Le rugissement des tempêtes (Catherine Lafrance)


Catherine Lafrance. – Le rugissement des tempêtes. – Montréal : Druide, 2024. – 384 pages.

 

 

Polar

 

 

 

Résumé :

 

La journaliste Anne-Marie Bérubé se rend à une conférence de presse dans un hôtel de Gatineau, où on doit présenter un nouveau programme de lutte à l’évasion fiscale. Un attentat meurtrier survient et prend tout le monde par surprise. La nouvelle fait le tour de la planète en un temps record. Qui a orchestré l’attaque ? Qu’est-il arrivé à Anne-Marie ? A-t-elle été blessée ? Est-elle morte ? Tandis que la population, sous le choc, presse la police de trouver un suspect, que la classe politique est sur les dents, les mesures de sécurité se resserrent, oppressantes. Michel Duquesne est dépêché par le quotidien où il travaille pour couvrir l’affaire. Son enquête le mènera vers une piste pour le moins inattendue et franchement inquiétante.

 

Commentaires :

 

Quel hasard de terminer la lecture, juste avant l’Halloween, de la troisième enquête du journaliste Michel Duquesne, alors que le récit met en scène des enfants, vêtus d’effrayants costumes de sorcières, de squelettes, de créatures mythiques ou de suceurs de sang, frappent aux portes pour réclamer des bonbons !

 

Dès les premières pages du premier chapitre, l’auteure fait référence aux événements et aux rebondissements des trois années précédentes, relatés dans « L’étonnante mémoire des glaces » (finaliste du prix Saint-Pacôme) et dans « Le dernier souffle est le plus lourd » (finaliste du prix Saint-Pacôme et du Crime Writers of Canada). Voici l’occasion de mettre en scène les principaux personnages de cette fiction inspirée de la réalité sociopolitique actuelle, marquée par la théorie du complot, la désinformation et l’essor de l’extrême droite :

 

·        Michel Duquesne qui entre dans une pièce « pied droit d’abord » et qui dépose toujours ses chaussures « parfaitement placées l’une à côté de l’autre près du lit en se couchant » ;

·        sa conjointe l’avocate Odile Imbeault, procureure, et leurs six garçons et filles ;

·        William Latendresse, directeur des communications au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), et sa conjointe, Blue, ancienne prostituée ;

·        Denis Damphousse, « le très timide et très nerveux chef de pupitre au journal » ;

·        François Cosentino, courriériste parlementaire à Ottawa coincé à Washington ;

·        Anne-Marie Bérubé, correspondante parlementaire à Québec dépêchée à Ottawa ;

·        Linda Fasalli, responsable des systèmes informatiques au journal et « ses éternels bracelets » qui tintent lorsqu’elle se déplace;

·        Yves Lavoie, directeur de l’information au journal ;

·        Meï Chartrand, journaliste collègue de Michel Duquesne qui tente de se faire une place dans l’équipe ;

·        Xavier Leblanc-Denoncourt (XL), jeune journaliste peu talentueux, perméable au complotisme, prêt à donner « la parole à ceux qu’on n’écoute jamais » dans le but d’« avoir son histoire » à la une ;

 

Il est intéressant de lire les explications que nous fournit à la fin de l’ouvrage Catherine Lafrance sur le contexte social de la trame dramatique de ce roman qu’elle écrit juste après la pandémie de COVID et ses conséquences à long terme :

 

« ...le coût de la vie grimpe, des petits commerces ferment, la crise du logement s'amplifie. Des familles entières peinent à se loger. Dans les villes, des campements de sans-abri poussent le long des autoroutes ou sous les viaducs. Tous les jours, des femmes victimes de violence conjugale sont refoulées aux portes des refuges où l'on n'a plus de place pour elles. »

 

« ... notre société se fracture; les bien nantis s'enrichissent, les défavorisés s'appauvrissent et, entre les deux, la classe moyenne s'essouffle. Comme si ce n'était pas suffisant, un nouveau virus a fait son apparition : le cynisme. Le cynisme amène à douter de tous et de tout : scientifiques, journalistes. Et même des faits, carrément. Il provoque les polarités. Il mène au complotisme. Et le complotisme, cette spirale infernale, met à mal nos démocraties. »

 

