En mémoire des filles (Sylvain Turner)


Sylvain Turner. – En mémoire des filles. – Montréal : Éditions Mains libres, 2024. – 204 pages.

 


Polar

 

 

 

Résumé :

 

En deuil de son épouse, Bernard, propriétaire d’une entreprise de gestion parasitaire, doit affronter une nouvelle épreuve quand sa fille unique, âgée de quinze ans, s’enfuit du domicile familial en pleine nuit, sans doute avec la complicité du jeune homme aux allures de caïd qu’elle fréquente depuis peu. Après plusieurs jours d’angoisse, n’en pouvant plus d’attendre que la police la retrouve, Bernard part à sa recherche dans les rues de la ville. Entreprenant alors une véritable enquête qui le mènera au Paradisio, un salon de massages où l’on exploite des mineures, l’exterminateur sera confronté aux Blood Bastards. Ce gang redoutable, impliqué dans tous les types de trafics, est connu pour son extrême violence. Le père fera tout pour retrouver sa fille et obtenir justice, au péril de sa vie, croisant des personnages parfois touchants, souvent inquiétants, toujours fascinants.

 

 

Commentaires :

 

Quelques jours avant d’entreprendre la lecture d’« En mémoire des filles », j’avais lu la très brève critique de Michel Bélair publiée dans le journal Le Devoir le 28 décembre. Roman auquel il attribuait la cote de 2 ½ étoiles en affirmant que « ce petit livre est précisément le bête récit de cette vengeance impitoyable alors que le père éploré remonte systématiquement la piste et devient à son tour un assassin planifiant la mort des coupables. Ce qui ne changera strictement rien à rien, bien sûr, sinon à combler le vide par le vide. Triste. « Les filles » méritent beaucoup plus. »

 

Heureusement je ne me suis pas laissé influencer par cette évaluation anémique en me plongeant dans ce roman à la fois polar, roman noir et suspense, comme l’annonce l’éditeur. Je l’ai lu d’un trait, emporté par le profil original du personnage principal et la tension dramatique croissante tout au long d’une vingtaine de courts chapitres jusqu’à une finale qui nous fait craindre le pire de manière cinématographique, « entre l’ombre et la lumière » pour paraphraser un texte de la chanteuse pop québécoise Marie Carmen.

 

Je ne m’attarderai pas au scénario bien ficelé bien résumé sur la quatrième couverture du livre pour davantage mettre en évidence les raisons de vous procurer ou d’emprunter cet incontournable dans la littérature de genre québécoise.

 

De prime abord, le titre du roman et l’illustration de la couverture de première – un rat affublé d’une minuscule boucle d’oreille – semblent constituer un amalgame incongru. Dès les premiers chapitres, l’explication commence à poindre. Sylvain Turner a choisi de dénoncer dans une fiction habilement structurée un problème social d’actualité : les détournements de mineures recrutées par des gangs de rue, la prostitution juvénile qui en découle et les disparitions non expliquées de celles qui s’y sont laissées entraîner.

 

L’expression « En mémoire des filles » est le leitmotiv du personnage principal, exterminateur de profession qui se déplace en « Ram ProMaster dont les portières sont ornées du logo de Gestion parasitaire Beaupré inc. Et de la tête d’un rat plutôt sympathique » et qui s’est donné comme mission de venger « Laurence, Coralie, Marise et les autres ».

 

L’auteur a donc eu cette idée originale d’associer la traque d’odieux criminels à l’éradication par son protagoniste de parasites qui font la pluie et le beau temps en plein centre-ville de Montréal :

 

« Ces individus étaient en tous points comparables à la vermine que je m’étais efforcé d’éliminer au cours des dernières années à titre d’expert en gestion parasitaire. À l’instar des rats, punaises, coquerelles et autres indésirables, les Blood Bastards et leurs clients détruisent le tissu social peu à peu, en s’attaquant à ses maillons les plus faibles, avant de proliférer. »

 

Un nom qui n’a rien à voir avec Bloody Bastards, un jeu vidéo qui se déroule à l’époque médiévale et qui consiste principalement à combattre divers ennemis avec un large arsenal d’armes afin d’atteindre la gloire et la richesse.

