Rosa Mogliasso. – L’irrésistible appel de la vengeance. – Le Bousca : Finitude, 2023. – 256 pages.
Roman
Résumé :
Amanda n’est pas au mieux de sa forme :
auteure de polar has been,
malheureuse en amour et un peu trop portée sur le gin, elle s’aperçoit avec
dépit qu’il est difficile de se remettre en selle à cinquante ans. En attendant
des jours meilleurs, elle anime un atelier d’écriture.
Sous sa direction, un petit groupe de
prétendants à la gloire littéraire s’exerce à l’art du crime parfait. Parmi
eux, Rutger, le beau tennisman, Vanessa, la MILF tirée à quatre épingles,
Giovanni, le romantique octogénaire, et Ludovica, l’insupportable agent
littéraire d’Amanda. Chapitre après chapitre, professeur et élèves se plongent
dans les mécanismes subtils d’une intrigue romanesque, mais aussi dans ceux,
plus insidieux, des passions qui les lient les uns aux autres.
L’ironie irrévérencieuse de Rosa Mogliasso
fait mouche. Et tandis qu’elle nous montre les règles de construction du plus
infaillible des polars, elle s’amuse à les saboter. Jusqu’à l’imprévisible coup
de théâtre final. Mais attention, un roman peut parfois en cacher un autre…
Commentaires :
Même si l’attirante couverture de première
laisse supposer que L’irrésistible appel
de la vengeance est un récit d’horreur, détrompez-vous. Vous découvrirez
comme moi un roman très drôle et pédagogique sur l’art d’écrire un polar. L’auteure,
Rosa Mogliasso, entremêle conseils pour démystifier les techniques et les
rouages d’écriture d’un bon roman policier, références britanniques et
américaines une œuvre littéraire en développement dans laquelle les relations
entre les personnages réels et fictifs s’entrecroisent. Un roman dans un roman.
En pages liminaires, l’auteure présente les 12 protagonistes d’un atelier d’écriture qui se tient une fois par semaine dans une librairie de la Piazza Vittorio Veneto à Turin. Des rencontres qu’anime d’une main de maître Amanda, son personnage principal, une auteure déchue, accroc au gin-tonic qui a décidé de donner des cours d’écriture pour gagner en prestance, en crédibilité :
« Elle avait publié une dizaine de livres,
fait quasiment le tour de toutes les intrigues policières imaginables sans pour
autant atteindre le nirvana des best-sellers et des chèques à cinq zéros. Voilà
pourquoi Amanda se réveillait chaque matin en ruminant des scénarios de
vengeance qui devenaient plus violents à mesure que la journée déclinait. »
Rosa Mogliasso décrit également les huit acteurs
impliqués dans les 21 chapitres du polar collectif au suspense entretenu qui se
construit de séance en séance, un peu à la manière d’un « cadavre exquis ».
Chacune et chacun des aspirants écrivains du club d’écriture, aux vies plus ou
moins chaotiques, collaborent au développement de l’intrigue jusqu’au coup de
théâtre final, « ce que les
Anglo-saxons nomment communément le plot twist. »
Avec comme résultat deux histoires intimement
liées, qui se répondent et se nourrissent, une galerie de personnages hauts en
couleur et des dialogues mordants où la réalité rattrape la fiction et vice versa.
J’ai beaucoup apprécié le scénario imaginé, les
nombreux conseils qui m’ont rappelé mes cours de création littéraire et d’autres
lectures sur le polar comme genre littéraire : répartir deux ou trois cadavres « avec bon sens tout au long de l’histoire »
; trahison et vengeance, le moteur d’un roman policier ; « ne jamais confondre la voix du narrateur
avec celle de l’auteur (règle fondamentale) » ; les motivations du
crime : « l’envie, l’avidité,
la jalousie, la luxure » ; assassins et victimes doivent se connaître
; les adverbes ne sont pas nos amis ; ne pas raconter, mais montrer.
J’ai appris que le cliffhanger était une façon de terminer un épisode avec un
événement dont l’issue est incertaine.