Ce constat est le point de départ d’une histoire en neuf parties, étalée sur quinze jours d’octobre. L’histoire débute avec  « une déflagration d’une rare intensité [...]  suivie d’un flash, quelque chose de lumineux qui apparut à l’avant de la pièce. [...] Les trépieds que les caméramans avaient installés s’envolèrent vers le plafond comme des oiseaux apeurés. Des flammes s’élevèrent. Des cris retentirent. » Le récit se déroule progressivement, sans grand suspense ni tension, car le lecteur sait dès le début qui (sans que son nom soit révélé) est responsable du dépôt de la bombe. L’action, entrecoupée par une enquête parallèle impliquant Odile Imbeault à la recherche de la vérité dans l’affaire de l’assassinat de ses parents, s’accélère un peu dans les derniers chapitres avec son coup de théâtre.

 

Le thème du dysfonctionnement du système Phénix pour la gestion des salaires des fonctionnaires fédéraux, avec ses nombreux échecs et les répercussions sur la vie d’un des personnages (pages 225-226), occupe une place importante dans le récit.

 

Quant à la fin, qui annonce clairement une suite, elle m’a semblé  « arrangée avec la fille des vues ». Je suis resté bouche bée. Le personnage qui, au milieu de la nuit, s’enfuit dans la forêt sous la pluie torrentielle, émerge, « au bout de ses forces, le corps brisé », devant « une maison perdue au milieu des bois […] comme un phare dans l’immensité de la mer. Une bouée. De quoi se raccrocher à la vie. » Il eut mieux valu pour son intégrité physique sauter dans le véhicule à sa portée pour se sortir du pétrin !

 

Ceci dit, Catherine Lafrance excelle dans la description détaillée des lieux et des personnages, ce que montrent bien ces extraits :

 

« Elle enleva son manteau, le suspendit sur le dossier de son siège, s'assit, puis posa son ordinateur sur ses genoux. Ensuite, elle éteignit son cellulaire et le glissa dans son sac, qu'elle poussa du pied, remarquant pour la première fois la couleur du tapis: fraise écrasée. Elle avala une lampée de café. Croqua dans son biscuit. Voilà, elle était prête. »

 

 « Elle passa devant une table ovale, remarqua le vase posé dessus dans lequel on avait disposé des roses aux teintes magenta. Des gouttes d'eau perlaient aux feuilles et la délicate odeur qui s'en dégageait lui parvint par bouffées, sortes de soupirs parfumés. »

 

 « Les ministres se glissèrent derrière la table en une procession solennelle sous le regard borgne des cameramans, qui, un œil dans le viseur, captaient chacun de leurs gestes, suivaient chacun de leurs pas. »

 

Grâce à l’expérience de l’auteure, nous sommes en mesure de mieux comprendre les exigences du métier et le travail des artisans de l’information écrite :

 

« ... pour pratiquer ce métier, on devait être équilibriste; on devait foncer, sans être agressif, se presser pour battre la concurrence, mais prendre son temps pour vérifier les faits. Bousculer, mais respectueusement. Dénoncer sans avoir l'air de régler ses comptes. Et si, par miracle, on réussissait à survivre dans ce champ miné, il fallait affronter les patrons, qui, très franchement, n'y allaient pas avec le dos de la cuillère dans leurs critiques et leurs commentaires. »

 

« Dès leur arrivée, leur travail consisterait à départager le vrai du faux, les informations crédibles des rumeurs, qui, à n'en pas douter, afflueraient. Ensuite, ils devraient prendre connaissance de tous les détails sanglants, qui s'imprimeraient dans leur tête à jamais. Ils apprendraient comment la bombe avait déchiqueté les chairs, broyé les corps. Ils verraient de près la douleur des familles, les parents, les frères, les sœurs, les époux, les collègues, les amis éplorés. Ils ne le savaient pas encore, mais ces images leur colleraient à la peau. Le jour, quand ils évolueraient parmi les autres journalistes, ça irait, mais la nuit, seuls dans leur chambre, ils se rejoueraient le film d'horreur en boucle. Et comme si ce n'était pas assez, ce film, il leur faudrait le raconter, séquence par séquence, plan par plan. Ils éplucheraient les faits, les résumeraient. Pour cela, ils auraient à comprendre la chronologie du drame, jusqu'à l'apprendre par cœur. Puis ils devraient mettre des visages sur les noms des victimes, en brosser le portrait, avec une objectivité et une distance qu’ils auraient de plus en plus de peine à maintenir, au fil des jours. »

