Christian Ricard. – Rapt. – Rosemère : Éditions Pierre Tisseyre, 2023. – 188 pages.
Thriller
Résumé :
J'aurais pu être livreur comme mon père. Mais
non… Je suis tueur. À la retraite, mais tueur quand même. De mes années passées
au service des motards il me reste ma Harley, un peu d'argent, des fantômes et
des regrets. J'ai pas été là pour mes enfants et, aujourd'hui, ils me
retournent la faveur… Reste que j'ai toujours veillé au grain. Ils ont eu tout
ce qu'il fallait pour échapper à mon monde. Mais là, un petit con est venu
rompre l'équilibre. Le chef de gang de Port-au-Prince qui s'est permis
d'enlever ma Lola en reportage à l'étranger aurait mieux fait de jouer au soccer
avec une mine. Ma valise est déjà faite.
Le temps de retrouver mon arme et j'arrive…
Commentaires :
Après trois chapitres où Christian Ricard
énonce les principaux éléments (contexte géographique et social, personnages
principaux et secondaires, événement déclencheur) du scénario qu’il a imaginé,
l’action démarre et insuffle le rythme du récit habilement construit.
Rapt se déroule
principalement à Haïti et en République dominicaine. L’auteur nous y transporte
dans les jours qui ont suivi l’assassinat du président Jovenel Moïse en juillet
2021. En compagnie de Paul Archambault, le narrateur participant, qui a passé
la majeure partie de sa vie à jouer au bandit :
« De la détresse, j'en avais causé pas mal à
force de profiter de la vulnérabilité des autres en leur vendant de la maudite
dope à crédit et en leur foutant la trouille quand ils arrivaient plus à la
payer. En revanche, grâce à moi, la société se portait forcément mieux, parce
que j'avais éliminé pas mal de pourris. Je me souviens d'une connaissance,
avocat de la défense, qui m'avait demandé comment je pouvais être à la fois
aussi instruit et incapable de me servir de mon ciboulot pour travailler
honnêtement. Je lui avais répondu qu'étant donné le choix de carrière qu'il
avait fait, ça prenait des gars comme moi pour assurer l'équilibre. Lui, il
faisait libérer les criminels et, moi, je les envoyais dans l'au-delà. »
Archambault s’est donné comme mission de
libérer sa fille Lola, journaliste à TV5, kidnappée avec son caméraman par une
des bandes les plus criminalisées sur l’île d’Hispaniola. Se joindront à lui
Bob, un ex-collègue tout aussi malfrat, son fils Alexis (qui, le temps de deux
chapitres, se transformera en narrateur témoin, tout comme Lola, en finale) et
Will, un ami d’enfance baraqué ex-vedette de football. Le petit groupe sera
appelé à côtoyer des insulaires et des policiers crapuleux qui contribueront à
leur manière au déroulement des opérations.
