Paul à la maison (Michel Rabagliati)


Michel Rabagliati. – Paul à la maison. – Montréal : Éditions de la Pastèque, 2019. – 208 pages.

 


Bande dessinée

 

 


Résumé :

 

Paul a maintenant  51 ans. Depuis son divorce, il vit seul dans sa maison d’Ahuntsic en compagnie de son chien. Avec le départ prochain de sa fille pour Londres et sa mère qui se fait vieillissante, le temps semble l’avoir rattrapé. Paul à la maison parle des nombreuses facettes du deuil, mais aussi de ces petits riens extraordinaires qui forment la vie.

 

 

Commentaires :

 

J’ai relu ce neuvième tome de la série mettant en vedette Paul Rafiorati avant d’assister à l’adaptation pour la scène présentée par le théâtre LeTrident à la salle Octave-Crémazie du Grand-Théâtre de Québec.

 

Michel Rabagliati utilise la métaphore du pommier en train de mourir dans le jardin de Paul, que ce dernier devra se résigner à abattre, pour répartir le scénario de son roman graphique en cinq sections. Une image forte symbolisant les états d’âme de son personnage.

 

1.    Paul rend visite à sa mère dans sa résidence pour personnes âgées (RPA). On découvre aussi ses problèmes d’apnée du sommeil, de migraines, de relations tendues avec son voisin italien et il apprend que sa fille Rose a décidé de partir pour Londres.

 

2.    Paul accompagne sa mère chez le médecin, revisite avec elle la ruelle de son enfance, nous accueille dans son atelier au sous-sol de sa maison, se fait greffer un implant dentaire, donne une conférence houleuse dans une polyvalente de Laval et apprend avec sa sœur que sa mère va bientôt mourir.

 

3.    Paul consulte un site de rencontre à la recherche d’une âme sœur, et teste un appareil d’avancement mandibulaire pour cesser de ronfler.

 

4.    Paul s’insurge contre l’omniprésence des téléphones cellulaires et se rend au Salon du livre de Montréal pour le lancement de son 7e album : « Paul au parc ».

 

5.    La mère de Paul décède et Rose part pour Londres. L’album se termine sur une image touchante de Paul marchant seul sous la neige, dans une rue de Montréal, son chien Biscuit dans ses bras.

 

 

En épilogue, sur une note plus optimiste, Paul accepte de son voisin italien un petit cerisier qu’il décide de planter à la place du pommier qu’il avait dû faire abattre quelques mois plus tôt. Un printemps fleuri s’annonce...

 

Comme dans les autres bandes dessinées de Michel Rabagliati, celle-ci emprunte une approche semi-autobiographique et explore des réalités de la vie quotidienne en abordant des thèmes à la fois personnels et universels. Paul nous est présenté à un moment charnière de sa vie : il est séparé de sa femme, en proie à des sentiments de dépression et confronté à la maladie de sa mère. L’auteur explore les défis émotionnels auxquels fait face son personnage tout en traitant avec sensibilité les phénomènes liés à la dépression et aux relations familiales complexes :

 

·        La solitude et l'isolement : Paul se retrouve seul, ce qui le force à faire face à ses propres vulnérabilités avec un mélange de mélancolie et d’humour.

 

·        La relation mère-fils : la détérioration de la santé de la mère de Paul est un élément central de l’histoire. Elle reflète un processus de deuil anticipé, choc émotionnel que Paul doit gérer bien malgré lui.

 

·        La dépression et le vieillissement : dans cet opus, Michel Rabagliati aborde la santé mentale de son personnage de manière touchante, sans tomber dans le pathos.

 

Le style graphique de l’auteur est épuré et minimaliste, ce qui contraste avec la profondeur émotionnelle du récit évoquée par des éléments visuels simples. Avec une combinaison bien équilibrée de moments introspectifs et de scènes plus dynamiques. Malgré une thématique sombre, Michel Rabagliati y glisse néanmoins une touche d’humour et de légèreté qui caractérisent l’ensemble de son œuvre, jonglant avec habileté entre des situations tragiques et anecdotes comiques.

