L’impasse aux secrets (Claire Destriau)


Claire Destriau. – L’impasse aux secrets. – Clermont-Ferrand : Éditions De Borée, 2024. – 249 pages.

 

 

Polar/Thriller

 

 

 

Résumé :

 

En conflit pour des questions d’héritage et de jalousie, deux cousins s’opposent, jusqu’au drame. Mais que s’est-il réellement passé il y a un siècle dans cette bourgade reculée, au cœur des montagnes? Les versions divergent et se contredisent. Seules certitudes: un crime a été perpétré, un homme condamné.

 

De nos jours, dans le village où tout s'est produit, les lycéens Théo et Leïla vont profiter de leurs vacances d’été pour enquêter et démêler le vrai du faux dans cette sombre histoire de famille.

 

 

Commentaires :

 

« L’impasse aux secrets », entre polar et thriller, est un « roman de terroir sur un drame paysan » comme le qualifie elle-même son auteure, Claire Destriau, dans un des chapitres.

 

En prologue, le récit s’ouvre avec la condamnation à la guillotine du « meurtrier » d’un couple et de leur chien trouvés morts dans leur maison dans un village anonyme, en contrefort des Pyrénées, dans les années 1920. « Les gendarmes de l’époque [ayant] exclusivement mené une enquête à charge et [n’ayant] exploré que le conflit historique entre [...] deux cousins » qui se détestaient depuis leur enfance. Pour les policiers, il semble que ces meurtres n’étaient le résultat que d’un « différend sur l’injustice d’un héritage » légué à chacun de ces derniers amoureux de la même femme depuis leur adolescence.

 

L’essentiel du récit se déroule de nos jours, pendant la période estivale, et a pour cadre cette « impasse maudite » dans laquelle deux maisons qui ont une très mauvaise réputation dans le village et dont on n’ose pas s’approcher : celle de l’Assassin faisant face à celle des victimes que les villageois appellent « le Tombeau ».

 

Avec comme narrateur témoin, un dénommé Mino, sans domicile fixe si « malingre qu’un banal poteau électrique suffit pour [le] dissimuler ». Muet de naissance, mais sympathique observateur des événements, il voit tout, entend tout, mais ne peut rien dire. Sinon que de partager virtuellement avec nous ses émotions et raconter avec beaucoup d’humour l’enquête menée par deux adolescents de 17 ans : l’audacieux Théo qui ambitionne de vivre une aventure palpitante et d’épater la perspicace Leïla dont les deux jeunes frères, Adam et Tarik, rivalisent de turbulences et chamailleries.

 

Quant à la galerie de personnages impliqués dans cette histoire bien ficelée, elle se limite aux deux cousins, Adrien et Germain, Louise l’épouse de ce dernier, la vieille Ninon et son chat Perle ainsi que Chassagne et son chien Goliath, ces deux derniers ayant un lien de parenté avec le meurtrier et les victimes.

 

Claire Destriau a opté pour un scénario réparti sur 27 courts chapitres qui alterne sur deux époques. Celle contemporaine pendant laquelle l’enquête progresse pas à pas sur quelques semaines, ponctuée par huit insertions qui nous relatent progressivement les événements tragiques ayant marqué les habitants de ce village un siècle plus tôt : trois semaines, quinze jours, douze jours, dix jours, une semaine, quatre jours, deux jours et le jour du drame. Une formule très efficace pour entretenir le mystère. La couverture de première résume bien le contexte de la recherche de vérité par les deux enquêteurs en herbe.

