Renaud Du Peloux (Ross)


Renaud Du Peloux. – Ross. – Paris : Cherche Midi, 2025. – 503 pages.

 

 

Thriller

 


 

 

Résumé :

 

Ross, jeune homme mal dans sa peau, ne sait que faire de sa vie en dehors de sa passion pour l'informatique. Il aimerait impressionner Julia, sa seule amie, dont il est secrètement amoureux. Mais tout ce qu'il entreprend semble voué à l'échec.

 

Jusqu'à ce qu'il rencontre Robert, un rebelle charismatique, grand adepte de la philosophie libertarienne, qui déborde d'idées pour s'enrichir. Une en particulier : créer un site web où l'on pourrait vendre et acheter des stupéfiants aux quatre coins de la planète.

 

Ainsi va naître Silk Road.

 

Entre ses compétences limitées, le succès fulgurant de la plateforme et la pression de Robert, Ross enchaîne les coups de stress. Sans compter que très vite, Jared, un lugubre employé des douanes postales, et un agent du FBI, missionné par une sénatrice aux dents longues, se donnent pour objectif de le coincer.

 

 

Commentaires :

 

Ross Ulbricht existe vraiment. Il est né en 1984. Il fut le mystérieux fondateur d'un site monumental du dark web, Silk Road (inspiré de la célèbre route de la soie, réseau ancien de routes commerciales entre l'Asie et l'Europe qui tirait son nom de la plus précieuse marchandise qui y transitait : la soie), surnommé  « l'Amazon de la drogue », un supermarché virtuel de la plus grande variété de stupéfiant. Un site qui a généré entre 2011 et 2013, 1,2 milliard de $ de chiffre d'affaires pour un million de transactions et 80 millions de $ de revenu pour son créateur. Traqué entre autres par le FBI et la Drug Enforcement Administration (DEA), il fut arrêté à San Francisco en octobre 2013 – il avait alors 29 ans –, inculpé en août 2014 de blanchiment d'argent, de trafic de drogues et de piratage informatique, reconnu coupable en 2015 et condamné à la réclusion à perpétuité.

 

Dès lors, des groupes libertariens réclamaient sa libération, « estimant que sa condamnation était une atteinte au principe du libre marché et de la libre entreprise. Pour obtenir leur soutien, Donald Trump  [qui n’hésite pas à faire bombarder les embarcations des narcotrafiquants sud-américains : cherchez l’erreur] avait promis lors de sa campagne de gracier Ross Ulbricht ‘’ dès le premier jour ‘’ de son mandat. » Il a tenu sa promesse en signant en 2025, « grâce totale et inconditionnelle ».

 

Renaud Du Peloux s’est inspiré de la vie de Ross Ulbricht pour écrire ce thriller palpitant, même si le prologue décrit la scène de capture de celui-ci quand le lecteur ignore tout de cette histoire. L’auteur a choisi de transposer la réalité en fiction à New York, entre autres à la Public Library, où se rend régulièrement l’Administrateur de Silk Road où, pour la première fois, il met en ligne le site en utilisant le wifi public :

 

« Ross appréciait ces longues tables de bois sombre, couvertes d'un cuir vert et usé ; ces lumières basses et tamisées, dispensant juste ce qu'il fallait d'éclairage pour travailler; cette moquette râpée jusqu'à la corde ; ces étagères remplies de livres anciens, du sol au plafond, le long de l'immense salle circulaire et voûtée; le dôme de verre et sa structure métallique, très haut au-dessus des têtes appliquées. Il appréciait les chuchotements et les messes basses, les bruits étouffés, les regards emplis de la crainte d'avoir dérangé son voisin; cette odeur de livres moisis, que personne n'ouvre jamais, et dont les revêches occupants du bureau d'accueil sont les gardiens sacrés. »

 

La chronologie des événements nous fait découvrir un personnage que Renaud Du Peloux nous rend sympathique. Adepte de la pensée libertarienne, Ross est hanté par ses connaissances limitées de l’informatique. Il apprend sur le tas, au fur et à mesure de la croissance exponentielle du site, sous l’emprise d’un associé, un dénommé Robert, qui, aux pages 204 à 208, expose son objectif de court-circuiter l’impôt et de déstabiliser l’administration.