 

« Paul à la maison » est une œuvre qui m’a touché. Elle aborde des moments difficiles de la vie avec une grande sensibilité. Tout un défi pour Lorraine Côté, metteure en scène au théâtre Le Trident pour « transposer l’univers de ce héros du quotidien en empruntant les codes du théâtre d’ombres, du théâtre d’objets et du cinéma en direct, tout en laissant une place aux mythiques dessins de Michel Rabagliati ». Avec Hugues Frenette dans le rôle-titre.


 

* * * * *

 


Michel Rabagliati est né dans le quartier de Rosemont à Montréal. Il a œuvré dans le graphisme à partir de 1981 et s’est lancé dans l'illustration publicitaire et éditoriale à partir de 1988. Il a alors travaillé pour différents magazines de Montréal, de Toronto et des États-Unis. Il a publié sporadiquement des planches d'humour dans quelques fanzines québécois. C’est en 1998 qu’il crée son personnage Paul dans une BD publiée aux éditions de la Pastèque en français et Drawn and Quarterly en anglais. En 2019, « Paul à la maison » faisait partie de la sélection pour le Fauve d'or au Festival d'Angoulême.


En 2021, Michel Rabagliati a participé à la campagne « Écrire, ça libère ! » organisée par Amnesty International. Deux ans plus tard, l'organisme MU, un organisme de bienfaisance qui réalise des murales publiques à Montréal, lui rendait hommage avec une murale intitulée « Paul en appartement » au 4802, rue Saint-Denis. On lui décerna l'Ordre national du Québec la même année. En 2023, il a publié « Rose à l'île », une suite des Paul, mais sous un format différent, plus proche du roman illustré.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer auprès de votre librairie indépendante.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité graphique et littéraire : *****

Intrigue :  *****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie :  *****

Appréciation générale : *****


Les éoliennes de l’Île aux Moutons (Alex Nicol)


Alex Nicol. – Les éoliennes de l’Île aux Moutons. – Villefranche de Laurengais : Les éditions du 38, 2021. – 211 pages.

 


Cosy mystery

 

 


Résumé :

 

Soazic Rosmadec est en colère.

 

Un énorme chantier se met en place sur l’île aux Moutons. Ce magnifique petit bout de terre, réserve ornithologique, est situé à mi-chemin de l’archipel des Glénan, juste en face de Sainte Marine. Objectif : la construction d’un parc de soixante éoliennes afin d’alimenter la commune en énergie propre.

 

Défigurer la baie avec des hélices posées sur des mâts de 150 mètres de haut, sans parler des nuisances sonores, voilà une idée qui ne passe pas. D’autant que le chantier et l’exploitation sont confiés, avec la bénédiction de la mairie, à la Wind Farm Corporation, une compagnie américaine dont les méthodes sont, de notoriété publique, plus que douteuses.

 

Soazic et Gwenn Rosmadec décident de s’opposer à ce projet fou, et s’embarquent avec conviction dans une nouvelle aventure afin de défendre leur baie. Rien ne leur sera épargné pour les empêcher de résister : pots-de-vin, manœuvres politiques, tueurs impitoyables. Pas de quartier !

 

 

Commentaires :

 

« Les éoliennes de l’île aux Moutons » est le 23e opus de la série des Enquêtes en Bretagne du Breton Alex Nicol qui en compte maintenant 27, au moment de la publication de cet avis de lecture en 2024. Un auteur avec qui j’ai eu le plaisir de souper (dîner pour mes amis de l’Hexagone) lors de son passage à Québec et qui m’a remis un exemplaire dédicacé de son roman mettant en vedette son duo fétiche : Gwenn Rosmadec le rouquin, écrivain public et membre de l’agence Magna Carta et sa conjointe, Soazic Rosmadec qui « se font gardiens de l'intégrité de la magnifique réserve naturelle de l'île aux Moutons, en terres bretonnes ». Un polar typique du sous-genre « cosy mystery » (romans de « crimes douillets ») dans lequel les détectives sont des amateurs et le crime ainsi que l’enquête ont lieu dans une petite communauté, où tout le monde se connaît. 

