gens qui ne sont ni malades ni démunis.
L'État demande au
Bureau d'assurance sociale de réaliser des économies, alors que le système est
une vraie passoire. Tout ça, c'est de la politicaillerie. Ce sont les
politiciens qui sont à blâmer - autant le gouvernement de Reinfeldt, qui est à l'origine de ces bêtises, que le parti
social-démocrate, qui ne réussit pas à lui mettre des bâtons dans les roues. »
Au rayon des connaissances acquises,
« Cette ombre derrière toi » fait également œuvre de pédagogie. J’y
ai fait de belles découvertes :
Sur les fermes de la province de Hälsingland :
« Gästgivars est l'une des sept fermes de Hälsingland figurant au patrimoine mondial de l'UNESCO, récita-t-elle. Datant du XIXe siècle, elles sont abondamment décorées de papier peint et de motifs muraux réalisés au pochoir, et appartenaient à des fermiers qui se sont enrichis grâce à la foresterie et à la culture du lin. La caractéristique unique de chaque ferme est sa grande salle de réception qui, dans certains cas, occupe un bâtiment à elle seule. Ces salles servaient aux fermiers à étaler leur richesse. »
« Construites au milieu du XIXe siècle, les fermes de Hälsingland
étaient décorées avec du papier peint au pochoir, des tapisseries et des œuvres
d'art. Le but était d'impressionner les gens qui assistaient aux festivités qui
s'y tenaient régulièrement. Les plus grandioses étaient les mariages. À
l'époque, les mariées s'habillaient en noir. »
... les ours du Hälsingland :
« C'est dans le Hälsingland qu'on retrouve la
plus grande population d'ours de la Suède. Les jeunes ont les oreilles sur le
dessus de la tête et sont moins dangereux. Si vous croisez un ours aux oreilles
plantées bas, ça veut dire qu'il est âgé et expérimenté, qu'il a déjà mangé de la
viande et qu'il aime ça. »
Une page est consacrée à la toxicité mortelle
du fentanyl.
« ...
c'est un opioïde synthétique très
puissant. Il est de soixante-quinze à cent fois plus fort que la morphine. Une
dose est grosse comme un grain de sel. Et lorsqu'on le mélange avec de
l'alcool, le fentanyl peut affecter le système respiratoire de façon létale. On
ne l'utilise plus vraiment en médecine, mais malheureusement, c'est une drogue
populaire dans les partys et auprès des toxicomanes.
[...]
Le fentanyl s'injecte [...]. On peut aussi le prendre par vaporisateur
nasal. Il existe aussi sous forme de timbres, comme les timbres de nicotine ou
d'œstrogène. Les médecins peuvent prescrire des timbres de fentanyl aux
patients qui ont de la difficulté à avaler des comprimés antidouleur ou dans le
cadre d'opérations chirurgicales très douloureuses. Par contre, ils prennent du
temps à faire effet, environ douze heures. Pour aller plus vite, on peut aussi
couper un timbre et le faire tremper pour en recueillir le liquide que l'on
s'injectera par intraveineuse. »
J’ai aussi appris que c’était le gin de
Tevekvarn « qu’on servait chaque
année au banquet soulignant la remise des
prix Nobel ».
Le « bandy »,
quant à lui, est « un sport
d’équipe semblable au hockey sur glace, mais où les joueurs se disputent une
balle plutôt qu’une rondelle. »
Dans les pays scandinaves, et en Suède en particulier, on célèbre Sainte-Lucie, vierge martyre, le 13 décembre (début de l'Avent). Cette fête prend la forme de processions de femmes, chacune dirigée par une jeune fille choisie pour incarner la sainte.
Au passage, Anna Jansson fait également référence à Lars Norén, un dramaturge suédois décédé en 2021, dont les thèmes sont notamment les conflits familiaux et les troubles de santé mentale.