 

Spécialiste des technos, Renaud Du Peloux en profite pour instruire le lecteur en toute simplicité sur les tenants et aboutissants de l’environnement informatique qui défie Ross Ulbricht :

 

·        le fonctionnement d’un réseau wifi où s’y échangent les paquets d’information selon certains protocoles de chiffrement (pp.76-79) ;

·        le réseau Tor (The Onion Router) qui assure l’anonymat sur le Dark Web (pp. 80-82) et dont les principes reposeraient par rien de moins que sur la pensée d'un des philosophes les plus influents de l'Antiquité grecque, souvent considéré comme le père fondateur de la philosophie occidentale :

 

« Socrate disait qu'on ne peut pas apprendre ce qu'on ne sait pas déjà, puisque ce qu'on ne sait pas déjà, on ne le connaît pas, et ce qu'on ne connaît pas, on ne sait pas comment se mettre à sa recherche; et si par hasard on tombe dessus, eh bien, on ne saura pas le reconnaître. »


·        les paramètres régissant les adhérents au site Silk Road (vendeurs et acheteurs) et l’offre des produits illicites qui y sont offerts (pp. 90-96) ;



·        le concept du Bitcoin, « système décentralisé et pair-à-pair afin de pouvoir échanger de la valeur monétaire en s'affranchissant de tout organisme tiers tel que les institutions financières » et celui de la cryptographie asymétrique (pp.139-140) ;

·        les types d’attaques de la part de pirates informatiques (insertions d’images – hameçonnagepourriels sur les forums) susceptibles de nuire (pp. 220-221).

 

Malgré les relations de plus en plus tendues entre les deux associés, celles compliquées avec Julia, sa seule amie, à qui il ne peut dévoiler ses activités illégales, la table est alors mise pour que, de chapitre en chapitre, la traque s’amorce et s’intensifie et que les lacunes en informatique de Ross ne laissent envisager qu’une issue tragique.

 

Renaud Du Peloux a campé son récit dans les bas-fonds labyrinthiques d'Internet et dans ceux des quartiers malfamés de la banlieue de la Grosse Pomme. Cette description de Harlem est fort éloquente :

 

« Les rues étaient toujours les mêmes, bordées de brownstones, ces immeubles de pierre brune, de construction hollandaise, aux toits plats et aux façades moulées, qu'on rencontrait à Brooklyn comme à Harlem. Le métro aérien rendait toujours le même bruit, à la fois strident et grave, assourdissant, tandis que les rames traversaient le quartier en ligne droite. Les magasins étaient toujours miteux, les fruits et légumes abîmés, les devantures fatiguées. La vie nocturne était toujours sauvage et dangereuse, des cinémas aux speakeasies, des carrefours fréquentés aux rues étroites, sombres et silencieuses. Il fallait continuer de faire attention, la nuit en particulier, aux abords du parc. Il fallait, par-dessus tout, résister à la tentation de couper par le parc à une heure indue, lorsqu'on était fatigué et pressé de rentrer chez soi. Le parc n'avait ni grilles ni clôtures, et ses allées étaient parfaitement sombres et inquiétantes, et les patrouilles de police, inexistantes. II circulait, à son sujet, les rumeurs les plus étranges. »

 

Même la description de certains personnages traduit la noirceur du milieu des toxicomanes :

 

« Variety Jones [pseudonyme d’un des utilisateurs de Silk Road] est laid à faire peur. La cinquantaine bien sonnée, il a cessé depuis longtemps de s'inquiéter de ce à quoi il ressemblait. Il est certes un peu gros et avachi, mais ce qui frappe au premier abord, c'est son visage. Il porte tous les stigmates de la souffrance prolongée la plus aiguë.

[...] Jones est atteint d'une maladie dégénérative, qui fait que ses muscles lui procurent des crampes atroces. C'est incurable et cela fait bien longtemps qu'il souffre. Mais Jones a pris son destin en main. Ses connaissances [...] l'éclairent sur le choix des drogues qui lui permettent de tenir le coup.

Variety possède les cernes les plus importants qui aient jamais marqué un visage humain. Ceux-ci ne sont pas rebondis comme des coussinets, mais au contraire creusés dans le visage, de manière affreuse, formant comme de grandes dépressions sous les yeux. D'un gris terne, elles donnent à son regard une expression lugubre. Le pire advient lorsqu'il sourit. Car alors les muscles des pommettes contractent les cernes, qui se rident en une ribambelle de plis. Lorsque Variety Jones sourit, on ne peut que regretter de l'avoir fait sourire.