Alex Nicol a choisi un sujet d’actualité : l’implantation de parcs éoliens sans acceptabilité sociale par des aigrefins dissimulés derrière des arguments écologiques.

 

D’entrée de jeu, dans un dialogue impliquant un personnage secondaire,

le professeur Michel Le Gouarder, l’auteur en profite pour brosser un tableau sur les tenants et aboutissants des différentes formes de génération d’électricité : hydro-électricité, usines marémotrices, centrales alimentées au charbon, centrales atomiques traditionnelles et celles dont les réacteurs de l’avenir sont alimentés par des « billes composées du mélange uranium-oxygène », panneaux solaires. Et, évidemment les éoliennes (que la France ne produit pas, le matériel provenant de Chine et d’Espagne et la main-d’œuvre de Pologne) et leurs limites : la présence ou non du vent, d’où la nécessité de prévoir une alternative, le nucléaire.

 

C’est aussi l’occasion de dénoncer l’arnaque de la production éolienne en France : d’une part, l’État qui achète « l’électricité au prix de cent cinquante-cinq euros le mégawatt pendant vingt ans » alors que « le prix du marché est actuellement de quarante euros » ; et, d’autre part, les paysans qui hébergent une éolienne dans leurs champs « contre un loyer de dix mille euros par an », avec obligation de la démonter à leurs frais, « cent mille euros » au bout de dix ans. «... un scandale écologique et financier » :

 

« L'éolienne est soumise aux aléas du vent et quand il ne souffle pas, ce sont les énergies fossiles qui prennent le relais. Ensuite, et ça je ne le savais pas, les éoliennes produisent des infrasons, inaudibles, mais qui s'avèrent dangereux pour la santé d'après une analyse de la NASA. Enfin pour les fabriquer, il faut extraire des terres rares, sources de danger sanitaire et d'exploitation d'enfants en Afrique. »

 

Il en profite également pour rappeler la fermeture en 2020 de la centrale de Fessenheim, « une erreur sur le plan technologique » et l’échec en 1981 du projet de centrale de Plogoff à la suite de l’opposition des citoyens. Sans oublier les controverses et les recours en justice entourant l’implantation du parc éolien en baie de Saint-Brieuc dans la Manche.

 

La table est mise pour que le lecteur se laisse entraîner dans les péripéties de cette enquête qui le fait voyager, depuis le Pays bigouden en Bretagne jusqu’en Crête et en Turquie. Car, « les Bretons sont de grands voyageurs... ».

 

En plus des deux protagonistes enquêteurs, Alex Nicol a imaginé une brochette de personnages bien typés.

 

Du côté des malfrats, Abigail Thompson et Gladys Pennington de la Wind Farm Corporation dirigée par l’inatteignable Wilbur Smith, le clan des Hollandais, les jumeaux homozygotes d’origine asiatique, Tik et Tak, sans oublier Arthur Le Riller, adjoint à l’énergie de la commune de Sainte-Marine, pour ne nommer que ceux-ci.

  

Parmi les défenseurs de la justice, Claire Ross, la Navy Seal, dont les parents ont été assassinés aux États-Unis, et ses drones de toutes tailles : espions, de combat, lanceurs de fléchettes empoisonnées, porteurs d’explosifs... et son supérieur, le général MacDonald.

 

S’ajoutent deux personnages récurrents de la série : l’adjudant-chef Irène Le Roy de la gendarmerie de Pont-l’Abbé qui reconnaît que Gwenn Rosmadec a « connu des situations délicates et il s’en [est] tiré en laissant des morts sur sa route ». Jeannot, « un ancien officier de la DGSI [Direction générale de la sécurité intérieure], un informaticien de génie dont les missions consistaient à pirater les sites ennemis. [...] L'âge venu, il s'est retiré sur sa terre natale à Penmarc'h où il travaille comme conseiller en informatique pour le grand public, mais intervient en free-lance à la demande d'agences de l'État sur certains sites à piéger. » Gwenn et lui ont une « passion commune : la cornemuse », comme Alex Nicol. Et Thierry, le cousin de Gwenn, patron du CHU de Rennes, qui a, « à plusieurs reprises, aidé son cousin dans ses enquêtes ».

