Le poisson mouillé (Volker Kutscher)


Volker Kutscher. – Le poisson mouillé. – Montréal : Flammarion Québec, 2023. – 584 pages.

 


Polar historique

 

 


Résumé :

 

Mai 1929. Rétrogradé à la brigade des moeurs après une bavure, le jeune commissaire Gereon Rath débarque à Berlin. La ville est en pleine effervescence. Rixes avec les communistes, cabarets clandestins, mafia et trafic de drogue… Les flics sont sur tous les fronts. Et puis il y a ce corps retrouvé dans le canal, affreusement mutilé, dont seul Rath connaît l’identité. Une aubaine pour le nouveau venu qui nourrit l’espoir d’être réintégré à la criminelle. Sans lui, cette enquête risque de rejoindre les affaires classées non élucidées, les fameux « poissons mouillés ».

 

Un commissaire ambitieux, une sténodactylo qui aime faire la fête, des policiers qui nagent en eaux troubles tandis que les nazis se font de plus en plus présents… Le poisson mouillé dresse un tableau politique et social fascinant du Berlin de l’entre-deux-guerres.

 

 

Commentaires :

 

Le poisson mouillé est le premier polar d’une série de Volker Kutscher dont le héros est le commissaire Gereon Rath. Le roman a été publié initialement en allemand en 2007 chez Piper Verlag GmbH, München, Berlin et en français aux éditions du Seuil en avril 2010 (et non pas en 2020 et en 2023 comme l’annonce, en pages préliminaires, l’éditeur québécois).

 

Cette enquête berlinoise s’inscrit dans le sillon des romans de Philippe Kerr mettant en vedette son enquêteur Bernhard « Bernie » Gunther dont l'action se déroule essentiellement en Allemagne sous le Troisième Reich ou durant l'après-guerre. À cette différence près que Gereon Rath nous fait découvrir la vie nocturne, sexuelle et clandestine, les mœurs policières troubles en lien avec le crime organisé, les mouvements sociaux ainsi que les combats de rue entre forces de l'ordre et communistes à l’époque de la République de Weimar qui agonise, avec à l’horizon la montée du nazisme. Il nous livre un intéressant portrait politique et social troublant du Berlin des années vingt.

 

Le récit de Kutscher foisonne de noms de rues et de lieux plus ou moins fréquentables  par une faune de touristes, d’honnêtes Berlinois et des criminels de la pire espèce :  l’Eldorado, le Palais de Delphes, le Café Berlin, le Plaza pouvant accueillir près de 3000 spectateurs, la Maison de la Patrie, le Grinzing, la Pilule, le Pavillon de l’Europe, la Cave de Vénus, la Dernière Instance, le Cacatoès… Une carte de Berlin aurait été d’une grande utilité pour le lecteur.

 

L’auteur y fait évoluer une panoplie de personnages qu’on s’attend à retrouver dans un roman policier digne de ce nom.

 

Son héros, le commissaire Gereon Rath, un jeune inspecteur brillant, mais accroc à la cocaïne, originaire de Cologne, qui doit son transfert à Berlin et l’évolution de sa carrière à son père, Engelbert Rath, un ami du préfet de police berlinois, un amoureux de jazz qui n’a pas peur de trafiquer les pièces à conviction.

 

La hérarchie policière logée au Château Fort : le chef de la brigade criminelle, commissaire divisionnaire Ernst Gennat (policier ayant réellement existé et qui est devenu une légende de la police judiciaire allemande du fait de son très faible taux d'affaires non élucidées aussi appelées « poissons mouillés  ; le commissaire principal Wilhelm Böhm qui se gave de pâtisseries ; le préfet de police Karl Zörgiebel ; Bruno Wolter, le chef de la section des mœurs aux méthodes peu orthodoxes.

 

Quelques collègues dont l’assistant de police Stephan Jänicke et la secrétaire Charlotte (Charly) Ritter avec qui Rath a une relation amoureuse complexe.

 

Et, bien sûr, un médecin légiste, le Dr Magnus Schwartz, ainsi qu’un journaliste complice, Berthold Weinert.

 

Le scénario fait référence à quelques personnages réels (Hitler, Goebbels, Trotski, Staline…), à un certain trésor, à l’importance d’une colonie russe installée à Berlin après la Première Guerre mondiale, à des groupes politiques ayant réellement existé (les communistes [Cocos], les socialistes, le Ringverein, le Front Rouge allemand, divers cercles nationalistes, l’Armée Rouge, les Bolcheviks…) ou le fruit de l’imaginaire de l’auteur à des fins dramatiques (la société secrète Forteresse Rouge).