Les cheveux sont longs, gris, sales et clairsemés. Mais quand on découvre l'individu pour la première fois, on ne pousse pas l'examen à ce niveau de détail. »

 

Pour illustrer le contexte qui a permis à Silk Road de se développer si rapidement, l’auteur l’associe, par la voix de Robert, à l’incapacité de la Poste de contrôler les livraisons de stupéfiants sur son territoire :

 

« À la Poste, ils sont complètement finis. Ils se prennent de plein fouet la concurrence de l'e-mail. C'est comme une mort subite. L'envoi postal existe toujours, mais c'est devenu misérable en comparaison de ce que c'était il n'y a pas si longtemps. En conséquence, les budgets ont été divisés par dix. Par dix ! Et ils continuent de l'être chaque année. Donc je peux t'assurer que ce n'est pas une armée de superflics, équipée des dernières technologies, qui s'occupe d'examiner le courrier. À mon avis, c'est plutôt une poignée de pauvres types, sous-qualifiés et sous-payés. »

 

Un épisode au cours duquel l’enquêteur du FBI se rend en Islande pour récupérer le contenu du serveur sur lequel sont stockées les données de Silk Road est l’occasion pour décrire les habitants de Reykjavik, des citoyens « aux expressions tristes et fermées » : « Personne ne souriait jamais. » Et nous initier aux sagas écrites au 13e siècle par des moines chrétiens venus du continent à des fins d’évangélisation :

 

« Les Islandais de l'époque étaient ce qu'on appelle des ‘’ Vikings ‘’. Mais pas des Vikings comme tu les imagines, comme tu les vois au cinéma ou à la télévision. C'étaient plutôt des gentilshommes campagnards. Ils étaient certes assez violents, mais ils étaient surtout civilisés, avec leurs lois, leurs coutumes. La société viking était remarquablement développée. Les sagas racontent leurs disputes et la manière dont elles étaient résolues. La violence en était rarement l'issue. Il y a aussi le cas des bannis. Les bannis sont des Vikings qui ont enfreint la loi et qui sont exclus de la communauté. Ceux-là sont condamnés à survivre par leurs propres moyens. Et dans un climat comme celui de l'Islande, c'est très difficile. Cette simple peur d'être banni faisait que les lois de l'Islande étaient respectées sans qu'il soit besoin de les faire appliquer. On se réunissait une fois par an et on excluait ceux qui le méritaient. Ce qui est intéressant aussi, c'est la manière dont c'est raconté [...]. Ce sont des récits anonymes. Ils ne sont pas l'œuvre d'un seul auteur, comme les romans de chez nous, mais d'une multitude de moines qui travaillaient ensemble à donner une image, la plus fidèle possible, d'une réalité. Ce qui fait la valeur de ces récits, c'est leur grande objectivité. Aucun jugement ne s'y exprime. Le narrateur disparaît au profit de son sujet. Ça donne une grande impression de réalité. »

 

J’ai donc grandement apprécié ce roman aux multiples facettes et parsemé de quelques rebondissements. L’approche pédagogique de l’auteur et la combinaison entre fiction et réalité nous plongent dans un univers virtuel et parallèle décrit avec une plume fluide et efficace.

 

Silk Road est aussi le titre d’un film racontant l’histoire de l'arrestation de Ross Ulbricht réalisé par Tiller Russell, sorti en salle en 2021.

 

* * * * *

 

Renaud du Peloux fait carrière dans la techno, à Paris et à New York. Philosophe de formation, il se passionne pour la pensée libertarienne.

 

Il est diplômé d'une M.A. en philosophie de l'Université Paris-Sorbonne et a suivi une formation de « Data Analyst ».

 

Il a vécu aux États-Unis, où il a été directeur des programmes de la chaîne de télévision internationale Eurochannel qui propose du cinéma d’auteur et des séries. Renaud Du Peloux a aussi publié deux autres romans : Sons of Anarchy. La guerre perpétuelle (2013) et Six contre Une (2023).

 

 

Je tiens à remercier les éditions du Cherche Midi pour l’envoi du service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire du livre via la plateforme leslibraires.ca et le récupérer à la librairie indépendante de votre choix.

 

 

Évaluation :

Pour comprendre les critères pris en compte, il est possible de se référer au menu du site [https://bit.ly/4gFMJHV], qui met l’accent sur les aspects clés du genre littéraire.