 

Pour ajouter de la crédibilité à la mise en situation, Sylvain Turner les a associés au groupe MS-13 dont les membres s’affichent avec fierté en arborant des tatouages aux couleurs de l’organisation réputée pour sa cruauté, son rite d’initiation :

 

« Selon Wikipédia et les autres sources consultées, le gang Mara Salvatrucha, ou MS-13, a été fondé en Californie dans les années 1980 par des réfugiés salvadoriens. L'expression « mara salvatrucha » signifierait « fourmis gardiennes du Salvador » en argot salvadorien. Quant au nombre treize, il fait référence à la lettre « M», la treizième de l'alphabet. C'est également un symbole de malheur, voire de malédiction, ce qui convient parfaitement à cette organisation. »

 

Dixit Bernard Beaupré qui envisage « ... la possibilité que Laurence [sa fille] ait été embrigadée par de la vermine. »

 

Et cette association – punaises de lit, coquerelles, cafards, rats... – se traduit dans de nombreux dialogues et dans certaines descriptions :

 

« T’es un parasite, une charogne, de la vermine. [..] Et tu sais ce que je fais de la vermine, moi ? Je l’élimine, J’ai fait ça pendant quarante ans. Aussi bien te dire que je suis l’un des meilleurs exterminateurs en ville. »

 

« ... peau foncée, petits yeux enfoncés dans un crâne au front fuyant, visage osseux, long nez crochu, bouche aux lèvres minces, moustache peu fournie, cheveux tressés... Il avait une véritable face de rat, ce type ! Une gueule tellement repoussante que j’en ressentais le malaise. »

 

Alors, quoi de mieux qu’un exterminateur expérimenté pour faire le travail :

 

« En bon exterminateur, j’ai entrepris de visiter les lieux... »

 

« À la façon d’un exterminateur s’attablant dans une cuisine à la tombée de la nuit pour y surprendre l’armée de cafards qui la prendra d’assaut dès que la pièce sera plongée dans l’obscurité... »

 

Car il connaît son métier :

 

« Il y a deux façons de s'attaquer à une infestation de vermine : en utilisant un appât dont les particules létales seront transportées au nid par les membres de la colonie, qui mourront tous après ingestion du poison, ou en détruisant le nid avec des outils ou par le feu, ce qui éliminera la majorité des individus qui l'habitent. J'opterai pour la deuxième méthode, celle que je privilégiais toujours lorsque j'avais affaire à une espèce invasive, susceptible de résister à l'acide borique, au propoxur, aux pyréthrinoïdes et aux autres poisons vendus sur le marché, pour m'attaquer au Paradisio, le quartier général des Blood Bastards. »

 

Sans oublier de « ...condamner l’ouverture du nid, pour éviter que la vermine s’en échappe. »

 

Le père éprouvé se sent « abandonné par un système de justice et par des forces policières incapables de remplir leur mission ». Prêt à se « battre afin que les responsables de la mort de [sa] fille paient pour [...] l’avoir enlevée. » Jusqu’à se faire justice lui-même « ... mûr pour une dernière série d’opérations de gestion parasitaire » parce que « ... le sentiment d’injustice qui [l’habitait] était si puissant qu’il en devenait insupportable. »

 

Mais un exterminateur ne possède peut-être pas les « qualités » d’un terrible justicier. Même si son esprit s’efforce « de produire des scénarios de meurtres, toujours plus élaborés les uns que les autres », le récit nous entraîne dans des scènes de vengeance qui ne se déroulent pas exactement comme prévu. Ce qui, d’une certaine manière, nous rend le personnage à la fois humain et sympathique.

 

Cette fiction est définitivement parfaitement incrustée dans la réalité géographique montréalaise – décors, rues, cafés, référence à la Librairie du Square... – comme dans cet exemple :

 

« Quelques secondes suffisent pour qu’ils disparaissent comme des rats derrière les portes de l’édifice en décrépitude qui abritait jadis le terminus Voyageur. »

 

L’auteur a choisi de répartir son récit en deux parties – « L’infestation » et « L’élimination » composées chacune de 10 chapitres aux titres évocateurs : « De la confrontation à la disparition » ; « Une masseuse nommée Judy » ; « L’homme de main qui buvait trop » ; « Le temps presse, l’étau se resserre » ; « À la recherche de cafards imaginaires »...

