L’étoile du désert (Michael Connelly)


Michael Connelly. – L’étoile du désert. – Paris : Calmann Lévy, 2023. – 390 pages.

 


Polar

 

 


Résumé :

 

Après avoir quitté Le LAPD rongé par la misogynie, le défaitisme et la bureaucratie, Renée Ballard revient prendre la direction de l'unité des Affaires non résolues récemment reformée. Elle y recrute des stars de la police et demande à Harry Bosch, maintenant à la retraite, de l'aider à résoudre l'affaire de deux jeunes femmes tuées de la même façon à dix ans d'intervalle.

 

Bosch ne saurait refuser : avec toutes les ressources du LAPD, peut-être pourra-t-il en profiter pour arrêter le psychopathe qui a abattu toute une famille dans le désert de Mojave et qui n'a jamais été retrouvé.

 

S'il respecte Ballard, Bosch supporte mal son autorité et cela risque de nuire à leur travail. Et les tueurs, eux, n'entendent pas se laisser prendre après toutes ces années d'impunité.

 

D'autant que pour Ballard, et surtout pour Bosch, le temps presse....

 

 

Commentaires :

 

Les polars de Michael Connelly sont à la fois des romans divertissants et instructifs. De fiction en fiction, ils nous en apprennent progressivement sur le travail d’enquête des policiers américains, plus spécialement du LAPD, les relations entre divers corps policiers, les liens entre la protection publique et le politique, les différentes organisations, les relations avec la hiérarchie, les systèmes informatiques, le matériel et le système judiciaire.

 

L’étoile du désert n’y déroge pas avec les deux investigations palpitantes du binôme Ballard et Bosh de retour dans l’unité des Affaires non résolues « ressuscitée » par un conseiller municipal de Los Angeles. Peut-être la dernière qui mettra en scène un Hieronymus Bosch vieillissant, au souffle court, qui s’est converti aux nouvelles technologies et dont le passé militaire et sa réputation de policier lui collent aux baskets. Sans oublier son intoxication radioactive dont il était question dans À genoux (2008) qui refait surface alors qu’il avait « retrouvé du césium qui avait disparu ». :

 

« … ma maladie est revenue, et les pilules qu'on me donne ne servent qu'à repousser le truc. C'est passé dans ma moelle épinière. […]  j'ai eu des rayons. — Et le pronostic ? Combien de temps avant que... — Je n'ai pas demandé parce que je ne veux pas savoir. »

 

Un mot d’abord sur le titre référant au Monoptilon bellioides, cette plante annuelle à fleurs blanches à port rampant qui forme un buisson bas ne dépassant guère les 3 à 5 cm de hauteur, mais qui peut atteindre jusqu'à 25 cm de diamètre. 


Les étoiles du désert poussent sur les replats sablonneux ou graillonneux des déserts du sud-ouest du continent nord-américain, dont entre autres dans le désert de Mojave, près de Los Angeles, où les corps de quatre membres d’une même famille ont été retrouvés en 2013. Une affaire non résolue par Bosch à l’époque et qui le hante toujours neuf ans plus tard. À laquelle il s’attaquera après avoir d’abord contribué à identifier un meurtrier en série dans un autre cas remontant aux années 1990.

 

D’entrée de jeu, Michael Connelly nous accroche en nous invitant à découvrir en compagnie de son personnage fétiche les composantes du livre de meurtre de la première enquête : le tome premier contenant la table des matières et la chronologie des événements, le deuxième où sont regroupés les rapports des interrogatoires et les déclarations des témoins et le troisième où sont classées dans des pochettes en plastique les photos de la scène de crime et de médecine légale. Comme si on se penchait par-dessus l’épaule de l’inspecteur.

 

S’ensuit une enfilade de recherches, de rencontres d’anciens témoins, de parents survivants des victimes, le tout dans un style efficace, sans descriptions inutiles, intégrant des dialogues directs d’un nombre limité de personnages évoluant dans des environnements bien circonscrits. Résultat : une lecture dynamique, un tourne page dont le rythme s’accélère progressivement jusqu’à une finale dramatique à Key West, célèbre pour ses couchers de soleil.