 

« Les éoliennes de l’île aux Moutons » est un roman aux sonorités bretonnes :

 

Les appels des téléphones s’annoncent avec des notes de mélodies écossaises.

 

La langue bretonne est aussi présente dans certains dialogues :

 

« Kenavo » : au revoir

« Gast » : juron équivalent à « putain »

« Comment que c’est...? » accent breton

« Demat deoc'h AotrouHag evidoch, petra vo ? » : Bonjour monsieur. Que puis-je pour vous ?

« Dipitet on, ne gomprenan ket ar pezh a larit ! » : Désolé, je ne comprends pas ce que vous dites.

« Devez mat deoch ! Kenavo Aotrou ! » : Passez une bonne journée. Au revoir monsieur. »

« se mettre à couple » : « en langage de marin, aligner les bateaux flanc à flanc ».




 

Il est aussi question des bigoudènes, coiffes vestimentaires portées par les femmes du Pays bigouden.

 


 

 


Alex Nicol étant lui-même « amateur averti de bons whiskies », il offre à son enquêteur de prendre « le temps de s’octroyer un petit verre de whisky Eddu Silver, son préféré » :

 

« [Gwenn] porta le glencairn*** au niveau des yeux en face de la baie vitrée inondée de soleil et admira la teinte pâle ambrée du liquide, avant de laisser une première gorgée épanouir ses papilles. Puis la seconde pour apprécier à leur juste valeur les saveurs multiples que recelait ce breuvage breton inimitable marqué par le blé noir, sa composante principale. »

 

*** Verre en forme de tulipe pour apprécier les arômes du whisky.

 

Cette enquête emprunte des clichés de certaines séries du petit et du grand écran. Comme des gadgets ou la transmission des missions rappelant celles de Mission impossible :

 

« Il enfonça deux doigts dans la bouche pour retirer une fausse molaire et appuya sur la capsule de cyanure qui s’y trouvait cachée. »

 

« Vous avez carte blanche. Cette conversation n’a jamais eu lieu ! »

« Ce télégramme devait être détruit immédiatement après lecture et aucune mention ne devait en être faite nulle part. »

« Il mémorisa le contenu puis brûla le papier en laissant le vent disperser les cendres. »

 

La technologie y occupe une place importante : drones, téléphones cellulaires et applications informatiques comme celle permettant de localiser tous les navires en mer « dès lors qu’ils [ont] ouvert leur transpondeur » : « les bleus transportent des passagers, les verts sont des cargos, les rouges des tankers ; en orange, ce sont des bateaux de pêche et en rose, des yachts. »

 

Même si le récit est parsemé de quelques invraisemblances comme, entre autres, la construction aussi rapide d’éoliennes, la 27e enquête de Bretagne devient rapidement un tourne-page alimenté par un suspense qui croît avec le cumul des assassinats, explosions et coups de théâtre, appuyé par le style fluide et agréable de son auteur. J’ai retenu ces extraits :

 

« Il cocha un coin de son cerveau pour se donner l’occasion de traiter plus tard ce problème. »

 

« Un ballet de bateaux de tout type sillonnait le Bosphore et les lumières rose tendre de l’orient caressaient la ligne des toits de tuiles rouges d’Istanbul. »

 

Et cette belle description du port d’Héraklion, en Crète, qu’a certainement visité Alex Nicol au cours de ses nombreuses pérégrinations et où ses protagonistes y dégustent, dans une taverne, un Retsina, un vin grec dans lequel est rajoutée de la résine de pin au cours de la fermentation :

 

« Le vieux port de la capitale crétoise consistait en une crique naturelle que l'homme avait façonnée au cours des siècles pour y protéger ses navires. Elle était occupée en grande partie par des voiliers et des petits bateaux de plaisance ainsi que par les coques de bois de navires de pêche, dont on se demandait comment leurs capitaines osaient encore affronter la mer.