 

Et du cycle de l’information :

 

« Une nouvelle de cette ampleur, c'était un véritable tremblement de terre. Elle ferait la manchette probablement un bon bout de temps. Cependant, dans six mois, l'événement serait relégué plus loin, dans le cahier des actualités. Dans un an, on en soulignerait le premier anniversaire, les yeux remplis de larmes. Dans deux, on en serait sans doute aux procès, si on mettait la main sur les auteurs de l'attentat. Dans cinq, on allumerait des bougies, on parlerait de résilience, de pardon. Dans dix, on s'étonnerait : ‘’ Déjà ? Me semble que c'était hier ! Ainsi va le cycle de l'information. »

 

En plus de mettre en évidence les rivalités entre collègues journalistes, « Le rugissement des tempêtes » revisite certains clichés incontournables dans les romans policiers où sont impliqués divers corps policiers. On y retrouve la présence de taupes, ainsi que les relations houleuses entre ces corps policiers, ici la Gendarmerie royale du Canada (GRC), la Sûreté du Québec (SQ) et le Service de police de la ville de Montréal (SPVM).

 

« Dans les faits, les gars de la GRC vont venir chercher du data en nous promettant un échange d'informations, mais fais-toi pas d'illusion : l'ascenseur va monter, ça, c'est sûr, mais après, on aura beau l'appeler, il va jamais redescendre. Ça va être une collaboration à sens unique, veux-tu gager ? »

 

« ... les gars de la GRC, à qui on avait donné les pleins pouvoirs, garderaient toutes les infos pour eux. Et à la fin, ils récolteraient les honneurs, si tout se passait bien. Qu'est-ce qui arriverait, alors ? Ils obtiendraient encore plus de pouvoirs. Aux dépens des autres corps policiers. »

 

Comme c’est souvent le cas dans ce genre littéraire, j’ai appris expressions du métier :

 

·        « Truie » : « appareil dans lequel les journalistes de la radio et de la télé [branchaient] leur micro pour capter les sons [...] parce qu’il offrait ses ports électroniques comme autant de mamelles. »

·        « Porteux de valise » : personnel politique travaillant auprès des ministres.

·        « Chambre d’écho » : « terme prisé par l’élite politique et journalistique pour décrire les publications sur le Net dans lesquelles, selon eux, les informations sont amplifiées et déformées. »

·        « 810 » : « Engagement écrit de ne pas troubler l’ordre public signé devant un ou une juge. »

 

J’ai également noté une phrase dans le texte qui a vraisemblablement servi d’inspiration pour la création de l’illustration de la première page.

 

« Seule dans le petit parc, Odile Imbeault suivit machinalement la trajectoire d’une feuille rouge qui se détachait d’un arbre pour venir se poser au sol. »

 

J'ai aussi remarqué quelques « du coup », probablement pour séduire un lectorat français, et je me souviens de ces quelques passages :

 

 « ... des rayons insistants arrivaient à se faufiler là où le tissu bâillait, pour venir peindre sur les murs un lacis de lignes fines. »

 

« Les mots, tandis qu’elle lisait, défilaient, fluides, dans ses lunettes. »

 

« Le temps passe au ralenti quand on n’a rien à faire. On finit immanquablement par s’ennuyer. Tellement que l’esprit en profite pour s’égarer et suivre ses propres voies, tortueuses, sinueuses. »

 

« Dans les films, les héros profitent d'un instant d'inattention de leur kidnappeur pour s'enfuir. Dans la vraie vie, ça ne se passe pas comme ça. En réalité, on est saisi de terreur. Tétanisé. On obéit. On ferme sa gueule. On ne pense qu'à une chose: survivre. Survivre à tout prix. On devient obnubilé par cette idée. Et on ne tente rien qui pourrait mettre sa vie en péril. »

 

 « Les procureurs, avec leurs éternels problèmes d’argent, leur pénurie de main-d’œuvre constante et consternante, les inévitables retards que tout cela engendrait, faisaient piètre figure. »

 

Enfin, sauf erreur, j’ai noté une incohérence dans la suite des événements aux pages 35 et 36 :

 

Yves Lavoie « monta à bord [de sa voiture], referma doucement la portière, et démarra » [...] En route, il repensa aux derniers événements ». À la page suivante : « Il monta dans sa voiture, démarra... » !!!

