Guy Bugeaud. – L’oubliée de la ruelle. – Essor-Livres, 2023. – 372 pages.
Polar
Résumé :
Quand Henri Lemay perd sa sœur aux mains d’un
assassin, il se croit partiellement responsable. L’enquête policière ne donnant
aucun résultat concret, Henri décide donc de rejoindre les rangs de la police
de Montréal.
Maintenant aux « homicides », sa première
enquête le conduit à Outremont après la découverte du corps d’une femme. La
situation va prendre une tournure inattendue avec la découverte d’une nouvelle
victime dans une fermette située sur la rive sud.
Pendant qu’il travaille sur ce dossier, Henri
Lemay s’occupe également de celui de sa sœur aînée.
L’étau se resserrera enfin sur les
responsables du meurtre de sa sœur et ébranlera les fondements mêmes du corps
policier montréalais.
Commentaires :
Ce livre raconte en détail les étapes au
quotidien de deux enquêtes parallèles qui se déroulent du 1er mars au
3 mai 1988. Une officielle qui relève du Service de police de la Communauté
urbaine de Montréal (SPCUM) et une d’intérêt « personnel » du
personnage principal, Henri Lemay, lui-même amateur de romans policiers. Nouvellement
arrivé à la Section des homicides logée dans les incontournables locaux de la
place Versailles, dans l’est de Montréal. Un récit raconté presqu’à la manière
d’un journal personnel. Sans suspense intense, comme le sont probablement
plusieurs investigations policières plongées dans le brouillard des nombreux témoignages
qui ne font rien progresser malgré les efforts consentis par les détectives.
Ce roman est intéressant à deux points de vue :
D’abord par la description du travail policier,
des connaissances et des moyens disponibles à la fin des années 1980 et de
ceux qui s’annoncent pour faciliter la résolution des crimes. Dans les
remerciements, l’auteur mentionne d’ailleurs l’apport documentaire d’un
policier retraité de la police de Montréal qui « a travaillé dans les années couvertes par ce roman » comme l’illustrent
ces quelques citations :
Le Luger 9 mm, comme arme létale :
« Cette arme est meurtrière lors d’une
décharge à la tête comme celle subie par Mercier. La faible vitesse initiale de
l’arme fait en sorte que la balle pénètre dans le crâne, mais elle ne peut en
ressortir. Elle ravage donc le cerveau. C’est pour cette raison qu’on retrouve
souvent le projectile dans le corps de la victime. »
La démarche pour l’obtention d’un mandat de
perquisition :
« Après avoir obtenu l'approbation de leur
lieutenant, les deux enquêteurs prennent la route vers le Palais de justice de
Montréal. […] Après avoir révisé les
documents présentés par les policiers, le juge pose quelques questions bien
pertinentes, puis approuve la perquisition pour le système téléphonique ainsi
que les bureaux et la résidence de Manel Schalit. Celle-ci se déroulera au tout
début de la semaine. »
Une technique policière aussi mise en scène dans
le plus récent polar de Michaël Connelly, L’étoile
du désert :
« Lemay s'arrête net, puis recule lentement
avec un doigt devant ses lèvres. Il prend soin de faire le moins de bruit
possible. Il approche une oreille tout près de la porte, plissant les yeux. Puis,
il comprend ces paroles : ‘’ Oui, c'est moi, il faut se voir. ‘’ Ensuite, il
entend le bruit d'un combiné qui retombe lourdement sur le socle du téléphone
de table situé près de l'entrée.
— Je crois qu'on
vient de compter des points, suggère Lemay… »
Les délais de prescription :
« pour les crimes sur lesquels nous enquêtons,
trente ans doivent s'écouler. À l'an 2000, on passera à autre chose. Mais pour
l'instant, on travaille toujours… »
Et une nouvelle technologie prometteuse :
« On utilise la technologie de l'ADN depuis
deux ans en Angleterre. Cette molécule trouvée dans toutes les cellules du
corps humain contient notre bagage génétique. Chaque individu étant différent,
elle permet de nous identifier uniquement. »
« …seulement la GRC, ici au Canada, a commencé
à l'étudier. Au SPCUM, on n'est pas là encore. Et pour comparer, on doit avoir
deux éléments. On prélève l'ADN du suspect qu'on confronte ensuite avec
l'échantillon trouvé sur une scène de crime, par exemple. »
Les
travaux du laboratoire scientifique de la GRC « …demeurent embryonnaires, mais semblent très prometteurs. Imagine le
futur, Henri. Tu trouves, sur une scène de crime, du sang ou du sperme, tu
passes ça à l'ordinateur et il te dit à qui appartient cet échantillon. C'est ‘’
wonderfull ‘'.
