Guy Robert Roussel. – Là où on enterre les bêtes. – Montréal : Fides, 2025. – 302 pages.
Polar
Résumé :
À Tipton, « la fille du pendu » est loin de
faire l’unanimité. Seule détective noire de ce coin perdu du Kansas, Dillon
Dixon a échoué à tous les tests de tir, mais sait depuis longtemps où et
comment placer le projectile pour mettre fin à son existence. Pas d’homme dans
sa vie, sinon un pianiste déchu maintenant chauffeur de taxi. Pas d’ami, à part
un collègue descendant d’une lignée sudiste. Pour le reste, faute de mieux, il
y a le Hound, unique bar de la ville et dernier havre de sa vie sociale.
Le jour où le jeune Troy Morris Jr débarque
dans le bureau de la détective en affirmant que son chien a tué sa mère, Dixon
croit d’abord à une fabulation… mais un cadavre, dit-on, ne ment jamais. Encore
moins deux, ou même trois.
Confrontée à la découverte de nouveaux corps
mutilés, la détective s’engage alors dans une inquiétante enquête où chaque
jour, hantée par ses démons, elle creuse un peu plus sa tombe. Reste à savoir
si Dillon Dixon finira là où on enterre les bêtes.
Commentaires :
Sur la couverture de quatrième, l’éditeur
qualifie ce premier polar signé par Guy Robert Roussel de « coup de poing porté par des personnages
issus d’une Amérique déchirée, en proie à la pauvreté, au racisme, à la
violence et aux inégalités. »
Dès le début de ma lecture, j’ai été happé
par cette histoire très noire, d’un réalisme saisissant qui nous plonge en 2012
dans les aspects les plus sombres du sud des États-Unis. Au Kansas, un état qui,
en 1855, s’était vu imposer une législature esclavagiste par les « Border Ruffians », une armée privée
levée par les grands propriétaires partisans de l’esclavage des Noirs du
Missouri qui l’avaient envahi. Dans le bled perdu d’un état qui compte
aujourd’hui moins de 6% de personnes à la peau très foncée. Avec comme toile de
fond un contexte social que l’auteur connaît bien en raison de son parcours
professionnel dans la région. À noter que l’illustration de la couverture de
première de Bruno Lamoureux traduit d’ailleurs très bien l’atmosphère glauque
du scénario.
L’auteur met en scène des protagonistes aux
passés troubles et douloureux dont les caractéristiques physiques et
psychologiques se dévoilent progressivement tout au long du récit :
·
Dillon
Dixon, « détective spécialiste »,
fille de détective qu’on avait retrouvé cinq ans plus tôt « pendu haut et court derrière le presbytère
de la Tipton First Baptist Church », « femme [noire] surdimensionnée
de tête, de corps et de poitrine » qui a été recalée à son examen de
tir et qui n’est pas appréciée des hommes qu’elle côtoie. Mais brillante
enquêtrice comme on le verra plus loin.
·
Belford
King, homme blanc séduisant, le tueur en série sanguinaire à la Jeffrey Dahmer [je ne dévoile rien
puisqu’on le découvre dès les premiers chapitres] affublé du surnom KAE (Kill
and Eat), lui aussi à l’intellect supérieur, victime de harcèlement dans son
enfance alors qu’il s’identifiait à Arthur Pendragon maniant
avec dextérité Excalibur,
son épée magique, éleveur d’une meute de pitbulls et manipulateur à souhait. Rescapé
de la guerre en Afghanistan, armé de sa carabine semi-automatique Winchester
Wildcat 22 L.R. et d’un couteau militaire Ka-Bar, deux armes en vente libre de
nos jours aux États-Unis et au Canada.
Deux personnalités fortes ayant à la fois des
points de concordance (caractéristiques physiques, carences affectives...) et
de discordance quant à leurs valeurs morales. Auxquels s’ajoutent quelques
personnages secondaires tout aussi bien campés qui sont au cœur de la trame
dramatique :
·
Troy
Morris Jr, un adolescent qui a lui aussi son lot de problèmes de comportement, et
son Jack Russell.
·
Le
sergent Harper Jankowski qui possède l’art de dénigrer Dillon Dixon en lui
affublant des qualificatifs dégradants.
·
Frank
Lagimodière, que tous appellent FrankL en raison de la difficulté à prononcer
son patronyme, chauffeur de taxi, compositeur de musique et pianiste.
Sans oublier un autre acteur incontournable,
le bar miteux Hound, où Dillon Dixon et Belford King se rapprochent et se confrontent.