 

* * * * *


Catherine Lafrance est originaire de Montréal. Journaliste à la radio et à la télévision, elle a passé plus de vingt ans dans des salles de rédaction. Elle a travaillé notamment à Radio-Canada. Elle est aussi scénariste pour des séries télévisées. Après sa carrière journalistique, elle est devenue écrivaine. Elle a publié cinq romans et quelques nouvelles. Aujourd’hui, elle est heureuse de pouvoir se consacrer entièrement à ses projets d’écriture.

 

 

Merci aux Éditions Druide pour le service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer dans votre librairie indépendante.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  ****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie :  ****

Appréciation générale : ****

L’étrange locataire de madame Eliot (Sylvie Baron)


Sylvie Baron. – L’étrange locataire de madame Eliot. – Clermont-Ferrand : Éditions de Borée, 2024. – 268 pages.

 


Cosy crime


 


Résumé :

 

Seule désormais avec sa fille, Madame Eliot se refuse à envisager de quitter « les Chênes », cette belle demeure où l’accompagnent tant de souvenirs de son bonheur perdu. Elle devra se résoudre, bien à contrecœur, à la seule solution qui s’offre à elle : louer la Tour, bâtisse attenante à la maison et pouvant disposer d’un accès particulier. Peut-elle imaginer qu’à compter de cette simple décision, elle se verra plongée dans un autre monde, rempli d’angoisse, avec cet étrange locataire qu’elle va choisir et ces trop nombreux accidents mortels qui vont désormais entourer son quotidien?

 

 

Commentaires :

 

Une autre découverte : une auteure de polar du Cantal qui a déjà à son actif plus d’une dizaine de romans publiés depuis 2014.

 

Dans l’esprit du cosy crime, « L’étrange colocataire de madame Eliot » nous plonge dans un petit hameau voisin de Versailles, où se déroule une histoire captivante, soigneusement construite, avec un suspense savamment dosé et plusieurs retournements de situation qui maintiennent notre curiosité jusqu’à la fin, dans une conclusion explosive et visuellement saisissante.

 

Quel endroit plus propice à la diffusion de commérages et de potins qu’un creuset où tout le monde se connaît presque intimement ? C’est ce qui se passe dans une petite communauté divisée en deux clans par un projet d'autoroute. Après l’arrivée d’un nouvel étranger, une série de décès mystérieux, dont l’incohérence est progressivement mise en évidence par l’un des personnages principaux, se succèdent sur une courte période. Alors que tous sont « prêts à croire à la thèse confortable des accidents à répétition » pour « ... ne pas faire de vagues ni de remous, être toujours circonspect, écarter tout ce qui pourrait nuire à la quiétude villageoise ».

 

Avec talent, Sylvie Baron crée des personnages bien dessinés et convaincants, certains d’entre eux étant même attachants :

 

Maud Eliot, bibliothécaire, qui se métamorphose en détective amateur, révélant petit à petit le pot aux roses.

 

« Tout s’entremêlait dans sa tête, les suppositions les plus farfelues comme les scénarios les plus sordides. »

 

« ... elle adorait les livres, tous les livres, et c’était une chance inespérée que de pouvoir s’adonner sans remords à cette passion tout en pouvant en faire profiter les autres. Elle s’intéressait aussi à l’histoire locale et remuer les archives poussiéreuses pour trouver un récit qu’on pourrait publier au bulletin municipal sous la rubrique ‘’ En ce temps-là... ‘’ était un pur plaisir. »

 

Sa fille, Catherine, passionnée par le monde mythique des Chevaliers de la Table ronde et des récits arthuriens.