La bordure gauche de cette anse accueillait une ancienne forteresse qui était autrefois le point d'orgue de cet ensemble architectural. Elle avait ensuite été prolongée par une très longue jetée terminée par un phare. De l'autre côté, des môles énormes accueillaient des ferrys venus de divers points de Grèce et de gigantesques paquebots de croisière. »

 

J’ai souri en lisant cette mise en situation dans laquelle une dénommée Krolig, artiste peintre à Locduty « réalise des portraits-robots en discutant avec la victime et il semblerait qu’elle perçoive les images inconscientes que celles-ci a enregistrées dans son cerveau. » :

 

« Soazic perçut le léger frottement du fusain sur la feuille.

Krolig avait commencé à dessiner. Elle continua à raconter son histoire, guidée par la voix du peintre. Cette voix douce et entêtante semblait pénétrer l'esprit de Soazic et y puiser des impressions, des images, des sensations. Soazic était alors entre veille et sommeil, un état qui ouvre la trappe de l'inconscient et qui permet de libérer des trésors enfouis et inhibés. »

 

Au Québec, une télésérie, Portrait-robot, met aussi en scène une portraitiste judiciaire qui entre dans la tête des victimes en les encourageant à revivre des événements troublants qui lui permettent de mettre en place les morceaux du casse-tête qui forment, peu à peu, le visage du suspect.

 

Et j’ai découvert les pizzinis : « truc très simple de la mafia de Palerme pour communiquer les instructions du chef. Un petit mot roulé en boule et dissimulé quelque part. [...] Gros intérêt : contrairement au téléphone, la police ne pouvait pas l’intercepter. »

 

Vous devinez que j’ai bien aimé « Les éoliennes de l’île aux Moutons », une lecture divertissante qui m’a fait découvrir un auteur sympathique qui gagnerait à être connu de ce côté-ci de l’Atlantique.



 

Une seule déception : la reliure déficiente qui se défait en cours de lecture !

 

  

 

 

* * * * *


Alex Nicol est né à Madagascar. Ses parents revenus en France à Maubeuge, il est devenu instituteur, a travaillé pendant trois ans à Madras, a créé l'Alliance française de Chandigarh au Pundjab. Pendant six ans, il a dirigé le centre culturel français de Djeddah en Arabie saoudite. Comme beaucoup de Bretons, l’auteur prolifique a longtemps été un « expatrié ». Lorsqu'à 45 ans il a enfin pu poser son ancre sur la terre de ses ancêtres, il a mesuré à quel point vivre sur cette terre était un grand bonheur.

Après une carrière de chef d'établissements scolaires aux quatre coins du globe, il a envisagé de créer un cabinet d'écrivain public. Très rapidement l'idée d'en faire un personnage central de roman s'est imposée.

 

Alex Nicol a coutume de dire que le premier héros de ses romans c'est la Bretagne et sa grande beauté qui accompagne chacune des enquêtes de Gwenn Rosmadec et emporte le lecteur dans un parcours vivifiant, au son des cornemuses et du bruit du ressac. Et le résultat final, c'est un chant d'amour de la Bretagne partagé par beaucoup de ses lecteurs.

 

En plus de la série Enquêtes en Bretagne, Alex Nicol a publié neuf nouvelles et trois ouvrages de littérature jeunesse. Quatre de ses romans ont été traduits en allemand et un en italien.

 

 

Merci à l’auteur pour l’exemplaire dédicacé reçu en cadeau lors de son passage à Québec.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer auprès de votre librairie indépendante.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  *****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie :  *****

Appréciation générale : *****


L’impasse aux secrets (Claire Destriau)


Claire Destriau. – L’impasse aux secrets. – Clermont-Ferrand : Éditions De Borée, 2024. – 249 pages.

