La punition (Jean-Philippe Bernié)


Jean-Philippe Bernié. – La punition. – Montréal : Glénat Québec, 2023. – 220 pages.

 


Roman noir

 

 


Résumé :

Monica Réault mène une vie rangée. Un jour, elle rencontre par hasard Grace Davenay Lockhart, son auteure préférée. L’illustre écrivaine américaine vient de s’installer à Pointe-Claire et lui propose de devenir son aide-littéraire. Monica accepte ce défi avec beaucoup d'enthousiasme, mais également d’appréhension. Sera-t-elle à la hauteur?

Happée par l’univers créatif de sa patronne, Monica la laisse peu à peu envahir sa vie, jusqu’à ce que Grace devienne cassante, méprisante, autoritaire. Totalement manipulée, Monica commence à sombrer. Avant de couler, elle découvre l’inavouable secret de la grande écrivaine et constate que cette dernière veut la rendre complice de ses coups bas...

 

 

Commentaires :

 

À première vue, le titre et la couverture de première de la quatrième fiction de Jean-Philippe Bernié, docteur en génie chimique et finaliste en 2019 du prix Arthur-Ellis du meilleur roman policier pour « Un dernier baiser », m’avaient laissé quelque peu perplexe. La lecture du synopsis a toutefois titillé ma curiosité.

 

Sans divulgâcher l’intrigue qu’a imaginée l’auteur de « La punition », si la création littéraire, les relations entre les personnages et les romanciers, les techniques d’écriture et les droits de propriété intellectuelle d’une œuvre vous intéressent, vous serez servis par cette histoire qui laisse entrevoir une sombre perspective dans l’univers créatif d’écrivain,es avides de gloire. D’auteur,es qui transposent dans leurs récits leurs états d’âme (« Il faut exploiter la souffrance de l’auteur pour en tirer un bon livre ») et qui cachent le secret de fabrication et de publication de leurs œuvres littéraires à un rythme soutenu.

 

Dans La punition, il est question de synopsis permettant de structurer un texte pour le transformer « en un roman de quatre cents pages » :

 

« Chaque chapitre était résumé en quelques lignes ; y était indiqué le nombre final de pages qu’il devrait avoir ; on trouvait – parfois – une ou deux scènes rédigées ; pour le reste, c’était une succession de notes. »

 

Aussi d’ateliers d’écriture, d’appropriation du travail de talents anonymes ayant le même ton et la même voix que l’auteure, de contestation de propriété intellectuelle, de contrat de collaboration nébuleux :

 

 « Le contrat s'avéra être un long document de cinq pages, en anglais légal, truffé de clauses, de sous clauses, de phrases interminables où se succédaient des processions de verbes ayant des significations voisines, mais distinctes, et de sections qui semblaient toutes signifier la même chose, mais ne le faisaient probablement pas. »

 

Jean-Philippe Bernié utilise son personnage principal qu’il a imaginé, la romancière à succès Grace Davenay Lockhart, pour énoncer un certain nombre de techniques d’écriture tout en insistant, entre autres, sur l’importance du rythme et les enjeux pour susciter l’intérêt des lecteurs :

 

« Il faut monter au maximum l'intensité dramatique et les enjeux, il faut monter au maximum l'intensité dramatique et les enjeux, il faut monter au maximum l'intensité dramatique et les enjeux, ce sont les trois uniques vérités de la création littéraire ! »

 

… sur la création des personnages :

 

« L'écrivain fait ce qu'il veut. Il peut installer ses personnages dans une humble cabane. Mais il peut tout aussi bien les faire vivre dans un palais d'or et de marbre. Il peut toujours en mettre plus. Et c'est ce que veut le lecteur. Le lecteur ne veut pas quelque chose qui suffit. Le lecteur en veut plus. Il veut le palais. Il veut l'or et le marbre. »

 

… sur le pouvoir destructeur de l’amour :

 

« L'émotion la plus dangereuse, ce n'est pas la haine, c'est l'amour. […] Il faut que vos personnages éprouvent une émotion positive, et il faut que ce soit elle qui les pousse vers le pire. Il faut exploiter le pouvoir destructeur de l'amour autant qu'on le peut ! »