 

Bernard Lancieux, l’historien locataire animé par ses recherches sur le Grand Condé, aux attitudes plus ou moins ambiguës, qui fait « preuve d’intelligence, de générosité et d’humour » :

 

« Jusqu'à une époque récente, je n’existais que par, et pour le Grand Condé. » Je me levais en pensant à la victoire de Rocroi, je déjeunais avec la stratégie de Fribourg et les fastes de Nördlingen et je me couchais avec la Fronde en rêvant encore à la bataille de Hollande. Mais depuis que je suis ici, j'ai tendance à oublier le siècle du Roi-Soleil pour me plonger davantage dans le nôtre et même si ce soir, par exception, j'aurais préféré être à l'époque des carrosses, j'avoue que la plupart du temps j'y trouve un immense plaisir. »

 

Tous trois résident au domaine « Les chênes », nommé ainsi « parce qu’il y en a trois près du ruisseau… ». Cela m’a fait sourire en me rappelant les polars de Louise Penny, dont l’action se déroule dans le village fictif de « Three Pines », où on retrouve aussi trois arbres autour desquels des meurtres se multiplient.

 

Parmi les suspects potentiels, on compte :

 

Paul Ferry, le « maire dynamique et dévoué à sa commune [qui], « de peur de voir s’envoler une quelconque subvention, [accepte] sans broncher un tracé autoroutier incongru qui défigurerait le paysage. Cependant, devant le mécontentement de ses électeurs, il [accompagne] les réactions en soutenant les protestataires mais de façon suffisamment lointaine pour ne pas être mis en cause. »

 

Alain Tellier, notaire et membre du conseil municipal, qui a un œil sur Maud Eliot.

 

Le docteur Bréchot, qui tient à conclure à des « accidents domestiques mortels » plutôt qu’à des meurtres, maîtrise l’art « de ne pas établir de diagnostic » et « de laisser planer  le doute ».

 

Fred, le tenancier de bar, « un incorrigible gamin qui ne [veut] rien prendre au sérieux).

 

Le père Cugi, le bouillant curé de la paroisse, et ses sermons « insipides, redondants et assez malsains » à la Bossuet.

 

La boulangère toujours « au courant des derniers ragots du village ».

 

Du côté des victimes, madame Cédile, madame Frémi, monsieur Mordret, garagiste  « fouineur et opportuniste », « âpre au gain », le jeune Mathieu Tournaire, petite peste et... « Cinq petites boules jaunes, encore chaudes mais sans vie, [...], cinq petits poussins arrachés à leur mère et abandonnés là par un sale voleur de poules ! »

 

Et, évidemment, la personne déséquilibrée et psychopathe qui sévit dont les états d’âme et les motivations (avec quelques redites) sont progressivement exposés au fil des chapitres – comme l’illustrent bien ces quelques extraits :

 

« Une cruauté horrible se lisait sur son visage qui n'avait plus rien d'humain, la migraine atroce qui enveloppait son esprit démoniaque le faisait sombrer dans la folie. [...] – pour ne pas donner un indice sur le sexe de la personne coupable – n'arrivait plus à contrôler les tremblements nerveux de ses membres et ses ongles qui labouraient sa propre chair faisaient saigner ses mains sans même qu’ [...] s'en rendre compte. »

 

« Cette idée de rédemption par le sacrifice, qui faisait appel à des rites anciens, l'excitait au plus haut point. [...] se mit à trembler convulsivement, ses mains moites se tordaient de jubilation, une joie mauvaise brillait dans ses yeux. Tout son être malsain se tendait vers la consécration de cette idée qui, dans son esprit dérangé, devenait un but ultime et nécessaire. »

Dans « ce siècle décadent fait de luxure, de corruption, de sexualité effrénée, d’asservissements et de mollesse », [...] « haïssait cette société dite de consommation pour laquelle [...] n’avait que du mépris. Il était urgent de la purger de ses bassesses et seule la mort pourrait la purifier » et « démontrer qu’ [...] était vraiment un être supérieur »

 

« Ses doigts se nouèrent et se dénouèrent en un mouvement saccadé, [...] balança sa tête d'avant en arrière, le regard fixe, les yeux exorbités et un rictus mauvais sur les lèvres. Son esprit malade lui refusait tout repos et la migraine affreuse qui [...] tenaillait tous ces derniers jours martelait sauvagement ses tempes et pulvérisait ses pensées les plus noires en un tourbillon incessant de visions cauchemardesques. »

 

Pour tracer l’évolution du plan de la personne meurtrière, « sa vengeance envers la société », Sylvie Baron a ponctué le récit de chapitres rédigés en italique décrivant, entre autres, son modus operandi : faire en sorte que ces événements soient interprétés comme des accidents en variant « les moyens pour égarer tous soupçons » ; exécuter des meurtres « d’une perfection indéniable », sachant qu’ […] détenait « le pouvoir effrayant de commettre des meurtres parfaits ».