 

 

Polar/Thriller

 

 

 

Résumé :

 

En conflit pour des questions d’héritage et de jalousie, deux cousins s’opposent, jusqu’au drame. Mais que s’est-il réellement passé il y a un siècle dans cette bourgade reculée, au cœur des montagnes? Les versions divergent et se contredisent. Seules certitudes: un crime a été perpétré, un homme condamné.

 

De nos jours, dans le village où tout s'est produit, les lycéens Théo et Leïla vont profiter de leurs vacances d’été pour enquêter et démêler le vrai du faux dans cette sombre histoire de famille.

 

 

Commentaires :

 

« L’impasse aux secrets », entre polar et thriller, est un « roman de terroir sur un drame paysan » comme le qualifie elle-même son auteure, Claire Destriau, dans un des chapitres.

 

En prologue, le récit s’ouvre avec la condamnation à la guillotine du « meurtrier » d’un couple et de leur chien trouvés morts dans leur maison dans un village anonyme, en contrefort des Pyrénées, dans les années 1920. « Les gendarmes de l’époque [ayant] exclusivement mené une enquête à charge et [n’ayant] exploré que le conflit historique entre [...] deux cousins » qui se détestaient depuis leur enfance. Pour les policiers, il semble que ces meurtres n’étaient le résultat que d’un « différend sur l’injustice d’un héritage » légué à chacun de ces derniers amoureux de la même femme depuis leur adolescence.

 

L’essentiel du récit se déroule de nos jours, pendant la période estivale, et a pour cadre cette « impasse maudite » dans laquelle deux maisons qui ont une très mauvaise réputation dans le village et dont on n’ose pas s’approcher : celle de l’Assassin faisant face à celle des victimes que les villageois appellent « le Tombeau ».

 

Avec comme narrateur témoin, un dénommé Mino, sans domicile fixe si « malingre qu’un banal poteau électrique suffit pour [le] dissimuler ». Muet de naissance, mais sympathique observateur des événements, il voit tout, entend tout, mais ne peut rien dire. Sinon que de partager virtuellement avec nous ses émotions et raconter avec beaucoup d’humour l’enquête menée par deux adolescents de 17 ans : l’audacieux Théo qui ambitionne de vivre une aventure palpitante et d’épater la perspicace Leïla dont les deux jeunes frères, Adam et Tarik, rivalisent de turbulences et chamailleries.

 

Quant à la galerie de personnages impliqués dans cette histoire bien ficelée, elle se limite aux deux cousins, Adrien et Germain, Louise l’épouse de ce dernier, la vieille Ninon et son chat Perle ainsi que Chassagne et son chien Goliath, ces deux derniers ayant un lien de parenté avec le meurtrier et les victimes.

 

Claire Destriau a opté pour un scénario réparti sur 27 courts chapitres qui alterne sur deux époques. Celle contemporaine pendant laquelle l’enquête progresse pas à pas sur quelques semaines, ponctuée par huit insertions qui nous relatent progressivement les événements tragiques ayant marqué les habitants de ce village un siècle plus tôt : trois semaines, quinze jours, douze jours, dix jours, une semaine, quatre jours, deux jours et le jour du drame. Une formule très efficace pour entretenir le mystère. La couverture de première résume bien le contexte de la recherche de vérité par les deux enquêteurs en herbe.

 

Ce roman se caractérise aussi par la qualité d’écriture de Claire Destriau qui excelle pour nous imprégner des odeurs, des sonorités et des images bucoliques du village à l’impasse aux secrets d’hier à aujourd’hui. En voici quelques exemples :

 

La mise à mort du condamné :

 

« Et d’un coup, lâchée depuis le haut de son perchoir, guidée par les rails, la lame siffla en s’abattant dans l’air frais de l’aurore. »

 

Le réveil matinal :

 

« Le chant d’un coq perce le silence de l’aube. Les premiers volets s’ouvrent, offrant une vue impudique sur les chambres où sommeillent encore des lambeaux de rêve. »