— Mais comment
vont-ils faire pour obtenir des spécimens de chaque personne ?
— Ce qu'on me dit,
c'est que chaque fois qu'un individu serait arrêté, on prendrait ses empreintes
et un échantillon de salive ou de sang. Avec le temps, on pourra comparer avec
de plus en plus de personnes. »
L’oubliée de la
ruelle
regorge aussi de références socioculturelles et historiques de l’époque qui confèrent
une crédibilité au récit :
·
les
insolences d’un téléphone avec Tex Lecor ;
·
la
disponibilité des annuaires téléphoniques Lovell ;
·
la
Crise d’octobre et la réaffectation des policiers ;
·
l’ancienne
taverne d’Henri Richard ;
·
les
véhicules Ford Escort supplantés par les Honda Accord ;
·
la
maison mère de la rôtisserie Saint-Hubert sur le boulevard des Laurentides ;
·
les
matchs de lutte à l’aréna Paul Sauvé ;
·
le
long couloir du restaurant l’Express où « on risque d’apercevoir des vedettes de la télévision ou du cinéma »
;
·
les
Alouettes de Montréal « qui ont
cessé de jouer l'année précédente à cause de difficultés financières. »
;
·
les
cartes de crédit « Master Charge » et
« Chargex »
·
les
cabines téléphoniques au coin des rues…
Il y est aussi question de relations de
travail
« Dans les négociations de la prochaine
convention collective, la Fraternité qui demande que les policiers soient payés
à temps et demi pendant les congés de maladie, car ceux-ci dépensent plus à ce
moment. Ils doivent se déplacer vers la pharmacie, acheter des médicaments,
voir des médecins. L'employeur, la Ville de Montréal, ne semble pas l'entendre
ainsi. Il prétend, en sourdine, que les dépenses additionnelles résultent de
courtes vacances, de sorties au restaurant ou de spectacles. »
… de l’affaire Gossett
« …on bavarde encore de l'acquittement du
policier Allan Gossett dans la mort d'Anthony Griffin, ce Noir abattu d'une
balle dans le front dans la cour du poste de Verdun. Déjà, quelques langues
sales le surnomment Allan ‘’ Gâchette ‘’.
Cette affaire n'est pas terminée, lance un prophète. »
… du nouveau programme d’Info-Crime
« qui envoie les détectives à gauche et à
droite pour enquêter sur des peccadilles. C'est une perte de temps pour
certains, mais une source de renseignements additionnels pour d'autres. On
trouve toujours deux côtés à une médaille, même trois à l'occasion. »
… des relations difficiles avec les services
techniques qui analysent les empreintes
« Conseil d'ami : aux services techniques, si
tu ne les talonnes pas chaque jour, ils vont te faire poiroter. La roue qui
grince le plus prend toute la graisse. N'oublie jamais ça. »
… des pratiques des Hells Angels
« …
trois ans plus tôt, les Hells Angels de Lennoxville avaient assassiné cinq
motards de Laval et les avaient fourrés dans des sacs de couchage lestés de
blocs de ciment. Toute cette stratégie n'avait pas empêché un corps de remonter
à la surface et la police a arrêté un nombre important de criminels à cette
occasion. »
… et de l’affaire Marchessault encore toute
fraîche
« 1983,
on a arrêté Henri Marchessault, chef de la Section des stupéfiants. On l'a
filmé à sortir de la drogue de la voûte sécurisée pour la revendre. Cette
éclaboussure majeure ternit encore le service de police. »
Dans L’oubliée
de la ruelle, comme d’ailleurs dans bon nombre de polars, on en boit du
café, beaucoup de café, nécessaire « au
bon fonctionnement de leurs cellules grises ». Guy Bugeaud y a glissé quelques
touches humoristiques :
« S'il y a une personne capable de se forger
une nouvelle identité, c'est bien un comptable. Il possède tous les outils pour
déménager ses avoirs vers des paradis fiscaux. »
« Dans la police, on
dit souvent qu'on possède des atomes crochus avec la race canine ; en tout cas,
mieux que les facteurs. »
Ou encore cette scène à la Colombo :
« Lemay se dirige vers la sortie, mais tout
juste avant d'y arriver, il se retourne vers Chiasson.
