Femmes de désordre (Catherine Côté)


Catherine Côté. – Femmes de désordre. – Montréal : VLB, 2023. – 390 pages.

 


Polar

 

 


Résumé :

 

Montréal, 1948. Les affaires roulent, dans le Red Light. Les tenancières de ce qu'on appelle pudiquement les « maisons de désordre » font oublier aux vétérans ce qu'ils ont vu en Europe, et n'ont aucun mal à convaincre les agents sous-payés de la Moralité de détourner les yeux. La situation est nettement moins rose pour les femmes qui sont à leur emploi. En dénonçant leurs conditions de vie déplorables dans le Montréal-Matin, Suzanne Gauthier dérange beaucoup de monde. Depuis quelque temps, la journaliste se sent épiée, mais quand elle tente de convaincre son ami Marcus O'Malley de prendre ses inquiétudes au sérieux, le sergent-détective fait la sourde oreille. Il faut dire qu'il n'est pas le plus fin limier de la Sûreté provinciale…

 

 

Commentaires :

 

Après Brébeuf publié en 2020, Catherine Côté nous revient avec la suite d’une portion du quotidien des personnages qu’elle avait alors imaginés : Suzanne Gauthier, journaliste de faits divers au Montréal-Matin, une « fille qui écrit sur des affaires d’hommes », son mari, Léopold Gauthier, vétéran de la Seconde Guerre mondiale et ancien détective de la Sûreté de Montréal, détective privé qui peine à réintégrer la vie civile et le sergent-détective Marcus O’Maley, policier à la Sûreté de Montréal, ancien partenaire porté sur la bouteille de Léopold.

 

Cette fois-ci, l’action se décline quelques mois plus tard sur 11 jours (1 ½ semaine) au cours desquels les événements se bousculent même si le rythme n’est pas essoufflant.

 

Le grand intérêt de cette fiction policière est le caractère historico-social de sa thématique campée dans un quartier chaud de Montréal, le Red Light de la fin des années 1940 où abondent les cabarets, les débits d’alcool clandestins, les maisons de jeux illégales et les maisons de désordre, les bordels, d’où le titre Femmes de désordre (prostituées) comme on peut le voir sur cette carte :

 


Source : Wikipédia

 

C’est dans ce secteur montréalais entre les rues Saint-Urbain, Saint-Denis, Sherbrooke et Saint-Antoine où les ampoules rouges rappelant les anciennes lanternes aux portes des maisons closes que se déroulent les enquêtes journalistiques et policières des trois protagonistes confrontés à la corruption policière. Dans un contexte où les relations sont tendues entre les divers corps policiers : la Sûreté, spécialisée dans la résolution des crimes; la Moralité concentrée sur les réseaux de prostitution, d’alcool et le jeu, notoirement la plus corrompue du service de police; et le Bureau préventif, autrefois appelé l’Escouade juvénile, composé exclusivement de femmes policières, exclues des autres services.

 

Ce roman policier aborde aussi la question de l’aliénation sociale et de l’émancipation des femmes au lendemain de la Deuxième Grande Guerre. Comme dans ces deux exemples. L’attitude paternaliste et machiste des policiers et des patrons envers la gent féminine (collègues de travail, journalistes, suspectes, prostituées…). Le retrait obligatoire du travail pour les femmes déclarées enceintes, d’où l’obligation pour la journaliste Suzanne Gauthier de porter une gaine de grossesse, un corset bas pour en cacher l’apparence.

 

Sur trame de fond historique, Femmes de désordre met aussi en scène certains individus ayant vraiment existé, « l’implication de ces derniers dans les enquêtes est entièrement fictive » comme l’affirme l’auteure.