 

L’orage :

 

« Dans la vallée voisine, le tonnerre roulait sa colère tel un fauve feulant dans sa cage. » « Cette fois, c’est une très vieille et très lourde armoire qui semble traînée à travers le loft céleste. »

 

Une fin de journée paysanne :

 

« En contrebas, des rubans de fumée montaient des cheminées. Les villageois étaient rentrés chez eux. Après une toilette sommaire, on donnait alors à manger à la maisonnée. Un dîner sorti de la marmite noircie de suie juchée au coin du feu. Un peu de soupe, un peu de lard les jours fastes, et une large tranche de pain. Puis dans le cocon du crépuscule, la veillée commençait, à la lueur des dernières braises dans l'âtre. Quelques menus travaux de ravaudage accompagnaient souvent les propos échangés, les dernières nouvelles et les récits d'un autre temps. Une fois le feu éteint, on couchait alors dans leurs lits les enfants endormis dans les bras des adultes. On aidait l'aïeul à regagner sa couche et, dans le cliquetis des clenches, portes et fenêtres étaient fermées pour la nuit. »

 

Des lieux à l’abandon :

 

« Serrés dans un coin, des bidons à lait étaient poudrés de poussière. Une toile d’araignée les arrimait aux pierres du mur. »

 

« Au sol s’est amoncelé le temps : poussière, débris de toutes sortes. C’est fou ce que l’abandon laisse comme traces. »

 

Un Saint-Honoré :

 

« L’épaisseur de crème chantilly déployée pareille à un édredon moelleux me fait saliver. » « Sous leur mince couche de caramel qui brille tel le cuir de pompes toutes cirées, les petits choux dorés crânent en bombant le torse, exhalant un parfum saturé de sucre. Prenant ses aises, la chantilly festonne entre les boules et recouvre outrageusement le gâteau. Je devine son goût de beurre fin et sa consistance légère comme un nuage. »

 

La pâtée du chat de Ninon :

 

« Avec ses morceaux luisants de gelée et ses coloris bariolés, la pâtée dégage un fumet particulièrement alléchant que mon odorat ne manque pas de disséquer : du poulet, je présume, lentement mijoté dans une marmite avec ses petits légumes et un soupçon de vin rouge avant de le passer au four agrémenté de feuilles de romarin et de sauge. Puis le lent refroidissement permet aux arômes de se diffuser dans la chair de la volaille, de la saisir dans une camisole translucide et délicate. Ainsi elle reste tendre et savoureuse. »

 

Une sensation :

 

« À la lecture du texte, elle a assurément la sensation que son cœur se couvre de caramel. »

 

Le nœud coulissant fatidique :

 

« Jamais elle n’aurait imaginé que ces gestes appris depuis l’enfance pussent un jour servir à autre chose qu’immobiliser les pattes d’une bête. »

 

Toutefois, à quelques reprises, certaines longues descriptions de mises en situation, par exemple les chicanes des deux frères de Leïla, contribuent à ralentir le rythme du récit.

 

Enfin, j’ai noté l’expression « pitchoun », petit enfant en langue provençale (langue d’oc), utilisée dans le vocabulaire québécois.

 

« L’impasse Destriau » est un roman que j’ai bien aimé et je remercie les éditions De Borée pour le service de presse qui m’a fait découvrir cette auteure.

 

Claire Destriau est professeure dans la région toulousaine. Dans ses romans, elle explore par l'écriture les fissures humaines et les secrets bien gardés. Ses récits révèlent des intrigues singulières des destins à l'œuvre dans un décor inspiré des Pyrénées. Elle a grandi entre « Toulouse et sa vie trépidante, sa richesse culturelle, ses lumières, son métissage » et « un village de montagne en Ariège, son enclavement, le temps dilaté, l'attachement aux racines, les émotions à l'état brut. » « L’impasse aux secrets » est son sixième roman.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer auprès de votre librairie indépendante.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  ****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie :  ****

Appréciation générale : ****