Guy Robert Roussel excelle dans les
descriptions de situations et de personnages. En voici quelques exemples :
« Sur le mur arrière, un climatiseur rebrasse
des relents d’alcool et de cigarette piégés dans les bouts de moquette. »
« Elle se réfugie derrière une chaise qui
offre autant de protection qu’une feuille de saule. »
« Elle remonte le sentier en compagnie du
fermier qui réajuste constamment ses bretelles, cherchant à camoufler un ventre
travaillé au houblon. »
« Le jeune Noir [...] porte un t-shirt serin et des jeans qui lui descendent à la mi-fesse,
comme si on n’avait pas encore inventé la ceinture. La visière de sa casquette
turquoise, portée de travers, donne l’impression qu’il regarde dans une
direction et avance dans une autre. »
« Un adolescent se présente devant la carpette
qui tient lieu de réception. Il porte une chemise à carreaux gris et bleu, des
bretelles vert fluo et un nœud papillon carminé. Son visage couvert de taches
de rousseur encercle une bouche entrouverte où apparaissent deux incisives de
longueurs inégales. Ses cheveux châtains coupés en angle donnent l'impression
que sa tête n'est pas à niveau. Ses yeux noisette balaient la pièce... »
« Le gouvernement fabrique des assassins qu’il
envoie dans des conflits perdus d’avance. Et une fois le sale boulot terminé,
ces bombes à retardement à deux pattes finissent par se foutre un pruneau dans
le crâne. Manière facile de s’en débarrasser. »
Je vous laisserai découvrir la scène où le
médecin légiste procède à l’autopsie d’une des victimes et la réaction de
Dillon Daxon qui s’ensuit. Et celle de la transfusion sanguine, jubilatoire
dans le contexte exacerbé des relations interraciales.
Comme c’est souvent le cas à la lecture de
plusieurs polars, j’ai acquis de nouvelles connaissances.
J’ignorais tout de l’existence aux États-Unis
d’ « ambulance chaser » :
un « avocat parcourant les hôpitaux
à la recherche de victimes pouvant représenter une cause lucrative. »
J’ai aussi appris que, selon un article de la
loi Jim Crow de 1930 en Alabama, il « est illégal pour un nègre et un Blanc de jouer ensemble ou d’être en
compagnie l’un de l’autre dans n’importe quel jeu de cartes ou de dés, de
dominos ou de dames. »
Et découvert la glossolalie, ce « don de parler dans une langue
incompréhensible pour le commun des mortels ».
Parlant de la douance de Dillon Dixon et de
Belford King, Guy Robert Roussel l’a illustrée à partir des tests
de quotient intellectuel Stanford-Binet qui cumulent « depuis des décennies les résultats provenant des plus grands cerveaux à
travers le monde. L’échelle la plus haute, celle exhibant la crème de la crème,
se situe entre 160 et 169 » : à 160, un cas sur un ensemble
de10 000 individus, 161 sur 50 000 et 162 sur 100 000 :
« 165. [1 cas sur 2 000 000] Le pointage de Belford est inscrit sur sa
carte de membre MENSA [organisation internationale dont le seul critère
d’admissibilité est d’obtenir un test d’intelligence qui soit supérieur à 98%
de la population], en dessous d’une série
d’étoiles... »
« 171. Dillon Dixon avait un score que même
Jésus n’aurait pas obtenu. »
Avec de tels résultats, l’affrontement entre
le mal et le bien ne pouvait être qu’explosif.
La structure du scénario de « Là où on enterre les bêtes » en
fait un tourne-page au cours duquel la résolution de l’enquête soumise à
quelques rebondissements se construit peu à peu, au fur et à mesure que le
meurtrier met en place son plan machiavélique. Malgré la violence de certaines
scènes, la trame dramatique et le rythme réparti sur les 36 courts chapitres de
ce roman m’ont tenu en haleine jusqu’à la chute finale. La dernière phrase
ouvrant toute grande la porte à une suite qui, si l’intuition de Dillon Dixon s’avère,
que certains personnages se retrouveront à nouveau sur son chemin.
Après une entrée très remarquée dans
l’univers du polar québécois, la barre est haute pour un deuxième opus. Guy
Robert Roussel possède l’imaginaire romanesque gore, le talent de conteur et la
qualité littéraire pour la franchir.
* * * * *
Guy Robert Roussel est originaire de la Côte-Nord, au Québec. Après ses études, il entreprend un long parcours professionnel qui l’amène à Montréal, en Colombie-Britannique et en Ontario. Il traverse ensuite la frontière américaine, travaillant au Texas, en Caroline du Sud, en Alabama, en Géorgie et au Tennessee. En 2018, il revient à la maison et s’établit à Québec. Après avoir publié sous un pseudonyme, il signe « Là où on enterre les bêtes » sous son vrai nom.
Je tiens à remercier les Éditions
Fides pour l’envoi du service de presse.
Au Québec, vous pouvez commander votre
exemplaire du livre via la plateforme leslibraires.ca
et le récupérer à la librairie indépendante de votre choix.
Évaluation :
Pour
comprendre les critères pris en compte, il est possible de se référer au menu
du site [https://bit.ly/4gFMJHV],
qui met l’accent sur les aspects clés du
genre littéraire.
Intrigue et suspense
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Originalité :
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Personnages
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Ambiance
et contexte :
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Rythme
narratif :
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Cohérence
de l'intrigue :
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Style
d’écriture :
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Impact
émotionnel :
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Développement
de la thématique :
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Finale
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Évaluation globale :
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