Christine Brouillet. – Le mois des morts. – Montréal : Druide, 2023. – 328 pages.
Polar
Résumé :
La mère de Lucien Jutras est décédée au début
de la pandémie de COVID-19 et, depuis, l’adolescent se cherche. À quoi bon
terminer son secondaire quand les cours sont en présentiel un jour sur deux ?
Quand on sait qu’on peut mourir demain ? Sa relation avec son père, un riche
entrepreneur de Québec avec lequel il ne se trouve rien en commun, se détériore
de plus en plus. Tombé follement amoureux de Jacob, Lucien se sent renaître,
mais cet amour déplaît infiniment au très réactionnaire Marc-Aurèle Jutras.
D’autant plus qu’il songe à se lancer en politique et qu’il n’a pas l’intention
de laisser quiconque ternir sa réputation. Autour du conflit père-fils se tisse
une toile complexe et étouffante, où les alliés de l’un deviennent des menaces
pour l’autre.
Commentaires :
Celles et ceux qui suivent les enquêtes de l'inspectrice
de police Maud Graham, Biscuit comme se plaît à la prénommer son fils adoptif Maxime,
patrouilleur au Service de police de Longueuil (SPL), retrouveront les repères narratifs
entourant l’héroïne issue de l’imaginaire de Chrystine Brouillet.
Dans ce 21e tome au genre
littéraire qui se prête bien à la dénonciation des injustices sociales et de la
dégradation des conditions de vie d’une couche défavorisée de la société, l’auteure
originaire de Québec aborde les thématiques de l’itinérance, de la toxicomanie,
de la crise des opioïdes et de l’homophobie.
La trame romanesque de Le mois des morts se déroule principalement à Québec, entre la
basse-ville – plus particulièrement le quartier Saint-Roch – où se concentre la
population de sans-abri de la capitale et la haute-ville bourgeoise, entre autres
de l’avenue de Bourlamaque. En haut ou en bas de quelques-uns de la trentaine d’escaliers
répartis autour du promontoire caractérisant la cité où se déroule une partie
des événements dramatiques : un symbole éloquent des écarts entre bien
nantis et miséreux qui y résident : escaliers Lépine, du Faubourg, Lavigueur
et des Glacis que l’auteure a elle-même emprunté. Bien mis en évidence par la
très belle photo de Michel Guenette en couverture de première, quoiqu’il s’agisse
ici de l’escalier du Cap-Blanc à près de 5 kilomètres du cœur de l’action.
Comme dans ses romans précédents, du moins la
dizaine de ceux que j’ai lus, Chrystine Brouillet fait évoluer son enquêtrice
fétiche et sa garde rapprochée dans un environnement de biens nantis, fréquentant
quelques bars réputés et grandes tables de la capitale, de la métropole et d’ailleurs
au Québec. Partageant même son goût de la bonne chère avec deux des criminels
que Maud Graham, amatrice de champagne et de thés verts exceptionnels tels le Lapsang
Souchong, doit traquer. Une belle vitrine publicitaire pour un certain nombre
de restaurateurs de renom :
À
Québec : le Bello, le Il Teatro, le Laurie Raphaël, le Saint-Amour dont « l’ambiance était aussi romantique que la
cuisine recherchée »
le
Rioux-Pettigrew, chez BO où « les
ris de veau et le flanc de porc braisé sont sublimes ! » et pour son « crabe frit à carapace molle » et
ses « dumplings farcis aux crevettes »,
le Clan, la taverne italienne Birra & Basta, le Charbon, le bistro Le Sam
du Château Frontenac, les bars Jules et Jim et Beaugarte (quoique ce dernier
était fermé depuis 2017) et, pourquoi pas, un clin d’œil à la taverne Joe Dion
dans le quartier Saint-Sauveur.
Dans
la région de Montréal : le Rose Ross pour ses « escargots au pastis » et son « velouté de carottes à la crème de noisettes », le Makro pour
son « suave ceviche de pétoncles »
et Ô Petit Paris.