 

La romancière en profite pour semer quelques indices tels qu’une « griffure sur sa main droite » faite par une des victimes, que « son père était garagiste... » ou [...] doit soigner une morsure au mollet et à la main par Skepsy, le chien de Maud Eliot.

 

Toutefois, si vous êtes plutôt perspicace, vous pourriez, comme moi, deviner assez rapidement l’identité de la personne coupable, et ce, sans que votre lecture du roman soit gâchée. Une écriture efficace et un suspense bien entretenu nous tiennent en haleine. La finale est époustouflante comme dans les meilleurs romans d’horreur, hémoglobine en moins.

 

Quelques extraits notés au passage :

 

« Ses livres étaient faux, comme ceux qui remplissent les rayonnages des bibliothèques d’exposition dans les magasins d’ameublement. Avec seulement une couverture cartonnée pour le titre et l’auteur, l’intérieur étant désespérément creux. »

 

« ... il fut récompensé de sa proposition par le regard limpide de deux yeux gris sans nuage. »

 

« Elle n’eut pas besoin d’exprimer des remerciements, ses yeux parlaient pour elle, ils reflétaient la passion du jardinier, du créateur et de l’amoureux de la nature, celui qui a le goût de l’effort, de la poésie et de l’éphémère. »

 

« Elle essayait de réfléchir calmement, mais les mille bruits furtifs du soir renforçaient son angoisse et sa crainte. »

 

« Tu dois lire trop de romans policiers [...] ou tu n’en lis pas assez, car tu saurais alors que ce qui compte c’est le mobile. »

 

« Les phares trouaient brusquement l’obscurité de ces petites routes désertes de la campagne et la voiture filait, bondissante et silencieuse comme une bête sauvage, tandis que la nuit se refermait aussitôt derrière elle pour mieux garder dans ses entrailles ses profonds mystères. »

 

Et tout finit bien pour madame Eliot et son locataire, comme dans un film romantique.

 

* * * * *


Sylvie Baron est professeure agrégée en économie et en gestion au lycée Pissarro de Pontoise. Elle a coécrit plusieurs manuels d'économie et de management. En 2009, elle met sa carrière entre parenthèses, s'installe à Neuvéglise-sur-Truyère, dans le Cantal, et se lance dans l'écriture de romans policiers. Elle se concentre sur les cosy crimes et les thrillers domestiques. Elle est l’auteure de romans policiers qui s’inspirent d’Agatha Christie, de Patricia Wentworth et de Patricia MacDonald, dont elle est une fervente admiratrice. La plupart de ces intrigues se déroulent dans le Cantal, où « le paysage n’est pas qu’un décor, il en est un personnage à part entière ». Ses romans, qui appartiennent au genre du « polar rural », sont ancrés dans l’actualité et abordent des thèmes contemporains, nous invitant à réfléchir sur notre époque.

 

Merci aux Éditions de Borée pour le service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer dans votre librairie indépendante.

 

 

Originalité/Choix du sujet : ****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  ****

Psychologie des personnages :  ****

Intérêt/Émotion ressentie :  ****

Appréciation générale : ****


Tu ne mentiras point (Jean-Philippe Bernié)


Jean-Philippe Bernié. – Tu ne mentiras point. – Montréal : Glénat, 2024. – 199 pages.

 


Roman

 

 


Résumé :

 

Niché au beau milieu des lacs et des forêts au nord d’Ottawa, le Collège Saint-Jacques forme depuis plus d’un siècle les futurs ambassadeurs, les hauts fonctionnaires, voire des ministres et même quelques premiers ministres. La réputation de cette vénérable institution est immaculée et l’intégrer est un parcours du combattant.

 

Rien ne préparait Claire Lanriel, nouvellement embauchée au poste de responsable des relations gouvernementales et des affaires publiques, à ce qu’elle allait progressivement y découvrir : derrière les hauts murs couverts de lierre se cachent un réseau de mensonges, de trahisons et une escroquerie gigantesque.

 

Déterminée à mener l’enquête jusqu’au bout pour faire éclater la vérité, Claire se rendra vite compte que certains sont prêts à tout pour protéger leur réputation et leur pouvoir…

 

Mais la vérité mérite-t-elle que l’on mette sa propre vie en jeu ?