 

Ce roman se caractérise aussi par la qualité d’écriture de Claire Destriau qui excelle pour nous imprégner des odeurs, des sonorités et des images bucoliques du village à l’impasse aux secrets d’hier à aujourd’hui. En voici quelques exemples :

 

La mise à mort du condamné :

 

« Et d’un coup, lâchée depuis le haut de son perchoir, guidée par les rails, la lame siffla en s’abattant dans l’air frais de l’aurore. »

 

Le réveil matinal :

 

« Le chant d’un coq perce le silence de l’aube. Les premiers volets s’ouvrent, offrant une vue impudique sur les chambres où sommeillent encore des lambeaux de rêve. »

 

L’orage :

 

« Dans la vallée voisine, le tonnerre roulait sa colère tel un fauve feulant dans sa cage. » « Cette fois, c’est une très vieille et très lourde armoire qui semble traînée à travers le loft céleste. »

 

Une fin de journée paysanne :

 

« En contrebas, des rubans de fumée montaient des cheminées. Les villageois étaient rentrés chez eux. Après une toilette sommaire, on donnait alors à manger à la maisonnée. Un dîner sorti de la marmite noircie de suie juchée au coin du feu. Un peu de soupe, un peu de lard les jours fastes, et une large tranche de pain. Puis dans le cocon du crépuscule, la veillée commençait, à la lueur des dernières braises dans l'âtre. Quelques menus travaux de ravaudage accompagnaient souvent les propos échangés, les dernières nouvelles et les récits d'un autre temps. Une fois le feu éteint, on couchait alors dans leurs lits les enfants endormis dans les bras des adultes. On aidait l'aïeul à regagner sa couche et, dans le cliquetis des clenches, portes et fenêtres étaient fermées pour la nuit. »

 

Des lieux à l’abandon :

 

« Serrés dans un coin, des bidons à lait étaient poudrés de poussière. Une toile d’araignée les arrimait aux pierres du mur. »

 

« Au sol s’est amoncelé le temps : poussière, débris de toutes sortes. C’est fou ce que l’abandon laisse comme traces. »

 

Un Saint-Honoré :

 

« L’épaisseur de crème chantilly déployée pareille à un édredon moelleux me fait saliver. » « Sous leur mince couche de caramel qui brille tel le cuir de pompes toutes cirées, les petits choux dorés crânent en bombant le torse, exhalant un parfum saturé de sucre. Prenant ses aises, la chantilly festonne entre les boules et recouvre outrageusement le gâteau. Je devine son goût de beurre fin et sa consistance légère comme un nuage. »

 

La pâtée du chat de Ninon :

 

« Avec ses morceaux luisants de gelée et ses coloris bariolés, la pâtée dégage un fumet particulièrement alléchant que mon odorat ne manque pas de disséquer : du poulet, je présume, lentement mijoté dans une marmite avec ses petits légumes et un soupçon de vin rouge avant de le passer au four agrémenté de feuilles de romarin et de sauge. Puis le lent refroidissement permet aux arômes de se diffuser dans la chair de la volaille, de la saisir dans une camisole translucide et délicate. Ainsi elle reste tendre et savoureuse. »

 

Une sensation :

 

« À la lecture du texte, elle a assurément la sensation que son cœur se couvre de caramel. »

 

Le nœud coulissant fatidique :

 

« Jamais elle n’aurait imaginé que ces gestes appris depuis l’enfance pussent un jour servir à autre chose qu’immobiliser les pattes d’une bête. »

 

Toutefois, à quelques reprises, certaines longues descriptions de mises en situation, par exemple les chicanes des deux frères de Leïla, contribuent à ralentir le rythme du récit.

 

Enfin, j’ai noté l’expression « pitchoun », petit enfant en langue provençale (langue d’oc), utilisée dans le vocabulaire québécois.

 

« L’impasse Destriau » est un roman que j’ai bien aimé et je remercie les éditions De Borée pour le service de presse qui m’a fait découvrir cette auteure.

 

Claire Destriau est professeure dans la région toulousaine. Dans ses romans, elle explore par l'écriture les fissures humaines et les secrets bien gardés. Ses récits révèlent des intrigues singulières des destins à l'œuvre dans un décor inspiré des Pyrénées. Elle a grandi entre « Toulouse et sa vie trépidante, sa richesse culturelle, ses lumières, son métissage » et « un village de montagne en Ariège, son enclavement, le temps dilaté, l'attachement aux racines, les émotions à l'état brut. » « L’impasse aux secrets » est son sixième roman.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer auprès de votre librairie indépendante.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  ****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie :  ****

Appréciation générale : ****

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