 

Intrigue et suspense :

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Originalité :

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Personnages :

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Ambiance et contexte :

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Rythme narratif :

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Cohérence de l'intrigue :

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Style d’écriture :

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Impact émotionnel :

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Développement de la thématique :

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Finale :

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Évaluation globale :

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Les auteurs célèbres ne devraient pas traverser en dehors des clous (Camille Lagarde)


Camille Lagarde. – Les auteurs célèbres ne devraient pas traverser en dehors des clous. – Paris : Eyrolles, 2024. – 328 pages.

 

Roman

 

 

 

Résumé :

 

Honoré Dourakine, vingt-six ans, est un écrivain raté. Personne ne veut de ses nouvelles en rimes libres et le jour où son premier recueil est enfin publié, il en vend trente-cinq exemplaires. Dégoûté, il se décide à intégrer la petite entreprise familiale : chez les Dourakine, on est en effet auteurs de romans de genre de père en fils. Le père, Léonard, écrit des romans à l'eau de rose, la mère, Charlotte, des thrillers sanglants, et son frère Alexandre, des romans de développement personnel.

 

Honoré choisit la fantasy et se crée un alter ego qui, à l'instar des Daft Punk, n'apparaîtra que maquillé. Soutenu par l'enthousiasme de son éditeur, le célèbre Grégoire Gallois, le succès est fulgurant. Mais voilà que Daisy, une critique littéraire, tombe chez un bouquiniste sur son recueil de poésie ; elle écrit un article dithyrambique et tient absolument à rencontrer ce jeune auteur talentueux. Honoré, flatté, mais honteux, lui cache sa deuxième carrière. Pendant qu'il tente de préserver son secret, un mystérieux tueur en série élimine un à un les grands auteurs populaires : Janine Boissard, Michel Bussi, Raphaëlle Giordano... meurent subitement. La famille Dourakine est-elle en danger ?

 

 

Commentaires :

 

Vous aimez la littérature en général ? Les polars et les thrillers ? Les tueurs en série et leurs motivations ? Et découvrir un peu les dessous du monde de l’édition ? À la française ? Le roman au titre presque interminable « Les auteurs célèbres ne devraient pas traverser en dehors des clous », publié sous pseudonyme, vous fera rigoler. Comme moi, vous devinerez assez tôt le personnage qui trucide des célébrités de la littérature qui cartonnent dans les salons du livre et les librairies. Ce n’est pas l’objectif visé par l’énigmatique Camille Lagarde qui, selon l’éditeur, a « vu le jour à l'étranger, dans un pays francophone » et dont les « romans ont été publiés par de prestigieuses maisons d'édition parisiennes ».

 

À l’image d’un de ses personnages principaux, la journaliste Daisy Martel, il n’existe aucune trace de Camille Lagarde sur Internet : « Pas de photos. Pas de références sur LinkedIn. Pas de profil Facebook. » Sous le drap de ce fantôme se cache quelqu’un qui connaît bien le milieu éditorial de l’Hexagone, ses consorts et leurs travers biscornus. Deux indices – on est tout de même dans une enquête sur des meurtres à la chaîne – me laissent croire qu’il s’agit d’une ou d’un Français,e qui glisse dans les dialogues l’expression langagière « du coup » ainsi que des expressions anglaises et qui confond Québécois et Canadiens : « ... tu me rappelleras d'écrire aux Canadiens ? Ça peut les intéresser ».

 

Dans « Les auteurs célèbres ne devraient pas traverser en dehors des clous » qui a été réédité en format poche sous le titre Meurtres, best-sellers et petits-fours à 40% du prix de la version originale, une brochette de figures bien connues sont mentionnées donc certaines susceptibles d’être la cible du tueur ou de la tueuse :

 

« ... Franck Thilliez, Carène Ponte, Mélissa da Costa, Valérie Perrin, Olivier Norek, Gilles Legardinier... Thilliez était tentant. Quel pied, pour un tueur en série, de se faire un auteur de thrillers. Mais Gilles Legardinier, avec ses chatons et ses ratons laveurs, était un bel appât pour un fou haineux. Ou Bernard Werber et ses fourmis. »

 

En préambule, l’auteur et l’éditeur « remercient chaleureusement les romanciers qui ont accepté de prêter leur nom à cette histoire », ajoutant que les « propos de ce roman sont évidemment fictifs et n'engagent en aucun cas les auteurs cités » et que certains détails « ont été volontairement brouillés, afin de préserver l'intimité des personnalités qui, bien que publiques, n'en ont pas moins droit à une vie privée. » Parce que « quoi qu'en pensent certains, l'intérêt d'un roman est de s'amuser avec la réalité. Même si elle dépasse la fiction. » Et Michel Bussi  jouant le jeu en remerciant « Camille de [lui avoir] réservé la plus belle des morts... Et comme disait un petit héros blond [qu’il aime] particulièrement, j'aurai l'air d'être mort, mais ce ne sera pas vrai ! »