 

C’est le cas de Pacifique Plante (Pax Plante, surnommé ainsi par le grand public, « Pax », mot latin, signifiant paix), nommé responsable de l'escouade des mœurs en 1946 par le directeur de la police de Montréal avec comme mandat de mettre un terme à l'expansion du crime organisé dans le Red Light et ailleurs en ville. Il demeurera en poste 18 mois. Le roman fait aussi allusion à sa suspension en mars 1948. Il sera congédié avec fracas deux mois plus tard sous prétexte de l'inconduite d’un agent de l’escouade qu’il dirigeait. Un échange d’information entre Suzanne Gauthier et l’avocat/policier Plante laisse entrevoir les publications de ce dernier, dans le quotidien Le Devoir, de novembre 1949 à février 1950, d’une série d’articles portant sur Montréal, ville ouverte, dans lesquels il décrira le modus operandi des différents réseaux de bookmakers, de souteneurs et de bootleggers de la ville.

 

L’enquête principale du sergent-détective O’Maley, homme détestable s’il en est un, porte sur une des maisons de désordre d’une célèbre tenancière du quartier des lumières rouges : Ada Labelle, de son véritable nom Anna Labelle, alias Madame Émile Beauchamp.

 

Suzanne Gauthier est journaliste au Montréal-Matin dirigé par un certain Duhamel. Le véritable Roger Duhamel, avocat, avait été secrétaire du maire Camillien Houde de 1938 à 1940. Il consacra une importante partie de sa vie au journalisme comme rédacteur au journal Le Canada de 1940 à 1942, au Devoir de1942 à1944, à La Patrie de1944 à1947 avant de prendre la direction du Montréal-Matin de1947 à1953, le titre matinal le plus vendu dans le marché montréalais. Au moment où se déroulent les polars de Catherine Côté.

 

Cette dernière fait aussi œuvre de pédagogie en rappelant les méthodes d’identification judiciaire de l’époque.

 

D’abord en faisant référence au système Bertillon, aussi appelé anthropométrie judiciaire, au bertillonnage ou aux inculpés bertillonnés : technique criminalistique mise au point par le Français Alphonse Bertillon en 1879. Une méthode qui repose sur l'analyse biométrique pour l’identification d’un individu à partir de mesures osseuses spécifiques accompagnée de photographies de face et de profil.

 

Et dans cet extrait de dialogue :

 

« – Je vous l'ai dit, sergent-détective O'Malley. On a pas encore fini. On va envoyer quelqu'un vous chercher dès que le dactyloscope aura terminé ses analyses.

– C'est quoi, ça, le dactyloscope ?

– C'est qui, plutôt. Le spécialiste qui analyse les empreintes digitales.

– Ah, bon. Mais mettons que c'est une question de vie ou de mort, il pourrait pas travailler plus vite ?

– Y a pas de moyen d'accélérer les choses, non. Avez-vous déjà regardé ça, des empreintes, dans un épidactyloscope ? »

 

Le dactyloscope étant le spécialiste de l'identification judiciaire au moyen des empreintes digitales (la dactyloscopie) au moyen d’un épidactyloscope, instrument optique pour l'analyse et la comparaison d'empreintes digitales prélevées sur une scène de crime ou lors d'une enquête.

 

Ayant une formation en histoire et étant grand amateur de romans policier, j’ai beaucoup aimé Femmes de désordre avec sa brochette de personnages et les relations qu’ils entretiennent, l’ambiance de l’époque de l’après-guerre, la crédibilité du récit, et, malgré tout, sa finale ouverte sur une suite évidente. Un roman qui repose sur une recherche documentaire fouillée qui contribue à mieux faire connaître de façon ludique les réalités sociales, économiques et politiques d’une autre époque, peut-être pas si éloignée de la nôtre. Il donne le goût de remonter quelques mois en arrière pour découvrir les premières enquêtes racontées dans Brébeuf.  

 

Un bémol : ne maîtrisant pas suffisamment la langue anglaise, les portions de dialogues impliquant Marcus O’Maley (évidemment un personnage anglophone) m’ont quelque peu agacé.

 

Merci aux éditions VLB pour le service de presse.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : ****

Intrigue :  ****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie :  *****

Appréciation générale : *****