Et à une chanson folklorique bien
connue en Suède, dont le thème remonte à la légende
de Sainte-Catherine d’Alexandrie, se trouve aussi au cœur même de
l’intrigue du roman : « Liten Karin » (« La petite Karin »)
que l’on peut écouter sur YouTube :
« Un jeune roi voulait posséder la petite
Karin. Il lui offrit un cheval gris, une selle dorée, une couronne en or massif
et même la moitié de son royaume. La petite Karin lui dit de donner ces cadeaux
à la reine, sa jeune épouse, et le supplia de la laisser partir, son honneur
intact. Elle se refusa à lui jusqu'au jour où, en colère, le roi décida de
l'enfermer dans un baril clouté. Il ordonna ensuite à ses hommes de faire
rouler ce baril. Puis, deux colombes blanches descendirent du ciel. Elles
emportèrent la petite Karin qui se transforma elle-même en colombe. »
J’ai remarqué cette manière imagée de
mentionner que l’automne est arrivé :
« En se penchant par-dessus la balustrade, il vit
que ses voisins d’en dessous avaient poussé le mobilier de jardin contre le mur
de la terrasse et recouvert le gril d’une bâche. »
Et celle-ci rappelant une scène du film
« Les oiseaux » d’Alfred Hitchcock :
« Un vent fort délogea un groupe de corneilles
qui se tenaient sur le toit de l’école Karolinska. On aurait dit de petits
esprits noirs qui s’envolaient vers le ciel. »
« Cette
ombre derrière toi » m’a
tenu en haleine tout au long des 60 courts chapitres qui découpent le récit de
plus 450 pages. Le style de l’auteur et le rythme de l’écriture contribuent au fil
narratif qui relie l’ensemble de l’œuvre. Il n’est pas nécessaire d’avoir lu la
première enquête publiée par Saint-Jean éditeur qui était passée sous mon
radar, « La
disparue du lac Hjälmaren »,
pour apprécier la lecture du deuxième tome d’une série qui, je l’espère,
viendra enrichir les rayons des librairies et des bibliothèques.
* * * * *
En 1979, elle entreprit des études en soins
infirmiers à Örebro, ce qui lui permit de mettre à profit sa parfaite connaissance
de l’univers médical. Elle se lança dans l'écriture après avoir acquis un
ordinateur en 1997. Même après le succès de son premier roman, « Strum sitter guden » (« Le Pacte boréal », publié en 2000),
elle continua de travailler comme infirmière à temps partiel. D’abord inspirés par
ses rencontres à l’hôpital, ses romans mêlent meurtres crapuleux et complots
machiavéliques, sur fond de problèmes éthiques.
Anna Jansson a créé une héroïne récurrente,
l’inspectrice Maria Wern, pour sa série de romans dont tous les titres se sont
retrouvés dans les palmarès des meilleures ventes en Suède.
En 2005, elle a entre autres publié « The Silver Crown » (« La Couronne d’argent »), vendu à plus de
50 000 exemplaires, ainsi que, en 2006, « Unknown Bird » (« L’inconnu du
Nord »). Ce dernier qui a été finaliste du Glass Key Award du
meilleur polar scandinave, a été traduit dans plusieurs
pays et a fait l’objet d’une adaptation cinématographique.
Après le succès phénoménal de sa série Maria Wern
en Scandinavie et en Europe, elle a commencé à écrire Kristoffer Bark. Cette
série a connu un succès encore plus grand, avec des traductions en une dizaine
de langues et la publication d’un roman par an.
Je tiens à remercier les éditions Saint-Jean
pour l’envoi du service de presse.
Au Québec, vous pouvez commander votre
exemplaire du livre via la plateforme leslibraires.ca et le récupérer dans
une librairie indépendante.
Originalité/Choix du sujet :
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Qualité littéraire :
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Intrigue :
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Psychologie des
personnages :
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Intérêt/Émotion
ressentie :
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Appréciation générale
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