Coke en stock / Colocs en stock (Hergé | Yves Laberge)

Hergé. – Coke en stock. – Bruxelles : Casterman, 1958/1986. – 62 pages.

Hergé. – Colocs en stock. – Bruxelles : Casterman, 2009. – 62 pages.

Bande dessinée

 

 


Note de l’éditeur :

 

« On parle français en Amérique depuis bien longtemps, principalement au Québec. Et si les Québécois s'expriment en français, leur langue a évolué différemment du français d'Europe en certains points. Outre l'accent, qui varie selon les régions, il existe de nombreux québécismes dans le français parlé en Amérique – expressions particulières, tournures de phrases ou mots moins usités en Europe. Plusieurs exemples voulant transcrire la langue orale populaire ont été inclus dans cette version québécoise intitulée Colocs en stock.

 

Doublement Québécois puisqu'il est né dans la ville de Québec, Yves Laberge propose […] une adaptation transposée dans le contexte culturel du Québec. Cette version québécoise de Coke en stock est un hommage au père de la bande dessinée et une célébration de la langue française telle qu'on peut l'entendre de nos jours au Québec. »

 

 

Commentaires :

 

J’ai repéré par hasard un exemplaire de la seule des aventures de Tintin qui a été publiée « en québécois ». L’ensemble de l’œuvre graphique de Hergé est disponible dans une cinquantaine de langues et dans une trentaine de dialectes, dont le ch'ti, le breton et le créole de la Guadeloupe.

 

J’ai eu la curiosité de comparer la version originale avec celle adaptée par Yves Laberge tirée à 20 000 exemplaires, tout en faisant un retour en arrière sur une de mes lectures d’enfance.

 

Sauf à une ou deux exceptions près, seuls les phylactères ont été adaptés en langue orale québécoise.



La sortie de cette BD en 2009 n’avait pas fait consensus. Certains inconditionnels de Tintin, ce reporter qui n’a d’ailleurs jamais écrit un seul article de journal tout au long de ses aventures, la qualifièrent de « farce monumentale :

 

« Honte à Casterman et honte à vous, M. Yves Laberge […] mais on ne touche pas à Tintin ! Surtout pour le défigurer autant et le rendre absolument ridicule et grotesque. D'abord, le titre: ‘’ Colocs en stock ‘’, qu'est-ce que ça veut dire ? M. Laberge aura-t-il d'autres lumineuses idées pour adapter les titres de la série? Préparons-nous à lire L'Oreille décrissée, La Bébelle d'Ottocar, Les Piasses en couleur de Red Raquam, On est allé s'promener sur la Lune, Les Jowells de la chanteuse. » (Marc Fournier - Tintinophile d'Alma - Le Devoir (Montréal), 20 octobre 2009)

 

D’autres groupies du personnage imaginé par Hergé y sont allés de commentaires plus nuancés qui correspondent davantage à mon ressenti de lecture. C’est le cas de Hugues Morin qui, le 3 novembre 2009, publiait un billet sur son site blogue L’esprit vagabond . Et de Stéphane Picher, alors libraire chez Pantoute dans le Vieux-Québec, sur son blogue Le silence des rossignols.

 

Dans une entrevue publiée dans le journal La Presse de Montréal (Colocs en stock, un Tintin pure laine, 21 octobre 2009), Yves Laberge, sociologue de formation et alors directeur de collection aux Presses de l'Université Laval à qui l’éditeur a laissé carte blanche s’expliquait :

 

« Tintin a été traduit en des langues parlées par seulement 100 000 personnes. Nous sommes 7 millions au Québec. J'ai cherché une langue où on se reconnaîtrait, où on aurait le plaisir de voir nos mots, nos expressions, dans une oeuvre universelle. »

 

J’ai eu personnellement beaucoup de plaisir à découvrir, en comparant les doubles pages des deux versions, les échanges en joual entre Tintin,  le capitaine Haddock et tous les autres acteurs de cette aventure rocambolesque, y compris la Catasfiore, les Arabes « qui ne décolèrent pas dans une langue qui apparaît soudain exotique », sans oublier Milou. 



Bien sûr, on y retrouve toutes les expressions québécoises, ou presque : « S’cusez-moi, c’est d’valeur, ben coudonc, c’est tiguidou, j’va l’sacrer dewor, c’est-tu assez fort, s’énarver le poil des jambes, écrapoutis… ». Avec quelques « ratés » comme « boyau d’arrosoir » plutôt que « boyau d’arrosage ».

 

Mais Yves Laberge qui a travaillé plus d’un an sur ce projet a outrepassé la simple adaptation du langage sans blasphème ou juron dérivé du vocabulaire religieux. Il a inséré dans plusieurs planches des fragments de notre culture que peut-être seuls les Québécois sont en mesure de décoder. En voici quelques exemples avec, entre crochets, le texte de la version originale de Hergé :

 

·        « 42 milles ! De choses tranquilles » [« Cinquante kilomètres !... Une paille !... »]

·        « Astheure, iousqu’i sont toutes les Raftmen ? » [« Où sont ces types en vadrouille, pardon, en patrouille ? »]

·        « Ce serait ben l’boutte si i avait déménagé au 1er juillet ! » [« Le comble serait qu’il ait déménagé »]

·        « Vous pourriez pas parler français comme nous autres, espèce de Duchesse du Carnaval ? » [« Pourriez pas parler français comme tout le monde, espèce de bayadère de carnaval ? »]

·        « Cé t’une voiture d’eau ? Ou ben une goélette ? » [« C’est un boutre, ça… Non, pardon, un sambook. »]

·        « Bandits !... Pirates !... Gangs de rue ! » [« Bandits !... Pirates !... Gangsters ! »]

·        « Espèce de Pirate Maboul ! » [« …espèce de mitrailleur à bavette ! »]

·        « De joyeux naufragés ! » [« De véritables naufragés »]

·        « Madame Castafiore du Saguenay » [« Madame Castafiole »]

·        « Cé don’ ben beau ! C’é t’à qui donc ? Au Bonhomme Carnaval ? » [« C’est à qui ¸ca ?... Oh ! mais, dites donc, c’est le carnaval à bord »]

·        « Prendr’ un p’tit coup… C’é t’agréable » [« Allons une seule petite gorgée… Mais oui, pourquoi pas ? »]

·        « Swing la bacaisse dans l’fond d’la… boîte à bois ! » [« Sauvés ! Youpiie ! Sauvés ! Hourra ! »]

·        « Viande à chien ! » [« Ah ! non, non !... »]

 

Par contre, il faudra qu’on m’explique « … la passe du bonhomme Giroux. »

 

Enfin, j’ai appris que « babord, c’est gauche ; tribord, c’est droite, comme dans l’mot ‘’ batterie ‘’ »

 

En conclusion, Coke en stock est une BD à lire pour s’autodérider et se démarquer en tant que société distincte non seulement en Amérique du Nord, mais aussi dans l'ensemble de la Francophonie internationale.

 

Au Québec, vous pouvez commander et récupérer votre exemplaire auprès de votre librairie indépendante sur le site leslibraires.ca.