 

 

Commentaires :

 

J’avais découvert Jean-Philippe Bernié avec « La punition », paru en 2023 que j’avais bien aimé. « Tu ne mentiras point » est le quatrième  roman qui s’inscrit dans la série consacrée à Claire Lanriel amorcée en 2012 :


·        Quand j'en aurai fini avec toi (2012) : froide, belle, redoutable et sans scrupules, Claire Lanriel brigue le poste de directrice du département des Matériaux à l’Université Richelieu et elle est prête à tout pour y parvenir. Or, une lettre anonyme l'accusant d'avoir commis, des années auparavant, une grave faute professionnelle menace de la mettre à genoux.

·        J'attendrai le temps qu'il faudra (2013) : Deux ans après son départ précipité de l’Université Richelieu Claire Lanriel prépare un retour à Montréal dans une école polytechnique pour retrouver son poste de professeur et le pouvoir qui va avec. Entre ambitions personnelles et conflits d’intérêts, chercheurs et industrie privée, un féroce jeu d’influences s’engage.

·        Un dernier baiser avant de te tuer (2018) : retour sur l’enfance de Claire Lanriel qui dévoile le traumatisme fondateur de son caractère qui, dans un contexte de mésentente entre ses parents, conçoit un plan dans le but d'éloigner une amie de jeunesse de la mère qui s'en prend à et sur son jeune frère en l'envoyant à l'hôpital sans envisager les conséquences de son geste.

 

La chute du premier chapitre de « Tu ne mentiras point » qui fait référence au huitième Commandement du Dieu des chrétiens catholiques donne le ton du scénario : « Reste à savoir si madame Lanriel mordra à notre hameçon ». S’ensuit un récit cohérent mis en scène dans les coulisses du pouvoir dans une école de haut niveau qui permet au lecteur de découvrir les tenants et aboutissants d’une fraude « sans doute extrêmement simple », « on a fait ce qu’il fallait faire » qui oppose une brochette de personnages bien campés.  

 

D’abord l’équipe professorale du collège Saint-Jacques :

 

·        Louis Paradis, son directeur, et sa femme Denise, qui avaient « uni leurs forces » pour pousser à la retraite l’ancien directeur ;

·        Gaston Banville (Banban), directeur des études et professeur de sciences de la nature, qui « travaillait à Saint-Jacques depuis toujours » ; un « homme affable, avec des cheveux en brosse, des lunettes de travers et une pipe éteinte au coin de la bouche »;

·        Nadia Normand, intendante surnommée « madame RMV » (reviens me voir) ;

·        Gaétan Boulerice, professeur de sciences et de mathématiques, « jeune loup ambitieux » ;

·        les Gagnon-Gagné, respectivement professeures de français et d’anglais, « toutes deux d’un âge indéterminé », que Claire Lanriel peine à distinguer ;

·        Éric Legaut, professeur d’éducation physique au « physique de l’emploi ».

 

Ensuite les trois protagonistes en quête de vérité pour des raisons qui leur sont personnelles :

 

·        Claire Lanriel, nouvellement responsable des relations gouvernementales et des affaires publiques qui vise le poste de directrice du collège, recommandée par un ancien élève, Patrice Desjardins, avec qui elle a déjà travaillé ; « successeure ? sucesseuse ? » de Malvina Lanteigne, sa « prédécesseure ? », « prédécesseuse ? », « prédécétrice ? » « prédécessrice ? » (à la recherche d’un titre féminisé) qui était responsable de l’admission au collège et qui a quitté, pour des raisons de santé ;

·        Laurent, élève de première année aux capacités moyennes, impliqué bien malgré lui au cœur du réseau de mensonges qui frappe le collège, « avec ses yeux verts, son visage de dieu et sa belle voix, mais il y avait autre chose - quelque chose dans son regard, quelque chose dans la façon dont il plissait les yeux quand il souriait, et même dans la façon dont il tordait légèrement la lèvre inférieure quand il était contrarié ou hésitant, quelque chose qui émanait de lui, comme une lumière » ;

·        Louis-Philippe, brillant élève de première année, qui, à la suite d’un « des beaux sourires » que lui adresse Laurent le jour de la rentrée « fait naître des papillons dans l’estomac de ce dernier » et meurt « d’envie de se réchauffer auprès de lui. Le plus près possible. Quitte à se brûler » (d’où la pertinence de l’illustration de la couverture de première) ; mais qui n’ose dévoiler ses sentiments, de peur de se voir rejeté.

