Le dernier rayon sur la gauche (Pierre Roberge)


Pierre Roberge. – Le dernier rayon sur la gauche. – Lanoraie : Éditions de l’Apothéose, 2024. – 195 pages.

 


Polar


 

 

Résumé :

 

Grotesque, loufoque, absurde, tel est l'univers dans lequel évolue le héros de cette histoire. Ayant récemment obtenu un poste au sein d'une bibliothèque publique montréalaise, Freddy est déterminé à mettre en place des services qui correspondent aux besoins de ses usagers tout en faisant obstacle aux projets délirants que souhaite y mener son directeur, Olivier-Sébastien Beaugrand-Lavigne (OSBL pour les intimes).

 

Bien que très satisfait de son emploi de jour, le soir venu, le bibliothécaire endosse un tout autre rôle, celui de détective privé. D'abord relégué aux dossiers de peu d'intérêt (causes d'infidélité, animaux perdus ou volés), Freddy croit voir une chance unique de jouer dans la cour des grands lorsqu'il découvre, un matin, le cadavre du concierge de la bibliothèque, une corde nouée autour du cou. Ce sera l'occasion pour lui de mettre à l'épreuve ses talents (limités) de détective et pour nous, d'assister à des scènes qui, sous le couvert du rire et du burlesque, critiquent tout de même certains travers de notre société.

 

 

Commentaires :

 

Le dernier rayon sur la gauche est un roman de lecture agréable. Vingt-sept courts chapitres dont certains permettent d’introduire un à un les différents personnages et événements qui nous plongent dans le quotidien du personnel d’une bibliothèque municipale. Une histoire rocambolesque qui met en vedette un bibliothécaire philosophe s’improvisant « détective amateur » aux méthodes et aux déguisements plutôt cocasses. Son poste principal [le jour] lui semblant « beaucoup  plus sûr pour le bien de son intégrité physique que celui d’enquêteur [le soir ou les fins de semaine]. »

 

Il faut dire que l’enquête sur la mort du concierge occupe somme toute une place secondaire dans le récit. La vérité éclate en toute fin, l’auteur ayant semé dans au moins deux chapitres des indices qui se confirment avec l’aveu de la personne coupable.

 

Certaines mises en situation sont rigolotes.

 

D’abord les prouesses imaginatives du directeur Beaugrand-Lavigne pour se démarquer des autres bibliothèques en offrant de nouveaux services de prêts : instruments de jardinage, outils de menuiserie, moules à gâteaux, mélangeurs à pâte, spatules, souliers de bowling, aspirateurs :

 

« Parce que personne n’a jamais pensé que nous pourrions avoir l’audace d’offrir un tel service. »

 

Sans oublier l’instauration d’un « système semi-automatisé qui permettrait d’assurer la livraison des documents directement [aux] usagers par la voie des airs à l’aide de drones » après avoir « aménagé un petit héliport sur le toit de l’édifice ».  Un passage marrant nous renseigne sur le fonctionnement de ce système de livraison à domicile des livres empruntés.

 

Freddy Washington se voit également confier le mandat de « … retirer des collections tout document pouvant avoir un caractère offensant, de façon à ce que la bibliothèque devienne, de facto, une sorte de ‘’ bulle de bienveillance ‘’… » Le système de pointage qu’il met au point pour identifier les ouvrages à ranger dans un lieu clos est inspiré de l’émission culte des années 60, Les arpents verts. Dans un épisode, le « gentleman farmer » met au point une formule mathématique correspondant à l’importance de la consommation électrique de différents appareils afin d’éviter de faire sauter les fusibles lors de leur utilisation simultanée.

 

Le modus operandi imaginé pour l’identification des livres censurés repose sur quatre filtres : l’appropriation de genre (G), l’appropriation culturelle (C), l’appropriation spéciste (S) « livres sur des animaux écrits par des humains » et l’importance accordée à tout contenu clivant ou polémique (P). Chacun d’entre eux est évalué « avec une cote de 0 à 9 […], zéro signifiant un impact nul et 9, un impact extrême. En additionnant les notes obtenues par un ouvrage dans chaque volet, le total ne peut excéder 7, faute de quoi, le document est déplacé dans la section sous contrôle strict, au sous-sol. »

 

Quelques scènes sont plutôt désopilantes :

 

·        Le spectacle de « l’artiste conceptuelle moldave d’expression gagaouze » et « sa performance mêlant théâtre, danse, chants de gorge, contes traditionnels et autres expressions visant à illustrer les principales thématiques chères à l’artiste : la solitude, la mort, la tragédie de l’existence et l’incommunicabilité fondamentale définissant les rapports entre les êtres humains. » Et qui « utilise la pomme de terre pour créer des installations éphémères questionnant le rapport de domination que l’humain entretient envers les tubercules sans défense. »

·        La séance de consultation du psychologue Horowitz qui dort les yeux ouverts et qui est sourd comme un pot.

·        L’accueil réservé au conseiller municipal, la bête noire du directeur de la bibliothèque, alors qu’un petit groupe de citoyens munis de pancartes sont « venus prendre place devant la bibliothèque pour manifester leur opposition aux nouvelles politiques d’accès à la documentation » instaurées par le directeur.

 

À quelques reprises l’auteur se met dans la peau du narrateur pour nous recommander la lecture de quelques ouvrages choisis. Il glisse au passage quelques réflexions « philosophiques », comme dans cet exemple :

 

« J’ai toujours considéré que l’excès de rangement et de propreté est un indice plus inquiétant de santé mentale qu’un désordre relatif résultant de l’action. »

 

Il nous fait découvrir un principe dont j’ignorais l’existence, celui des Navajos « qui veut que lorsque l’interlocuteur a fini de parler, il faille attendre un long moment afin de s’assurer qu’il n’ait pas autre chose à ajouter. Et lorsqu’on est convaincu que tout est dit, il faut attendre encore. »

 

Le style est fluide et l’écriture est de qualité grâce à l’œil de lynx de la fille de l’auteur qui a « débusqué les moindres coquilles, erreurs orthographiques et grammaticales ». Un bon moment de lecture avant d’aborder des thématiques plus noires.

 


Pierre Roberge [aucun lien familial sinon un des ancêtres Roberge arrivés en Amérique au milieu du XVIIIe siècle] a consacré l'ensemble de sa carrière aux bibliothèques, tant publiques (ville de Montréal) qu'universitaires (Université du Québec à Montréal). Il a publié en 2021 À la fin tu es lasse de ce monde ancien - Le roman d'Éva Circé-Côté, un roman historique dédié à la première bibliothécaire de Montréal.

 

 

Merci aux Éditions de l’Apothéose pour le service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer auprès de votre librairie indépendante.

 

 

Originalité/Choix du sujet : ****

Qualité littéraire : ****

Intrigue : ****

Psychologie des personnages : ****

Intérêt/Émotion ressentie : ****

Appréciation générale : ****