Au fur et à mesure de l'écriture du polar que
les élèves d’Amanda et le lecteur découvrent de chapitre en chapitre, Rosa
Mogliasso formule ses recommandations :
À propos d’un bon roman policier :
« … le crime ne doit pas être commis par des
professionnels du milieu. Un bon roman policier doit nous rappeler que si
quelque chose tournait mal dans nos vies, chacun de nous pourrait se
transformer en assassin. Ce qui nous intéresse, ce sont les motivations
viscérales, profondes. »
« Deux ou trois cadavres, bien dosés, à
répartir tout au long de votre récit: le premier est, en général, la victime
principale. Les suivants, normalement, sont assassinés parce qu'ils sont sur le
point de démasquer le coupable. Celui-ci, bien que n'ayant aucun ressentiment
particulier à leur égard, se voit contraint de les éliminer pour ne pas être
découvert. »
… des personnages :
«
Les personnages sont des ‘’ émissaires de
vie ‘’, ils ont des potentialités surprenantes. Un personnage pour lequel on
avait envisagé seulement quelques répliques peut se révéler si intéressant
qu'on le développe sur plusieurs chapitres. Nous devons nous laisser surprendre
par nos personnages, ils sont comme des fruits qui mûrissent sur un arbre. Au
début, il y a de nombreux embryons de pommes, à la couleur indéfinie. Certains
d'entre eux prennent forme jusqu'à devenir d'un beau vert brillant, tandis que
d'autres n'ont pas de potentialité de vie, abdiquent, se dessèchent. Les
personnages sont comme des pommes: ils naissent, mûrissent et seulement à ce
moment-là, vous pourrez les cueillir. D'autres tombent par terre, inexploités. »
« Rappelez-vous que les personnages d'un
livre, et d'autant plus dans un polar, disent ce qu'ils veulent et agissent en
fonction de ce qu'ils sont. »
… de l’écrivain, un Dieu :
« Mais attention, l'écrivain n'est pas le Dieu
miséricordieux du Nouveau Testament qui écoute les prières et pardonne les
péchés. L'écrivain est le Dieu de l'Ancien Testament: sanguinaire, brutal, sans
pitié. Celui qui envoie des sauterelles provoque des famines, des pluies de feu,
des punitions cruelles. Nous devons être implacables avec nos mots, effacer
ceux qui sont inutiles et, surtout, supprimer ceux qui mentent, nous devons
faire confiance à notre infaillible divinité. Souvenez-vous de ceci, mesdames
et messieurs, ayez toujours à l'esprit les plaies de Job quand vous écrirez. »
« … celui qui écrit ne peut s'extraire de sa
propre sensibilité ni de ses blessures. La sensibilité, pour un écrivain, est
l'équivalent de son propre corps pour un peintre : c'est ce que nous avons en
permanence sous la main, c'est le sujet le plus évident. Vincent Van Gogh a
fait son autoportrait quarante-trois fois en dix ans. »
« Au même titre que certaines méthodes de jeu
théâtral, vous devez chercher les analogies psychologiques entre votre monde
intérieur et celui de votre personnage afin de les faire renaître dans la
fiction. »
… des dialogues :
« Un dialogue écrit, pour qu'il fonctionne,
doit avoir une cadence exagérée, pyrotechnique, voire explosive, sinon c'est
barbant. »
… pour ne citer que ces quelques exemples.
Comme je le fais régulièrement dans mes avis
de lecture, j’ai relevé quelques passages qui donnent le ton à la qualité
littéraire de ce roman :
« … le logement était si petit que
lorsqu'Amanda oubliait de poser un couvercle sur une casserole de sauce tomate,
elle risquait de devoir repeindre les murs de la chambre à coucher. »
Les
agents immobiliers : « … catégorie
de personnes qui n'a aucun scrupule, qui sait lire dans l'âme humaine et est
capable de saisir l'opportunité quand elle se présente. »
« … l'amour au temps d'internet est rapide et
superficiel, autant dans les mécanismes que dans la prose: messages brefs,
directs, clairs, transparents, pas de phrases complexes et surtout pas de
ponctuation. Au mieux, un retour à la ligne. Imagine du Marcel Proust à
l'envers et tu auras une idée assez précise de ce qui se passe à notre époque. »
« … quand il rentrait dans l'appartement qu'il
partageait avec deux étudiants fauchés comme lui et que l'accueillait l'odeur
d'un poulet provenant de la rôtisserie, c'était à Vanessa qu'il pensait: chaude
et pleine. »
« D’après Hemingway, il faut écrire en étant
soûl et corriger une fois sobre. »
Le roman ayant été traduit en France,
impossible d’échapper à quelques « du
coup ». Je sais, ma remarque est redondante.
J’ai aussi noté la référence à un ouvrage publié en 1988 par l’écrivain d’origine cubaine, Italo Calvino, « Leçons américaines. Six propositions pour le prochain millénaire ». De Lucrèce à Henry James, celui-ci suggère que les chefs-d’œuvre littéraires peuvent tous être lus à travers le prisme de cinq valeurs : légèreté, rapidité, exactitude, visibilité, multiplicité.
Rosa Mogliasso, par l’intermédiaire d’Amanda,
renvoie ses personnages et le lecteur à la lecture attentive de ce livre qu’elle
qualifie de fondamental en évoquant une qualité incontournable de toute œuvre romanesque :
« L'écriture est rythme, ne l'oubliez jamais. La réalité que nous décrivons va au ralenti : elle est paresseuse, opaque, inerte. Avec l'écriture, nous devons faire en sorte que la réalité s'envole et quitte la terre. Nous devons donner au monde la légèreté et le rythme […] : nous devons donner à la réalité un cœur qui bat. »
Un mot sur Rosa Mogliasso. Née à Turin
et diplômée en histoire du cinéma, elle s’est consacrée au théâtre. Elle a fait
partie d’une compagnie de théâtre d’ombres pendant de nombreuses années et est
actuellement curatrice et responsable de la programmation du Théâtre Baretti de
Turin.
C’est par le biais du théâtre qu’elle est
arrivée à l’écriture. Elle a d’abord écrit pour la scène et pour la radio, puis
des nouvelles parues dans des revues, avant de publier son premier roman en 2009.
« L’assassin a oublié quelque chose »
est le premier de quatre tomes d’une série policière dont le héros est la commissaire
Barbara Gillo.
Même si vous n’aspirez pas à devenir un,e
écrivain,e riche et célèbre, je vous recommande chaudement la lecture de roman
que vous pourrez savourer en quelques heures.
Merci aux éditions Finitude pour le service
de presse.
Au Québec, vous pouvez commander et récupérer
votre exemplaire auprès de votre librairie indépendante sur le site leslibraires.ca.
Originalité/Choix du sujet : *****
Qualité littéraire : *****
Intrigue : *****
Psychologie des
personnages : *****
Intérêt/Émotion
ressentie : *****
Appréciation générale
: *****
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