 

Et quelques personnages secondaires, dont :

 

·        Mélissa, petite amie de Laurent ;

·        Kayla, autochtone du nord de l’Ontario, dont la jeune sœur qui souffre d’une leucémie doit quitter l’hôpital à la demande de sa mère ; celle-ci l’envoie en Floride pour suivre des traitements de médecine ancestrale et décide de quitter le collège pour être près d’elle ;

·        Félix Arsenault, président de l’association des élèves, « un peu gras, avec des cheveux trop longs et un air trop déterminé » ;

·        Irvin, ministre de la Justice du gouvernement fédéral, diplômé de Saint-Jacques.

 

Je n’en dirai pas davantage sur l’intrigue qui maintient notre intérêt jusqu’en finale. Alors que la vérité se met à circuler sous forme d’une « image truquée », sans grands remous, faisant « aussi peu de bulles qu’une bière éventée ». Jusqu’à ce que le scandale éclate comme une explosion en chaîne.

L’écriture efficace et sans fioritures de Jean-Philippe Bernié sert bien l’obscur complot que découvre Claire Lanriel avec la complicité de Louis-Philippe et de Laurent au péril de sa vie : « On l’avait manipulée ; on lui avait menti ; on l’avait trompée. Cela méritait vengeance ». Embauchée pour prendre les coups, elle allait devenir la « porte-parole de Saint-Jacques au cas où le scandale éclaterait. Faire face aux questions, aux journalistes, à la meute hurlante, recevoir tout dans la figure. Et probablement, ensuite, être virée, victime expiatoire jetée en pâture à l'opinion publique ».

 

Au passage, Jean-Philippe Bernié utilise le personnage de Kayla pour exprimer un plaidoyer pour la défense des droits des Autochtones :

 

« Si on commence à dire que les normes des Blancs doivent être imposées aux peuples autochtones dans tel ou tel domaine, au nom de bonnes intentions, [...] où cela s'arrêtera-t-il ? La médecine traditionnelle autochtone existait avant les Blancs. C'est un droit traditionnel, inaliénable. Raboter ce droit, c'est ouvrir la porte à l'attaque de tous les autres. »

 

« Le conflit entre la protection des droits de l'enfant et la protection des droits ancestraux des peuples autochtones est bien défini. Le juge s'est basé, entre autres, sur une décision prise en Colombie-Britannique et qui accordait à une nation autochtone le droit de pêcher le saumon malgré l'interdiction de pêche décidée par le gouvernement provincial. Les Autochtones pêchant déjà le saumon dans cette rivière avant l'arrivée des Blancs, cela constituait un droit ancestral acquis que la loi des Blancs ne pouvait concerner ou restreindre. Dans notre affaire, le juge a décidé que, compte tenu de cette jurisprudence, puisque la médecine autochtone existait elle aussi préalablement à l'arrivée des Blancs, elle constituait de la même manière un droit ancestral que nos lois ne pouvaient éroder. »

 

Une affirmation qui m’a laissé perplexe :

 

« ... à Ottawa, sortir une pipe, même éteinte, constituait probablement un crime abominable. Ottawa, c’était comme Toronto, en pire. »

 

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Jean-Philippe Bernié, diplômé en génie chimique, est originaire de Toulouse. Il a poursuivi des recherches à l'Université McGill, à Montréal, où il vit. Il est actuellement consultant et place ses récits dans son univers, celui de la recherche universitaire. Après avoir écrit plusieurs nouvelles de science-fiction pour la revue Solaris, il entreprend l’écriture de polars. En 2019, il a été finaliste du prix Arthur-Ellis du meilleur roman policier pour « Un dernier baiser avant de te tuer » paru chez Libre expression. Il est aussi l’auteur de la série jeunesse de science-fiction « Les voleurs d’avenir ».

 

Merci aux Éditions Glénat pour le service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer auprès de votre librairie indépendante.

 

 

Originalité/Choix du sujet : ****

Qualité littéraire : ****

Intrigue :  ****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie :  ****

Appréciation générale : ****