Ailleurs
au Québec : chez Colombe Saint-Pierre pour « la qualité des produits, la touche asiatique qui [fait] chanter chaque
plat, les textures moelleuses ou craquantes… » ou au Mange-Grenouille,
« cette auberge du Bic […] particulièrement romantique. »
Une liste hauts-lieux de la gastronomie presque
indécente si on considère que l’essentiel du roman est en lien avec des
personnages très colorés usagers de Lauberivière, un refuge multiservice à
Québec qui offre la soupe populaire, l’hébergement temporaire et des services
de réinsertion sociale aux hommes et aux femmes de 18 ans et plus. Institution
que Chrystine Brouillet a visitée espérant « avoir traduit la chaleur, la sensibilité, l'empathie des gens qui
animent ce refuge essentiel à la survie de beaucoup d'êtres meurtris, des êtres
aux parcours souvent étonnants, qui y retrouvent leur dignité. »
Comme dans ses opus précédents, l’auteure
nous fournit les moindres détails des actes meurtriers perpétrés pour nous intéresser
au travail des enquêteurs pour qui les motifs de crimes sont « la passion, l’envie, l’intérêt, la
vengeance, l’élimination d’une menace ou d’un témoin. » Elle utilise
abondamment le style interrogatif probablement pour réduire le nombre de
dialogues, ce qui est parfois agaçant.
Personnellement, je ne me suis pas senti
embarqué dans une intrigue palpitante. Je ne sais pas pourquoi, mais dans les
enquêtes de Maud Graham que j’ai lues, j’ai toujours eu l’impression que
celle-ci procédait avec ses coéquipiers à partir de sa salle à manger et non
depuis les locaux du Service de police de Québec (SPVQ) ! Sauf peut-être dans
les scènes d’interrogatoire dans l’édifice vétuste du parc Victoria. Soit dit
en passant, le service des enquêtes criminelles est plutôt logé depuis
plusieurs années dans un édifice de l’avenue Saint-Sacrement, quatre kilomètres
à l’ouest du parc Victoria.
À mon avis, le scénario aurait pu se limiter
aux trois assassinats de Québec commis par un homme d’affaires de l’avenue de
Bourlamaque. Sans rien divulgâcher, j’ai eu du mal à accorder une crédibilité au
personnage. Mais bon, un criminel peut se cacher dans le placard de tout
humain. La recherche du fraudeur dont on ne connaît pas la véritable identité m’a
semblé fournir un prétexte pour inclure dans l’histoire les activités policières
du fils de Maud Graham.
Le mois des morts est un polar très
contemporain qui se décline entre le 1er et le 31 décembre 2022, le
mois où les « jours de plus en plus
courts avaient plongé Québec dans une pénombre d’un bleu de Prusse qui donnait
l’impression que la soirée était avancée, mais le tintement des cloches de la
basilique indiquait plutôt l’heure du souper. »
Plus contemporain, tu meurs ! Au lendemain de
la covid, avec la crise du logement qui sévit, les demandes des banques alimentaires
qui ne cessent de s’accroître, la crise des opioïdes, un problème de santé
publique complexe, l’itinérance qui a bondi de 44% au Québec depuis cinq ans,
les gangs de rue, le nouveau Far West qui s’incrustre subrepticement dans la
capitale. À l’instar de Chrystine Brouillet, les auteur,es de polars et de romans
noirs ont notamment comme rôle de mettre en lumière les dessous des problèmes
sociaux auxquels les gouvernements de tous les niveaux sont confrontés. Un
vaste terrain de jeu pour les littératures du crime au Québec.
Merci aux éditions Druide pour le service de
presse.
Au Québec, vous pouvez commander et récupérer
votre exemplaire auprès de votre librairie indépendante sur le site leslibraires.ca.
Originalité/Choix du sujet : *****
Qualité littéraire : *****
Intrigue : ****
Psychologie des
personnages : *****
Intérêt/Émotion
ressentie : ****
Appréciation générale
: ****
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