 

Ce roman rend « ... hommage à la littérature de genre et au grand roman à la française. » Il contient des réflexions intéressantes sur la création littéraire :

 

« ... l’intérêt d’un roman est de s’amuser avec la réalité. Même si elle dépasse la fiction. »

 

« être publié [équivaut] à une sélection aux Jeux olympiques, se réjouir de l’exploit [est] une obligation contractuelle... »

 

« Un livre qui plaît à tant de gens est forcément de la soupe. » 

 

« Du polar ? Mais ce ne sont pas de vrais auteurs ! »

 

Allant jusqu’à déclarer qu’un « auteur n’est intéressant que par ses livres. » Alors que les entretiens de « Quelques nuances... d’auteur.e.s de polars » que j’anime à la Librairie La Liberté de Québec affirment le contraire.

 

La plume mordante et pleine d’humour de Camille Lagarde m’a beaucoup amusé tout au long des 50 courts chapitres dont les titres partiellement contrefaits évoquent des romans plus ou moins célèbres – à la manière de « ... l'assassin [qui] trouve la mise en scène de chaque meurtre dans les titres, les résumés ou le visuel de la couverture. » – et ce jusqu’à la chute finale digne du « Cri » d’Edvard Munch.

 

Rigolote cette scène Honoré Dourakine, à la recherche d’un genre littéraire pour prendre ses distances des choix d’écriture de la dynastie familiale :

 

« Le roman animalier ? Avec la montée du véganisme et la félinophilie galopante, il avait le vent en poupe, mais j'ai horreur des bestioles, à poil ou à plumes. Le roman d'aventures ? Le genre n'existait plus, ou si peu, que la poésie le dépassait. Le roman d'espionnage ? Trop technique. Je n'ai aucun goût pour la science-fiction, quant au roman jeunesse, je n'y connais rien, je n'en ai pas ouvert un depuis l'âge de dix ans et il s'agissait d'une œuvre de Jules Verne, aussi éloignée des standards contemporains qu'une montgolfière d'un Airbus. »

 

Que dire de cette description du cimetière Montparnasse :

 

« Montparnasse est un Who's Who informel où la crapule fusillée côtoie le président de la République, où l'académicien dort près de la religieuse à peine lettrée, où le poète romantique tutoie le capitaine d'industrie, où le résistant fréquente le milicien. »

 

... des prix littéraires :

 

« Le prix de l'Académie française ouvrait le bal [...] les immortels avaient la fâcheuse manie de choisir des romans d'un classicisme effrayant, des ouvrages écrits pour être lus, ce qui est loin d'être ce qu'on exige d'un bon livre. Un bon livre devait donner à penser. Il devait déconstruire les schémas narratifs. Il devait proposer une nouvelle langue, pas tourner en rond en alignant sujet, verbe, complément et maintenir une tradition éculée depuis dix siècles.

 

Heureusement, le prix de l'Académie était suivi à quelques jours près par un autre, celui du Goncourt, qui apportait un peu de piment. Malgré ses ventes proches d'un thriller à sensations ou d'un feel-good, le Goncourt était un feu d'artifice, tout le monde le scrutait, on l'adorait ou on le détestait, il pulvérisait les tièdes.

 

Après ce morceau de choix, les Femina, Médicis, Interallié, Décembre, Flore et autres Wepler paraissaient bien fades, mais ils offraient un zeste d'animation dans les soirées. Des prix yuzu. »

 

... de l’Académie française elle-même :

 

« L'Académie est secrète; elle est aussi très lente, si lente qu'elle évolue dans une dimension parallèle. Il lui faut des années pour remplacer un membre décédé : dix-huit mois pour déclarer le fauteuil vacant, comme si ce temps était nécessaire pour admettre qu'un immortel est mortel et qu'il ne reviendra pas d'entre les morts reprendre sa place ; un an, parfois deux ou trois, pour choisir le bienheureux élu, et un an encore pour que celui-ci soit ‘’ reçu ‘’ officiellement. Il avait fallu cinq ans à la compagnie pour réviser l'ensemble de la lettre R du dictionnaire, huit ans pour publier le deuxième tome de la neuvième édition dudit dictionnaire et onze ans pour le troisième tome...