 

Parlant de truc du métier, en voici un que pratique Bosch après un interrogatoire chez un témoin :

 

« Il quitta la maison, […] il s'arrêta sur la marche du haut. Lorsqu'il n'était encore qu'un jeune inspecteur qui se grillait deux paquets de cigarettes par jour à l'Homicide Special du centre-ville, il suivait une petite routine dès qu'il sortait de chez quelqu'un qu'il venait d'interroger. On ne sait jamais comment la visite inattendue d'un inspecteur de police peut affecter un témoin ou un suspect. Il restait donc juste devant la porte et sortait ses cigarettes. En allumait une avec un briquet qui mettait toujours un temps fou à produire une étincelle. Et là, il pivotait légèrement comme pour se protéger du vent, mais en fait pour tendre une oreille vers la porte et il écoutait dans l'espoir d'entendre une parole prononcée après son départ. Et plus d'une fois, il avait perçu des dialogues tendus, voire pleins de colère. Un jour, il avait même entendu quelqu'un déclarer: ‘’ Il sait que c'est nous ! ‘’ »

 

Il est aussi intéressant d’en apprendre sur le contexte d’obtention d’un mandat de perquisition :

 

« Tout est dans la déclaration des causes raisonnables quand on veut obtenir un mandat de perquisition. Elle doit convaincre le juge qu'il y a là suffisamment de raisons juridiques pour qu'il autorise la perquisition et la saisie d'un bien ou d'une personne. Tout le reste n'est en gros que du texte standard que le juge auquel on le soumet ne fera probablement que survoler pour aller droit aux causes raisonnables. »

 

… sur le comportement de certains juges :

 

« La question était capitale dans la mesure où chaque juge avait une vision et des pratiques particulières qu'on connaissait dans le milieu à force d'étudier les avocats de l'accusation qu'il engageait et les officiers de police qui allaient le voir pour qu'il accepte leurs demandes de mandats. Certains défendaient farouchement le Quatrième Amendement qui protège les citoyens contre toute perquisition et saisie illégales. D'autres, plus dans la ligne ‘’ que force reste à l'ordre et à la loi ‘’, ne voyaient jamais rien à redire au moindre mandat de perquisition. En plus de quoi, tous les juges étaient élus. S'ils avaient pour tâche d'user de leur pouvoir sans le moindre biais personnel ou politique, il n'était pas rare que certains risquent un coup d'œil sous le bandeau de la justice aveugle en songeant aux ramifications électorales de tel ou tel de ses arrêts – du genre autoriser ou défendre à l'État de prélever un échantillon d'ADN sur la personne d'un ancien flic soupçonné de meurtre. »

 

… et de l’importance de choisir un juge sympathique :

 

« Les trois quarts des inspecteurs prenaient soin d'établir de bonnes relations avec un juge sur la sympathie duquel ils pourraient compter côté causes raisonnables. Cela revenait bien à choisir son juge, mais cela se pratiquait couramment. »

 

J’ai souri en lisant ce passage qui rappelle certainement une expérience similaire à tout conducteur de véhicule automobile :

 

« La pente était si sévère que celle-ci [la porte] se referma aussitôt violemment sous son poids. Ballard essaya de nouveau en sortant le pied pour la pousser à fond et la bloquer. Bosch se débattit lui aussi pour descendre du véhicule ... »

 

Vous apprendrez peut-être vous aussi la signification d’une « rencontre en 69 » dans le langage policier :

 

« Bosch entra dans le parking nord du centre commercial d'Hawthorne Boulevard au volant de sa Jeep et n'eut aucun mal à repérer la voiture de fonction de Ballard. […] Il roula droit vers elle et se gara de façon que leur vitre côté chauffeur se trouvant en face l'une de l'autre, ils puissent se parler sans avoir à descendre de leur véhicule. En argot LAPD, cela s'appelait une rencontre ‘’ en 69 ’’. »

 

Ou encore sur l’expression américaine DGP « Don’t Go Postal » :