 

… sur les conflits inéluctables :

 

« Parce que, émotivement, le lecteur s'impliquera beaucoup plus si le combat est inégal. Regardez les méchantes sœurs de Cendrillon : elles sont deux. S'il n'y en avait qu'une, on se demanderait pourquoi Cendrillon n'en vient pas à bout. Mais, comme elles sont deux, c'est perdu d'avance et toute notre sympathie va automatiquement à Cendrillon. »

 

« … vous ne pourrez jamais écrire une bonne fiction si vous ne recherchez pas le conflit maximal. »

 

… et sur la surprise de la chute finale :

 

« Il faut trouver un épilogue étourdissant, en feu d’artifice. »

 

Jean-Philippe Bernié fait aussi référence au dilemme insoluble entre les deux « co-auteures » qu’il met en scène quant au sort réservé à un des protagonistes, au risque de casser « la réputation d’une écrivaine célèbre pour sauver un personnage de fiction » [et] « au point de vouloir commettre le crime ultime – sacrifier une bonne histoire pour prétendre sauver un personnage ! » :

 

« Ce qui [intéressait Monica], c'était John. Ses pensées revenaient sans cesse à lui. Elle l'entendait l'appeler. ‘’ Je suis prêt à donner l'assaut contre le château de mon père – contre mon château – et, toi, au lieu de t'occuper de moi et d'écrire ce qu'il m'arrive, tu me laisses tomber ! Qu'est-ce qu'il se passe ensuite? Qu'est-ce qu'il m'arrive ensuite? ‘' […] Elle envoya un message silencieux à John. ‘’ Mon pauvre, profite bien de tes derniers moments. Grace te prépare un os de faisan qui te sera fatal. J'ai tout essayé pour te sauver, et j'ai échoué. Je suis désolée ‘’. »

 

Vous apprécierez le style fluide et la structure efficace du scénario de ce roman plutôt noir. Et, comme moi, vous relèverez probablement certaines tournures de phrases très imagées comme celles-ci :

 

« [Elle] avait la tête d’un gamin que l’on surprend devant un pot de glace au chocolat et dont les lèvres sont barbouillées de marron. »

 

« [Elle] revint au moment présent et constata, avec un papillon dans l’estomac – non, ce n’était pas un papillon, c’était  la migration des monarques au complet – … »

 

« Son regard croisa celui [du médecin] pendant quelques secondes, un regard d'appréciation réciproque, et elle songea que s'ils avaient encore été primates dans la savane, ils seraient allés s'amuser au milieu des bananiers sans faire plus de façons, mais entre-temps l'humanité avait inventé la civilisation et chacun devait repartir vers ses responsabilités et la planification de son épargne-retraite. »

 

Je me suis bidonné en apprenant qu’à « Pointe-Claire, comme dans tout l'ouest de l'île de Montréal, les écureuils sont noirs ; ailleurs, ils sont gris. Monica avait lu quelque part que ces écureuils noirs étaient des envahisseurs en provenance de l'Ontario qui avaient entrepris de coloniser le Québec. Elle se dit qu'il faudrait placer dans le jardin un poste de radio diffusant la pire chanson française qui soit, Johnny Halliday, et les écureuils ontariens fuiraient jusqu'au Yukon. »

 

Vous aimerez aussi « La punition » de Jean-Philippe Bernié pour l’action dramatique engendrée par cette relation malsaine entre Grace, une écrivaine prête à tout pour rester au sommet de sa gloire, et Monica, son aide-littéraire inexpérimentée et mystifiable « happée par l’univers créatif de sa patronne ». Un amalgame très réussi de l’interdépendance des profils psychologiques et du vécu familial des deux protagonistes qui alimentent l’action dramatique croissante de chapitre en chapitre. Pour atteindre son intensité maximale jusqu’à une finale souhaitée.  

 

Merci aux éditions Glénat Québec pour le service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander et récupérer votre exemplaire auprès de votre librairie indépendante sur le site leslibraires.ca.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : ****

Intrigue :  ****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie :  ****

Appréciation générale : ****


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