 

L’écriture fluide nous tient en haleine. La narration assurée par le personnage principal contribue à rapprocher ce dernier du lecteur prêt à se faire complice de son imaginaire meurtrier.

 

La scène de la mort et de la résurrection en finale est particulièrement remarquable.

 

En conclusion, pour vous donner le goût de lire « En mémoire des filles », voici quelques extraits qui illustrent la qualité littéraire de ce roman dans ces mises en situation et ces descriptions imagées :  

 

« Sans surprise, j’avais constaté qu’elles étaient souillées d’excréments d’insectes. Plusieurs milliers de coquerelles devaient squatter cet immeuble, et sans l’intervention d’un technicien en gestion parasitaire qualifié et la vigilance des locataires, elles risquaient de proliférer jusqu’à la fin des temps. »

 

« Je porte à mon tour une pointe de la toute garnie à ma bouche. Elle goûte le fromage trop gras, le pepperoni trop salé, la sauce tomate trop sucrée. Bref, elle est aussi infecte que mon humeur. »

 

« Vous aimez ? C’est mon nouveau style, quelque chose à mi-chemin entre l’allure austère de l’écrivain russe du dix-neuvième siècle et l’apparence repoussante du vieux sans-abri contemporain. »

 

« ...je saisis mes baguettes et commence à manger mon chow mein. À l’instar de la vengeance, c’est maintenant un plat qui se mange froid. »

 

« Je déchire l’emballage et brise le biscuit en deux. Je saisis ensuite le bout de papier qu’il contient. ‘’ L’homme bon finit toujours par triompher du mal ’’. »

 

« La lumière blafarde des néons recouvre la scène d’un vernis de froideur qui lui donne une facture cinématographique fort réussie. »

 

Ou la description de la réceptionniste du salon de massage Paradisio :

 

« Je suis surpris à la fois par l’accueil de cette femme et par la façon dont elle s’exprime. Pour peu, j’aurais l’impression d’être reçu par la réceptionniste d’une étude de notaires ou d’un bureau d’avocats. »

 

Et ces réflexions inspirées :

 

« La peur est le talon d’Achille de l’athée, une force qui le pousse à abandonner toute forme de rationalité pour chercher la protection d’un être de lumière lorsqu’il n’y a plus que ténèbres autour de lui. »

 

« La vengeance c’est comme le pardon. Une fois qu’on décide de l’exercer, il n’y a plus de retour en arrière possible. »

 

« On revient toujours fouler la terre où on a pris racine, surtout quand on y brasse de grosses affaires et qu’on y possède de précieux actifs. »

 

* * * * *

 

Né à Montréal, Sylvain Turner est titulaire d’un baccalauréat et d’une maîtrise en études littéraires de l’Université du Québec à Montréal. Il exerce le métier de concepteur-rédacteur, de réviseur et de traducteur. De plus, il tient une rubrique littéraire dans l’émission radiophonique « Libraire de Force », qui est diffusée sur la station CIBL. Son premier livre, « Peep-Show Poésie », est paru en 1990. Il a depuis contribué à diverses revues littéraires, dont « Gaz Moutarde », « Possibles » et « Exit ». On a remarqué sa publication « In extremis », finaliste au Prix d’excellence de la poésie 2023 du magazine culturel La Métropole. De plus, il figurait parmi les candidats retenus dans la section poésie aux Prix de création Radio-Canada en 2022.


 

Je tiens à remercier les éditions Mains libres pour l’envoi du service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire du livre via la plateforme leslibraires.ca et le récupérer dans une librairie indépendante.

 

 

Évaluation :

Pour comprendre les critères pris en compte, il est possible de se référer au menu du site [https://bit.ly/4gFMJHV], qui met l’accent sur les aspects clés du genre littéraire.

 

Intrigue et suspense :

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Originalité :

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Personnages :

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Ambiance et contexte :

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Rythme narratif :

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Cohérence de l'intrigue :

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Style d’écriture :

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Impact émotionnel :

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Développement de la thématique :

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Finale :

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Évaluation globale :

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