« ‘’ Ne pétez pas les plombs’’. Expression qui a pour origine des tueries de patrons de la poste par des employés en colère, phénomène apparu dans les années 70. »

 

J’ai noté au passage quelques descriptions imagées :

 

« L’arc de l’univers moral est long, mais il penche vers la justice. »

 

« Bosch dormait si profondément que c'est à peine si le premier coup frappé à la porte avait pénétré dans les tunnels dont il rêvait. Il s'y déplaçait sans cesse dans des espaces sombres et resserrés sans début ni fin. »

 

« L’océan était aussi lisse qu’un drap-mousse dans un lit. »

 

« … un jeune homme apparut derrière elle, les cheveux emmêlés de sommeil. »

 

« Au cinéma, les inspecteurs se coulent toujours un petit regard pour faire comprendre au spectateur toute l’importance d’une révélation. Ballard et Bosch ne purent s’empêcher de la faire… »

 

La traduction du texte original anglais étant réalisée à Paris, il est difficile d’éviter l’insertion de quelques « du coup », de références françaises qui n’ont pas de signification au Québec et d’expressions difficilement imaginables dans la bouche d’une Californienne, telle que  « Putain, ça craint vraiment. »

 

À noter également quelques coquilles évidentes qui n’auraient pas dû échapper à révision rédactionnelle :

 

Page 118 : « Ballard s'assit à son bureau, disparaissant à la vue. Il [elle, puisqu’il s’agit de Ballard] ne pouvait pas voir Hatteras, mais il [elle, Ballard] l'entendit ouvrir et refermer sèchement un tiroir de bureau avant de remonter brutalement la fermeture Éclair de ce qu'il [elle, Ballard] pensa être son sac à main. Puis elle [Hatteras] se leva et prit la direction de la sortie, Ballard ne soufflant mot lorsqu'elle [Hatteras] la frôla en partant. »

 

Page 149 : « Je l’ai frappé parce qu’il allait le [me] frapper. »

 

Page 207 : « … notre suspect à [a] des ancêtres… »

 

Page 279 : « … la chaîne montra un reportage en direct [du lieu] de la fusillade… » 279

 

L’étoile du désert est le 38e roman publié en français de Michael Connely qui vient s’ajouter à ma collection. 



Ce prolifique auteur m’a fait découvrir dans les années 1990 et apprécier les romans policiers, les polars, un genre littéraire qui se décline en plusieurs catégories (romans à suspens, noirs, historiques, d’espionnage, voire humoristiques) au point d’en devenir un centre d’intérêt. Tant pour ce qui se publie au Québec qu’ailleurs dans le monde. Et Dieu sait à quel point la production de cette littérature de genre est en constante progression.

 

Les personnages imaginés par Michael Connelly (Bosch, sa fille Maddy, son demi-frère avocat Mickey Haller, ses collègues d’hier et d’aujourd’hui au LAPD, dont Renée Ballard et ceux du FBI) évoluent dans des scénarios qui se renouvellent au cours des années. La disparition éventuelle et inévitable de Bosch de l’univers littéraire de Connelly laissera certainement un vide profond. Un avant-goût de sortie que traduit peut-être ce dernier extrait :

 

« Bosch écoutait l'album de King Curtis enregistré en live au Filmore West à peine quelques mois avant que ce dernier ne soit assassiné en 1971. Il monta le volume de deux crans avant la piste de ‘’ A Whiter Shade of Pale ‘’ et songea à toute la musique que ce saxophoniste n'avait jamais enregistrée à cause de son décès prématuré au cours d'une bagarre devant son appartement new-yorkais. Parker, Coltrane, Brown, Baker, la liste des musiciens qui avaient quitté la scène en pleine gloire était longue. […] Un petit coup de Klaxon ayant retenti devant chez lui, il ôta l'aiguille du disque, éteignit la platine, s'empara de ses clés et gagna la porte. »

 

Au Québec, vous pouvez commander et récupérer votre exemplaire auprès de votre librairie indépendante sur le site leslibraires.ca.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : ****

Intrigue :  *****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie :  *****

Appréciation générale : *****