 

J’ai noté au passage quelques extraits qui illustrent jusqu’à un certain point la forme littéraire du récit traduit en France, du coup ponctué  de nombreux « du coup » d’usage :

 

À propos des machines à écrire :

 

« …Wolter était déjà assis à sa place et tapait à la machine. Les tiges résonnaient sur le papier comme des coups de feu. »

 

« Rath s’assit à son bureau et retira la housse de protection de l’Adler, Modèle d’avant-guerre. La machine noire le fixait, tel un insecte mal intentionné. »

 

« Schmittchen, leur secrétaire, avait déjà préparé le café. On entendait le cliquetis ininterrompu de sa machine à écrire dans l’antichambre. Ratatata – aussi rapide qu’une mitrailleuse. »

 

« Tu savais que nous possédons plus de machines à écrire que d’armes ? »

 

… de la description d’un lieu :

 

« La façade de l’immeuble de Schneid était recouverte d’une telle quantité de stuc qu’on avait l’impression que les anges en plâtre devaient se battre pour ne pas perdre leur place. »

 

… sur le travail et les techniques policières :

 

« Rath savait que quatre-vingt-dix pour cent du travail de la police consistait en des efforts inutiles… »

 

« Certes, il existait toujours plusieurs interprétations de la vérité. Tous les officiers de police le savaient, il suffisait d'assister à une audience du tribunal. Certains avocats faisaient preuve d'une telle ingéniosité qu'ils arrivaient à mettre en doute les faits les plus évidents. C'est pourquoi le travail de la police était si important : elle devait mettre à la disposition du procureur des preuves en béton afin qu'aucun avocat ne puisse les démonter. Et Wolter? Il venait de faire exactement le contraire; avec son rapport, il avait rendu une preuve inutilisable. Bien sûr, uniquement dans le but de protéger les forces de l'ordre des attaques. »

 

« … tes indics sont plus crédibles auprès de leurs potes s'ils ont des ennuis avec les flics de temps en temps. - Mais pas s'ils sont libérés plus tôt que prévu. - Personne ne l'apprendra. Leurs copains enfermés dans la même cellule croient qu'on les emmène pour l'interrogatoire et qu'on les cuisine. Et une fois libérés, ils sont redevables de quelques faveurs à leur ami et protecteur. C'est comme ça que ça marche. Tu dois faire en sorte que tes indics t'obéissent. Sinon ils deviennent vite insolents. Tu dois leur montrer qui est le chef. Qui décide du fait qu'ils aient des ennuis ou pas. »

 

… sur la place des femmes dans la société :

 

« Les femmes sont toujours désavantagées. Dans tous les secteurs professionnels, même chez les criminels. »

 

On y apprend aussi sur le modus operandi des vendeurs de drogue qui « se faisaient souvent passer pour des vendeurs de cigarettes et zozotaient en prononçant le mot « cigarette » afin que leurs clients puissent les reconnaître. »

 

J’ai souri à l’évocation de cette technique qu’on utilisait parfois avec nos amis d’enfance pour partager des messages secrets : « Deux feuilles de papier mince dont la signification n’apparaît que si on les superpose et qu’on les place à contre-jour. »

 

Globalement, l’intrigue policière qui s’étire en trois actes (1. Le cadavre du canal : 28 avril au 10 mai 1929 ; 2. Inspection A : 11 mai au 21 mai 1929 ; Toute la vérité : 21 mai au 21 juin 1929) est parsemée de trop nombreuses pistes. Une lecture longue, presque imposée. À mon avis, le récit aurait gagné à être resserré afin de soutenir le rythme de lecture.

 

En rédigeant cet avis de lecture, j’ai été estomaqué de constater a posteriori que cette édition québécoise a été imprimée en Chine !!!

 

Merci aux éditions Flammarion Québec pour le service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander et récupérer votre exemplaire auprès de votre librairie indépendante sur le site leslibraires.ca.

 

 

Originalité/Choix du sujet : ***

Qualité littéraire : ****

Intrigue :  ***

Psychologie des personnages :  ***

Intérêt/Émotion ressentie :  ***

Appréciation générale : ***


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