Rapt nous plonge dans le
climat de misère, de corruption et de violence qui caractérise la vie
politique, économique et sociale d’Haïti. Les descriptions des lieux et les
mises en situation donnent une crédibilité à toute épreuve à cette histoire
rédigée dans une langue bien québécoise ponctuée de commentaires humoristiques (l’auteur
remercie le Parti libéral du Québec et du Canada, pour l’avoir « inspiré de si bonnes blagues ») ou
des références politiques caractérisant son esprit rebelle, comme le qualifie
son éditeur :
« Elle s’est mise à rire comme une Suzanne
Lapointe sur le brandy. »
« – Excuse-moi, je voulais pas te réveiller. »
« –
Pas de problème, je rêvais que Jean
Charest redevenait premier ministre. »
« On devait être invisibles et silencieux,
comme les électeurs de la région de Québec au dernier référendum sur la
souveraineté. »
« La Révolution tranquille avait été une belle
période. On avait mis l'Église dehors, nos banlieues étaient des nids à baise
et on était maîtres chez nous. Du moins, c'est ce qu'on avait cru, jusqu'en
octobre 1970, où Trudeau avait emprisonné mon abruti de père pendant six
semaines sans raison, aucune, à part peut-être d’avoir affiché ses couleurs. »
« Mon père s'était souvent vanté de ce passage
derrière les barreaux. Après trois semaines passées à l'ombre, un policier de
la Sûreté du Québec l'avait rencontré pour lui proposer dix mille grosses
piastres et une sortie de prison rapide en retour d'une tentative
d'infiltration du FLQ. Mon bonhomme avait poliment refusé l'offre en spécifiant
que jamais il irait contre ses valeurs. Le poulet l'avait remercié et lui avait
souhaité une belle fin de séjour dans sa cage. Or, à la prison de Bordeaux, la
rumeur de cette rencontre avec le policier s'était répandue comme une traînée
de poudre, et mon bonhomme avait non seulement mérité quelques lignes de coke
pour l'aider à traverser les trois semaines restantes, mais il avait aussi
gagné le respect de plusieurs. Au bout du compte, alors que le ministère des
Finances aurait certainement dû faire une enquête plus sérieuse, mon père a eu
droit au poste de directeur de la sécurité au ministère des Finances du Québec
dès le lendemain de l'élection du Parti québécois, en 1976. La preuve qu'on peut
être con, violent et opportuniste en même temps. »
Sans oublier les effets d’une certaine
pandémie :
« Après nous avoir expliqué ce que c'était -
un virus coiffé d'une couronne qui était en train de se propager à travers le
monde -, les journalistes rapportaient que ce petit salaud semblait avoir un
fort penchant pour les vieux souffreteux comme moi, que les résidences pour
personnes âgées resteraient fermées, qu'il fallait mettre un masque et se laver
les mains toutes les minutes. Tout ça pour dire que les plus optimistes
espéraient l'immunité de masse avant la fin de l'année et que les plus
pessimistes priaient pour que « la lumière au bout du tunnel ne soit pas celle
d'un train ». Expression que j'allais entendre jusqu'à l'« écœurantite », tout
comme le futile « ça va bien aller ». Déjà, on recensait des dizaines de
milliers de morts. Réalité dystopique. »
J’ai noté au passage d’agréables tournures de
phrases, telles que :
« Je me suis assis sur les marches et j’ai
regardé la misère s’amuser avec les voisins. »
« Le jour dormait encore comme moi. »
« J’ai sauté du lit aussi vite qu’un
septuagénaire chambranlant pouvait le faire et j’ai trotté comme une picouille
jusqu’à la porte. »
« On devrait inventer des canons à tirer des
rires d’enfants sur les champs de bataille. »
« La chaleur était suffocante, on se serait
crus à Montréal, entre mai et septembre. Avant, il y avait deux canicules par
été. Maintenant, on en a juste une, entrecoupée de tornades. »
« …
Bob, c'était pas un ange. En fait, oui, à
l'époque, c'était exactement ce qu'on pouvait lire au dos de sa veste de cuir. »
Rapt, le deuxième roman
de Christian Ricard publié aux Éditions Pierre Tisseyre (Une piste sanglante, 2022) a suscité mon intérêt jusqu’à la toute
fin. L’auteur mentionne en introduction qu’il l’a écrit « en hommage à Jean-François Blais, soldat des
Forces armées canadiennes, qui a courageusement
veillé au maintien de la paix à Haïti lors de la guerre civile provoquée par le
changement de gouvernement de 1996 à 1997 » et qui est décédé le 28
janvier 2022.
Un commentaire sur la forme : le choix
de la fonte pâlote rend la lecture inconfortable.
Merci aux Éditions Pierre Tisseyre pour le
service de presse.
Au Québec, vous pouvez commander et récupérer
votre exemplaire auprès de votre librairie indépendante sur le site leslibraires.ca.
Originalité/Choix du sujet : *****
Qualité littéraire : ****
Intrigue : ****
Psychologie des
personnages : ****
Intérêt/Émotion
ressentie : ****
Appréciation générale
: ****
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