 

La moitié des académiciens ayant travaillé sur la lettre A ne parviendrait jamais jusqu'à Z, mais cette indolence avait quelque chose de philosophique : les habits verts passaient, le dictionnaire restait. Les lettres survivaient à tous les immortels, ils pouvaient mourir en paix. »

 

... des délibérations à l’Académie française :

 

« Dany Laferrière tenait à retirer le mot ‘’ sciotte ‘’, l'Académie ayant déjà supprimé son cousin, ‘’ sciotter ‘’, la malheureuse ‘’ sciotte ‘’ se retrouvait orpheline. La proposition avait indigné Amin Maalouf qui proposait à l'inverse de rétablir ‘’ sciotter ‘’, les ‘’ sciottes ‘’ existant toujours, leur verbe avait droit à la parole. ‘’ Tant qu'il y aura des sciottes, les marbriers sciotteront ‘’, avait-il lancé d'un ton péremptoire. Par pure provocation, il déclara ensuite que si un mot était à supprimer, ce serait ‘’ scion ‘’ ».

 

 

... du travail et du rôle de l’éditeur :

 

« Soixante-dix manuscrits, répéta-t-il un ton plus bas. J'en jette la moitié au bout de trois pages, et malgré tout, je lis tous les soirs jusqu'à avoir les prunelles en zigzags, je lis en me brossant les dents après mon petit-déjeuner, je lis dans le taxi, je lis en mangeant, et quand je pars en vacances, je n'ai même plus de place dans ma valise pour y glisser un slip de bain. Elle est pleine de manuscrits. De quoi me dégoûter de la littérature et des romans. Je suis dans la position d'un pâtissier qui teste ses recettes jusqu'à l'écœurement. Je me fade des kilomètres de textes insipides, de mauvais Angot, de pseudo-Musso ou de Rowling au rabais, des montagnes d'autofictions aussi intéressantes qu'une notice de lave-linge. Pourtant, je m'obstine, je lis encore et encore parce qu'on peut toujours être surpris, je lis avec l'espoir de tomber sur une pépite... »

 

« Je ne suis que l'éditeur, je ne suis pas écrivain, vous me méprisez un peu, ou peut-être beaucoup et parfois à la folie, alors que j'ai une entreprise à faire tourner et quarante-sept salariés à payer. Je ne suis pas un mécène... »

 

... de l’impact de la mort d’un écrivain adulé dans les médias et auprès de son lectorat :

 

« Un auteur de thriller sauvagement assassiné ? L'événement était trop beau; il envahit tous les médias. Les chaînes télé programmèrent des soirées spéciales ‘’ Polars ‘’, ‘’ Crimes non élucidés ‘’, ‘’ Meurtres célèbres ‘’, les journaux alignèrent les unes gonflées à l’hémoglobine. D'autres osèrent le pas de côté, avec des dossiers plus ou moins travaillés... ».

 

« Les ventes de polars, romans noirs, thrillers grimpèrent de vingt pour cent en une semaine, écrasant les manga et les BD. »

 

« Vous devriez tous faire semblant de mourir, ça boosterait les ventes. »

 

Il faut savourer les portraits d’Amélie Nothomb et de Michel Houellebecq dont les personnalités font douter qu’ils soient parmi les victimes potentielles, voire les auteurs des multiples crimes relatés tout au long de ce récit savoureux.

 

J’ignorais tout de l’existence de Georges-Jean Arnaudun « auteur français parmi les plus prolifiques de la littérature populaire du XXe siècle ; il aurait écrit quatre cent cinquante romans ». Ausis de la capnomancie, un « art divinatoire ancien [qui] consistait à lire les présages dans la forme et la couleur de la fumée. »

 

J’en ai assez dit : faites-vous plaisir en vous laissant entraîner dans l’imaginaire créatif de cette femme ou de cet homme de lettres qui gagnerait à se faire connaître J.

 

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Tiré du site web des éditions Eyrolles

 

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire du livre via la plateforme leslibraires.ca et le récupérer à la librairie indépendante de votre choix.

 

 

Évaluation :

Pour comprendre les critères pris en compte, il est possible de se référer au menu du site [https://bit.ly/4gFMJHV], qui met l’accent sur les aspects clés du genre littéraire.

 

Intrigue et suspense :

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Cohérence de l'intrigue :

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