— J'oubliais... des
personnes ont aperçu cette voiture devant votre bar à cette époque. Est-ce que
vous la reconnaissez ? »
J’aurais aimé connaître le sens de l’expression
« jouer poitrine » mentionnée
à deux reprises dans le texte : « C'est
une expression de ma grand-mère. Je t'expliquerai un de ces jours. » Dixit
Henri Lemay. Peut-être dans un prochain roman ?
Certaines scènes m’ont paru peu crédibles.
Par exemple celle où le « tireur a
pris le temps de descendre la vitre avant de faire feu, pour ne pas viser au
travers et s'attirer les foudres de son camarade. »
Ou la séquence relative aux « multiples tentatives de rejoindre [joindre
au téléphone] l'insaisissable [Jean-Yves]
Chiasson » bien qu’il a retrouvé
son lieu de résidence et qui se sent obligé de demander à un policier à la
retraite de le filer « tant qu'il
peut, afin de connaître ses habitudes de vie, son horaire, son lieu de travail.
Par la suite, ils pourront le rencontrer chez lui ou à la sortie de son boulot. »
Pour avoir déjà joué dans ce film (celui de
publier des romans, dans mon cas en auto-édition), je sais à quel point il faut
mettre les bouchées doubles pour éliminer au maximum les coquilles, les anglicismes (tels que « sac à pièces à conviction » plutôt que « sac à évidence », par exemple), les
impropriétés et les incohérences. C’est pourquoi je me permets de suggérer que
si l’ouvrage devait faire l’objet d’un deuxième tirage, certaines corrections
devraient être considérées comme, entre autres, ces quelques exemples :
« rue de Buillion » (p. 85) par « rue De Bullion » ; « joindre » par téléphone » plutôt
que « rejoindre » (pp. 175, 248, 249 et 323) ; « il désirait rencontrer l’équipe de l’identité
judiciaire, un groupe à l’âge avancé formé en 1901 [l’équipe ou l’organisme
?]» (p. 123) ; « Ils avancent vers un
vestiaire qui leur prélève [?] leurs manteaux… » (p. 170) ; une demeure « munie » [?] d’une porte
jaune » (p. 249) ; « Lemay parvient
[?] au sujet qui l’intéresse. »
(p. 249) ; « Le métro débute [?]
à 5 h 30 en semaine. » (p. 280)
; « Elle pause. »
[Elle fait une pause] (p. 328).
De plus, la dernière phrase de la page 262
est incomplète.
Sauf erreur de ma part, j’ai aussi noté ces quelques
Incohérences :
À
la page 107, on y lit que « Gabriel
a marié Catherine » alors que c’est plutôt Valérie ; « Maître Leblanc, un habitué de ces
situations… » alors qu’il s’agit d’une avocate (p. 233) ; « Foster [l’intimé] discute avec animation avec son avocate. Quelques minutes plus tard, il
[l’avocate ?] retourne vers son véhicule
alors que son client [Foster ?] emprunte
la rue Sherbrooke vers l'ouest. » (p. 235).
À noter la couverture de première très colorée,
une image de Jean-Serge Dion, qui attire l’œil en représentant l’édifice où demeure
Henri Lemay sur la rue des Érables à Montréal.
L’oubliée de la ruelle est le troisième roman publié au Québec par le Montréalais Guy Bugeaud après La nouvelle rançon (2019) et Un homme de trop (2021). Aussi en 2019, il a publié aux États-Unis, sous le pseudonyme RC Cameron, The Missing Taylor et, en 2022, Behind The Mask. Après une carrière dans le domaine de la technologie des ventes, il s’est lancé dans l’écriture de romans policiers. Parmi ses auteur,es préféré,es : Agatha Christie, John Grisham et Michael Connelly.
Merci aux éditions Essor-Livres pour le
service de presse.
Au Québec, vous pouvez commander votre
exemplaire sur le site leslibraires.ca
et le récupérer auprès de votre librairie indépendante.
Originalité/Choix du sujet : ***
Qualité littéraire : **
Intrigue : ***
Psychologie des
personnages : ***
Intérêt/Émotion
ressentie : ***
Appréciation générale
: ***
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